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quinta-feira, 13 de outubro de 2011

La Travesée de la vie-Félix Remo

 

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FÉLIX REMO

LA TRAVERSÉE DE LA VIE

La conscience dit : tu te dois des comptes à toi-même.

La foi dit : tu dois des comptes à Dieu.

Toutes nos douleurs sont des fleurs pour l'autre monde.

Pardonnez à tous, excepté à vous-même.


Avant propos

Nous sommes des voyageurs en marche. Comme le temps, nous nous acheminons vers l'avenir, dévorant l'horizon des yeux pour tâcher de découvrir ce qu'il prépare. Mais si nous voulons nous faire une claire vision de cet avenir, retournons-nous pour contempler les étapes progressives du chemin parcouru. Remontons dans le passé et arrêtons-nous là-bas, quelques siècles en arrière, dans le souvenir qui s'efface d'une époque d'où, comme aujourd'hui, nous regardions en avant.

Voyons quelles promesses l'avenir a tenues envers ce passé.

Nous voici arrêtés dans le moyen âge, à une période d'insouciante ignorance. Nous croyons avoir conquis tout ce que le génie humain tenait de découvertes en réserve.

Mais on n'en est pas encore arrivé à inventer le télescope. L'Univers n'existe pas en dehors d'une uniforme calotte céleste, émaillée de quelques points d'or. Ils constituent pour le naïf contemplateur des joyaux animés d'un léger souffle lumineux, mal accrochés, qui, s'imaginait- on, se détachaient du ciel pour tomber vers nous, s'égrenant en étoiles filantes qui plongeraient bientôt le firmament dans l'ombre, privant la nuit de ses diamants.

On ne connaît pas non plus le microscope, ce qui nous dérobe l'extension de la vie au-delà du champ visuel.

Pasteur n'est pas encore venu dévoiler les microbes et les infiniment petits.

Roentgen n'a pas plongé en nous ses rayons investigateurs.

La Photographie n'a dérobé au visible et à l'invisible aucun de ses secrets.

Nous ne sommes pas allés voir ce qui se passait au haut des airs ni au sein des eaux. La mer, dont la paisible surface nous cache tout un monde, comme le rideau encore baissé sur une scène où se préparent des émerveillements, n'est qu'une nappe superficielle qui se chauffe au soleil.

Nous ne connaissons que la locomotion animale ; la poudre et l'imprimerie ne sont pas venues révolutionner le monde.

L'électricité, les ondes hertziennes, la radiation, la radio activité, les fluides, l'évolution, l'hypnose, le dédale de notre être caché, rien n'est sorti de son incubation. Cette mise en scène de la création sommeille dans notre ignorance.

Nous sommes, ne l'oublions pas, au moyen âge, que nous croyons le dernier mot des progrès possibles. Nous en sommes fascinés, quand nous contemplons les civilisations du passé, la brillante époque des empereurs romains, que nous avons laissée si loin en arrière. Remontant jusqu'aux Ramsès et Cyrus, ces temps nous paraissent presque sauvages à côté des nôtres. L'Athènes de Périclès, qui semblait l'antichambre de l'Olympe, est à nos yeux comme la présomptueuse adolescence de l'humanité virile que nous sommes.

Nous nous laissons bercer avec complaisance par le mirage de notre apogée, car nous croyons avoir atteint le sommet et surpris tous les secrets de la Création. Telle est la douce illusion de notre ignorante quiétude.

Mais un bon génie qui s'appelle tantôt Archimède, tantôt Newton, tantôt Kepler ou Lavoisier, Euler, Pasteur, Crookes, surgit, nous entraîne et nous fait franchir les siècles, semant et récoltant en chemin une inépuisable moisson, qui s'en va, grandissant à chaque pas, sous nos regards émerveillés.

Nous voici arrivés à notre époque, nous nous éveillons sur une apothéose. Cette fois, il fie reste aucun doute, tout l'inconnu a été conquis le ciel a épuisé ses surprises.

— Détrompez-vous, reprend le bon génie, ce que vous dites aujourd'hui est ce que vous disiez dans le passé et ce que vous direz dans l'avenir. Darius, Alexandre, Agélisas, Auguste en disaient autant. Vos progrès ne sont encore qu'une étape. Jouissez-en, mais loin d'en avoir épuisé les possibilités, vous les avez à peine effleurées. Reprenez haleine, nous allons continuer la route et, à la prochaine étape, vous pourrez contempler avec fierté une moisson égale à celle qui vous enorgueillit aujourd'hui, mais malgré ses grisantes surprises, ce ne sera encore là qu'un relais. La route du progrès est parallèle à celle de l'évolution, c'est la route de l'infini, parce qu'elle n'a de sommet que Dieu, qui est le seul infini, l'infini absolu.

Dans 2.000 ans, vous sourirez de votre naïveté d'aujourd'hui, comme vous souriez aujourd'hui de vos illusions d'autrefois ; et la somme de vos progrès, cependant, ne sera encore que la naïveté d’alors au prix des richesses sans cesse croissantes qu'apportera la succession des siècles.

C'est l'image d'un artisan qui met de côté tout ce qu'il gagne et qui, parti de l'indigence, arrive à accumuler la fortune, se croyant au faîte des grandeurs à chaque écu qu'il ajoute à son pécule.

Sceptiques, incrédules, vous êtes le voyageur qui n'a encore parcouru aucune de ces étapes.

Matérialistes, vous êtes une molécule effritée de l'inerte matière, sans flambeau de vie.


La traversée de la vie

La plupart des êtres qui peuplent notre monde sont des inconscients, des instinctifs. Ils savent qu'ils existent ; Descartes le leur a dit (Cogito, ergo sum). Ils savent qu'ils doivent mourir un jour. Craignant cette mort comme une fin sans appel, ils se cramponnent à la vie, cherchant, par tous les moyens, à en jouir avant de céder à d'autres leur place au soleil.

En dehors de cela, ce sont autant de fœtus surnageant, emportés par le grand fleuve de l'humanité. Peu cherchent à remonter le courant, ils vivent de leurs sens, de ce qui les frappe et ne cherchent pas à rien concevoir au-delà.

Notre planète est un déchet solaire qu'une fermentation chimique a recouvert d'une moisissure, vie végétale d'où sont sortis la vie animale et les infiniment petits appelés des humains. Elle est fille d'un rayon de soleil, d'un effluve de sa matière incandescente, effluve qui est le père générateur et contient tout. Il s'est condensé en gaz, puis en liquide, puis en solide. De pure flamme, de chaude onde insaisissable qu'il était, il s'est matérialisé pour donner un champ d'action aux âmes qui vont descendre de la vie spirituelle dans la vie matérielle. C'est alors que commence la fermentation vitale et l'évolution humaine. Les êtres primitifs, échappés de la bestialité, obéissent à la première fonction éveillée en eux : la faim. Ils ont la voracité en même temps que la reconnaissance de leur estomac de haut fourneau et jouent des mandibules en virtuoses. Puis, frémissants d'énergies génésiques, ils vivent comme l'animal, souvenir organique de leurs existences dans la faune.

Quand, plus tard, s'affirme le principe pensant, premier grand progrès humain, ils considèrent la vie en matérialistes, la pensée, chez eux, étant encore fonctionnelle et à l'état rudimentaire dans le domaine moral.

Ils s'ignorent eux-mêmes, inconscients du rôle qui les appelle sur la terre, comme tout ce que produit la nature et qui se laisse vivre sans savoir pourquoi. Elle les pousse dans la vie, sans leur dire le secret de cette existence qu'elle leur donne.

Leur but est de satisfaire toutes les jouissances, acquérir des biens, fêter Sybaris, Epicure et Lucullus ; être quelqu'un, se gorger des délices de Capoue, se faire respecter avec les poings et les dents, vivre et bien vivre, tirer à soi tout l'édredon, ignorer autrui, jouir et s'asseoir sur un pavois.

Qui reconnaîtrait dans cette âme, encore endormie dans son rêve terrestre, la chrysalide de l'ange ? Quelle sera la destinée de cet être de hasard sans boussole et sans frein ?

Lorsque l'on donne la liberté à un ballon, il s'élance follement dans l'air, ivre de liberté, sans avoir conscience qu'il se livre sans contrôle à tous les vents, sans but possible. Voilà la vie de cet animal humain, charrié par les courants qui passent, sans jamais se demander où le vent le pousse et ce que lui ménage la descente.

Mais, plus tard, à l'horizon de ses premiers ébats dans l'ignorance de la vie, quand s'éveilleront la conscience, le sentiment du devoir et surtout la révélation du spirituel, une aurore le tirera de sa nuit. Il ne sera plus l'image de l'incontrôlable enveloppe de baudruche, mais du dirigeable qui sait où il va et comment il atterrira, avec un gouvernail pour diriger sa course.

Tout, dans la vie des hommes, comme dans la vie des peuples, dépend de l'orientation première. Le premier pas en avant décide l'avenir. Il imprime à une nation la direction que suivra sa trajectoire en ce monde.

La Grèce, fille d'Orphée, abritait de son épée la science et l'art. Les sanctuaires de Delphes et d'Eleusis sont la floraison des semences qu'il y sema. Tous ses philosophes, à qui Dieu avait soufflé les secrets des destinées humaines, étaient les fils du divin créateur des mystères de Dionysos.

Romulus, premier roi de Rome, qu'il fonda, était un belliqueux qui représente à lui tout seul toute l'âme et toute l'histoire romaine. Si Horace tua Camille, sa sœur, il ne fut que l'écho, de Romulus, qui assassina son frère Remus. Caïn a eu des émules dans l'histoire.

Ce point de départ trace toute la route du peuple de proie qu'il fut, jusqu'au jour où il émigra vers Byzance. Rome ne connaissait que l'épée. L'héritage de Romulus se résume dans un seul mot : la domination ; héritage qui passa de la Rome impériale à la Rome papale. Tout ce qui n'y convergeait pas était brûlé et détruit par le Sénat romain, hydre assoiffée de conquêtes, tant qu'il restait un coin du monde qui ne lui appartînt pas. Le Teuton en est l'imitation dans ses aspirations, avec la noblesse en moins.

Aussi avaient-ils remplacé l'ésotérisme et combattu le Christianisme, devant lesquels leur orgueil répugnait de s'incliner, par des dieux et des temples auxquels ils commandaient comme à leurs légions.

Que de chemin, de ces appétits tapageurs à l'Inde mystique, assise sur les marches du trône de Dieu, recueillie dans la méditation des Vedas, qui furent l'immortelle impulsion donnée à ce peuple et dont tous les grands messies antiques ont descendu les degrés pour conduire leur génération dans les voies religieuses.

L'épée de Clovis a fait la France belliqueuse. Si nous avions commencé avec un Pythagore ou un Platon, nous aurions perpétué l'orientation druidique et nous serions probablement devenus un peuple moral d'une haute spiritualité.

Enfants de cette Gaule qui valait moralement mieux que nous, nous pouvons saluer avec fierté nos aïeux les Druides et ce grand patriote Vercingétorix, qui, de son épée, avait osé arrêter, dans sa marche, le torrent romain et César. C'était un admirable médium, sans cesse évoquant ses morts et vivant en communion avec eux, car son peuple était spirite d'instinct et, par ses légendaires institutions, les néophytes inconscients de l'ésotérisme. Leurs forêts, qui leur servaient de temple, étaient comme un écho affaibli de ceux de Dionysos et d'Eleusis.

Ils nous ont laissé de poétiques légendes, comme celle des Korrigans à la recherche d'une incarnation nouvelle, et une poésie mystique dont les bardes ont longtemps perpétué les échos.

Une impulsion première peut décider d'une destinée, et elle trace aux parents le grand devoir de leur vie envers leurs enfants. Les trois ou quatre premières années de l'enfant se passent dans l'espèce de somnolence psychique où il a été plongé en quittant l'autre monde, tout comme le sommeil nous plonge peu à peu dans l'oubli de l'état de veille, et quand le réveil survient, ce n'est pas pour le rendre au monde qu'il vient de quitter, mais pour lui faire prendre conscience de sa nouvelle vie, par une initiation lente, sans qu'il se rende compte de son état.

Le souvenir de son rêve s'efface graduellement et l'être spirituel, voué à une vie dans la matière, fait son éducation terrestre par un stage dans la vie animale.

Il entre dans ce rôle avec tous les défauts de l'inconscience. Il est volontaire, impitoyable et cruel. Il n'a pas la perception du bien et du mal, il vit d'impulsions. Tout ce qui est petit et se permet de vivre est condamné à mort et écrasé sous son talon sans pitié.

Vous l'entendrez par exemple dire : Oh ! Une bête, tue-la !

Quel est son crime ? Son crime, c'est d'exister.

C'est dans la première période que les parents doivent lui inoculer le sentiment de l'obéissance, car, déjà tout petit, il a une propension à être un vrai tyran. Dans la seconde période, doit venir l'impulsion morale.

Cette première enfance est un problème d'algèbre psychique. La mort astrale de l'Esprit qui s'incarne et la naissance dans l'inconnu d'une nouvelle vie ne forment pas d'équation.

L'avenir de cet enfant trace la responsabilité des parents. C'est alors qu'ils doivent, non pas décider de ce qu'il sera, mais étudier ses penchants, ses dispositions, l'apport de son Karma, pour le pousser dans la direction que ses aptitudes lui rendent la plus abordable.

Si beaucoup d'Esprits s'incarnent dans le rôle de mère, c'est qu'il y a là pour la femme une grande et périlleuse épreuve. Elle est responsable d'une âme qui peut lui ouvrir ou lui fermer le ciel, suivant ce qu'elle aura su en faire.

Sera-t-il un monstre ou un saint, redoutable inconnue ?

Quand la mère se penche avec des gazouillements sur cette miniature d'être qu'elle enveloppe d'amour, se dit-elle jamais qu'il y a là une âme venue sur la terre pour payer une dette de souillures ? Quelle anxiété ne serait-ce pas pour elle de penser qu'elle allaite peut-être quelque criminel passé ou futur et qu'après lui avoir donné son lait, elle devra lui donner ses larmes ! Quel supplice pour la mère d'un Néron, d'un Caligula, d'un Attila !

Quelle anxiété également pour son cœur de mère à la pensée qu'elle prépare peut-être une victime à la méchanceté des hommes, aux hécatombes qui sont le marchepied des ambitieux conquérants !

Mais quelle joie s'il allait être un grand citoyen, un homme de bien, un homme illustre, l'honneur de ses vieux jours, la récompense de son dévouement et de son amour !

Tous les bébés sont intelligents, c'est entendu ; si vous en doutez, demandez à leurs parents.

On entend souvent aussi les parents s'enorgueillir d'avoir de beaux enfants, tout comme si ceux-ci étaient leur œuvre. Ils ignorent qu'ils n'en sont que le véhicule ; que, l'atavisme à part, l'enfant est le fils des propres œuvres de son Esprit, du périsprit, qui préside au modelage de ce que sera l'être terrestre. L'atavisme et l'hérédité sont très limités du côté des parents, mais illimités du côté de l’incarné, qui a derrière lui le bagage de toutes ses vies. La loi fatale de son Karma dessinera malgré lui dans les bosses du crâne, dans les traits du visage, les signes de la main et d'autres encore, tout l'itinéraire de la vie.

L'enfant pourrait dire à ses parents : Vous êtes les auteurs de mon corps, mais pas de mon âme. Nous sommes une association. Vous avez fourni l'enveloppe, je l'ai meublée.

Vous avez produit le corps et moi l'Esprit. Entre vous et moi, c'est une collaboration. Je ne suis à vous que partiellement, mais votre sang a créé des liens d'amour.

Assurément la vie en commun, soit avec des parents, soit avec d'autres, déteint toujours sur les êtres par son influence morale, mais le grand redresseur, le pilote, c'est l'éducation.

L'enfant abandonné à l'influence des impressions ambiantes est comme une mauvaise herbe ; l'éducation l'assouplit, l'oriente, et il vaut mieux, dans la société, être une plante utile qu'une plante parasite. Arrêtons-nous un instant à cet important problème.


L’éducation

Je me bornerai à quelques considérations générales ; le sujet est trop vaste pour trouver place ici et compte de plus éloquents interprètes que moi.

Quand deux personnes se dirigent vers un même but, l'une marchant et l'autre courant, l’éducation représente celle qui court. L'autre, celle qui marche, c'est l'éducation inconsciente, machinale, apportée à notre cerveau par ce que les yeux voient et les oreilles entendent. Mais que de choses nous pourrions voir ou entendre, glissent sur nos sens sans que nous les remarquions ! Si nous n'avions pas, au dedans de nous, un surveillant attentif qui enregistre les acquisitions que notre inconsistance laisse échapper, une multitude de choses qui aident à notre éducation seraient perdues pour nous. Dans le silence de notre arrière-moi, tout est pesé et classé.

L'homme doit tout apprendre. L'imagination provient du stock acquis. Il ne peut rien concevoir ou imaginer en dehors, la création de quoi que ce soit n'appartient qu'à Dieu. Il n'a donc de conception que par les impressions reçues.

Nous ne parlerons pas de cette assimilation inconsciente, passive, qui représente l'éducation animale, où l'intérêt de la vie tient, tout entier, entre hier et demain, dans l'heure vécue. Mais il y a l'autre, celle qui fait de l'animal un homme.

L'éducation de l'enfance est une évolution, un progrès vers le mieux. Il faut aplanir le chemin et, dès le début, lui ouvrir la route qui conduit vers les sommets, grand devoir pour les parents. Ils ont charge d'âmes qu'ils peuvent sauver ou dévoyer. Leur insouciance, qui est une lourde faute morale, devient criminelle quand ils y mêlent l'exemple d'une vie dissolue et sans principes. Ils auront à rendre, des déchéances qui en seront la conséquence, un compte sévère, parce qu'ils en seront tenus responsables.

Le plus grand ennemi est l'ignorance. Si les sources vives de l'esprit humain chez l'enfant sont taries dès le premier âge, c'est le résultat d'une éducation mal comprise. Les cerveaux alors, qui n'ont pas une grande force de résistance, tombent dans la routine du devoir professionnel, machinal, dans les besognes d'un étage inférieur à celui que leur capacité cérébrale les appelait à atteindre.

L'enseignement moral incombe aux parents et doit remplacer l'enseignement dogmatique ; il complète celui de l'instituteur.

Il faut d'abord faire aimer la classe aux enfants : les en effrayer c'est les en dégoûter, c'est fermer la porte de l'intelligence à toutes les chances de la développer. Il ne faut pas faire de ce petit être une petite victime. Au lieu de lui faire de l'étude un épouvantail en lui disant : « Si tu n'es pas sage, on t'enverra à l'école », ce qui ne fait que prédisposer contre le travail ces petits êtres crédules et impressionnables, il faut le lui faire désirer en lui disant : «Quand tu seras bien sage, tu iras à l'école », et lui répéter souvent : « Si tu n'es pas sage, tu n'iras pas à l'école». Elle est alors entrevue comme une récompense, ou au moins sans terreur, car la valeur des choses réside beaucoup plus dans l'idée que dans la forme. On leur donne un grand prix en les faisant valoir à propos. Le fruit défendu engendre des merveilles.

Un ami, à qui j'ai donné ce conseil, me disait : « Quand mon garçon se conduit mal, je le retiens à la maison, je le prive d'un jour de classe et mets ses livres sous clef, et ce sont toute la journée des larmes de désespoir. Il a fini par aimer l'école comme un lieu de plaisir, et le travail par-dessus le marché. »

La retenue et les pensums n'ont jamais corrigé un enfant, et les mauvais élèves s'y habituent. Un maître d'école que j'ai connu, punissait ses élèves en les mettant à la porte pendant la durée de la classe et les portant au tableau de déshonneur, exposé au dehors, à la vue des passants. L'élève finissait par éprouver un sentiment de honte, que le professeur entretenait en ne décourageant pas les quolibets de ses condisciples. Il était arrivé à se produire dans la classe, chaque fois qu'un élève était expulsé, un haro qui le froissait dans son amour propre et le ramenait peu à peu.

La persuasion est un levier tout-puissant ; l'enfant croit à tout, au petit Noël, à Saint-Nicolas, à la mère Cigogne, au croquemitaine. Tout a prise sur ces petits cerveaux tout neufs, magnifique champ à exploiter, à condition de faire du travail une récompense, et non une menace, une punition.

Le maître habile sera celui qui saura se faire aimer de ses élèves et s'en faire des amis.

Entrons dans l'école. A part quelques courtes récréations, ce sont des petits forçats. Le soir, heures d'expansion au foyer, ne leur appartient même pas, il y a encore des devoirs à faire, comme si un ouvrier, après sa journée, emportait encore du travail chez lui. On leur atrophie les forces cérébrales par un enseignement abstrait, reposant sur des tours de force de mémoire, au lieu de se faire intéressant, anecdotique et reposant surtout sur des moyens d'assimilation qui lui facilitent la fixation dans la mémoire. Nous y reviendrons plus loin.

Quatre ou cinq heures de classe bien entendue, devoirs compris, devraient suffire. Les heures de reste pourraient être réservées à des exercices de toutes sortes, à tous les sports utiles de leur âge, tels que la gymnastique, la natation, le jardinage, des jeux d'adresse et l'enseignement de travaux manuels qui cacheraient, sous forme de divertissement, les premiers degrés de véritables apprentissages selon les goûts et les aptitudes. Ces exercices ne seraient jamais inutiles, même à ceux qui n'en auraient aucun besoin, et leur rendraient probablement de grands services dans la vie. C'est ainsi que nous avons vu Trollope scier du bois, Gladstone bûcheron, lord Mandeville serrurier, etc.

Il faut commencer par dégrossir le cerveau en le meublant d'idées qui le frappent par les sens. C'est à ceux-ci qu'il faut s'adresser et non à l'intelligence, qui n'est pas encore développée, ce qui a fait dire à un illustre pédagogue anglais qu'il voulait l'école sans livres. Les sens sont la porte qui laisse entrer les impressions durables dans le cerveau. L'escalader en dépit des moyens naturels n'assure jamais une impression bien stable. La mémoire des yeux est un appareil qui photographie et garde ce qu'elle voit. La mémoire pure, sans point d'appui, ne conserve aucune impression qui ne s'évapore avec le temps.

Le raisonnement, provocation des idées, viendra ensuite se greffer sur les connaissances acquises sans effort. Il les groupera pour s'en faire un pivot, un ascenseur.

Il faut surtout, comme le conseille Claparède, étudier la mentalité et les aptitudes de chacun et les favoriser. C'est pour ainsi dire l'école sur mesure. E. Legouvé nous donne raison en conseillant l'enseignement par les yeux, au moyen de la reproduction photographique des lieux, des êtres et de tous les faits rendus patents par une forme. Il veut que l'image complète le livre.

Tous ces grands murs nus dans les établissements d'éducation et même dans les casernes, les prisons, etc., sont l'ignorance d'une richesse méconnue et gaspillée, en même temps qu'un aveu d'imprévoyance et d'impuissance.

Pourquoi chaque mur ne représenterait-il pas une immense carte de géographie ; le plafond, notre système planétaire ; tous ces longs couloirs nus, des développements historiques par l'image. Partout des peintures au poncif, appropriées, morales, instructives.

On pourrait aussi reproduire la vue des monuments célèbres de tous pays. Par exemple, on parle aux enfants des sept merveilles du monde, mais elles restent pour lui un inconnu sans intérêt. Montrez-les lui sur vos murs, il les comprendra d'un coup d’œil et ne les oubliera pas. Mettez-y la silhouette des grands règnes, avec les célébrités de son époque et les détails allégoriques sur les événements qui l'ont illustrée. Montrez la gradation des découvertes et inventions de siècle en siècle. Utilisez les murs, même au village, en représentant les instruments aratoires, les procédés en usage dans d'autres pays.

Partout où vous ferez parler les murs, vous verrez combien leur voix est éloquente.

Pourquoi ne pas disposer de précieux auxiliaires, jusqu'ici abandonnés au domaine récréatif, comme le cinéma[1], les projections lumineuses et le microscope solaire. Ce dernier nous initierait au monde des infiniment petits, resté à l'état de curiosité. On pourrait avoir des cinémas déroulant l'histoire des peuples avec explications, ainsi que les vues et la description de pays étrangers, procédé rapide et effectif qu'on pourrait répéter souvent. On retient plus vite ce qu'on a vu que ce qu'on a entendu. Nous-mêmes, quand on nous décrit un appareil, nous ne le saisissons vraiment dans ses détails et dans sa forme que quand nous voyons l'appareil lui-même.

On pourrait instituer dans les mairies des cours de toute espèce, publics et gratuits, par ce procédé. Quant à nos tapisseries, d'une monotone banalité, répétant sans cesse le même motif, la même fleur, elles pourraient, fresques à quelques sous le mètre, se transformer en vues de monuments, de scènes historiques, de reproductions d'œuvres d'art, de paysages, d'instruments, etc.

Au lieu d'ancêtres, figés sur une toile, enfermés dans un cadre comme dans une cellule et qui nous suivent éternellement des yeux comme pour reprocher à leur descendance le carcan qu'ils subissent, on pourrait avoir une sélection de personnages illustres et l'infinie variété de tout ce qui constitue la vie et le progrès.

L'enfant retient bien mieux des mots réunis en phrases que des mots isolés, sans rapport les uns avec les autres, et les connaissances sont d'autant plus stables qu'on a fait appel à un plus grand nombre d'organes sensoriels.

On apprendra mieux la zoologie dans un jardin d'animaux, la chimie dans un laboratoire, l'astronomie dans un observatoire et la botanique en herborisant.

Enfin, au lieu de nos jardins sans but, j'aurais des parcs géographiques, où l'on pourrait faire des voyages en raccourci dans les cinq parties du monde. Il n'y aurait pas d'autres chemins que les grandes voies naturelles. Chaque ville serait représentée par des attributs indiquant son industrie ou son commerce. Des rigoles, des flaques d'eau simuleraient les rivières, les lacs, les mers. Les montagnes auraient un relief proportionné. J'y ajouterais de la climatologie, de la géologie. La faune et la flore auraient leur place en miniature. On pourrait en avoir de plus restreints, recouverts en voliges, couverture qui serait utilisée pour l'étude de la cosmographie. Il n'y a pas jusqu'au soleil, la lune et les planètes que pourraient représenter des globes dont les mouvements seraient tracés mécaniquement et qui serviraient aux démonstrations.

Il n'existe pas de livre pouvant rivaliser avec cette instruction ; les moyens pratiques sont toujours infaillibles et bien plus rapides.

Pourquoi aussi ne pas donner aux enfants des jeux de patience représentant les subdivisions d'un pays, provinces, départements, etc., avec des indications utiles par l'image : cours d'eau, montagnes, villes, etc. Il faut créer des jeux scientifiques qui éveillent leur sagacité et stimulent leur curiosité.

Le théâtre même, un théâtre-école, pourrait fournir son appoint en scènes et actions historiques. On retient mieux une comédie vue qu'une comédie lue. Le costume, la mise en scène, l'action, l'image d'une réalité impressionnent davantage et tendent à vivre dans la mémoire.

Si l'on pouvait jouer l'histoire aux enfants et, mieux, la leur faire jouer à eux-mêmes, elle prendrait possession de ces jeunes imaginations ouvertes à tous les émerveillements, avides de tout ce qui offre une forme révélatrice pour frapper leur insatiable curiosité.

La comédie d'école est toujours une petite fête. Il faut la multiplier, mais lui donner un but plus utile. Au besoin, l'on peut, comme on improvise des charades, tracer des scènes à grands traits et laisser à chacun le soin de compléter son rôle. Vous verrez comme il piochera ses auteurs pour le rendre exact. Et l'émulation, le petit amour-propre, les applaudissements, les compliments ? Au premier succès, il serait prêt à jouer l'histoire ancienne et moderne.

Je ne m'attarderai pas à ce sujet qui demanderait tout un volume. Je l'ai développé dans un autre ouvrage[2].


Les punitions corporelles

— A-t-on ou n'a-t-on pas le droit de battre les enfants pour se faire obéir ? Les uns disent oui, d'autres disent non. Les deux opinions ont leurs partisans et leurs adversaires. La faute est souvent imputable aux parents ou aux maîtres, qui n'ont pas su se faire obéir dès le début.

Wauterniaux, un humoriste, répondait : Il est inutile de dire à un enfant : « Je me plaindrai à ton père ». Il rit, il sent votre faiblesse. Mais si vous lui dites : « Je te tirerai les oreilles », il a peur, il sent votre force.

Il en ressort que c'est un peu la nature de l'enfant qui dicte la conduite à tenir à son égard. Le sujet sortirait de notre cadre. Nous ne pouvons envisager la question qu'au point de vue spirite. Ici, les résultats sont concluants et ont été confirmés par l'expérience. Mais nous pouvons affirmer que la provocation à la répression est toujours en rapport, chez l'enfant, avec le degré d'évolution de l'Esprit qui s'y est incarné. Les enfants retors, Esprits inférieurs, sont souvent une pénible épreuve infligée aux parents. Ceux-là ne connaissent que la force ; le raisonnement et tous les moyens moraux n'ont aucune prise sur une nature embourbée entre un passé malheureux et un avenir douteux.

Assurément, toute répression par la force, même lorsqu'on frappe un enfant fautif, est un mouvement de la nature animale ; la nature morale redresse par des moyens moraux et ne brutalise pas.

Si la raison ne peut pas toujours remplacer la verge, la doctrine réussit mieux que l'une et l'autre. La persuasion fait plus que l'obligation, la raison fait plus que les lois.

Mme Crouzet disait un jour à ce sujet, dans une de ses conférences à l'Hôtel des Sociétés savantes, en parlant d'un jeune garçon qui avait été élevé dans les principes spirites : Depuis continuellement retenu au seuil de tout ce qui est répréhensible par cette préoccupation.

A cela ne se borne pas l'influence spirite ; elle le stimule, l'encourage, le guide et lui inspire des sentiments de charité qui préparent souvent en eux des héros du bien. Mères, pensez-y et essayez. Il y a là, non seulement une solution au problème si délicat de l'éducation de l'enfance, mais il y a aussi un grand devoir, celui de la diriger dans la Voie spirite, qui sera son meilleur gouvernail à travers la vie[3].

L'être qui s'embarque dans la vie est comme le matelot qui s'embarque pour un voyage au long cours. Il doit s'attendre à des mers calmes et à des tempêtes. Dans chaque existence, il vit entre deux mystères : ce qu'il a été et ce qu'il sera. Il vit entre deux infinis, celui de ses vies passées et celui de ses vies futures.

Que lui reste-t-il ? L'heure présente. Puisse-t-elle lui donner son dû de foi et de progrès, d'amour et de charité ! Elle mettra son avenir à l'abri des menaces de ce passé oublié et lui ouvrira des voies rédemptrices.

Une noble inquiétude, dit Sénèque, emporte toujours l'âme humaine vers des régions méconnues d'où elle tire sa divine origine.

La vie sur terre n'est pas le but unique de la création ni une finalité sans lendemain, mais une étape. Ce n'est qu'un grain du chapelet, un chaînon de la chaîne des existences, chaque vie est un problème nouveau. Le monde invisible est la vérité, parce qu'il est la source des causes. La Terre est l'illusion, parce qu'elle n'en connaît que les effets, sans pouvoir ni les expliquer ni juger. L'un produit, l'autre subit. Vivre d'illusion est vivre dans un rêve. L'homme est mis sur la Terre pour se débattre et souffrir. L'espérance et l'illusion lui voilent les brutales réalités. Des jouissances éphémères lui sont habilement dispensées comme l'apparence du bonheur. L'espérance lui fait croire en de meilleurs jours, et l'illusion, qui prouve l'honnêteté du cœur, fait voir en beau les tristes réalités.

Sans ces deux fées, l'existence serait une agonie. Prendre des mirages pour des réalités, c'est le voile que la pitié céleste jette sur les douleurs humaines. Mais à force de chevaucher dans le rêve sans que celui-ci ne descende jamais dans la réalité, l'homme a des jours de découragement qui sont souvent des jours de vérité, parce qu'elle s'y montre sans fard. Qui sait si, sans ces trompeurs mirages, la vie, vue toute nue, ne serait pas une provocation au suicide !

Voilà l'intelligence de l'enfant développée, meublée, armée pour les luttes de l'existence. Le moment est venu pour lui de questionner sa destinée, de décider dans quelle voie il dirigera son labeur. Ces années d'éducation nous donnent l'image de l'habitant de la vallée qui gravit la montagne, élargissant peu à peu son horizon et s'étonnant à chaque pas des limites étroites où était encerclée sa vie.

Bientôt vient l'heure d'aimer, minute solennelle où les devoirs génésiques, la mission spirituelle, des attaches antérieures et tout le cortège de l'inconnu jouent un rôle.

Un premier amour n'est souvent qu'une amorce, un caprice de hasard, la timide étincelle d'un cœur qui s'éveille en attendant la minute divine où le ciel lui montrera du doigt l'objet à aimer et lui dira : c'est ta destinée qui passe.

Voici que commencent à poindre les scrupules de sa conscience. Elle a fermé les yeux sur la période d'apprentissage, mais l'âge d'or des années d'insouciance est fini. Il va falloir marcher seul, laissant, une trace à chaque pas dans le long film de l'existence qui va se dérouler, chaque faux pas y gravant une marque profonde.

Si le père est clairvoyant, il peut devenir le pilote sauveteur. Si l'enfant n'a plus de père, il hésite, il tâtonne, il n'a pas de gouvernail, il tourne à tous les vents.

On pense malgré soi à ce jeu populaire où un sujet, les yeux bandés, armé d'un bâton, doit franchir quelques pas pour aller abattre une poterie qui pend en face de lui. Il n'a qu'à marcher droit, et cependant, dès les premiers pas, sa marche dévie et, se croyant sans cesse près du but, il frappe dans le vide.

Voilà, matérialisée l'image de notre vie. Combien, fourvoyés, multiplient les coups de bâton inutiles ? Coups d'épée dans l'eau, dit-on familièrement, au point que si elle était solide, et en gardât les marques, ce serait une véritable écumoire.

Nous n'avons qu'à marcher droit pour atteindre le but, mais nous avons les yeux voilés par notre incarnation. Nous le connaissions avant que la naissance dans un corps terrestre ne nous les bandât, et nous voilà maintenant livrés à l'inconnu. Marchons-nous droit ?

N'est-ce pas le moment de nous demander ce que nous sommes et d'ouvrir notre grand livre de comptes pour tâcher de voir clair dans l'état de nos affaires ?

Va, pauvre moucheron humain. Entre dans la vie. Tu as le vide devant toi, remplis-le. On t'a accordé un bien dont tu ne perçois ni la valeur ni le danger : la liberté. Tu ne connais ni ton passé ni ton avenir, tu es une épave du temps en marche. Tu ne sais ni d'où tu viens ni où tu vas. Tu ne connais de toi que l'infime partie que te révèlent tes sens, la moins pure, celle que tu viens ici-bas pour épurer et perfectionner. Tu vogues vers une destinée que tu ignores.

Tu ne sais pas que tu viens dans ce monde pour réparer et expier ; réparer et expier quoi ?

— Que tu as une mission ; laquelle ? N'est-ce pas que nous avons les yeux bandés ? On nous arme d'un bâton et on nous dit : « Marché et frappe ». Et cela, c'est notre libre arbitre, mais chaque faux coup, chaque faux pas engendre une dette.

Voilà l'homme, il est son propre mystère, et il n'en sait rien, parce que, attiré en dehors de lui par le dangereux prisme des sens qui le trompent, il ne pense pas à explorer sa maison, son moi qui renferme la solution de tous ces mystères.

Il n'y avait pas besoin de nous bander les yeux, nous sommes des aveugles naturels. Nous croyons tout savoir, parce que nous pouvons voir, et nous croyons volontiers que tout se résume à ce que nous voyons. Et cependant ce n'est là qu'un coin de l'horizon de la vie, comme la vue que le villageois embrasse de son champ.

Nous ne voyons pas ce qu'il y a de caché derrière ce qu'on nous dit. La parole ne fait qu'habiller la pensée et, bien souvent, la déguiser. La vérité et le mensonge n'ont pas de couleur qui puisse faire discerner l'une de l'autre.

L'enfant représente une âme inquiète qui voudrait comprendre le problème de sa destinée. L'évolution à travers les règnes inférieurs nous a amenés à l'état d'homme, et nous nous croyons volontiers à un apogée. Nous croyons notre civilisation un sommet, parce qu'au-dessous de nous il y a des sauvages ; mais nos grandes inventions nous éblouissent et nous trompent, elles sont les progrès de la terre et non le chemin du ciel. On n'avance que par le progrès moral, et si nous regardons les vices qui rongent notre société et l'absence des vertus qui devraient l'élever, nous comprendrons combien loin en arrière nous sommes encore sur la route qui conduit aux cimes.

Que de présomption de nous imaginer que l'esprit humain a donné tout ce qu'il contenait de lumières en germe pour féconder le monde, de croire qu'il n'y a plus de progrès possibles alors qu'il en surgit chaque jour et de plus en plus grands. Sans parler des merveilleuses découvertes faites depuis un siècle, voyons ce que nous ont révélé les enseignements spirituels seuls.

Il y a à peine 70 ans, un missionnaire fut envoyé parmi nous pour codifier, au bénéfice de tous, les éléments du spiritisme jusque là épars, égarés dans les théories des philosophes, faussés par l'Eglise ou enfermés dans les temples de l'Inde, de Grèce et d'Egypte.

Puis ce furent Darwin, Lamarck, Haeckel qui ont éveillé notre attention sur les lois du transformisme et de l'évolution. Aksakoff, ensuite, est venu nous expliquer l'animisme ; Myers a découvert le subconscient ; de Rochas a prouvé les réincarnations en fouillant dans les vies passées de sujets hypnotisés. Richet, en France, nous faisait connaître la télépathie, due surtout à cette merveilleuse institution : The Society for psychical research. Le Dr Dassier a prouvé l'existence du périsprit chez les animaux, et il était d'autant moins suspect de partialité qu'il était disciple d'Auguste Comte. La psychométrie était révélée par l'Américain Buchanan, et la photographie, témoin muet, incorruptible, venait appuyer toutes ces découvertes en les affirmant par la plaque sensible et en fixant l'invisible. Voilà le bilan de 70 ans. Ce n'est là qu'une aurore. Edison affirme que ces premiers pas n'ont fait qu'entrevoir le progrès et que tous les grands problèmes à peine effleurés, ou que nous ne soupçonnons même pas, nous livreront leurs secrets.

L'évolution, ainsi que la psychométrie, comme d'ailleurs tout ce qui constitue le patrimoine des connaissances spirites, étaient connues des Hindous depuis des temps qui échappent à toute supputation. On les retrouve dans le brahmanisme ésotérique qui, dit le Dr Gibier, n'est pas autre chose que le spiritisme. Mais il fallait leur donner le baptême scientifique, et ce fut la mission des modernes, qui ont cru les avoir découvertes et n'ont fait que les confirmer et les prouver.


Evolution

Le transformisme est la loi suivant laquelle les espèces se transforment et donnent naissance à de nouvelles espèces sous l'influence de l'adaptation.

Tout être est guidé, dans l'évolution, par des lois graduées, adaptées à son niveau moral. Les espèces inférieures ne connaissent que l'attraction ; l'animal a l'instinct ; l'homme, guidé d'abord par le sentiment du devoir à l'état d'obligation, l'est, dans un état plus avancé, par la conscience, qui est une loi résultant des devoirs moraux, puis, plus tard, par la loi d'amour, où toutes obligations se fondent dans un sentiment plus pur. La conscience conduit et l'amour guide.

On voit donc que la loi évolutive, en ce qui concerne l'être moral, procède par une obligation inconsciente d'abord, puis par une obligation raisonnée, puis par un sentiment de responsabilité consciente et enfin par un élan naturel.

Ce qu'on appelle liberté n'est que le degré d'affranchissement aux entraves matérielles que l'homme est arrivé à conquérir. Plus l'être, en se purifiant, en se moralisant, a su dégager sa nature inférieure des étreintes matérielles et des empreintes animales, plus il sent sa liberté s'épanouir avec sa progression dans l'échelle spirituelle. Tout ce qui peut ternir le périsprit est une entrave à sa liberté. Celle-ci grandit suivant le triomphe de l'esprit sur la matière. Le progrès moral dénoue peu à peu les chaînes qui nous rattachent à l'esclavage des passions et des intérêts humains. La liberté absolue n'est que dans la perfection absolue.

Et nous, créatures humaines, que sommes-nous dans la Création ? Un abrégé de merveilles formant un tout parfait, un rouage auquel il ne manque rien, une monade contenant tous les germes de son long voyage par le temps et l'espace, un microcosme ou petit univers.

On nous dit : « L'homme prie, confiant à sa prière le soin de se diriger vers Dieu ». Dieu est partout, dans notre vie, dans nos cœurs, dans les temples, au foyer, dans la barque du pêcheur, dans le sort des armées. A la mort, nous comparaissons devant lui, etc. Il est infini, c'est entendu, mais son rôle dans la création est autrement élevé que celui que nous lui attribuons. Je ne le vois pas bien s'occupant des moindres faits et gestes des milliards de milliards de mondes et de leur moisissure humaine à travers le vaste Univers, recevant ces cohues de prières, jugeant ces myriades d'êtres que chaque seconde lui apporte, etc. C'est vouloir absorber l'infiniment grand au profit de l'infiniment petit, au profit de l'entomologie humaine.

Non, Dieu aurait laissé son œuvre inachevée s'il avait fait l'homme incomplet. Ainsi que je l'ai expliqué (Dans le Pèlerinage des Existences : « Dieu » et dans Notre Exil sur la Terre : Le but de la Création.), chaque être est créé, dirigé, gouverné depuis le germe par une étincelle détachée du Grand Tout, comme une goutte d'eau distraite de l'océan — qui nous suit à travers notre long pèlerinage. Elle est notre ange gardien et constitue Dieu dans notre vie, écoutant nos prières et se dressant devant nous à la mort pour nous juger.

L'homme a en lui le tribunal et le bagne. Le tribunal, c'est sa conscience, l'étincelle divine ; le bagne, c'est le remords.

Quand le sacrifice de l'incarnation est décidé, l'âme condamnée à la prison terrestre est précipitée dans l'engrenage d'une existence. Là, l'être est saisi par toutes les forces organisées, c'est l'arène. Jeté au milieu des luttes, il faut lutter ; plongé dans l'océan de la vie, il faut nager.

Mais Dieu a pitié du pénitent qui fait son chemin de croix, il lui voile les misères de l'existence par des satisfactions matérielles à la chair et des illusions de plaisir à l'esprit.

Nous sommes tous frères, parce que nous sommes tous enfants d'un même père ; nous sommes tous compatriotes, parce que nous venons tous de la même grande patrie ; nous sommes tous égaux, parce que nous avons tous la même origine et la même destinée finale. Telles qu'une vague au milieu des vagues de l'océan, toutes les âmes sont égales devant Dieu.

Comme des gouttes d'eau prises à la même source nos âmes sont semblables et retournent comme ces gouttes d'eau à cette même source, pour se confondre un jour dans la grande âme dont tous les êtres créés sont une étincelle.

L'homme vient dans cette vie comme on fait un voyage d'affaire. Il a tracé son itinéraire, il s'est proposé un but. Le Karma est le bagage, ce sont nos actions qui nous suivent. C'est en même temps une créance et une dette que nous emportons, grand livre du niveau acquis par la somme de nos existences.

Les uns rampent, d'autres courent, quelques-uns volent. Beaucoup de ceux qui ont une grande mission sur la terre l'ignorent jusqu'à ce que sonne l'heure de cette mission. Parmi eux, l'on voit des martyrs qui paient de leur corps l'héroïsme de leur âme.

Beaucoup laissent pur le nom qu'ils ont porté et s'en vont les mains riches d'amour, mais il y a des existences inutiles, simple ornement dans la société. Elles semblent n'avoir aucune mission à remplir, vivant comme l'animal, sans se soucier du bien à faire ; parasites volontaires qui allongent la route. C'est parmi eux qu'on trouve les retardataires, comme il y a les mauvais élèves dans une classe. Il leur faut plus de temps, mais ils arrivent toujours. Il y a aussi les déserteurs, c'est l'école buissonnière, la résiliation de toutes les promesses du berceau, de toutes les espérances de la vie, graine de malfaiteurs, de tyrans, parfois de monstres. Mais les égarés finissent par retrouver leur voie, et Caïn, Judas, Néron, Attila deviennent un jour des Jean Chrysostome ou des saint François de Sales. Sont-ils les jouets du hasard, ces différences sont-elles dues à ce qu'on appelle la chance ? Non, l'homme fait sa propre chance. Le hasard et la chance sont des étiquettes, faute d'explications possibles, qui dissimulent notre ignorance des causes. Le mot surnaturel n'est qu'une variante de ces étiquettes euphémiques. Nos avions et nos autos, notre téléphone et nos phonographes seraient des objets surnaturels chez les sauvages. Que de choses nous paraîtraient impossibles, comme les grands phénomènes de la nature, si nous n'y étions pas habitués, si nous ne vivions pas, inconscients, au milieu d'eux. Encore un mot à rayer, c'est le mot fin. Rien n'a une fin, comme rien ne peut être anéanti, parce qu'une fin est toujours le commencement d'une autre chose, attendu que tout ce qui constitue une fin est une cause qui doit produire des effets et continuer dans un autre sens, sous une autre forme, d'une autre manière. Fin est synonyme de transformation. La mort n'est pas une fin, car elle engendre la vie : tout cadavre devient production. Elle est un dédoublement de l'être en vie spirituelle d'une part et en activité organique et chimique de l'autre. Nous ne nous connaissons pas, mais nous pouvons nous résumer en trois lignes :

Notre corps semble fait pour jouir et souffrir.

Le périsprit prépare et répare

L'âme imprègne et règne.

Nous avons là, pour nous diriger, des pilotes cachés, notre conscience, notre raison et la vigie attentive de notre subconscient. Mais ce ne sont que des pilotes qui ne nous imposent aucune obligation, nous laissant en possession de notre libre arbitre. Encore ne pouvons-nous l'employer qu'en ce qui concerne les actions dépendant de notre volonté. Nous n'avons pas le pouvoir de nous opposer aux choses du dehors qui s'imposent à nous, les obstacles extérieurs peuvent mettre un frein à notre libre arbitre et sont quelquefois suscités, dans notre intérêt, pour nous empêcher de commettre une faute, une action maladroite ou dangereuse.

Et puis, pour employer une figure allégorique, nous avons notre bon et notre mauvais génie, qui symbolisent en nous la lutte du bien et du mal, c'est-à-dire, d'un côté, les déchets turbulents de nos existences passées, restés accrochés à notre périsprit, et, de l'autre, notre ange gardien, partie supérieure de nous-mêmes, réfugié dans l'étincelle divine qui forme notre âme.

Nous ne sommes pas non plus livrés au hasard des glanures terrestres, nous avons un petit bagage subconscient qu'on appelle des aptitudes, des facilités à nous assimiler les connaissances, lequel n'est que le résultat d'un apprentissage dans une autre vie. Ceux qui ne possèdent aucune aptitude, aucune connaissance embryonnaire, sont assurément des novices dans l'humanité. A ceux-là, un savant, un homme de génie pourraient dire : Des milliers d'années nous séparent.

Qu'avons-nous comme outils à notre disposition ? Matériellement, nous avons nos sens et notre cerveau. En dehors de l'outil humain, nous avons des instruments de précision plus subtils qui relèvent de notre être mental. Nous allons y arriver. Nos sens, nous disent Kant et l'Esprit Julia, ne nous servent pas autant pour nous aider à voir et à entendre que pour nous empêcher de voir et d'entendre.

En effet, notre pouvoir de perception est plus grand que la plus grande perfection de nos organes. De même que l'habileté de l'ouvrier est limitée par l'outil, quelque parfait qu'il soit, de même pourrions-nous voir et concevoir infiniment plus si nous n'étions pas limités par les restrictions de notre sens visuel. Ceci, naturellement, s'applique également aux autres sens. Ils ont leur capacité propre, bien que limitée, et peuvent travailler tous en même temps.

Mais combien rudimentaires, quand on les compare aux sens spirituels affectés aux mêmes fonctions ! Cependant, eux aussi, ont leurs limites, mais nous n'avons aucun moyen de les jauger ou de les mesurer.

Si quelque jour nous arrivons à être doués d'une perception morale plus grande, avec l'aide de la télépathie, peut-être pourrions-nous distinguer sous la face grotesque ou bestiale des idiots et des fous, nous dit Grimard, des âmes en travail de réhabilitation qu'humilie l'abjection et que torture l'impuissance. Tout cela sera le rôle de l'évolution.

J'ai connu un de ces pauvres martyrs, enseveli vivant dans un carcan de chair. On sentait sous son cilice des éclairs de génie qu'une impitoyable consigne expiatoire tenait captifs, étouffés dans l'impossibilité de s'exprimer. Quel crime était donc venu laver sa souillure dans cette agonie de toute une vie et quelle leçon à méditer pour les orgueilleux de ce monde !

Le cerveau, lien transmetteur entre l'être conscient et l'être subconscient, est l'instrument qui fond le spirituel dans le matériel et le matériel dans le spirituel. Il rend saisissables pour le corps-outil les données du maître invisible qui le fait agir, et, de même, il se charge de transmettre à celui-ci toutes les impressions que lui apportent les sens. Le cerveau est la lucarne par laquelle l'être physique voit l'être moral. Il est comme l'interprète de l'intérieur à l'extérieur et réciproquement. Son rôle a fourni bien des conjectures et, quoique d'une importance évidente, il reste encore assez confus. Nous le manions à notre insu. Il est une de ces inexplicables fonctions en nous toujours en travail, au service de l'autre fonction plus mystérieuse encore.

Nous avons des armes cachées dans la multitude de facultés morales de notre être spirituel, car l'homme n'est qu'une manifestation, résultat de tout un monde intérieur dont il est la surface.

Cet être spirituel nous connaît bien, mais nous ne le connaissons pas, parce qu'il appartient à notre être de l'Au-delà, et lorsque nous nous résignons à une incarnation nouvelle, nous n'avons affaire qu'à un corps terrestre. Celui-ci a assez d'ouvrage sur la terre pour que nous lui consacrions toute notre attention, l'autre se tenant à l'écart, sur la réserve.

Toutes ces facultés morales se traduisent par la pensée, cette merveille, qui ne connaît ni limites ni barrières, et nous nous demandons ce qu'il y a de plus insondable d'elle ou de l'infini. L'un comme l'autre sont la route qui conduit à Dieu. L'immensité n'a qu'un sommet qui est Lui.

La pensée, que n'arrête aucun repos, parce qu'elle est un état latent de l'âme, est de ce que consciente chez les uns, inconsciente chez les autres, suivant qu'elle est abandonnée sans contrôle ou dirigée par la volonté.

Diriger sa pensée, c'est comme conduire un cheval, il faut savoir. Il y a des degrés dans l'usage de la pensée ; il y a, pourrait-on dire, la pensée objective et la pensée subjective, comme il y a la pensée machinale et la pensée raisonnée. Le paysan qui ne pense qu'à sa récolte, à ses bêtes, à la rentrée du foin, pense machinalement. Il subit sa pensée, que lui imposent ses conditions d'existence. C'est la pensée subjective, il lui obéit et ne lui commande pas.

La pensée objective est le travail du penseur, du chercheur, du savant.

Mais que de recoins dans ce vaste domaine ! Que de solliciteurs et de courtisans ! D'un côté, c'est la distraction, les idées subites, la rêverie, les préoccupations, l'inquiétude, l'espérance, la méditation, la tristesse, la gaieté, la dépression, etc. et de l'autre la vanité, la présomption, la suffisance, l’amour-propre, l'émulation, les aspirations, les passions, les convoitises, etc.

J'en passe et des meilleurs. Son vaste domaine défie tous les explorateurs. Le champ est libre à ceux qui veulent le parcourir, mais c'est un maquis où les aiguillons venimeux veillent sous les ronces et les fleurs.

Méditer, dit Montbray, est donné à sa pensée un aliment à digérer.

L'espérance, dit Aristote, est la rêverie d'un homme qui veille.

Le cœur est une urne, un vase sacré plein de secrets, dit de Vigny.

Quelle différence peut-on établir entre l'idée et la pensée ? La pensée est comme, une émanation constante de l'âme ; l'idée n'en est qu'une étincelle. Quand elle n'exprime qu'une manière de voir, une opinion, une conception, elle représente un simple état d'esprit ; mais quand elle jaillit à l'improviste comme un éclair, quelle peut être la fermentation préparatoire qui a présidé à son éclosion ?

Si la pensée s'alimente des faits extérieurs, comme une plaque photographique, l'idée résulte des influences ambiantes. Dans le cas contraire, notre être conscient n'est pour rien dans son jaillissement. C'est, au contraire, notre subconscient qui l'a lancée dans le champ de notre être conscient.

Elle peut également, et c'est le cas le plus fréquent, être l'objet d'une suggestion de nos protecteurs invisibles.

La pensée, vie cachée du ciel en nous, est un lieu saint où nos témoins de l'Au-delà lisent et puisent le courant mental de notre vie, la confession de nos secrètes agitations. Ils y déversent leurs conseils, comme une réponse à nos incertitudes.

C'est une conversation mystérieuse dont nous ne nous rendons pas compte, mais à laquelle préside l'attention de notre subconscient. Elle nous fait vivre, à notre insu, dans les deux mondes. Elle vogue partout, l'Univers est son domaine. Tout ce qu'elle peut concevoir, elle l'explore. Notre corps n'est pour elle qu'une entreprise matérielle dont elle a la direction. En dehors de ce rôle terrestre, elle appartient à notre âme et à Dieu dont elle procède.


La distraction

— Nous avons cité la distraction. Qu'est-ce que cette désertion de notre esprit qui en détourne la concentration, pour la reporter dans une autre direction, soit dans le domaine du conscient, soit dans le domaine de l'inconscient ?

En effet, c'est souvent ce dernier qui est le coupable du détournement de notre attention, l'absorbant intérieurement à son profit et nous laissant plonger dans une sorte de rêverie vague pendant laquelle il se passe en nous quelque chose que nous ne savons pas.

Nous pouvons constater l'effet de cette absence involontaire de l'esprit par le fait que nous lisons une page entière sans en retenir un mot et entendons ce qu'on nous dit sans en avoir conscience, mais la cause reste pour nous insaisissable, ignorée. C'est comme un court sommeil, comme un rêve à l'état de veille.

La distraction résulte donc d'une cessation momentanée de l'attention, mais qu'est-ce aussi que l'attention ? Est-ce simplement la concentration volontaire de l'esprit sur un objet ou la faculté qui permet de produire cette concentration ?

L'attention, guidée par la volonté, est un scalpel qui scrute tout, pénètre partout. C'est un microscope qui accentue tous les détails, démonte et remonte, démolit et reconstruit, tourne et retourne en tout sens. C'est une analyse et une synthèse qu'on peut considérer comme le tremplin des acquisitions de la mémoire; Si elle s'adresse aux faits, c'est l'observation. S'adresse-t-elle aux conceptions intellectuelles, elle devient réflexion. C'est un instrument, arme ou outil, que nous dirigeons à notre guise.

Provient-elle de l'activité intellectuelle ou peut-on dire qu'elle émane de l'âme et en est une des facultés ? En tout cas, c'en est une des activités et elle n'est pas distincte des autres activités de la pensée. Elle n'en est qu'une accentuation, soutenue par un effet de la volonté.

La distraction devient alors le déplacement de cette attention, de cette accentuation, ce relâchement étant dû à quelque cause ambiante en faveur et sous l'influence d'une provocation inconsciente, cause passagère qui l'absorbe. La distraction n'est qu'une des multiples facettes du Kaléidoscope — de tous les états d'âme qui subissent la loi commune : le mystère des causes.

Tous ces hors-d’œuvre de notre vie mentale sont le contrecoup ou l'écho affaibli du travail à huis clos, du bouillonnement des facultés de l'âme.

Ils sont le résultat que le travail de l'inconscient veut bien livrer au conscient.

C'est comme le vent dans les voiles de l'esquif qui symbolise notre existence. Il nous conduit ou nous fourvoie, mais c'est toujours l'inconnu, et nous sommes toujours le jouet de quelque chose.

La machine humaine remontée pour une existence, quel est le programme du voyage ?

N'oublions pas que chaque peine paie une dette ou achète une joie et que l'homme est gouverné par sa raison ou par ses passions ; c'est à lui de choisir.

Nous traînons péniblement un lourd passé d'accumulations inutiles, fruit des jouissances animales et de l'ignorance des choses spirituelles, mais nos actes les plus secrets ont toujours un témoin muet: « la Conscience », et la conscience c'est l'œil de Dieu qui nous suit.

Elle tient compte de l'influence organique dans notre rampement terrestre. Elle sait que le corps est sujet à des obligations et que, s'il les outrepasse, c'est faute de pouvoir apprécier la juste mesure. Elle tolère donc un certain alliage matériel et les écarts qui pourraient en résulter, considérant que le corps n'est, après tout, qu'un pauvre instrument aveugle, mais elle est inflexible au sujet de la rectitude des pensées, de la pureté de l'esprit et du cœur. Alors que nous devrions pouvoir mettre à profit notre nouvelle existence en travaillant pour l'avenir, nous sommes forcés de perdre un temps précieux à travailler pour le passé. Nous avons contracté des dettes à payer, c'est le chapitre des réparations. Tous nos maux sont les salutaires pénitences de l'expiation. Mais les humains sont humains avant tout, ils les supportent mal. Au lieu de remercier Dieu qui les soulage d'un fardeau, ils se plaignent aux moindres revers qu'ils éprouvent ; ils se croient malheureux, victimes d'injustices et de malchance : aveugles volontaires qui repoussent le viatique et compromettent la guérison par leur intolérance. Ne l'oublions donc jamais, tous nos maux sont salutaires, nous devons les supporter avec résignation. Toutes les petites douleurs de chaque jour sont des économies mises de côté, et constituent pour l'âme un pécule.

- Pensez aux maux d'autrui et vous vous plaindrez moins des vôtres. Gémir, maudire, en appeler à tous les échos ne font qu'atténuer le mérite de les avoir endurés.

On nous a maltraités, volés, calomniés, c'est la monnaie de ce que nous avons fait à d'autres dans des existences passées. Si nous avons le cœur lourd du poids de nos dettes, une fois la dette payée, le cœur se dégage, allégé.

On demandera comment réparer des torts au profit de vivants envers lesquels nous n'en avons aucun peut effacer ceux que nous avons envers des disparus. Dieu l'a ainsi voulu, II ne vous demande compte que du mal fait, sans destination précise. Vous payez à l'un ce que vous deviez à un autre, mais vous payez, et là est le point important, loi de sage prévoyance, car comment retrouverions-nous dans une nouvelle incarnation ceux à qui nous avons nui dans la précédente ?

Ce sera pour celui qui la recevra une récompense méritée pour des actes personnels, ou une réparation qui lui est due, bien que par d'autres que nous.

Quant à ceux à qui nous avons fait le tort que nécessitent ces réparations, nous n'avons fait, à notre insu, que leur infliger une peine méritée à d'autres égards, nous n'avons été qu'un instrument, ce qui ne nous absout pas. Le tort fait aux uns et la réparation à d'autres constituent une juste balance et ont eu, pour les uns et pour les autres de ceux qui les ont reçus, leur raison d'être. On ne nous demande qu'un acte impersonnel, un acte de réparation, sans nous préoccuper de ceux qui en seront l'objet.

Que si, dans l'autre monde nous retrouvons des Esprits au sujet desquels nous avons des reproches à nous adresser, demandons-leur-en pardon et payons notre dette en amour.

Quant aux maux passagers, les maux corporels surtout, dont nous sommes l'objet, ils sont un pensum moral ou physique. Notre corps, docile exécuteur des commandements du maître caché, nous ménage toutes sortes de surprises désagréables chaque fois que notre pensée ou notre langue auront eu des défaillances.

Une dame me disait : «Voilà quinze jours que je suis dérangée sans aucune cause apparente, ce qui déroute beaucoup le docteur, mais un Esprit m'a avertie que c'était là une punition pour avoir parlé trop légèrement d'une autre personne ».

Une brave jeune mère prétendait avoir la migraine le lendemain, chaque fois qu'elle avait dit un mensonge. C'est un avertissement qui frappe de punitions matérielles passagères des fautes morales.

Un mari paisible qui avait commis un petit écart chez une dame amie, ne pouvait plus passer dans sa rue et prétendait que le prénom de la dame et le numéro de sa maison étaient devenus des reproches tellement vivants qu'ils le poursuivaient et lui portaient malheur.

Je pourrais multiplier ces exemples. Chacun a pu en remarquer dans sa propre vie. Il ne faut négliger aucun avertissement. Chaque fois que vous êtes pris de scrupules en présence d'une action douteuse, ouvrez, c'est Dieu qui frappe à la porte de votre conscience.

Quand nous aurons fini le paiement de toutes nos dettes, n'oublions pas que notre voyage a d'autres buts, celui, entre autres, d'acquérir des connaissances morales et intellectuelles. Apprendre, toujours, sans cesse. Nous ne saurons jamais assez et quand nous saurions tout ce qu'on peut connaître ici-bas, ce serait encore bien peu de chose. Mais quelque incomplet, quelque léger que soit le bagage que vous pouvez acquérir, c'est un commencement, une fondation. Il représente déjà des matériaux mis en réserve qui se compléteront dans d'autres existences. Chaque pas fait dans cette direction reste acquis et abrège le chemin.

Arrêtons-nous un instant au bagage moral, le plus important.

Extirpons peu à peu toutes les mauvaises herbes du passé. Efforçons-nous d'effacer les taches qui tatouent notre périsprit et l'assombrissent. Brutus a dit : « Vertu, tu n'es qu'un mot ». Faisons de ce mot une réalité. Nous nous en féliciterons lorsque le miroir de notre conscience nous mettra devant les yeux l'individualité dont nous avons la charge.

Et puis, il ne suffit pas, lorsque nous nous présenterons devant le juge, de pouvoir dire : Je me suis amendé, je me suis étudié à ne pas faire de mal.

Il répondra : Ne pas faire le mal n'est que la moitié du devoir. L'autre moitié, c'est d'avoir fait le bien. Quel est le bilan de charité, de dévouement, d'abnégation que tu m'apportes ?

Si vous dites : « J'ai fait sur la terre mon devoir d'honnête travailleur. Je n'ai cessé de travailler pour vivre », il répondra : « Ce n'est pas assez, et c'est presque de l'égoïsme. Il faut aussi travailler pour aider les autres à vivre. Tu as travaillé huit heures par jour pour toi, il fallait travailler une heure de plus pour tes frères de l'humanité. C'est là qu'est la fraternité, non la fraternité qui tient le plus de place dans les discours ou sur les lèvres, mais celle qui procède du cœur et que les lèvres ignorent. Tu demandes une caisse de secours, de retraite, fais-la toi-même par ton travail. Tu en seras récompensé dans ce monde et dans l'autre. »

Travailler pour les humbles, c'est travailler pour soi, car ils forment la majorité, et nous ferons probablement partie de cette majorité dans notre prochaine incarnation.

Au lieu de travailler pour vivre matériellement, travaillons aussi pour notre avancement moral. Ne faisons pas grève en chemin, il en coûte trop à l'heure des comptes. La vie n'est pas une minute trop longue pour arriver au but ; nous n'avons que juste le temps d'accomplir notre tâche. Ne le gaspillons pas, pauvres fous, pauvres orgueilleux ! Ne nous désintéressons pas de ce qui se passe autour de nous, sous prétexte que nous n'y serons plus et que les conséquences ne peuvent nous atteindre, car, comme nous le dit Allan Kardec, nous viendrons précisément revivre dans les milieux que nous aurons préparés.

La charité et l'amour ! Voilà 80.000 ans que tous les serviteurs de Dieu agitent cette cloche le long de notre route. L'entendons-nous jamais ? Non, parce que nous sommes sourds aux exhortations spirituelles, comme nous sommes aveugles aux maux de nos semblables. Tel est l'être humain. Prenons ce pauvre infirme comme il est, sans lui demander ses secrets : il n'en sait rien lui-même. Il se laisse entraîner par son char, conduit par deux haridelles qu'il ne voit pas : la vanité et l'intérêt. La terre le fascine.

Le tigre trouve que le léopard a une belle robe ; l'oie admire le faste du paon, la cigale envie la fourmi. L'homme est pris dans la vie aux mêmes semblants, tout l'éblouit : de riches vêtements, des titres, des honneurs, la beauté, la dextérité, tout ce qu'il n'a pas.

Ils admirent le clinquant de la toilette. Ils ne se disent pas que l'esprit seul a une valeur, que les vêtements n'en ont pas. Personne ne peut fabriquer l'esprit, tout le monde peut se procurer l'uniforme mondain. Ils s'inclineront devant un monsieur très titré et très décoré sans se dire qu'ils valent probablement mieux que lui. La beauté est un piège, un mirage fuyant, un arc-en-ciel, fascination d'un effet d'optique, que crée et détruit un rayon de soleil. Il n'y a de beauté que celle de l'âme.

Il n'est pas jusqu'aux déshérités qui ne regardent, attristés, les plaisirs des autres. Mais ces plaisirs peuvent-ils procurer la satisfaction que donne une bonne action, jouissance morale à la portée des plus éprouvés de ces déshérités, car, ne fût-ce qu'une bonne parole ou une pensée charitable, c'est déjà le premier, pas dans la charité.

Les plaisirs, comme les honneurs, sont-ils réels, ou n'ont-ils que la consistance de l'encens, car si l'homme subit la fortune, elle le force à une vie de parade ou tout au moins de façade qui le lie aux intérêts terrestres ?

Ces fausses supériorités de la terre créent des envieux ; pourquoi les nobles héroïsmes ne créent-ils pas des imitateurs ?

La vie est traversée de hauts et de bas, rafales d'adversité, épanouissements imprévus, tout a sa cause et son but. Ne nous insurgeons jamais, et chaque fois que notre pensée se rebute ou se cabre, inclinons la tête, dans notre ignorance du pourquoi, en remerciant Dieu du but qu'il a eu en vue.

Que rencontrons-nous parmi la foule humaine ? D'anciennes affections d'une autre vie qui nous attirent par une sympathie secrète ; certaines inimitiés qui n'ont pas désarmé ; beaucoup de natures à l'unisson de la nôtre qui sont des amis prédestinés, et enfin certaines individualités chargées à leur insu, dans leur mission terrestre, d'agir, pour le compte du verdict de notre conscience et d'être l'instrument de notre expiation, ou l'occasion pour nous d'exercer certaines réparations.

On voit parfois des fleurs s'épanouir dans les bourbiers. Ce sont de pauvres âmes tombées là, souvent de bien haut, et qui expient. N'envenimons pas leurs blessures, plaignons-les. Nous n'avons pas à surenchérir sur la peine qu'elles subissent, notre devoir fraternel, au contraire, est de chercher à l'alléger.

On dit parfois : Si l'homme souffre parce qu'il expie, nous ne devons pas intervenir en vue de le soulager, parce que nous ne devons pas l'empêcher de payer sa dette. C'est une erreur. Cette occasion qui nous est offerte prouve peut-être que l'heure de la réhabilitation a sonné pour lui. Que ce soit nous ou un autre qui intervienne, cette heure appelle une main rédemptrice, et si nous laissons à un autre ce grand devoir de charité, c'est une poignée d'or à côté de laquelle nous passons sans la ramasser.

Donner, il faut toujours donner, sans que personne n'en sache rien. C'est déjà trop que nous le sachions nous-mêmes, parce que la bête en nous peut en diminuer le mérite en s'en glorifiant malgré nous.

Ne vouloir se livrer à un acte charitable sans l'encadrer dans un mouvement de vanité qui cherche une récompense à ses moindres efforts, c'est en détruire le vrai mérite. Il n'y a que le bien désintéressé qui compte, l'autre nous a payé par la satisfaction d'amour-propre qu'il nous a donnée.

Nous devrions devenir meilleurs avec l'âge, à mesure que nous nous rapprochons de l'autre patrie, mais les remous des complaisances que nous nous sommes créées se sont incrustés en nous, et leurs exigences élèvent la voix jusqu'à nous poursuivre dans l'autre monde.

L'être méconnu, incompris, maltraité, persécuté, avili, mais dont le moral est pur, est la victime résignée des injustices de la terre, injustices qui seront pour lui dans le ciel une éclatante plus-value. Nos douleurs d'ici-bas sont des fleurs pour l'autre monde.

Lorsque quelqu'un est victime d'un voleur, qui est le volé ? Non pas celui que vous croyez. Le volé c'est le voleur, parce que ça lui coûtera plus cher que ce que cela lui a rapporté.

Quand quelqu'un nous a fait du bien et du mal, c'est nôtre devoir de ne nous souvenir que du bien. Sa conscience se souviendra du mal.

Si quelqu'un nous a nui, ayons patience, l'heure de la justice vient toujours.

Si nous avons des ennemis à nos trousses, des êtres haineux dénaturant nos actes pour tout critiquer afin de servir une vindicte inavouée, méfiez-vous de leurs protestations d'amitié, car, pendant qu'une main vous est tendue, l'autre, perfide, presse la poignée du poignard. Mais elle frappe dans le vide, parce que nous partons sans emporter leurs coups, et Dieu, qui les recueille et les compte, leur ménage des surprises.

Le poing qui nous est tendu d'en bas ne doit pas nous effrayer. Nous ne devons avoir peur de rien si ce n'est de nos propres fautes. Doit-on avoir peur du Juge, peur de Dieu ?

Non, mais de ce que nous apportons à leur tribunal, du verdict que nous provoquons. Ce n'est pas du juge que nous devons avoir peur, c'est de nous-mêmes.

Mes frères, soyons du ciel et non de la terre. Donnez toujours votre première pensée aux choses en les considérant d'abord au point de vue du ciel. N'envisagez qu'ensuite leur point de vue terrestre. Atténuez-le autant que possible et ne cédez qu'aux nécessités absolues, et encore, à condition qu'elles ne soient pas en opposition avec vos intérêts spirituels.

Faites votre bréviaire de toutes les maximes de haute moralité, et celui-là est le sage qui s'efforce d'en faire la règle de sa vie. Retenez les meilleures et ayez-les toujours devant les yeux dans toutes vos actions.

N'oublions pas que la flatterie n'a tant de prise sur notre vanité que parce qu'elle n'est, à nos yeux, que la confirmation du jugement de notre amour-propre.

Amis, ne nous asseyons jamais à la table du riche sans penser à la table du pauvre.

Crucifions notre moi égoïste et la paix descendra dans notre âme.

Tes conseils et ta critique sont inutiles, secours ton frère, ne le juge jamais. C'est à lui de se comprendre, de se connaître, de se corriger. En voulant intervenir, tu entraves son devoir et sa mission.

Chilon dit : Va lentement au banquet de tes amis ; à leur malheur, va vite.

Les vrais amis sont ceux qui viennent partager notre prospérité quand on les en prie, et notre adversité sans être appelés.

Les larmes de la veuve s'élèvent contre ceux qui les font couler. Elles montent jusqu'au Ciel et Dieu les exauce.

Jésus a dit qu'on était plus heureux de donner que de recevoir. Descendons jusqu'à ceux qui souffrent, mais pas jusqu'à ceux qui insultent. La jalousie est une maladie morale. Ecrasons-la par l'amour et la charité.

Fais une place dans ton cœur à celui qui l'a brisé par la douleur et tu le verras se mettre à l'œuvre pour essayer de réparer le mal fait.

Quant aux conquérants, ces grands fléaux de l'humanité qui se font des suaires avec des drapeaux, on se demande quelles âmes ont pu venir se réfugier là ! Ils peuvent pleurer de rage, mais leurs larmes n'effacent pas le sang versé dans la fange de leurs méfaits. Ce sang pur qu'ils foulent du sabot de leur cheval a délivré des âmes qu'ils voient maintenant planer au-dessus d'eux.

Le criminel qui a coulé le Lusitania a été décoré par l'empereur. Il porte à sa boutonnière ce stigmate qui deviendra une croix et lui brûlera le sein quand il retrouvera dans l'autre monde toutes ses victimes.

Mais nul n'est parfait. Respectons toutes les opinions, toutes les croyances et même toutes les illusions, car nos certitudes de la vie ne sont le plus souvent que des illusions comme nos certitudes dans le rêve.

Efforçons-nous, avant de juger, de toujours voir l'être moral à travers l'être physique qui n'est qu'un abri, un uniforme et souvent une mascarade. C'est l'étui, le domino de l'âme, comme la reliure ou le brochage d'un livre, sans préjuger ce qui en fait la seule valeur, le contenu. Chez tous, voyons l'ange et non la bête.

Nous devons avoir le courage d'appeler nos propres défauts à notre barre, mais il est des maux qui menacent l'humanité tout entière et qu'il faut combattre. Disons à ce sujet un mot de l'orgueil et de la colère.


La colère

— Tâchons d'abord de rester en possession de nous-mêmes ; évitons les contradictions inutiles qui conduisent aux disputes et les disputes qui distillent la colère.

Imitons le sage conseil d'Euripide lorsqu'il dit :

Quand la dispute en aigreur dégénère, Le plus sage des deux cède à son adversaire.

Il y a des êtres dont la vie est une dispute perpétuelle, comme s'ils pataugeaient dans leur bile, hérédité de quelque animal hargneux dans l'une de leurs incarnations. Il en est chez qui des accès se manifestent de temps à autre et auxquels ils ne peuvent résister, rages sourdes que rien ne peut arrêter comme une bouteille de Champagne qu'on débouche. Il faut laisser se calmer l'effervescence, ça les soulage. Injustes dans ces moments, leurs propos dépassent leur pensée. Souvent ils s'en rendent compte eux-mêmes quand l'accès est passé.

D'autres ont un irrésistible besoin de contradiction et ne sont jamais de l'avis de personne. Ce sont des malades.

Là où il y a deux êtres, la dispute est toujours plus ou moins à l'état latent. Que celui qui a raison le prouve en revenant le premier.

Pythagore disait qu'il ne faut jamais laisser le soleil se coucher sur une querelle sans s'être réconcilié avec son ennemi d'un jour.

Quand la colère souffle, c'est un fléau qui passe. C'est le bouillonnement des bas instincts, le réveil du fauve, l'eau dormante polluée par l'agitation des boues et de la lie d'un fond bourbeux.

La colère des hommes, la colère des peuples, la colère des éléments sont des révoltés qui défient Dieu, mais que Dieu écrase toujours sous d'impitoyables représailles.

L'orage, disait Mahomet, est la colère de Dieu. Les tempêtes de la mer et l'éruption des volcans sont un symbole. Nous ne connaissons pas la raison des frissons du sol dans les secousses sismiques, ni le secret du cyclone et de la trombe, ces colères mystérieuses de la terre. L'ouragan est-il plus aveugle que le conquérant, ou tous deux ne sont-ils qu'une force inconsciente déchaînée ?

Jésus disait : Père céleste, éloignez la colère de mes lèvres.

Les hommes, moins scrupuleux, ont souillé de leur colère les plus grands noms. Les colères du flot humain, les colères de l'histoire ne se comptent plus. Le peuple, dans l'égarement de ses fureurs, détruit ce qu'il a édifié.

La colère c'est l'échafaud que dresse Elisabeth à Marie Stuart et Cromwel à Charles Ier. C'est Richard de Gloucester faisant assassiner ses neveux, les enfants d'Edouard. Ce sont les balles de Bonaparte pour Condé, c'est le meurtre du duc de Guise à l'instigation de Henri III, c'est Louis le Querelleur faisant étrangler sa femme Marguerite de Bourgogne et l'armée des meurtriers armés par la tiare. C'est l'épée d'Horace dans le sein de Camille, c'est l'incendie de Rome par Néron et de la bibliothèque d'Alexandrie par le patriarche Théophile. Ce sont les illustres captifs comme Bonivard, Pellico et toutes les innocentes victimes de la Bastille : Latude, Bassompierre, Fouquet, le masque de fer, la marquise de Brinvilliers, le duc d'Orléans, Voltaire, etc. C'est le martyre d'Anneessens, exécuté, innocent, sur l'ordre du marquis de Prié. C'est Savonarole, Giordano Bruno, Jean Huss, Jeanne d'Arc, envoyés au bûcher, et Jésus au Golgotha. C'est la Saint-Barthélemy, les Vêpres siciliennes, les dragonnades ; les révolutions, colère des peuples, et les 800.000 têtes de 93.


L’orgueil

L'orgueil, superlatif de l'égoïsme, est l'ennemi de notre évolution spirituelle. C'est l'orgueil qui enfante le fléau de la gloire, qui fait que l'être veut être quelqu'un de plus que les autres, humilier le prochain et l'éblouir quand il ne peut l'humilier. C'est l'ignorance juchée sur des échasses, le besoin de paraître ce qu'on n'est pas. C'est la nullité qui veut une particule à son nom, un titre, un rang, un grade, une décoration, une statue. C'est l'admiration personnelle que l'être prodigue à son moi. C'est le besoin d'écraser son semblable sous une apparence de supériorité. C'est Guillaume et Frédéric II, c'est Néron et Caligula.

Une intéressante illusion de l'orgueil humain est celle qui touche à la généalogie. Ceux qui ont la maladie de vouloir être quelque chose par leurs ancêtres, ne pouvant rien être par eux-mêmes, recherchent la filière, de fils en père, de leur ascendance comme si eux seuls avaient des ancêtres, comme si tous les êtres ne descendaient pas, de père en fils, des profondeurs du passé.

Mais voici où commence l'illusion humaine. Ce sont les ancêtres du corps qui font l'objet de ces recherches, les aïeux de l'animal et non de l'Esprit. Or, l'être humain est composé de la chair de ses parents. Une âme absolument étrangère à ceux-ci, et, par conséquent, à leur ascendance, vient habiter ce corps. Elle n'a donc aucune attache avec la généalogie, avec la filiation qui recherche des ancêtres du corps.

C'est alors d'un modelage d'argile, d'une reproduction matérielle qu'ils se glorifient et non de la véritable valeur de l'être qui est l'être moral. Autant se glorifier des oripeaux dont se pare le corps. Il y en a qui vont jusqu'à acheter des ancêtres.

Si une généalogie spirituelle pouvait être établie, comme en ont commencé l'essai M. de Rochas, Estevan Marata et bien d'autres, il est probable que l'état, encore fort imparfait, d'évolution primitive où nous sommes, n'aurait pas à remonter bien haut pour retrouver l'animal. Mais ce genre d'ancêtres, les seuls vrais cependant, moins brillants que des uniformes galonnés, des chamarrures, des manteaux de cour, ne fournirait pas, pour orner nos murs, des spécimens dont nous aurions à être bien fiers.

Nous sommes aussi sollicités par des Esprits vindicatifs, mais le plus vindicatif de tous est en nous, il est le miroir d'un passé réfractaire et de nos maladies morales. Tant que nous vivons dans le réalisme, nous sommes sa victime, nous subissons ce passé. Dès que nous ouvrons les yeux à une vérité plus haute, nous sentons alors que nous étions son esclave, notre propre esclave. Il nous retient à chaque pas par l'habitude acquise, et la lutte commence à mesure que nous cherchons à nous dématérialiser.

Ce parasite dont nous avons toléré la croissance, et même les ravages, par notre faiblesse, aime à s'affirmer, à se parer de son dangereux orgueil, de sa misérable vanité. Il est bruyant, c'est la matière qui parle. Il patauge dans la vie marécageuse qu'il s'est faite et qui laisse le cœur perverti, l'esprit inquiet, l'âme souillée et les mains vides. Le dompteur dompte les êtres féroces ; il est autrement difficile et important de dompter celles qui sont en nous, dissonances de l’âme qu'on nomme nos passions. C'est l'ennemi à combattre. Le spiritisme nous y aidera ; il est la vibration qui secoue les inerties de la bête humaine. Il est le stimulant de nos activités et le régulateur de nos actes. C'est le poteau indicateur qui nous montre le chemin ascensionnel.

L'évolution n'est que le courant laborieux de la loi de progrès. Cette loi porte l'être à se diviniser et elle est, avant tout, la justice, parce que, réparatrice, quelque faute qu'il ait commise dans le passé, elle l'efface à mesure qu'il s'élève.

Si tous les Judas qui, dans leurs existences inférieures, ont commis des crimes devaient en porter l'étiquette à travers l'éternité, la terre serait un vaste bagne dont tous les habitants offriraient le stigmate d'une justice impitoyable, car, tous, dans nos vies primitives, nous avons été plus ou moins des criminels et des monstres. Le crime expié, la punition le suivrait sans pitié et sans rémission ; ce serait la terrifiante image de l'enfer catholique.

Non, les âmes de l'autre monde n'ont à leur passif que ce qui reste visiblement gravé dans leur périsprit. Le reste est oublié, elles sont réhabilitées. Plusieurs vies de rachat ont passé par-dessus leurs erreurs, et beaucoup de ceux parmi lesquels nous avons trouvé des frères ou des amis, admiré de grands citoyens, peuvent très bien n'être que la réincarnation de ces réhabilités. Il n'y a pas de Tamerlan ou d'Attila, de Commode ou Caracalla qui ne doivent devenir des saint Vincent de Paul, en route vers l'archange.

J'ai signalé les outils que nous possédons pour la lutte de la vie, ceux qui relèvent du corps et ceux que nous fournit l'être mental. Il y a un facteur où nous puisons des armes irrésistibles, c'est le cœur, dépositaire du bien céleste qu'on appelle l'amour ; qui réchauffe les âmes comme ? Le soleil réchauffe les êtres ; le cœur qui écrit ses joies avec de l'affection et ses regrets avec des larmes. C'est l'arc-en-ciel qui se dégage des tourmentes des passions humaines ; c'est une clef d'or qui ouvre toutes les portes et lave toutes les souillures. Le cœur est aussi vaste que la pensée, et peut contenir un infini d'amour.

Le cœur d'or est celui où il déborde, jaillissant dans un regard, dans un sourire. Il imprime l'affabilité, l'aménité dans un visage avenant. Un constant sourire est un passeport qui traverse tous les obstacles, qui ouvre les portes et gagne les cœurs. Ce n'est pas seulement une fascination, c'est une puissance, une présentation. Il attire sans qu'on lui demande qui il est et d'où il vient. Il est le reflet d'une âme confiante et aimable et fait fondre les hostilités sous sa douce chaleur.

Il ne faut pas le confondre avec le rire qui n'est qu'une matérialisation grossière de la virginité du sourire. Le ricanement est l'écume du rire.

Le mal dans tous ses travestissements connaît la satisfaction du rire, du mauvais rire, mais il ignore la captivante douceur d'un sourire affable, lueur de l'âme. Méfiez-vous des lèvres qui ne sourient jamais.

Existe-t-il donc des âmes que l'amour fuit, horrifié à l'idée d'y pénétrer ?

Nous ne comprenons pas l'amour, mais il est en nous, et nous le pratiquons inconsciemment. Nous n'en n'avons souvent la révélation que quand ceux-là qui en sont l'objet nous quittent. Faut-il donc perdre les êtres chers pour découvrir qu'on les aime ?

Nettoyons les rancunes avec de l'amour, allons à elles les mains tendues, et s'il en est qui résistent, plaignons-les.

En nous observant, nous voyons donc que le corps astral reçoit son orientation de l'âme recueillie et agit en silence, tandis que l'animal parle haut et que la chair, bruyante, est insatiable. Etat d'infériorité morale qui est à peu près notre état normal sur la terre ; mais que sommes-nous de plus aux yeux de Dieu que des microbes humains ?

Une brave femme me disait un jour : Qu'est-ce qu'un microbe, je voudrais bien le savoir ?

— C'est bien simple, lui dis-je. Il va y avoir dimanche une cérémonie qui réunira une centaine de milliers de curieux au Champ de Mars. Montez à la seconde plate-forme de la tour Eiffel et jetez les yeux sur cette foule. Les voilà, les microbes, ils vous donneront le spectacle de ce qui se passe dans une gouttelette de notre sang.

Combien sont nombreux ceux qui disent : Je voudrais recommencer ma vie, sachant ce que je sais. Sachant ce que nous savons, la vie ne suivrait plus le même cours, chaque faute passée, évitée, nous empêcherait de retomber dans les conséquences qu'elle avait entraînées. Contentons-nous de dire : Je voudrais, dans une nouvelle vie, connaître la vérité spirituelle, que j'ai apprise trop tard, et me rappeler les fautes passées pour ne plus les commettre.

Comment y arriver ? Parfois des Esprits annoncent à l'avance leur réincarnation, leur futur sexe et l'époque de leur naissance. Ils fournissent des indices sur leur apparence physique ou leurs dispositions morales qui permettent de les reconnaître à leur retour en ce monde. Ils prédisent certaines particularités de leur existence et font élection d'une mère. Tout cela, comme nous le dit lui-même Allan Kardec, a été vérifié.

Ne pourrions-nous agir comme eux vis-à-vis de nos futurs parents, et, solliciteurs occultes avant de naître, demander qu'aussitôt incarnés, nous soyons élevés dans la foi spirite. Il n'en faudrait pas davantage. Dieu veuille me le permettre ! C'est le meilleur guide que nous puissions solliciter à notre retour sur la terre.

Mais pourquoi sur la terre ?

La Terre

— Pourquoi pas dans une autre planète ? Et qu'est-ce que la nôtre ? Elle se blottit avec ses petites sœurs Mercure, Vénus et Mars autour de leur bienfaisant foyer solaire, tandis que leurs grands frères Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune paradent au loin dans leur orgueilleuse solitude.

Elles ne sont pas toutes au même degré d'évolution et les êtres ne peuvent non plus y être semblables, parce qu'ils dépendent de trois conditions :

1° La quantité de chaleur et de lumière qu'elles reçoivent du soleil ;

2° Les inégalités dans l'intensité de la pesanteur à leur surface ;

3° La diversité des matières qui les constituent.

Il en découle la probabilité d'une atmosphère différente de la nôtre et une quantité plus ou moins grande d'électricité.

On dit Mars beaucoup plus avancée que la terre. Considérablement moins volumineuse, elle a franchi plus rapidement les périodes préparatoires, et ses habitants doivent être beaucoup plus évolués que les nôtres. Jupiter, au contraire, qui est 1212 fois plus gros que nous, n'en est pas encore à l'époque primaire, à la période d'habitabilité. C'est une humanité future.

Notre planète est certainement encore, au point de vue spirituel, dans un état embryonnaire transitoire en mal de mieux. On peut mesurer l'avancement d'un monde à l'état de son évolution. L'être a été amené à l'état d'homme, mais l'évolution organique continue chez lui et, loin d'avoir dit son dernier mot, elle n'est encore qu'un outil dégrossi.

L'homme a encore des restants de fonctions disparues, comme des traces de mamelles rappelant sa période d'hermaphrodisme. Les poils et les cheveux sont un reste pilifère d'animal velu et de crinière. L'œil, comme tous les sens d'ailleurs, est encore très imparfait, et le sixième sens, en en attendant d'autres, tâtonne, préparant le terrain physiologique de son implantation. Il est toujours à l'état où, se formulant et cherchant ses points d'engrenage, d'attache aux autres sens, il n'a pas encore pris la place à laquelle il s'essaie dans nos fonctions organiques.

La monade, dit Amiel, n'a pas trop de l'infini du temps pour développer l'infini qui est en elle.

Beaucoup d'êtres qui ont commencé leur voyage à l'époque secondaire, quand l'homme n'existait pas encore, n'en sont peut-être qu'à l'humanité. Alors combien de centaines de mille ans comporte l'évolution complète, depuis sa première cellule jusqu'au rayonnement de l'esprit pur ?

Heureusement, l'homme ne se souvient-il jamais d'un passé qui engendrerait chez lui le découragement, au lieu de résignation devant la longueur du chemin.

Dieu nous le tient voilé, chaque vie alors nous apparaît comme une aurore sans le souci des précédentes, parce que nous la croyons unique, ce qui nous fait nous y raccrocher avec son cortège d'illusions et d'espérances.

Que si la révélation spirite dit : Tu vois cette belle allée d'arbres dont tu n'aperçois pas la fin ; eh bien, elle est l'image symbolique de la route qu'il te reste à parcourir ; chaque arbre représente une de tes vies futures, mais tu peux les regarder sans appréhension, avec confiance, parce que chacune est meilleure que la précédente.

Nous sommes encore gouvernés par des forces animales inférieures : l'ambition, l'orgueil et la gloire, germes en fermentation de cataclysmes sociaux. L'orgueil aveugle et la gloire grise ; l'ambition piétine les scrupules.

Nos sciences tâtonnent, renversant sans cesse ce qu'elles ont édifié la veille, prenant pour du définitif ce qui n'est que du mieux, sans encore être le vrai. Les religions s'ont des institutions terrestres. La superstition, parodie de la foi, fait, avec les rites de l'Eglise, le seul bagage religieux de beaucoup d'êtres.

Toutes les forces qui nous actionnent sont dirigées par des pilotes invisibles. Il y a derrière le monde matériel qui exécute un monde spirituel qui conçoit. Tout ce qui éclot dans ce monde a germé dans l'autre et n'est que l'expression matérialisée des études et des décisions élaborées là-haut.

Tout ce qui arrive ici-bas et qui, pour nous, est surprise et imprévu n'est que la réalisation d'une longue incubation, avant d'émerger sur le plan physique.

Dieu nous envoie en mission des âmes supérieures pour nous éclairer, mais nous éclairent-elles ? Notre admiration va jusqu'à graver leur nom sur le socle d’une statue, mais on ne les imite pas.

Nous ne sommes qu'au début du chapelet de nos vies, nous en avons plus devant nous que nous n'en avons parcouru dans l'humanité. Notre orgueil en ce qui concerne notre état d'avancement est précisément la mesure de notre ignorance. Nous sommes encore des sauvages sur une planète inférieure, des animaux à peine dégrossis et encore tellement loin de Dieu que nous ne l'apercevons pas et donnons la mesure de notre infériorité évolutive spirituelle en voulant le mesurer ou en le niant.

Il n'est pas hors de propos, puisque nous parlons de la terre, de dire quelques mots de la Genèse, dont l'histoire semble tenir autant du roman que du domaine scientifique. C'est un merveilleux panorama du grandiose conflit des forces de la nature, en voie d'enfantement d'un monde. L'intérêt est si puissant que la lecture en est passionnante pour tous, à condition de s'adresser à Allan Kardec, Louis Figuier, Flammarion, Fabre d'Olivet, etc., et non à des légendes éventées comme celles de l'Ancien Testament, tissu d'enfantillages grotesques qui déshonorent la Bible et ceux qui les y ont introduites.

Cette Genèse, écrite par Moïse dans le Pentateuque, avec le décalogue, et puisée aux sources de la lumière ésotérique, avait été transcrite, comme c'était l'habitude des prêtres d'Osiris, en hiéroglyphes égyptiens, dont le sens profond ne pouvait se comprendre sans la clef. Cette clef, Moïse l'avait confiée à ses continuateurs, mais elle se perdit peu à peu ; les traductions successives en phénicien, puis en chaldéen, en grec et en latin, avant d'arriver aux langues modernes, avaient complètement dénaturé les textes primitifs, traduisant une période par un jour, une race par un homme, et ainsi de suite. C'est ainsi qu'Adam, qui n'est qu'un symbole des deux sexes, représentant la race rouge, race primitive des Aryens, a été pris pour un homme, tandis qu'Eve, symbole également, traduit assez bien ce que nous avons appelé l'éternel féminin. Ces deux symboles n'avaient entre eux aucune connexité. Les rédacteurs et traducteurs complètement ignorants du sens primitif caché sous les hiéroglyphes négligèrent le sens symbolique, et il n'en resta que l'ossature enfantine, dont les papes, aussi ignorants que ces traducteurs, firent l'Ancien Testament.

La clef, telle qu'elle a été retrouvée par Fabre d'Olivet, traduit dans leur vrai sens ce que cachent les puérilités de la Bible, ramassis incohérent qui ne va pas à la hauteur des contes de Perrault, Swift et Daniel de Foë.

Le premier devoir de l'orthodoxie était de rendre à ce symbolisme sa signification et de jeter au feu toutes les incohérences qu'ose encore afficher la théologie. Non seulement elles atrophient par leurs erreurs et leurs mensonges l'intelligence de ceux qui sont voués à l'enseignement moral, mais elles faussent même l'esprit de l'enfance par le catéchisme.

La Genèse de Moïse, reconstituée par Fabre d'Olivet, resterait alors un monument, qui ne serait d'ailleurs que la confirmation de ce que la science a réédifié depuis.

En résumé, si la terre a eu dans son enfance des convulsions formidables, elle n'est physiquement pas vieille et n'a pas dépassé l'âge viril, mais, moralement, elle est à peine entrée dans son adolescence. La terre, qui n'est qu'une matérialisation à l'usage de l'humanité, nous a, comme elle, matérialisés ; mais c'est notre être spirituel qui est tout, et c'est de lui que nous nous occupons le moins, parce que la chair étouffe en nous la conception de la patrie absente.

L'esprit est la seule réalité, et la matière, comme dit Grimard, n'est que son expression inférieure éphémère.

Les trésors matériels d'ici-bas ne sont pourtant rien à côté des trésors spirituels que nous pouvons recueillir. Nous pourrions nous dire : Je n'ai rien sous le soleil, mais j'ai des richesses au-dessus, plus haut, dans un monde plus brillant.

Notre monde est bien peu de chose dans la Création. Le ciron qui cherche sa nourriture pourrait-il concevoir l'esprit de l'homme et les merveilles de la terre ? De cirons en cirons; d'êtres en êtres, de mondes en mondes, vers quel infini troublant gravitons-nous donc ?

Nous avons des merveilles assurément, mais que sont-elles à côté d'autres merveilles bien supérieures dans des mondes plus avancés ? Nous avons des fruits succulents, le parfum des fleurs, le chatoiement des couleurs ; qui nous dit que ces suavités s'arrêtent là, qu'elles n'abondent pas, plus délicieuses, plus grisantes dans d'autres mondes ?

Toute la colossale immensité est cependant plus petite que Dieu, et l'Infini que nous concevons n'est pourtant encore qu'un des aspects de la Création, l'aspect inférieur.

L'autre, l'aspect supérieur, l'Infini spirituel, est colossalement plus grand que le premier, mais toujours plus petit que la main qui l'a créé. Tel est Dieu, l'immense Inconnu.

Et cependant il est là, partout, autour de nous, dans la nature, dans notre vie, dans tout ce qui se manifeste sur la terre ou dans les cieux, et nous ne voyons rien. Ce qui est trop grand disparaît pour nous. L'infiniment petit dans notre sang ne nous connaît pas et ne nous conçoit pas ; la gouttelette de sang est son univers. De même la gouttelette d'eau qui sort de l'océan peut-elle concevoir l'océan ? La grande barrière humaine est toujours ce qui sépare le fini de l'infini. Le matérialisme va nous fournir l'occasion d'y revenir un peu plus loin.

La foi est la croyance aveugle en un idéal qui nous domine et vers lequel elle porte notre âme sur son aile rapide. Toute cette grandeur ne lui impose-t-elle pas des devoirs de missionnaire, le devoir de répandre dans les âmes la vérité qui éclaire, la vérité qui console et qui sauve, la vérité qui raffermit, qui réchauffe, qui abrège la route ?

L'accomplissement de ce devoir nous fera plus de bien encore à nous-mêmes qu'à ceux qui en recevront le bénéfice. Toutes les armes de combat seront des armes de salut et tous ici sont vainqueurs, celui qui donne et celui qui reçoit.

Hâtons-nous de mettre un peu d'ordre en nous-mêmes et d'être bons. Les infernales théories dissolvantes que l'Est nous envoie tirent du fond du gouffre un appel satanique :

Ni Dieu ni maître, est leur cri de guerre. Voilà notre champ de bataille. Tâchons de sauver quelques âmes de l'abîme. C'est la vie chère qui s'apprête là-haut pour ces pauvres épaves.

Tout devoir est une mission. Le matérialisme est le plus vaste terrain à défricher de ce domaine humain où débordent sans cesse les nouvelles recrues échappées de l'animalité. Pénétrons dans la mentalité de ces êtres nouveaux, ou de ceux qui ont apporté l'animal avec eux dans la vie humaine et restent dominés par lui.

Ignorants et matérialistes

— L'homme, dans son rôle de microbe de l'humanité, cherche à rabaisser tout à sa taille. Il voit en petit, comme il est. Ses conceptions de ce qui est grand ne dépassent pas une certaine envolée au-delà de laquelle sa pensée devient confuse, incertaine, et presque effrayée de son audace ; aussi ne peut-elle concevoir l'Univers et encore moins Dieu. Le lointain infini semble l'arrêter par une densité qui ne lui permet pas d'y pénétrer.

Nous nous faisons une idée d'un milliard, mais si nous y ajoutons plusieurs zéros, cela prend des proportions qui dépassent nos conceptions. Il n'y a pas de cerveau humain qui puisse concevoir ce que c'est qu'un décillions.

Les matérialistes et les ignorants, l'un n'étant qu'une variété de l'autre, ont fait des théories à ras du-sol, en donnant à la création des bornes qui ne bornaient que leur ignorance. Leur vie n'ayant pas de but, pas de lendemain, ils s'abreuvent du présent et, se limitant à l'Univers visible, ils font petit ce qui est grand dans l'homme.

Vivre des sens, c'est vivre des illusions qui cachent le but et dans l'ignorance de ce qui est au-delà de nous. C'est s'arrêter au seuil de l'habitation, c'est réduire l'être à un simple rouage, alors qu'il est, en réalité, un appareil de réceptivité et de transmission aux ordres d'une autre vie intérieure plus haute.

Ils croient que le matérialisme explique tout, alors qu'il ne résiste à aucun examen. Ils expliquent en anéantissant. Pour eux, les admirables lois de la nature sont des forces aveugles qui, bien qu'ayant le bandeau sur les yeux, régissent le monde. Tout ce qu'ils ne peuvent comprendre, ils l'attribuent au hasard, mot complaisant inventé par l'impuissance où se trouve l'ignorance d'expliquer les faits.

La matière n'ayant aucune spontanéité ne peut être créatrice. Si elle a tout fait, pourquoi n'a-t-elle pas donné à l'esprit, pendant le sommeil, le même repos qu'au corps, afin de calmer les activités cérébrales. Le matérialiste se croit donc moins intelligent que le hasard, car, si le hasard a tout créé, l'homme devrait pouvoir faire, au moins, ne fût-ce qu'une infinitésimale partie de ce qu'a fait le hasard. Qu'il demande au hasard de peindre un tableau ou de modeler une statue. Pourquoi pas, s'il a pu tout faire ? Pourquoi, s'il a fait tant de chefs-d’œuvre, s'est-il arrêté et ne continue-t-il pas à créer sous nos yeux ? S'il s'arrête systématiquement, ce n'est plus le hasard, c'est déjà une preuve d'intelligence.

Qu'est-ce alors que cette intelligence, et d'où vient-elle ? Pourquoi, depuis 80.000 ans que le monde est contrôlé par des êtres vivants, se serait-il arrêté dans la création, juste au seuil de l'humanité, et n'aurait-il plus rien produit ? Il se repose ? Il a ses raisons pour cela, il est donc quelqu'un ? Il raisonne donc ?

Sentant l'inanité de confier la création des choses intelligentes à une cause aveugle, ils font du hasard un être singulièrement intelligent ; ils devraient bien s'instruire à son école.

L'homme, direz-vous, fait des découvertes tous les jours. Découverte ne veut pas dire création. Ce que nous découvrons a toujours existé. Le hasard, perspicace et prévoyant l'avait créé il y a longtemps, mais l'homme, être infiniment moins intelligent que son géniteur, le hasard, a mis des siècles à découvrir ce que lui, hasard, avait inventé.

Eh bien, ce hasard intelligent et créateur, nous l'appelons Dieu. Ce n'est qu'une différence de mot.

D'autres évoquent une cause première qui leur suffit à tout expliquer, comme si, ayant enflammé les matériaux combustibles d'une chaudière, on s'attendait à ce qu'elle fasse marcher pour l'éternité toute une installation mécanique, sans alimentation de combustible et sans la main d'un mécanicien. Cette cause première était une allumette, et voilà à quels enfantillages ils ont recours pour expliquer ce qu'ils ne peuvent pas comprendre.

Pour comprendre, il faut pouvoir aller à la source, et cette source ne se déguise pas sous des mots qui ne signifient rien, il faut des preuves, et si l'on demandait au hasard d'en fournir, il serait curieux de voir quelle réponse les matérialistes lui souffleraient.

Quand on pense aux milliards de monde? Découverts par le télescope et la photographie, et que l'on doit se dire en présence des voies lactées successives et de la multitude de nébuleuses lointaines à peine entrevues, qu'ils ne sont qu'une infime partie de l'universalité ; quand on pense que cet univers n'est peut-être que la molécule d'une multitude d'autres univers jalonnant l'infini, puis quand l'on descend des profondeurs de l'infiniment grand dans l'abîme à peine exploré des infiniment petits, on comprend que Dieu n'existe pas pour eux. La conception de son existence leur donnerait le vertige, II est trop grand pour l'exiguïté de leur cerveau.

Ils veulent le voir de près pour y croire. L'Infini est trop loin d'eux pour les inquiéter. Le monde spirituel, au lieu d'être l'explication, n'est pour eux que l'empiétement de l'inconnu sur le connu. Ils sourient quand on parle de Dieu. De qui est-on en droit de rire ? De ceux qui, après examen consciencieux, se sont inclinés devant la vérité ou de ceux qui, sans aucun examen, la condamnent a priori sans vouloir rien savoir ? L'incrédulité ricane devant le flambeau sauveteur qui lui éclaire le chemin.

Toutes les intelligences sont loin de pouvoir s'assimiler la lumière de la vérité si le soleil luisait en eux ; beaucoup ne sont éclairées que par une veilleuse. Une grande clarté les éblouirait. Croire demande aux facultés de l'âme une adaptabilité à des conceptions trop élevées pour des cerveaux en friche. Croire ne germe que dans un terrain préparé par la malléabilité d'une âme évoluée. L'ignorant nie et ne croit pas, parce que son cerveau, outil du subconscient, n'est pas accordé à ce diapason. L'incrédule nie, parce qu'il ne peut pas comprendre. Sa lanterne mal allumée sommeille ; il faut en attiser la mèche.

Et cependant la raison leur crie : Tu agis et tu ne sais pas pourquoi. Tu viens et tu ne sais pas d'où. Tu vas et tu ne sais pas où. Tu vis et tu ne sais pas comment. Tu es le brin de poussière qui tourbillonne dans le vent. Tu obéis à ce grand mystère : « Ta destinée », sans lui demander son secret. Toutes les destinées relèvent d'une cause unique, plus mystérieuse encore, dont la source, la raison et le but resteront toujours pour toi le grand Inconnu.

L'étude des choses élevées nous dégage l'âme des futilités de la vie, des préoccupations matérielles et des tentations qu'on heurte à chaque pas dans le terre à terre des existences.

L'incrédule croit anéantir Dieu en le niant, mais nier une chose n'est pas la supprimer. La vérité se redresse à chaque tournant du chemin. Il déploie sa doctrine, croyant agiter de la clarté, alors qu'il n'agite que de la nuit. C'est l'obscurité qui veut éclairer la lumière. Cette aura négative enveloppe les esprits d'un brouillard que le soleil de la vérité ne peut pas percer. Une petite étendue n'a pas besoin d'un puissant luminaire pour éclairer son modique champ de vision, elle laisse le soleil aux aigles. Croire exige un effort qui retient les esprits faibles dans l'illusion qu'ils sont des esprits forts, se faisant gloire de leur infériorité. Mais si leurs croyances sont limitées par le cercle que leurs vues tracent autour d'eux, on peut toujours, autour d'un cercle, en circonscrire un autre plus grand, et une multitude d'autres de plus en plus grands, qui marquent la progression des conquêtes de l'esprit humain, élargissant nos vues et nos croyances, et qui n'ont pas de limite sur la route de l'infini.

Ne pouvant s'élever à des réalisations spirituelles, il matérialise ses conceptions par des analogies avec notre monde, des images humaines. S'il y a des êtres et qu'il ne les voit pas, ils n'existent pas. Nous avons un commencement et une fin, donc tout doit avoir un commencement et une fin. Nous voyons un haut et un bas, donc il doit exister un haut et un bas. Tout ce que perçoit notre vue occupe un espace, donc tout doit occuper un espace. Il rabaisse ainsi tout au niveau de son ignorance.

Il ne réfléchit pas que l'homme, ne pouvant se donner les pensées qu'il n'avait pas, il doit exister une intelligence supérieure qui les lui donne.

Montesquieu dit à ce sujet : Quelle plus grande absurdité peut-on concevoir qu'une fatalité aveugle qui aurait produit des êtres intelligents ?

Pourquoi l'existence serait-elle limitée à un éclair de vie au lieu d'être une simple étape sur la route infinie, une simple hôtellerie où s'arrête en passant le voyageur ? Dieu n'a pas parqué l'homme comme les animaux en lui disant : « Tu n'iras que d'ici à là », enfermant sa vie entre deux points extrêmes. Il lui a dit au contraire : « Je t'ai donné les mondes, tu dois tout connaître, fais-en le tour. Je ne t'ai permis de connaître l'existence des choses que pour te donner le désir de connaître ces choses. Ne compte pas les relais, mais ne perds pas ton temps, regarde bien. On ne voit pas et on n'apprend pas tout en un jour, mais chaque vie est un jour de la grande destinée.

Les matérialistes font de l'âme une fonction du cerveau ; or, lorsque le cerveau est distrait par l'hypnose ou anéanti par la mort, l'âme se manifeste encore par l'esprit. Que deviennent alors leurs théories ?

L'intelligence de l'homme qui crée des choses impérissables serait-elle moins durable que ses œuvres ?

Le mot impossible est l'expression de ce que nos conceptions ne peuvent saisir. L'ignorant croit volontiers que ce qu'il ne comprend pas s'est fait tout seul. Quand nous admirons une œuvre d'art, nous savons bien qu'elle sort de la main d'un artiste. Les merveilles de la nature sont une œuvre d'art sublime, et de même révèlent l'artiste immortel qui les a créées.

Voici à ce sujet une petite anecdote qui a failli faire une conversion :

Un ingénieur avait chez lui une petite machine dont le mécanisme était une merveille. Un ami qui professait le culte du hasard étant venu le voir, ne put s'empêcher d'exprimer toute son admiration pour l'ingéniosité et la perfection de cette invention (et de demander à son ami le nom du mécanicien de génie qui avait pu concevoir et exécuter pareille merveille).

— Personne, répondit l'ami, elle s'est faite toute seule, c'est un produit du hasard.

Le savant avoue qu'il ne sait rien ; l'ignorant voit trop clair et sait trop pour avoir besoin d'apprendre. Quand il veut raisonner, il déraisonne, et, pour un peu, il se ferait fort d'éteindre les étoiles en soufflant dessus.

Le matérialisme est une décadence qui paraît au déclin moral des peuples. S'il eût été la vérité, il serait devenu général. Les peuples jeunes ont la foi. Le matérialiste est guidé par l'intelligence qu'il croit tenir de la nature, le spirite l'est par sa conscience. Le premier vit de son corps, le second de son âme. Entre les deux, l'être moyen se laisse vivre sans questionner la vie, emporté par le tourbillon, ayant trop à vivre en dehors de lui pour avoir le temps de vivre en lui, mais il peut devenir un candidat futur à une conception plus élevée.

Ce pauvre être qui prend la mort pour le néant est doublement à plaindre, d'abord parce que, quand la mort approche, c'est, pour lui et autour de lui, un affolement de terreur, tandis que le spirite la salue comme une libératrice :

Rien ne trouble sa fin, c'est le soir d'un beau jour (Lafontaine).

Le pas franchi, l'incrédule s'aperçoit qu'il s'est trompé et doit payer son erreur. Pauvre aveugle à qui les grossières jouissances de la terre suffisent pour égayer sa route et qui peut vivre sans ces fleurs de la pensée qui l'élèvent et la parfument !

Pourquoi pleure-t-il au berceau d'un enfant mort, puisqu'il croit tout fini ? Des regrets ne sont qu'égoïstes ; ses larmes, c'est sur lui qu'il les verse, non sur un cadavre qui ne souffre pas.

Puissent ces quelques lignes soulever à l'attention éveillée de quelques-uns un coin du voile qui leur cache un monde dont la connaissance changerait toute leur vie. Puissent-ils méditer ces paroles que prononçait Necker en 1785 : « II y a, n'en doutez pas, quelque magnifique secret derrière tout ce que nous voyons ; il y a quelque étonnante merveille derrière cette toile encore baissée. »

Dialogue surpris à vol d'oiseau entre un incrédule et un spirite.

— Comment va ?

— Pas bien, à votre point de vue, mais très bien au mien, c'est-à-dire que vous, vous croiriez votre vie menacée, tandis que, moi, je nourris l'espoir d'une prochaine délivrance.

— Que dit votre médecin ?

— Inutile de le questionner, il ne veut rien dire.

— Qui donc est-il ?

— Un tel.

— Un tel ? Eh ! Mon cher, il est lui-même mort il y a trois jours, d'une embolie.

— Mort ? Oh ! Alors, je vais le consulter. Maintenant, peut-être, il me dira la vérité. Je le prierai, en même temps, de faire mes compliments à nos chers morts.

Et il s'éloigna, laissant son interlocuteur ahuri.

C'est le matérialisme qui a créé cette autre plaie : le Veau d'Or, dont nous allons dire deux mots.

Le veau d'or

— Alexandre disait : « Il n'y a pas de citadelle imprenable quand on peut y faire entrer un baudet chargé d'or ». Combien ne pourrait-on pas compter de consciences comme ces citadelles ?

Si l'on venait offrir à un mortel, sur un coussin de velours, la fortune et la puissance, une couronne et tous les biens périssables, combien repousseraient cette séduction en disant : «Non, j'aime mieux mes luttes et ma misère. J'aime mieux servir Dieu que le veau d'or ? »

Celui-là serait un sage, en attendant qu'il devienne un saint. Le premier ne ferait que lâcher la proie pour l'ombre. Les luttes et la misère sont une clef d'or qui ouvre les grilles célestes.

L'homme le plus heureux, disait Proudhon, sera celui qui sait le mieux être pauvre.

Tout paradoxal que cela puisse paraître, ne rien avoir est une fortune, c'est la liberté. La fortune « qui vend ce qu'on croit qu'elle donne », comme dit Lafontaine, n'est qu'un esclavage.

On est d'autant plus riche qu'on a moins de besoins, et celui-là a le moins de besoins qui ne s'en crée pas d'artificiels. Supprimer l'argent serait supprimer la plupart des écarts de la vie, car l'intérêt est au fond de tous. On dit : « Cherchez la femme ». On pourrait dire : « Cherchez l'intérêt ».

Aveuglé par le ruissellement de l'or l'homme abandonne l'Arcadie pour le Pactole. C'est la descente vers un Sodome de vénalité. A quoi sert d'avoir les poches pleines, si le cœur et l'esprit sont vides ? Les titres sont des étiquettes qui ne garantissent pas la marchandise. De même, se sert-on de décorations pour payer une dette à bon compte en aveuglant la vanité ; mais elles n'ont d'autre valeur que celle du morceau de ruban qu'il faut acheter pour s'en parer. C'est comme la fumée de l'encens qui grise et, aussitôt dissipée, c'est le vide. L'être terrestre est flatté, l'être moral affligé.

Entre un coffre-fort gorgé de bank-notes et un cœur d'or, n'hésitez jamais, choisissez ce dernier. Le coffre-fort peut se vider, le cœur d'or est inépuisable.

Entre une opulente beauté, aussi riche qu'orgueilleuse, et une humble fille n'ayant que son amour, son dévouement et une belle âme, cette dernière est le trésor ; l'autre... ?

Où sont-ils les puritains, comme Amiel, qui disent : J'ai honte de mon intérêt comme d'un mobile ignoble et servile ?

Où sont-ils les saint Ambroise qui, après s'être complètement dépouillé, vendait les vases sacrés de son Eglise pour donner à manger aux indigents ; comme le cardinal saint Charles Borromée, qui sacrifia son immense fortune, et exposa sa vie pour secourir les pestiférés de Milan ; ainsi que l'évêque de Belsunce le fit pour ceux de Marseille.

La fortune n'a pas été donnée à l'homme pour en jouir. C'est un simple dépôt, un dépôt sacré qui lui a été confié pour en faire une judicieuse répartition entre ses semblables éprouvés, ou pour créer de grandes œuvres, profitables à tous.

Un employé de banque, qui manie des flots d'or, n'a droit qu'à son salaire. S'il profitait de l'argent qui lui a été confié pour le détourner à son profit, ce serait un abus de confiance. Le millionnaire qui dispose de sa fortune sans considérer le but, fait la même chose.

Le pourboire, les commissions et les pots-de-vin sont une absence de toute dignité qui dégrade moralement l'être cupide par ces tares terrestres. Un homme ne peut-il faire son devoir sans encore tendre la main comme un sordide mendiant ? La commission, en dehors des entreprises commerciales dont elle est la base, est un acte aussi vénal qu'anti fraternel. Ne pouvons-nous présenter une personne à une autre sans réclamer ensuite, de ce fait, notre part dans leurs transactions ? Cette présentation, au lieu d'être un acte fraternel, devient une spéculation, un calcul. C'est donner une valeur mercantile à l'amitié. Ce qu'on appelle un beau coup, une belle affaire, une heureuse spéculation et tous les euphémismes attachés à l'art de s'enrichir aux dépens des autres, est un vol déguisé. Les pots-de-vin sont un de ces euphémismes.

Celui-là comprend la vraie charité qui n'apprécie la fortune qu'autant qu'elle lui permet de donner. Le veau d'or, c'est la vie positive, où la pensée rampe dans les intérêts humains sans jamais s'élever au-dessus des buts terrestres. Au lieu d'utiliser l'or à alléger des infortunes, on va en demander encore à l'industrie, à la spéculation, à Monaco. L'intérêt personnel, dit Amiel, n'est que la prolongation en nous de l'animalité. L'humanité ne commence dans l'homme qu'avec le désintéressement.

L'homme dominé par les intérêts ne s'appartient plus, la fascination des biens terrestres peut le conduire à toutes les bassesses et voile chez lui le sens moral. Il sème sa propre condamnation dans d'autres existences. Toute sa pensée va à l'or, possession illusoire ! Nous n'emportons rien, pas même nous-mêmes. Nos seules acquisitions durables sont celles qui vont grossir le trésor moral accumulé par nos vies successives. Ce trésor-là ne se lègue pas par testament et ne se transfère à personne, il est bien à nous.

Entre l'intérêt et le devoir, le terrien choisit le premier, le spirite le second.

L'être qui se glorifie de son apparence personnelle comme les sots se glorifient de leurs habits, se voit à travers un prisme séduisant qui le trompe. Est-ce la vanité qui crée ce prisme ou ce prisme qui crée la vanité ?

Ne soyons pas comme l'enfant qui enfreint toutes les consignes pour satisfaire sa gourmandise, comme ce Faust qui engage l'éternité pour un moment de plaisir, comme ces dévorés d'ambition qui sacrifient le ciel à la terre et la terre à leur orgueil. Le Bien seul est impérissable et reste gravé en lettres lumineuses sur l'enveloppe astrale qui sera notre corps dans l'autre monde.

Si le moral ici-bas pouvait se refléter dans le physique comme dans l'autre monde, quelle collection de monstruosités la terre ne présenterait-elle pas ? C'est alors qu'elle pourrait nous donner l'impression de vivre dans une ménagerie. Que de choses viles nous verrions, comme la lâcheté des flatteurs repoussés qui viennent mordre ces chairs qu'ils ont léchées.

Tout cela peut paraître l'éternelle redite des éternels rêveurs dogmatiques. Mais quand on a entendu les voix et les sanglots d'outre-tombe dans ces séances où de malheureuses âmes viennent implorer notre aide, l'écho de leur appel ne peut s'éteindre dans notre pitié. Et l'on sent alors que ce monde n'est rien et que l'autre est tout.

Dans vos moments perdus, qui seront des moments gagnés, faites de vous la sévère inspection que demande votre âme, plus anxieuse de vous que vous-même. Pensez à ces malheureux qui souffrent ; et ne vous bornez pas à vous demander si vous avez commis des fautes, mais examinez toutes vos actions et cherchez quel mobile les a inspirées.

N'oublions pas que, tant que nous tenons à un objet sur la terre, nous ne pouvons pas nous dire dématérialisés.

Pouvez-vous souffrir sans vous plaindre, sans même faire-part à votre entourage de vos souffrances ? Avez-vous cette abnégation ? Ravitaillez votre âme par la méditation et la prière, vivez avec vos morts et pensez sans cesse à conformer vos actes à la doctrine qui nous guide.

Dématérialisation

— Comment pouvons-nous nous dématérialiser tant que nous vivons de nos sens et de leurs obligations physiologiques, tant que le passé animal émerge sans cesse dans l'activité de notre pensée ? Comment pouvons-nous dénouer en nous la multitude d'attaches de toute une vie ?

Comment la prière peut-elle être pure quand les moi passés, jaloux de ceux du présent et inquiets de ceux de l'avenir, cherchent sans cesse à la troubler pour la distraire et lui enlever sa ferveur ?

Comment pouvons-nous pratiquer l'amour sur la terre quand l'animosité sourde de la bête semble prendre plaisir à diriger nos regards sur les travers, les erreurs, les difformités morales et physiques de nos semblables ?

Mais à nos yeux avons-nous des semblables ? Non, nous sommes des demi-dieux et ils ne sont que de misérables pécheurs. Et puis, nous avons une méchante cuirasse, faite d'amour-propre, de respect humain, d'égoïsme, qui tient prisonniers en nous les élans d'affection et les empêche de se manifester.

Descendons de ce piédestal et ouvrons nos cœurs à nos frères de l'humanité. Ce sera un premier pas. Ne perdons jamais de vue que, dans l'autre monde, nous allons retrouver tous ceux que nous avons connus, non seulement ici-bas, mais dans des existences précédentes.

Mais là, plus de soie et de joyaux, plus de dissimulation de la personnalité sous de riches vêtements. Notre Esprit, à nu, nous montre dans notre parure astrale, tels que nous sommes. Et alors, combien de nous, honteux de présenter à tous les yeux une robe maculée, fuient tous ces visages amis qui les voient et qui les jugent ! Allons, candidats aux béatitudes de la délivrance, qui ne pouvez vous dérober à cette exhibition, mettez-y un peu de coquetterie, tâchez d'effacer quelques-unes de ces vilaines souillures qui vous feront rougir devant vos amis, et de cueillir, par la charité et le sacrifice, quelques diamants pour parer votre robe astrale.

Voyez que de peine vous vous donnez pour satisfaire vos ambitions, pour atteindre des positions élevées qui meurent avec vous. Votre peine sera bien mieux placée à acquérir une apparence plus digne aux yeux de cette foule qui vous attend. Et n'oubliez pas que cette apparence décidera de la zone de lumière où vous serez reçu, comme nous le verrons plus loin.

Si donc vous voulez vous dématérialiser pour faire votre toilette spirituelle, commencez par établir le bilan des sacrifices que vous avez faits, des fautes que vous avez évitées, des tentations que vous avez combattues. Ce sacrifice ne sera pas bien lourd hélas ! Pour le rendre effectif, il faut vouloir, être résolu, s'armer d'une grande détermination et s'étudier tous les instants.

Quand la mort approche, les faits passés de notre vie revivent les uns après les autres, les uns avec des regrets, d'autres avec des remords. C'est l'annonce du moment suprême. On voudrait réparer, il est trop tard ; les réparations ne sont plus possibles dans ce monde, il n'y a plus qu'à payer la dette pour effacer la faute. C'est alors que nous comprenons le gaspillage que nous avons fait de la vie.

Si vous ne pouvez plus réparer, pardonnez au moins à tous. A ceux-là qui ne veulent pas faire l'effort du pardon, il ne reste qu'à se débrouiller avec leur conscience.

Ne nous demandons pas comment les autres seront reçus là-haut ce n'est pas notre affaire, mais demandons comment nous serons reçus.

Mais allons-nous laisser derrière nous tous ces pauvres naufragés inconscients du sort qui les attend ? Qu'ils sachent au moins que la prière, cette lumière dans leur nuit, peut les sauver.

Comment, toutefois, réconcilier le matérialiste avec la prière ?

« Elle ne représente, dit-il, que des phrases banales, sans consistance, adressées à un être problématique, avec l'illusion d'une destination inconnue à atteindre. »

Une lettre jetée dans la boîte avec une destination lointaine qui nous est, à nous, également inconnue en dehors de son nom, n'est que la matérialisation de l'image de la prière.

L'air aussi est sans consistance ; la moindre brise, moteur inconscient, le conduit vers des destinations ignorées, sans but, semble-t-il, parce qu'il n'obéit à aucune volonté apparente ; mais cet air inoffensif produit le vent et la tempête, le simoun et le cyclone. Il actionne la voile et l'aile du moulin, il empoisonne l'air ou le purifie, il prodigue des bienfaits ou des ravages.

Tous les commencements de quoi que ce soit sont imperceptibles et l'on ne sait d'où sont venues toutes les choses qui se manifestent. Les petites choses sont la cause des grandes, car c'en est le point de départ. Un point noir est le début d'un ouragan ; l'homme est né d'un minuscule embryon, et, comme dit Amiel, presque tout provient de presque rien.

Ce rien, dans la main de causes agissantes, est un outil qui produit des résultats formidables.

La prière, tout inconsistante qu'elle paraît aux matérialistes, est un projectile qui, lancé avec ferveur, va droit au but et devient une force, comme la bulle d'air qui se fait typhon.

Il ne s'agit pas, bien entendu, des patenôtres marmottées par des professionnels salariés, ni des chapelets ânonnés par des dévotes en pensant à leurs affaires, en prenant part parfois à des conversations. Ce sont ces braves illusionnées qui croient encore au démon et aux diableries, aux vieilles défroques d'enfer et de purgatoire. Mais, chères bonnes âmes qui retardez de deux mille ans, il y a beau jour que nous avons relégué votre Satan imaginaire avec tous les Croquemitaines de notre enfance, dans les petites maisons.

Le Spiritisme, heureusement, ressuscitant le Christianisme de Jésus, est venu réveiller et guider les consciences. Le savant et le spirite représentent la science et la conscience. Mais voilà, on croit aux choses qui n'existent pas et on ne croit pas à celles qui existent.

La terre, quand elle est venue au monde (permettez-moi cette figure), apportait avec elle dans le Râmâyana, qu'on peut considérer comme son berceau, toutes les connaissances de la vie spirituelle, telles que nous les retrouvons dans les plus anciennes traditions hindoues. Elles se sont perdues peu à peu à travers la marche des temps, et l'homme, sans guide, n'a fait que s'égarer.

Mais, comme toutes les choses prédestinées, le spiritisme est venu à son heure. Il nous prépare au grand réveil, au glorieux réveil.

L'humanité frémissante, à la veille d'une gigantesque rénovation sociale que lui apporte l'évolution humaine, a mis l'arme d'épuration aux mains d'une tourbe turbulente qui piaffe. Celle-ci sert à son insu le mouvement en avant, en frappant, pour ouvrir le chemin, tout ce qui la gêne sur son passage. Ce qu'elle frappe est justement cette lie, hommes et choses, qui barrait le progrès à l'humanité sociale, en absorbant tout à son profit. Cette tourbe détruit Sodome, tandis qu'attentive à l'appel du grand réveil, l'arme des missionnaires de la Vérité prépare Jéricho.

Telle est la révolution, soubresaut de l'évolution pour en accentuer la marche. C'est une goutte d'huile à la roue du progrès.

La vie sociale, comme un cerf-volant qui a cassé sa ficelle, bat de l'aile en ce moment dans une atmosphère de dangereuse liberté. Elle ne peut y trouver d'équilibre, parce qu'il lui manque un point d'appui, le facteur moral. Spirites, apportons-le-lui.

Notre vie a été faussée par l'ignorance, chevauchée par les passions. Nous ne pouvons pas rebrousser chemin, brûler ce que nous avons adoré, adorer ce que nous avons brûlé. La foi, seule, nous permettra de redresser des erreurs dues à notre cécité morale. L'incrédulité est, en quelque sorte, la mesure du degré d'évolution de l'être. L'éclosion de la foi en lui est le fruit de son avancement moral.

L'incrédule, pourtant, est souvent ébranlé avec l'âge, à mesure qu'il avance vers le grand inconnu et qu'il jonche le chemin parcouru des affections de sa vie. C'est l'heure des regrets qui commence, et les reproches que nous nous faisons déjà dans cette vie ne sont que le prélude des remords qui nous attendent dans l'autre.

L'homme est toujours ingénieux pour son supplice, dit Goethe. Nous serons toujours exposés à la souffrance tant que nous la provoquerons par nos fautes.

Quels remords, à certaines heures de la vie, quand on sent qu'on n'a pas fait tout son devoir envers ses aimés !

L'être intolérant, prompt à grandir les moindres défauts chez les autres, regrette la sévérité de ses jugements quand il a perdu des êtres chers. Leurs fautes, énormes de leur vivant, paraissent si peu de chose quand ils ne sont plus là ! Le reproche qu'on se fait n'efface pas l'injustice. C'est quand ils vivent près de nous qu'il faut être indulgent et nous dire que ce que nous condamnons en eux est peut-être infiniment moins grave que ce que nous pourrions condamner en nous.

De là-haut, ils sont moins sévères pour les fautes de la terre. Ils ne condamnent jamais, ils plaignent ; ils voient plus juste.

Pourquoi cette larme que vous versez au bord d'une tombe qui ne vous entend pas ?

C'est sur vos erreurs passées qu'il faut pleurer.

Qu'est-ce qu'une tombe? Une cendre humaine dont la flamme est remontée là-haut. Toute cendre représente un passé qui a vécu, mais la flamme reste pour aviver d'autres corps.

L'être cher est parti ; vos regrets grandissent de toutes ses souffrances, elles retombent sur votre âme comme des reproches. Mais il est trop tard, vos pleurs ne peuvent les effacer et vous héritez de la souffrance morale de ces souvenirs douloureux. Mais vous ne voyez plus ses fautes, ses fautes qui ont produit ses douleurs, car chaque faute de la chair est punie par une douleur de la chair.

Le déchirement de votre cœur est un avertissement qui devrait vous faire réfléchir sur vous-même : Vous êtes ce qu'a été ce disparu.

Il nous serait cependant si facile de nous épargner ces peines et d'en épargner le pénible souvenir à ceux qui nous regrettent, en évitant les égarements qui les motivent. Quel gain emportons-nous du travail de toute une vie ? Oh ! Il est bien mince. Nous nous sommes laissés aller à écouter nos fantaisies, nos caprices. C'est l'histoire des mauvais élèves dans la classe qui se laissent distancer par les bons.

Il y a des êtres qui rampent, d'autres qui nagent, d'autres qui volent. Il est évident que ceux-ci franchiront l'évolution à pas de géants, comparés aux retardataires. C'est parmi eux que se recrutent les missionnaires, les martyrs, les saints.

Qu'est-ce qui nous empêche de les imiter au lieu de nous attarder en chemin, comme les mauvais élèves ? Nous sommes donc tous responsables de la lenteur de notre pèlerinage. Le plus sagement avisé est celui qui met le temps à profit. Nous ne laisserons alors à ceux qui nous pleureront que des impressions consolatrices, au lieu de ces douloureux souvenirs attachés aux souffrances de nos aimés.

Nous sommes donc responsables de nos propres maux et des douleurs que nous infligerons aux autres en partant.

Mais sommes-nous assez dématérialisés pour nous détacher de cette vie et nous rapprocher de l'autre ? Il me semble parfois que je suis arrivé à ce point d'une existence mentale ardente, ascendante, vers une lumière qui m'attire, que mon corps me gêne pour exister. Il m'entrave dans ma course et me force à ramper là où je voudrais planer. Il est devenu pour moi un obstacle encombrant. Je cherche à vivre en dehors de lui et il me rappelle sans cesse aux réalités. Il me tient en laisse comme un enfant capricieux, il a des exigences dans les moments les plus inopportuns, sans aucune considération pour mes aspirations. Il se plaint de mon manque de soins, mais il ne me lâche pas, il a peur que je l'abandonne.

Si nous sommes esclaves du corps, nous sommes esclaves aussi d'un autre inconnu caché intérieurement au fond de nous-mêmes, et nous subissons son influence, comme nous subissons le temps. Nous appelons cela des états d'âme ; ce sont certainement des modalités de notre inconscient, des tristesses ou des gaietés sans motif, des inquiétudes vagues, des hauts et des bas continuels qui sont les affleurements, à notre être conscient, des ruminations intérieures.

Il semble parfois que la pensée pleure, sombre dans les lointains du rêve. Est-ce un détachement des joies impures, une attirance vers quelque idéal inconnu ? Est-ce un désir ou un regret, le cri d'un cœur inassouvi ?

Le vague de l'âme est certainement un problème. Est-ce un reproche au ciel ou une prière ? Est-ce une aspiration à déserter la terre pour nous rapprocher de la grande patrie qui nous tend les bras ? Est-ce notre pensée qui évolue sans but dans l'immensité, alors que notre être tient si peu de place ? Sommes-nous donc voués à poursuivre sur la terre un avenir qui ne descend jamais du rêve dans la réalité ? Que ce soit l'un ou l'autre, l'âme a de ces tristesses, et la consolation n'est pas un vain mot. Arrêtons-nous-y un moment.

Douleur et consolation

— Dans quel infini de douleur ce regard vague est-il donc plongé ?

Qu'est-ce que cette larme silencieuse qui s'échappe d'un œil distrait ?

Ce regard perdu, cette larme furtive, c'est la place vide à table, la place vide au coin du feu, partout la place vide, à notre côté, le vide à toute heure, en tout lieu. C'est l'appartement silencieux, la parole sans écho, la solitude des soirées, le réveil muet. C'est un passé qui s'envole, un avenir qui s'éteint.

Oui, mais cette larme a des ailes. Au-dessus de cette tombe muette voltige une ombre. Ecoutez bien, et, entre deux battements de votre cœur, vous entendrez le murmure affectueux de la voix aimée.

Et la vie continuera, plus élevée, dans une atmosphère morale, bien que l'un des deux soit invisible et vous entoure de toutes les preuves de sa tendresse.

L'un pleure et l'autre console, mais celui qui devrait voir l'autre ne le voit pas, et voilà pourquoi cette larme coule.

L'heure sinistre est passée où chaque coup de canon avait pour écho une prière, car c'était une vie qui tombait et des larmes qui coulaient.

Ce ne sont pas ceux qu'une balle a fauchés qui sont les vrais victimes de la guerre, mais ceux qui les pleurent. La balle, après avoir frappé des êtres chers, a terminé sa course homicide dans nos cœurs, où elle s'est fixée, blessure toujours ouverte, qui saigne encore.

La guerre, en tournant des feuillets de plus en plus ensanglantés, a ameuté aux portes de l'autre monde la légion des mères éperdues et des veuves éplorées qui viennent réclamer une âme.

Le bouillonnement de leur douleur éclate en sanglots qui semblent demander compte au ciel de sa justice.

Ce sont les vraies victimes, car ceux qu'elles regrettent sont des élus ; ils ont été repris, parce qu'ils avaient fini leur épreuve sur la terre, tandis que l'autre épreuve, l'épreuve de la douleur, commence pour ceux qui les pleurent.

Et parmi ces dernières, pensez aux pauvres mères sans pain, qui pressent leur enfant sur leur sein, en grelottant de froid. Où est-elle la fraternité qui passe à côté de cette détresse ?

La mort a frappé à tant de portes et s'est assise à tant de foyers qu'on ne peut pas les soulager toutes, mais elles doivent au moins réchauffer leur pauvre âme habillée du crêpe de l'ombre, à la pensée que les plus malheureux en ce monde sont les plus heureux dans l'autre.

Tendons nos bras et nos cœurs à ceux qui souffrent, à tous ceux qui doutent, aux âmes qui gémissent dans les ténèbres. Versons-leur l'espérance qui est une aurore. Des larmes de joie effaceront les larmes de l'amertume, et, sur cette bouche plissée par la douleur, s'épanouira le sourire, comme une fleur sur une tombe.

La grande loi mystérieuse de notre évolution morale nous dit que la lumière est au fond de la souffrance et que toutes les amertumes de l'existence dévorent peu à peu nos erreurs et nos illusions.

C'est du haut d'une grande douleur, chers Frères et Sœurs, qu'il faut voir la vie pour comprendre quels trésors de consolation le spiritisme verse de baume sur nos plaies, pour comprendre quel port de salut et d'espérance il offre aux âmes troublées. Le voile qui les couvre est-il donc si sombre qu'on ne puisse voir, à travers le deuil de la pensée, une aube de consolation ?

Derrière chaque douleur il y a une âme qui vous tend les bras pour vous réconforter. Ecoutez sa voix, elle vous dira en vous montrant le ciel : II est là, espérez.

La peine des autres ne calme pas la nôtre, mais il semble qu'une sympathie secrète rassemble et unisse les cœurs meurtris, et l'on éprouve un certain soulagement à souffrir en commun. Le temps la calme ou l'intensifie, parce que tout ce que l'on voit avec un recul s'efface si l'impression est peu profonde, et grandit, comme la légende, si l'impression a été forte.

Que de douleurs inutiles, parmi les endeuillés, on pourrait enrayer en les éclairant ! N'est-ce pas notre devoir à tous de courir à cette mission qui nous appelle, au lieu de nous dépenser en disputes stériles, en mesquines jalousies, en misérables rivalités, en interminables controverses, où le spirite déshonore son apostolat au bénéfice de ses passions humaines.

La douleur est un outil puissant de conversion. Elle est le trait d'union entre l'homme qui prie et l'homme qui ne prie pas. Quand la prière paraît chez l'être, c'est une aurore, il est entré dans la bonne voie.

Vous pleurez sur des tombes et souriez aux berceaux. C'est sur les berceaux qu'il faudrait pleurer, tombe terrestre d'un Esprit échoué du ciel dans une prison humaine pour peiner dans la vie.

C'est aux tombes libératrices que doit aller votre joie, joie de voir la liberté rendue à un bienheureux délivré qui s'en retourne à tire-d'aile, enivré, rayonnant, vers ses frères du ciel.

Si l'on ne devait pas se revoir, Dieu ne nous aurait pas attachés les uns aux autres si fortement et aurait mis au cœur l'indifférence, au lieu de ces liens d'amour qui enchaînent un vivant au disparu, par une espérance et non par un néant.

Dieu a mis en nous, à côté du doute, la crédulité qui nous rend plus accessible à la confiance. Il a voulu, soulagement divin, que la souffrance pût se raccrocher à toutes les lueurs de consolation par la foi, et la crédulité lui ouvre le chemin de notre âme.

Quel mystère dans les raisons qui nous guident ! Aussi, par quelque laminoir moral que nous passions, devons-nous regarder, par-dessus nos douleurs, le but vers lequel elles nous conduisent. Cependant, malgré tout, nous sommes des humains et nous ne pouvons pas entièrement échapper à nos faiblesses humaines, qui ne veulent rien savoir du raisonnement, fût-il consolateur.

La vraie vie s'agite de l'autre côté du rideau, et nous ne sommes ici que des comparses que font mouvoir des forces invisibles. Nous nous réjouissons ou nous nous alarmons ; nous jugeons et souffrons sur des apparences fugitives, qui ne sont pas la vraie cause.

C'est l’égoïsme terrestre qui nous pousse à vouloir retenir auprès de nous ici-bas ceux que le ciel convie à la liberté. Ces douleurs, mortification de notre chair, sont sans doute un remède salutaire que Dieu dispense à ses élus, une peine qu'il faut purger pour monter plus haut, une prime à payer à la veille des récompenses divines qui nous attendent.

Mais combien tout ce qu'on peut dire est peu de chose devant le fait brutal ! Aussi, une silencieuse poignée de main à ceux qui souffrent en dit quelquefois plus dans ces circonstances que toutes les protestations.

N'est-ce pas là une preuve que notre vie est un songe, que nous sommes le jouet, dans notre intérêt moral, d'un guide, d'un maître, d'un juge qui est le pilote de notre destinée ?

Alors, quand le malheur frappe à notre porte; nous devons nous incliner devant des raisons dont nous ne voyons pas la cause et nous dire que plus pénible sera l'épreuve, plus elle portera de fruits. Plus courte alors sera l'attente d'une prochaine délivrance ; cette attente que nous trouvons longue quand nous en comptons les palpitations par la douleur est à peine un éclair dans le temps en marche. Aussi devons-nous devenir philosophes résignés et regarder, par-dessus nos douleurs, le but vers lequel elles nous conduisent.

Si dur que cela paraisse, quand Dieu nous frappe, nous devons encore l'en remercier, parce que c'est pour notre bien, bien que les causes nous en soient cachées.

Arrêtons-nous, la vie avance, nos nuits semblent être une répétition préparatoire de ce que sera la nuit finale. Ces moitiés de nos jours, qui nous dérobent la moitié de la vie, sont-elles perdues pour nous ? Il paraît que non, et que cette moitié mystérieuse est même la plus active. Il paraît aussi que nous en profitons pour aller faire dans l'Au-delà un travail clandestin préparatoire, que nous serons très agréablement surpris de trouver tout fait quand nous nous y présenterons.

La vraie mort n'est pas une fin, elle n'est que la renaissance de l'être, s'élevant d'un monde inférieur à un monde supérieur, d'un état d'esclavage à un état de liberté. C'est le commencement d'un grand travail esthétique qui va s'accomplir de l'autre côté et dont la vie ici-bas, comme l'enfant qui apprend à marcher ou à épeler, a jeté les bases. La vie en est la fondation, la mort lui ouvre l'activité spirituelle.

J'ai cherché à consoler une brave femme qui avait très peur de mourir, en lui disant : La mort, c'est une villégiature dans l'autre monde en attendant une prochaine existence.

Je ne sais si je l'ai convaincue, mais je l'ai bien étonnée.

Lors des morts subites, l'Esprit peut parfois se demander, dans son étonnement de se trouver dans l'autre monde : Qu'est-ce que j'ai donc fait de mon corps ?

Que de choses non finies nous laissons quand nous partons, et cependant que de temps gaspillé et qui aurait permis tant d’œuvres utiles !

Pourquoi notre subconscient, qui connaît l'heure du départ, la laisse-t-il ignorer à notre corps, qui doit la subir, et nous la cache-t-il à nous-mêmes, qui sommes les plus intéressés ?

Les phénomènes observés à la naissance ne font que se répéter à la mort, laquelle n'est que la naissance dans l'autre monde. Le même cordon ombilical se produit, formé par un courant d'électricité vitale qui se dégage au-dessus de la tête du mourant et se trouve attaché par le bas à la partie du corps fluidique déjà envolée. Lorsque ce lien se brise, une petite partie du fluide vital retombe dans le corps et empêche la décomposition immédiate. Heureux ceux que les connaissances psychiques ont préparés à ce départ ! L'activité et l'élévation de la pensée opèrent déjà, du vivant du corps, un commencement de dégagement, et quand la mort vient, il est presque instantané.

Le périsprit s'échappe d'autant plus vite qu'il est moins attaché à la matière. Chez l'être matériel, la séparation est longue. Chez celui qui vit spirituellement, la séparation est toute préparée.

Souvent les mémoires perdues se réveillent au moment de la mort, et les aliénés, comme il a été constaté par le Dr Haas, retrouvent leur complète lucidité, ce qui est naturel, car la folie n'atteint que la personnalité terrestre, et quand le périsprit se dégage, c'est la conscience supérieure qui se manifeste. La personnalité est morte.

Puis voici la cérémonie finale. Dans certains pays, l'officiant dansait en allant enterrer les morts ; chez nous, il chante. Chant d'église, direz-vous. Non, psalmodie machinale ; tout cela se vaut. Dans les mondes plus avancés, on prie.

Lorsque, sur la route funèbre, chacun se découvre devant ce mort qui passe, c'est un réveil secret des appréhensions de leur âme. Ce n'est pas le mort qu'ils saluent, c'est la crainte de la mort.

Une formule banale dit : « Le deuil était conduit par un tel ». C'est une erreur, le deuil est souvent conduit par le mort lui-même. Il suit son enterrement, il suit son corps. C'est son baptême des réalités humaines, débarrassées des faussetés conventionnelles. C'est là qu'il apprend les vrais sentiments à son égard et qu'il peut mesurer de quel poids il était dans l'affection de tous ces empressés à l'accompagner maintenant. Parmi eux surnagent quelques cœurs amis qui seront, pour lui, comme une réserve acquise dans les vies futures. Les autres accomplissent un devoir terrestre, non envers le mort, mais envers la famille.

S'il en est parmi vous qui versez quelques pieuses larmes sur la tombe que ferme votre main en lui confiant cette âme, c'est une promesse de fidèle souvenir que vous lui faites. Ne l'oubliez pas, et ne croyez pas que les ornements sur le modeste tertre fleuri sont suffisants à acquitter votre dette, dans la crainte d'entendre une voix sortir de l'urne funéraire, vous criant : « Occupez-vous un peu plus de nous et un peu moins de notre tombe.»

Certaines peuplades sauvages glorifient par des chants d'allégresse la délivrance du moribond, tandis qu'elles entourent de leurs lamentations le berceau du nouveau-né.

La tombe des illustres morts semble entourée d'un parfum de débordement de leur pensée. L'ombre éternellement jeune qui dort sous cette pierre respire l'éclat de la glorieuse destinée dont leur vie ne fut qu'une étincelle. Peu soucieux de moissonner de la gloire, leur pensée avait dépassé cette terre qu'elle n'a fait que frôler de son aile, semant en chemin les fleurs de leur génie sur les misères humaines.

Ecoutons s'élever au fond des soirs l'écho, de leur parole lumineuse, qui reculait l'inconnu devant eux pour ouvrir un passage à l'humanité vers de nouvelles aurores.

La mort est le sommeil sans rêves. Le rêve est ailé et fait pour s'envoler, et non pour descendre sous la terre. Leurs rêves les ont devancés au ciel, mais la popularité déborde la tombe ; il semble que le silence qui l'environne veuille expliquer le mystère de la mort, il semble que ce silence parle.

L'âme qui a passé là a donné une vie à tout ce qu'elle a laissé derrière elle sur la terre. C'était leur mission, ils l'ont remplie. Que nous reste-t-il d'eux ? Ce qu'il y avait de moins grand, leur image humaine, que l'on coule en bronze. Mais ce qui faisait leur supériorité, leur âme et leur génie, les générations n'en voient rien dans ce bronze muet ou dans ce marbre glacé, car ils l'ont emporté avec eux. C'est ce qu'il y a de moins beau que l'on conserve pieusement.

Ici nous fermons le livre de la vie. C'est le moment de nous demander quel sort Osiris, protecteur des morts, va réserver à ce vivant de la terre qui n'est plus rien.

Va-t-il s'élancer vers les sphères lumineuses ou tâtonner dans les bas-fonds de la vie d'outre-tombe ?

« Ce n'est pas, dit Grimard un état de souffrance pour les rôdeurs de l'astral. Ils n'ont pas conscience de la lumière d'en haut qui les éblouit sans les éclairer. La matière et les séductions avilissantes, le monde des sens les subjuguent. Les convoitises bestiales subsistent pour les plus grossiers. Leurs perceptions sont obtuses.

A ce moment de grand réveil, le lointain passé renaît à notre souvenir. Alors les épaves terrestres revoient le terrifiant panorama de cette série d'incarnations, dont les fantômes vivants surgissent de leurs sépulcres entr'ouverts.

C'est à cette minute suprême que nous comprenons l'insuffisance de nos efforts. Nous pouvons compter nos défaillances, depuis l'époque mille fois séculaire (qui saurait lire dans la nuit des abîmes ?) où, sous la carapace hideuse du mégalosaure ou de l'iguanodon, nous rampions, gueule ouverte et dents aiguisées, dans les marécages des forêts de l'âge tertiaire. »

Tu portes au-dedans de toi, dit Epictète, le sanglier d'Erymanthe, l'ours des cavernes et le lion de Némée. Dompte-les.

Beaucoup de nous ont, pourrait-on dire, plusieurs vies en une. Certaines périodes d'égarement ont été suivies de vies plus saines ; des pécheurs endurcis sont devenus des saints. Des années de dissipation, des oublis coupables, des écarts regrettables sous l'aiguillon de l'adversité ou les lanières de la douleur, ont pu souiller des moments difficiles. Une vie correcte de luttes courageuses dans le devoir et l'abnégation, peut-elle effacer des heures troubles ?

N'est-ce pas en tremblant que nous allons comparaître devant le juge suprême ?

Quelle va être notre réception ? Dieu ne va-t-il pas nous dire : « Mortel, qu'as-tu fait de cette terre féconde et généreuse que je t'ai donnée ? Tu l'as ensanglantée, tu l'as déshonorée par tes crimes et tes appétits charnels. Au lieu de mettre tes vertus à l'unisson de ses beautés, tu l'as asservie à des besoins factices et inavouables, tu l'as assouplie à tes écarts et avilie à tes vices».

« On t'a tracé la ligne droite à suivre et tu as pris d'autres voies qui t'ont égaré. On t'a dit : Donnez-vous tous la main pour vous aider mutuellement à franchir les obstacles. Chacun de vous, au lieu de cela, a suivi, sans en faire profiter les autres, les bons chemins qu'il a trouvés, laissant ses compagnons sans aide aux prises avec toutes les difficultés ! On t'a donné la terre avec ses merveilles, sa poésie et ses fleurs, et au lieu de t'en contenter, de t'en enivrer, tu as creusé dans son sein pour aller lui demander son or. »

Qu'allons-nous dire quand viendra le moment de rendre compte de notre mission ? Et combien, à chaque pas, nous nous éloignons de Dieu au lieu de nous en rapprocher.

Avant de nous envoler de notre chrysalide, ouvrons une parenthèse, entre les deux mondes, pour faire dans nos souvenirs un pieux pèlerinage d'amour auprès de nos morts. Tâchons de nous rappeler les moindres torts que nous pouvons avoir eus envers eux pour leur en demander pardon. Réconcilions-nous avec nos ennemis dans un généreux élan d'oubli et de fraternité. Puis, quand nous aurons rempli honnêtement cette sainte réparation, allons nous jeter aux pieds de Dieu, une main chargée de nos fautes et l'autre pleine de nos pardons, et disons-lui : Père Céleste, voilà mon actif et mon passif ; voyez si je ne me suis pas trompé dans mes comptes.

Dieu est bon, il nous ouvrira ses bras paternels.

La ligne frontière est franchie. Où sommes-nous, où allons-nous ?

L'Esprit Zabdiel, évoqué par le Révérend Vale Owen, l'explique comme suit :

« A l'arrivée dans l'autre monde, notre juge n'a pas besoin de feuilleter tout le livre de notre existence pour établir le bilan de nos fautes, il est tout entier imprimé dans notre périsprit. Comme on lit les lignes de la main, il garde les empreintes qui le maculent. » L'âme pure reflète la lumière divine et brille d'un radieux éclat, chaque faute est une tache qui s'y imprime, en atténuant peu à peu cet éclat qu'elle ternit et voile.

L'Esprit prend sa place dans l'autre monde parmi les régions en harmonie de lumière avec son propre état. Un Esprit brillant monte dans les zones, sphères ou plans, du même éclat que lui. L'Esprit terni reste dans la zone appropriée à son aspect. A mesure qu'il avance et efface des taches qui obstruaient sa clarté, il monte vers des sphères de plus en plus brillantes, mais toujours à l'unisson de la lumière.

Comme on le voit, c'est une photométrie des parités de lumière.

« Si un terrien, fortement contaminé par la couche sombre de toutes les erreurs humaines, se présente avec la ferme résolution d’éclaircir sa robe périspritale, il y arrive plus rapidement là-haut qu'il ne l'aurait fait sur la terre.

L'Esprit monte et grandit en beauté à mesure qu'il grandit en pureté. S'il en est qui se hasardent dans des régions qui ne concordent pas avec leur degré de luminosité, ils se trouvent à ce point aveuglés par la clarté qui y règne, qu'ils ne peuvent la supporter et s'en retournent précipitamment vers la zone de leur propre lumière. »

On le voit donc, l'accès des sphères, qui commencent au-dessus de l'erraticité, n'est pas accessible à toutes les âmes. Celles qui se présentent avec un lourd passif sont plongées dans le cauchemar des ténèbres. Celles, moins perverses, qui n'ont ni tué ni volé, se trouvent comme égarées dans un demi-jour gris, puis vient l'erraticité où des âmes voient, agissent en liberté et sillonnent en tout sens l'atmosphère de la terre à la recherche des leurs, qu'il leur est interdit de retrouver. D'autres sont des esprits du mal, des envieux, des rancuniers, des vicieux de toutes sortes, peste qui menace les vivants et cherche à s'emparer des âmes à leur délivrance de la terre. C'est parmi eux que l'on trouve les Esprits obsesseurs, comme le Horla et toute la gamme des Esprits malveillants et malfaisants.

Plus haut, arrivant aux sphères, les Esprits, pour y être admis, ont quelquefois un certain temps de stage à faire avant d'être éclaircis, dégagés, libres. Enfin, plus haut encore, dès qu'ils ont passé au tribunal de leur conscience, ils peuvent avoir à purger certaines peines qu'elle leur a infligées et qui constituent une période de trouble.

En dehors de ces divers états, l'Esprit peut, dans son intérêt et pour son avancement, subir parfois une évolution vers le progrès. Que peut-elle être ? Les Esprits interrogés sont restés muets à ce sujet.

C'est seulement au-dessus de ces stratifications spirituelles que l'on trouve les Esprits heureux, qui prennent alors la direction des autres et à qui les Esprits supérieurs confient les diverses besognes de l'Au-delà.

Nous ne sommes pas là à bail. Chaque demeure a ses obligations. Les âmes frissonnent ou rayonnent, mais toutes ont à payer leurs dettes. Nos fautes passagères, nous les payons sur la terre. Nos fautes constitutionnelles font l'objet, là-haut, d'un traitement, d'une évolution suivie, à plus ou moins de distance, d'une réincarnation d'essai pour constater les progrès acquis. Nos fautes envers le prochain, nous viendrons les réparer ici-bas. Quant aux écarts criminels et les méfaits de toutes sortes, ils trouveront leur punition dans l'astral et leur expiation dans une autre vie.

C'est là que l'on peut voir souvent le souverain le plus puissant envier le sort du plus humble de ses sujets. Leur dépouille dort le sommeil de la terre, tandis que leur âme grince dans un cauchemar ténébreux.

L'égalité dans la mort opère le nivellement des hauts et des bas sociaux. La vanité humaine de vouloir paraître plus qu'on est, est une monnaie qui n'a pas cours là-haut.

Tout être sur la terre a deux faces, comme Janus. L'une est ce qu'il pense, l'autre est ce qu'il dit. Dans le ciel, cette supercherie n'est pas possible.

Mais à mesure que nos fautes sont effacées, elles sont oubliées ; s'il en était autrement, que deviendrait la loi de progrès et d'amour ? Non, la dette payée, ils sont réhabilités.

La loi d'amour a une signification immense que nous ne soupçonnons pas. Elle est le lien invisible d'être à être et d'être à Dieu, la loi d'évolution ascendante, la force et perfection morale.

Mais elle nous cache son secret, qui est le secret de l'idéal dans la Création.

Dieu a fait deux choses qui resteront un perpétuel mystère, l'attraction universelle entre les choses, l'amour entre les êtres. C'est l'attraction universelle physique et morale.

Le Révérend Vale Owen, ministre à Olford, a fait à Londres, dans le journal le Weekly Despatch, d'étonnantes révélations au sujet de l'autre monde, dans une série d'articles rassemblés en un volume.

Il explique la gradation entre la matérialité de la terre et la spiritualité du ciel, gradation sans heurt, comme l'évolution. Les premières zones de l'Au-delà semblent être une continuation de la terre, avec ses mêmes paysages, le tout, bien entendu, spiritualisé. On y voit des oiseaux, des chevaux, plus que jamais l'ami de l'homme, et dans les fourrés, de petits animaux au pelage soyeux. Les arbres et les fleurs y grandissent encore, mais peu à peu ces aspects s'effacent, la vie terrestre s'évanouit et se transforme par degré pour faire place à une vie plus glorieuse.

A mesure que l'on monte vers les sphères supérieures, le décor change et finit par perdre toute réminiscence de la terre, pour s'idéaliser de plus en plus suivant l'ascension. Mais là, les descriptions cessent. Il n'y a rien, disent-ils, qui puisse donner la moindre idée de la merveilleuse beauté de ces transformations.

Supposez un enfant né et élevé au fond d'une mine, comme le sont les poneys pour le service de la traction. Cet enfant n'est jamais monté à la surface et n'a jamais vu d'autre lumière que celle des lampes de mine. Comment lui expliqueriez-vous le soleil, la nature, la mer et les montagnes ?

C'est la réponse des Invisibles quand nous les questionnons sur les sphères supérieures, qu'aucun langage humain ne peut tenter de décrire, même de loin. La clef de ces merveilles est en nous, ils ne peuvent nous la donner, c'est à nous de la conquérir. Attendons que nous y soyons pour les comprendre et efforçons-nous d'en gagner l'entrée en vivant saintement.

Un grand mystère plane par-dessus tout : Où tout cela est-il ? Partout et nulle part, nous dit-on. Ce ne sont pas des lieux mais des manifestations spirituelles, en dehors du temps et de l'espace, comme des états d'âme. Allez vous y retrouver et comprenez si vous pouvez.

Déjà l'on nous a dit : Le temps non plus n'existe pas, alors qu'ici il nous glisse entre les mains avec une rapidité surprenante. Nous le voyons voler ; hier nous semble déjà si loin ! Une nuit a suffi pour creuser un abîme entre la chose du moment et le souvenir qu'elle a laissé, bulle d'air qui s'est brisée contre l'intérêt des choses d'aujourd'hui.

Les Esprits ne peuvent nous révéler le mystère de l'Au-delà, parce que, bien que semblable à notre monde dans ses premières assises, un simple point divergent lui imprime peu à peu une direction inconnue qu'ils ne peuvent pas plus expliquer que si nous voulions expliquer les sons à un sourd.

L'Esprit admis dans ces régions s'en rend compte dès qu'il les voit, et il reste frappé d'une muette admiration, sans qu'aucun langage humain puisse lui permettre de nous en donner la plus lointaine conception.

Notre âme s'épanouit de vie en vie. Ce qui est sublime pour nous dans notre monde n'est que de l'enfantillage auprès de toutes les merveilles des mondes plus avancés, où existent des arts qui nous sont inconnus, les nôtres propres ne paraissant plus alors à nos yeux que comme un travail d'écolier.

Humains humanisant, voilà vos lumineux horizons ; tâchez de vous dégager de toutes les petitesses de la terre pour vous envoler vers ces mystérieuses apothéoses.

Je ne veux pas finir sans soulever un coin du voile sur ce que peut être l'amour qui nous attend là-haut.


L'amour dans l'Au-delà

(Voir aussi dans Notre Exil sur la Terre l'amour terrestre et l'amour céleste.)

— Nos vues sur la terre en ce qui constitue l'amour dans l'Au-delà sont complètement fausses, parce que nous l'assimilons à ce qu'il est ici-bas, avec nos restrictions humaines. Notre égoïsme le réduit à une propriété individuelle exclusive de l'objet aimé, et nous astreignons le cœur de ce dernier à ce même égoïsme en ce qui nous concerne, avec défense de donner aucune extension à son amour en dehors de nous, d'en distraire la plus petite parcelle en faveur de qui que ce soit. C'est de l'amour cellulaire.

Il n'y a pas d'être qui nous appartienne ; aussi, de là à l'amour du ciel, non pour une personne mais pour toutes les âmes, il y a un pas de géant que notre nature terrestre, personnelle et jalouse, ne nous permet pas de franchir. Sur terre, l'amour est un ; dans le ciel, il est infini.

On voit donc combien, là comme en toute chose, nous avons à apprendre, à élargir nos vues, et avec quelle parcimonie d'effusions nous nous présentons devant toutes ces âmes aimantes.

Que dirait-on, si, lorsque nous admirons un artiste, nous ne voulions pas que d'autres en fassent autant. Aimer ne nous donne pas le droit d'emprisonner un cœur dans le nôtre. Nos compagnes semblent être notre propriété pour l'éternité ; aussi, quand nous en réclamons de Dieu la restitution dans l'astral, c'est avec l'idée de ne plus la quitter.

L'épouse, la mère, les parents à l'égard des enfants, tous considèrent l'être aimé comme à eux. C'est une mobilisation de sentiments dans un intérêt personnel qui en fait une immobilisation à leur profit.

Supposez un mari inconsolable à la mort de sa femme. Quelques années passent. La blessure se ferme. Il a le cœur tendre. Une autre fée le fascine, il l'épouse. Il la perd aussi un jour ; ce sont des larmes sans fin. Mais l'heure vient d'aller les retrouver là-haut. Il est alors en présence de deux amours égales — quelquefois même davantage — qui ont partagé sa vie.

J'ai connu un homme au cœur inflammable qui, ayant emporté du ciel, dans son karma, un copieux bagage d'amour, était toujours sous cette influence et se maria quatre fois avec des femmes qu'il perdit successivement et dont, chaque fois, la séparation lui déchirait l'âme. Il allait d'une tombe à l'autre, douloureux pèlerinage qui le conduisit à la sienne propre.

On se retrouve dans le ciel. Comment le cœur solutionne-t-il le problème de la rencontre et de la suite des rapports ?

A côté de cela, quelle pouvait être la réception, par ses six femmes, de ce Barbe-bleue qu'on nomme Henri VIII ?

Mais notre compagne sur la terre peut, dans d'autres existences, avoir revêtu des sexes différents et avoir contracté des affections profondes, soit comme mari, soit comme femme, soit même en dehors des liens du mariage.

Il en est de même de notre côté. Alors, nous nous présentons l'un à l'autre avec un cortège d'amours passées.

L'idée peut nous choquer, parce que nous voyons toujours l'être à travers l'union des sexes, c'est-à-dire avec des yeux de chair, sans nous rendre compte que les sexes sont une nécessité passagère terrestre que nous revêtons au même titre que l'âme revêt un corps comme uniforme, pour se présenter dans l'humanité ; le sexe, comme le corps, est un habit qu'on prend et qu'on laisse. Il n'y a plus de sexe dans l'autre monde, et l'amour, qui est la loi, s'exerce d'âme à âme.

Que devient, à notre point de vue humain, cet amour que nous avons prodigué ?

Je ne parle pas des parents, ni des amis, qui peuvent être légion, et entre lesquels il est facile de partager son cœur, comme on découpe un gâteau en morceaux.

Il faut cependant que nos amours terrestres trouvent une solution, un autre statut lors de la réunion finale définitive. Nous voyons avec nos restrictions de la chair qui faussent toutes nos conceptions. Au lieu de notre exclusivisme dans l'amour, Dieu semble nous avoir dit au contraire : Le mot d'ordre est d'aimer ; rapporte de chaque existence au moins une affection. Quand tu en auras accompli le cycle, tu auras ainsi formé une colonie d'êtres s'aimant entre eux, qui seront l'harmonie et la béatitude dans l'amour. Ainsi se forment les familles spirituelles.

Pourquoi n'accumulerions-nous pas, dans nos existences, ces matériaux de l'union des âmes ? Pourquoi ne récolterions-nous pas des affections qui, accumulées du lointain passé, formeraient dans le ciel une phalange d'âmes ne connaissant pas la jalousie et se prodiguant, heureuses de leurs mutuelles effusions, entre tous ces joyaux qui forment la riche moisson des voyages planétaires ? Ce serait là un collier d'or qui s'égrènerait en délicieux souvenirs, pour voiler les amertumes du pèlerinage des existences ?

De même avons-nous une multitude d'amis sur la terre. Nous les aimons tous, avec des nuances de sentiments divers à leur égard, mais jamais l'affection pour l'un ne fait de tort à l'affection pour l'autre.

L'amour, qui traite ses affections en prisonnières, doit se dépouiller des multiples influences de l'argile humaine pour devenir spirituel.

Homme ou femme, qu'importe là-haut où il n'y a plus que des Esprits, des âmes qui doivent s'aimer entre elles d'un amour auprès duquel nos plus ardentes passions terrestres pâliraient.

La terre a le privilège d'aveugler les hommes en les passionnant pour des hochets et des apparences. C'est comme un être s'attachant à un uniforme qui semble indispensable à son bonheur et dont il est le premier à sourire quand il en est dépouillé. Les faiblesses, enracinées dans nos grandes attaches éphémères de la terre, sont des bulles d'air qui crèvent sous le premier rayon de la lumière spirituelle de l'astral.

Quelque pur que soit notre amour ici-bas, il ne peut se dégager de la part qui revient à la matière et qui, dans les premiers degrés de l'animalité humaine, suffit à remplir la vie. Par la suite, l'animal continue à y jouer un rôle considérable, réduisant à la portion congrue celui de l'Esprit. Ce vêtement terrestre absorbe et motive une grande partie de notre amour. Les exigences des sens réduisent à un minimum le rôle que l'esprit y joue. C'est pourquoi, lorsque nous perdons des êtres chers, l'attache matérielle mourant avec lui, l'amour spirituel seul reste, s'il s'est greffé sur l'amour matériel. Dans le cas contraire, c'est une maladie physiologique passagère qui ne laisse pas de trace et dont l'esprit n'emporte avec lui aucune influence dans l'autre monde.

L'amour spirituel est aussi grand dans son essence que l'amour matériel est petit et fragile. Quand c'est le premier qui est frappé, nos regrets prennent alors les proportions de ces douleurs inconsolables qui nous révèlent des profondeurs d'affections ignorées. Aussi longtemps que celle-ci était contaminée et aveuglée par le despotisme des influences matérielles, nous ne pouvions mesurer la place qu'elle avait prise dans notre vie.

Lorsque nous laissons à la terre tout ce que nous lui avions emprunté d'humain, nous ne voyons plus de même, nous ne pensons plus de même, nous n'aimons plus de même. Tout en nous s'épure et s'élève, et cet amour qui a déjà tant grandi sur la terre à la perte de l'être cher, grandit encore en changeant de forme, de l'humain au divin. Allégé alors de toutes les restrictions qu'il laisse à la terre comme des gangues, il devient une essence céleste, dépouillée des tyrannies de son intolérant égoïsme. L'être matériel est inconstant, mais jamais une âme qui a aimé n'est infidèle à ses amours. L'inconstance est une faiblesse humaine qui prouve combien étaient fragiles ces attachements d'une heure. La fascination d'un être séduisant est un hypnotisme qui peut provoquer de ces caprices ; mais ils ne font qu'égratigner la surface, créant une fantaisie passagère et n'allant jamais jusqu'à l'âme. L'inconstance est une herbe de l'amour animal, la constance est une fleur de l'amour spirituel.

Le cœur est un coffre-fort qui garde précieusement tous les joyaux de ses vies pour accumuler les vraies richesses célestes. Chaque affection est une perle fine ; c'est la molécule d'un grand Tout d'amour qui nous environne d'une affection rayonnante comme un bain perpétuel d'enthousiaste félicité.

Tout ce que nous avons éprouvé de bons sentiments sur la Terre fait cortège là-haut aux envolées de notre âme, vers les sphères où ne règnent que les suprêmes et intarissables félicités.

Aimez, amis, aimez beaucoup, souvent, toujours. Aimer c'est être bon, c'est être juste.

Laissez les haines, les jalousies aux âmes que guettent les Esprits du mal. Les grincements d'horreur, les hantises de l'impuissance et du remords les attendent dans les ténèbres.

Aimez avec votre cœur en attendant que là-haut vous aimiez avec toute votre âme. N'y mêlez jamais les boues terrestres de la convoitise, de l'ingratitude, de la cupidité. Aimer c'est vous déifier. Vous pourrez dire alors comme Mme Ackermann :

Gardez votre infini, cieux lointains, vastes mondes,

J'ai le mien dans mon cœur.

Que jamais vos affections ne se terminent en brouille ; quand la maladie d'amour guérit, signe qu'elle était entièrement humaine, respectez ce que vous avez jugé digne d'être aimé, conservez-lui un affectueux souvenir ; restez amis.

Donnez-leur rendez-vous là-haut, comme les Esprits se donnent rendez-vous dans leur prochaine vie de la terre, mais vous êtes plus sûrs de les retrouver là-haut que ceux qui se donnent rendez-vous ici-bas.

Le cœur sec qui ne ramasse pas d'affections dans sa vie se prépare l'isolement dans l'astral. Tous le fuiront, comme il a méconnu dans sa vie les épanchements d'un cœur rempli de trésors à dépenser. Cette parcimonie de l'affection crée le vide et la répulsion dans cette vie comme dans l'autre.

Le cœur qui s'enrichit d'amour prépare cette ; fortune spirituelle, opulence céleste qui est l'apothéose de la chaîne des destinées.

Et toi, tendre Graziella, morte d'amour à 17 ans, le cœur noyé dans sa première larme, et toutes les Graziellas de la terre, n'êtes-vous pas, anges missionnaires, venues parmi nous, pour nous apprendre à aimer, car, comme dit Lamennais, plus l'amour s'épanche, plus il surabonde.

Mais non ! Dieu qu'on dit bon, tu permets qu'on espère,

Unir pour séparer, ce n'est point ton dessein,

Tout ce qui s'est aimé, fût-ce un jour sur la terre,

Va s'aimer dans ton sein (Mme L. Ackermann.)

La fin de l'être terrestre

— Le moi physique n'existe que par la faculté supérieure que nous avons d'en constater l'existence. Il ne se voit pas, nous le voyons, abandonné à lui-même ; le corps physique n'a aucune conscience de son existence. Il vit d'un emprunt qu'il a fait à la terre et qu'il lui restitue.

C'est un peu de fumier qui sert à la germination des fleurs dont notre être moral lui a apporté la semence et dont il récolte l'épanouissement. Il n'a aucune existence bien à lui, aucune existence réelle.

Il est comme une armée composée d'une quantité innombrable d'individus et dont on ne connaît que le général. Notre corps, en somme, n'est que l'agglomération de millions de cellules dont chacune constitue une colonie avec sa vie propre et son obéissance machinale aux obligations et aux raisons de son existence, espèce d'instinct ordonnateur qu'elles suivent sans s'en rendre compte. Chaque cellule a, de ce fait, une vie qui accomplit un travail déterminé, en obéissant à une fonction.

Toutes ces colonies constituent des agglomérations ; il en est qui forment des associations dans le but d'un travail plus important, au service de la mission physiologique de l'être. L'édification du corps est donc le résultat des peuplades de colonies laborieuses, toujours en travail pour son développement, travail aveugle conduit par une activité intelligente supérieure. Chacune est une population qui vit pour son propre compte, et l'ensemble du travail de ces colonies, de même que toutes les communes d'un pays constituent ce pays, forme un être complet. Celui-ci est soumis à des lois physiologiques, conduites par un dynamisme supérieur, et nous donne l'illusion du moi physique ; illusion, ai-je dit, car la matière n'a pas de moi. C'est notre moi supérieur qui la fait agir, qui peut et qui a conscience des impressions matérielles reçues par le corps outil.

A la mort, le dynamisme supérieur se retire, emportant toute l'organisation vitale psychologique qu'il avait apportée dans l'être et abandonne celui-ci à lui-même, à l'anarchie de ses cellules qui n'ont plus de motion directrice. Elles deviennent la proie de la vie bestiale et sont dévorées par leurs habitants, ainsi que tout l'être de chair qu'elles avaient bâti.

Alors surgit le ver rongeur ; y est-il sollicité par l'appât du festin ou est-il une éclosion des organismes en ébullition dans le cadavre abandonné ? Leur tâche est de terminer l'œuvre de la vie par l'anéantissement de ce qui fut son véhicule terrestre, afin de ne pas encombrer la terre d'épaves et de faire place à d'autres.


 

Initiation spirite à l'usage de l'enfance

La naissance et la mort, ces deux mystères divins, les seuls points échappant à notre libre arbitre, emprisonnent l'existence entre l'exil sur la terre et la délivrance, qui sont les deux pôles de la vie. Tous deux sont ensevelis dans un mystère divin que nous interprétons à rebours, en considérant la naissance comme une éclosion aux joies de l'existence, et la mort comme un effondrement, la naissance comme un commencement et la mort comme une fin ; nous devrions, au contraire, conserver nos larmes pour le berceau et nos allégresses pour la tombe.

La naissance est la porte de la prison qui se referme sur un condamné à vivre la vie de la terre. La mère est le geôlier qui a mission d'exécuter à son insu les décrets de l'Invisible.

Réfléchit-elle jamais qu'une âme l'a choisie entre toutes pour venir là s'incarner avec une mission qui est sa destinée ; que cette âme peut être un Esprit de progrès ou une pauvre épave de quelque déchéance sociale attendant de cette mère qu'elle la redresse ou la guide ? Celle-ci sait-elle qu'elle a une sublime tâche à accomplir et une grande responsabilité morale, qui, pour elle, est également une mission ou une épreuve ?

Cette âme qui l'a choisie pour son incarnation lui a confié ses destinées. Il faut que la mère se pénètre de toute l'étendue du devoir que lui impose cette confiance et facilite l'accomplissement de la mission pour laquelle il l'a choisie comme mère.

A partir du moment où la femme a conscience d'une maternité prochaine, elle ne s'appartient plus, elle appartient au bébé. Il est fait de la répercussion de toutes ses impressions. Elle est responsable envers lui de toute sa vie physique et morale. C'est pour lui que toute sa nature travaille, et plus elle saura conserver un esprit pur pendant ces quelques mois d'attente, une âme aimante, un niveau moral élevé, mieux l'enfant qui va venir sera armé pour préparer son ciel sur la terre.

Puissent les pages suivantes la guider dans sa tâche, qui est plus haute que toutes les autres questions humaines.


 

Nos bébés

La doctrine spirite ne peut pas être enseignée à l'enfant avant qu'il n'ait atteint une dizaine d'années, il ne comprendrait pas ; mais, il faut l'y préparer. Il faut, quand il est tout petit, lui répéter chaque jour « qu'il y a là-haut notre père à tous qui est Dieu, qui nous a créés en nous donnant un corps dans lequel il a mis la vie et que cela s'appelle une âme. »

Faisons-nous aussi petit que lui en lui parlant le langage qu'il peut comprendre.

Il faut lui dire : « Tu remues tes bras et tes jambes, tu manges et tu dors ; tout cela, c'est ton corps. Tu penses, tu réfléchis, tu apprends, tu aimes ; tout cela c'est ton âme. Si tu ne te conduis pas bien, Dieu qui te les a donnés viendra les reprendre.

« Tous ceux qui sont partis de ce monde n'ont emporté que leur âme, puisque le corps est resté ici et mis en terre. Ces âmes sont là autour de nous, mais comme elles n'ont plus leur corps, nous ne pouvons les apercevoir. Elles, au contraire, voient tout ce que nous faisons et tout ce que nous pensons. »

Ce langage enfantin sera au niveau de leur intelligence naissante. Il faut faire bien entrer ces principes dans leur petite tête, et aussi simplement que possible, en les leur rappelant de toutes manières, puis, peu à peu, on pourra, mais très simplement, leur parler des autres préceptes.

Ils seront ainsi préparés, et quand les parents jugeront qu'ils le sont suffisamment, ils pourront leur enseigner l'ensemble de la doctrine.


 

Aux Mères

Cet opuscule est destiné aux sublimes éducatrices de l'enfance, rôle le plus beau après celui de mère, qui est un sacerdoce divin.

Sachez être psychologues, c'est-à-dire pénétrer dans la mentalité naissante des petits êtres que vous avez appelés ; préparez-les aux luttes de la vie.

Souvenez-vous qu'il ne faut rien inculquer par contrainte, mais par contagion d'exemple ou par persuasion. Il faut avant tout respecter la nature de l'enfant.

Il convient de ne pas froisser cette chose, jolie ou non, mais tendre toujours et si fragile qu'est un enfant. Il importe de ne pas imposer ses idées à soi, de ne pas mêler à cette jeune sensibilité qui s'éveille notre propre personnalité, faite de longues années de tracas et de contingences journalières.

L'amertume de nos luttes troublerait sa jeune âme, aurore naissante d'une vie qu'il faut conduire vers la lumière. On doit se borner à éveiller l'attention de l'enfant, centrer son intelligence, faire naître l'idée, c'est tout.

Il ne doit pas subir l'éducation. L'enfant précoce ira de lui-même au-devant et pourra recevoir un enseignement plus avancé. Il faudra, chez tel autre, attendre les appels, l'éveil de la curiosité, mais se garder de les devancer. S'il ne répond pas à une excitation, ne pas insister et se réserver d'y revenir plus tard. Donnons-lui donc notre aide sans chercher à lui imposer notre point de vue. Respectons-le et attachons-nous à lui faciliter le plein épanouissement auquel a droit toute liberté qui cherche à se manifester.

Enfin, n'oublions pas que nous ignorons quelle âme est venue s'incarner là. L'enfant, de ce fait, peut-être parfois notre aîné et plus évolué que nous. Parfois c'est lui qui est venu sur terre pour nous redresser.

Mères, assurez à vos enfants une vie digne et honorable sur la terre et ouvrez-leur le ciel en les instruisant dans la foi, en leur montrant la lumière qui les conduira dans le droit chemin et les empêchera de succomber aux embûches de la vie.

Inculquez-leur de bonne heure le respect et l'admiration de toutes les belles choses de la nature. Faites entrevoir Dieu à leur petite âme. Qu'ils sachent bien qu'ils lui doivent tout et qu'il doit toujours être présent dans tous les actes de leur vie.

Joignez leurs petites mains, matin et soir et faites-leur répéter après vous quelques phrases bien simples, comme les suivantes : « Dieu qui êtes notre père bien-aimé et qui nous avez donné la vie, je vous remercie de vos bontés pour moi. Pardonnez-moi si je vous ai offensé et guidez-moi pour que je ne le fasse plus. »

Chaque fois qu'ils commettent une faute, habituez-les à demander pardon à leur Père Céleste avant de vous demander pardon à vous-même. Dites-leur : « Tu dois demander pardon à Dieu d'abord. Je ne te pardonnerai que s'il le permet. »

N'oublions pas que nous avons à faire comprendre à de jeunes intelligences des choses élevées, abstraites pour elles, et descendons à leur niveau. Parlons-leur la langue qu'ils peuvent comprendre et si, dans ces pages, il se trouve, malgré le soin que nous avons pris d'être simple, des choses qui pourraient paraître au-dessus de la portée de leur intelligence, simplifiez encore. Pas de mots qu'ils ne connaissent pas, pas de longues phrases ou de longues explications, rien que des faits rendus aussi palpables, aussi saisissants que possible et ramenés à leur plus simple exposé. Il faut que l'enfant saisisse bien, et pour vous assurer qu'il a compris, répétez-lui sans cesse les mêmes enseignements.

S'il doit être réprimandé, faites-le doucement, sans cris ni menaces, ne grondez pas, faites sentir affectueusement le côté moral dû reproche qu'il mérite. Gardez-vous de vouloir lui imposer votre volonté contre sa raison. Faites-lui comprendre, lorsqu'une chose lui est défendue, que c'est uniquement parce qu'il est mal, de la faire et qu'il doit éviter tout ce qui est mal « parce que c'est une offense à Dieu et que toute offense à Dieu lui réserve une punition».

Dites-lui alors, lorsqu'il lui arrive quelque petit malheur : « Tu vois, c'est Dieu qui t'envoie cela, parce que tu l'as offensé. C'est pour te punir, mais ce n'est qu'un avertissement, il sera bien plus sévère une autre fois si tu ne cherches pas à te corriger, à être sage et te bien conduire. »

Lorsque, au contraire, il éprouvera quelque bonheur enfantin ou une grande joie, ne manquez jamais de les lui faire considérer comme une récompense de Dieu, et ajoutez : « Remercie-le d'abord. Que ce soit toujours ta première pensée et ton premier mouvement quand il t'envoie une faveur ! »

Ce sera là un stimulant. Profitez également des gros chagrins qui frappent ses petits amis pour lui en mettre l'exemple sous les yeux : « Tu vois cet enfant, il lui est arrivé ceci ou cela. C'est une punition de Dieu. »

Tout cela germera dans sa petite tête. Comme moyen, il faut qu'il sache bien qu'une mauvaise action ne peut être cachée et lui répéter sans cesse qu'il n'est jamais seul, que des témoins invisibles l'entourent, que grande maman Amélie ou tante Jeanne, l'oncle Emile ou le petit André voient tout ce qu'il fait et tout ce qu'il pense. Et, à ce sujet, faites-lui de temps en temps répéter cette petite prière : « Chers bons Esprits qui m'entourez et veillez sur moi, merci de tout mon cœur. Je veux m'efforcer de me rendre digne de vos bontés pour moi. »

Enseignez-lui aussi la charité en lui faisant comprendre, s'il a des friandises et qu'il voie des enfants malheureux, qu'il doit partager avec eux et leur donner les jouets dont il ne se sert plus.

Notez ses défauts à mesure qu'ils se manifestent afin de les combattre doucement, dès le début, par la persuasion, en lui en faisant remarquer le danger, en lui expliquant toujours ce qui est mal et pourquoi c'est mal.

Ne lui laissez jamais dire de gros mots ou de vilaines choses et gardez qu'on en dise devant lui. Dites-lui que cela salit la langue et dégrade, que c'est une souillure dans la bouche de ceux qui les profèrent, comme la boue du ruisseau ou les ordures de l’égout. Combattez surtout le mensonge comme le poison de la langue et de l'âme. Ajoutez que les amis invisibles qui l'entourent savent quand il ne dit pas la vérité et le lui feront payer. Recommandez-lui d'être indulgent pour les fautes des autres, en lui rappelant qu'il en commet également ; que personne n'est parfait, que l'on doit se les pardonner mutuellement; enfin, qu'il faut aimer tout le monde si l'on veut qu'on vous aime. S'il rend service à d'autres et qu'ils ne lui en soient pas reconnaissants, qu'il sache bien que Dieu le lui rendra au centuple.

N'oubliez pas que le bien comme le mal est contagieux par l'exemple. Respectez-vous devant lui, évitez les expressions malsonnantes, les plaisanteries déplacées, les vulgarités, les querelles. Respectez-vous si vous voulez qu'ils vous respectent. Le jour où, par votre faute, ils ne vous respecteront plus, tout l'échafaudage de vos enseignements tombera et il deviendra pour vous un juge. Il faut qu'il vous vénère comme un saint, et il n'y a d'amour que là où il y a du respect.

Combattez dès la première heure les dispositions au matérialisme en ayant soin de toujours rapporter tout à Dieu et expliquant à l'enfant que toutes les fautes de son corps, qui est son être matériel inférieur, sont des offenses à son être supérieur, qui est son âme. Il faut qu'il apprenne à la respecter comme venant de Dieu et à craindre d'offenser Dieu. Il faut lui dire que ce qu'il fait de bien émane d'elle et le lui répéter à chaque bon sentiment qu'il manifeste en lui disant : « Vois-tu, c'est ton âme qui a fait cela ».

Il faut lui expliquer que les mauvaises actions qui viennent de son corps, comme si c'était un animal, font de la peine et du mal à son âme. Il est nécessaire de frapper son imagination et sa raison et de lui inculquer profondément le sentiment de la justice et du devoir. Il faut qu'il comprenne que ce dernier doit passer avant tout. Il ne faut cesser de lui répéter que si Dieu lui a donné la vie, c'est à la condition qu'il fera son devoir et lui dire qu'il la lui reprendra s'il ne le fait pas. Une dernière recommandation : n'effrayez jamais vos enfants par des monstres imaginaires, comme le croquemitaine et autres ; il ne doit pas craindre, il doit aimer.

A mesure qu'il grandit, cherchez à éveiller en lui le sentiment de la responsabilité personnelle, que vos enseignements aboutissent toujours, comme conclusion, aux responsabilités de la conscience. Jointe à la confiance en Dieu et à la foi, elle sera son meilleur guide dans la vie.

Nous avons écrit ces quelques leçons dans un style simple et familier pour nous efforcer d'être compris. Ceux qui les enseigneront feront bien de les rendre plus simples encore. Faites-vous surtout anecdotiques, montrez par le plus grand nombre de cas que vous pourrez recueillir les exemples des héros du bien, les élans généreux, les grands sacrifices, les actes de charité et de dévouement.


 

Première notion

La première notion à leur inculquer est celle de l'existence de Dieu. Il faut leur montrer les beautés de la Création pour leur faire comprendre le Créateur.

La Bible et les catéchismes commencent par une genèse aussi enfantine que ridicule, qui ne fait que fausser l'esprit de l'enfant. Il faut qu'il ait sur le monde qu'il habite des notions limitées, mais justes. On peut simplifier la vérité, mais on ne doit jamais la déguiser.

Le Périsprit.

— Comme nous l'avons dit précédemment, mes enfants, vous êtes composés d'un corps dans lequel Dieu a mis une âme, comme on met un ressort dans une montre pour qu'elle marche. Cette âme, c'est votre vie, votre pensée, votre sentiment d'être. Toutes les âmes sont filles de Dieu et chaque fois que naît un petit corps, une âme descend du ciel, qui est leur séjour, et vient l'habiter.

Dieu n'a pas voulu que nous puissions voir le ciel qui est pour vous le Monde Invisible, parce que cela vous ferait trop regretter de l'avoir quitté et d'être venus sur la terre.

Vous voyez votre corps, vous ne pouvez pas voir votre âme. Elle est, comme la pensée, une chose insaisissable. Il ne peut y avoir de liaison, entre une chose de cette nature et notre corps, de même que vous voyez un corps solide et un gaz rester étrangers l'un à l'autre. Entre l'âme insaisissable et le corps matériel, il faut un intermédiaire qui les relie et les unisse.

De même, ces âmes invisibles, insaisissables comme la pensée, comment feraient-elles là-haut pour se reconnaître entre elles ? Comment ferions-nous pour retrouver nos parents et nos amis dans l'autre monde ? Alors, Dieu, en créant l'âme, lui a donné une enveloppe légère, fluidique, subtile, n'ayant rien de matériel et cependant visible. Elle est comme un vêtement gazeux dont elle ne se sépare jamais-On appelle cette enveloppe Périsprit ou corps astral, ou corps fluidique, parce qu'elle est comme un fluide. Le mot astral sert à désigner, en général, la région où se trouve le monde invisible.

C'est ce périsprit qui, dès le premier germe qui doit donner un corps, en prend possession, le forme, le construit, le développe. Lorsque vous regardez un bébé nouveau-né, cette petite créature merveilleuse qui représente une machine parfaite dont tous les organes ont les proportions voulues et se développent tous en même temps, personne ne peut s'imaginer qu'il se soit fait tout seul, et que sa croissance, qui observe un développement parfait et proportionnel dans toutes ses parties, se fasse également toute seule. C'est le périsprit qui coordonne les matériaux à sa disposition pour le former, le construit, y introduit le fluide de vie, développe tout son petit corps physique et crée son petit être moral en lui donnant l'intelligence, la pensée, la mémoire, le jugement et tous les sentiments venant de l'âme. Tout cela est réparti dans le corps par le travail du périsprit.

Voici la description qu'en donne le Dr Encausse.

L'homme est comparé à un équipage dont la voiture représente le corps physique, le cheval le corps astral et le cocher l'âme.

La voiture est inerte par elle-même et répond bien au corps physique.

Le cocher commande à la direction par les rênes, sans participer à la traction directe ; c'est le rôle de l'âme, qui conduit la voiture.

Enfin le cheval, qui représente bien le périsprit, est relié à la voiture par les brancards (comme le périsprit au corps) et par les rênes au cocher (comme le périsprit à l'âme), mouvant tout le système sans s'occuper de la direction (qui est le rôle de l'âme).

Le périsprit est bien, en effet, le véritable cheval de l'organisme, qui meut et ne dirige pas.

Le périsprit fait le corps d'après sa propre image. Le corps n'est donc que la représentation, en moins beau, en moins parfait, de la parure de l'âme. On appelle Esprit cette union de l'âme avec son corps fluidique.

Alors lorsque, à la mort, l'Esprit quitte le corps, il s'envole dans l'autre monde, dans le monde des âmes. Nous y retrouvons et nous reconnaissons ceux que nous avons connus, comme ils étaient, mais sous une forme plus belle que sur la terre.

Le périsprit, quand il est dans le corps, n'est pas visible ; mais lorsqu'il est débarrassé du corps, il se montre tel qu'il est. Il se présente comme une forme légère, lumineuse, où tous les défauts de l'être terrestre, ses vices, ses fautes, tout ce qu'il a fait de mal dans sa vie, forme, sur son enveloppe lumineuse, autant de taches qui la salissent, la ternissent, l'assombrissent.

C'est comme une robe blanche couverte d'éclaboussures de toutes sortes. Dans l'autre monde, nous n'avons plus notre corps pour les cacher, et notre périsprit étant à nu, nous sommes forcés de nous montrer tels que nous sommes, avec tous nos défauts, et tout le monde peut voir notre degré d'impureté.

Ainsi, mes enfants, chaque fois que vous dites un mensonge ou que vous commettez une action répréhensible, c'est une tache que vous faites sur votre périsprit.

Nous sommes donc formés de trois principes :

1° Le corps matériel, simple machine, outil ou instrument, que l'âme anime et met en mouvement par le périsprit pour les besoins terrestres et qui n'est pour l'âme qu'un simple uniforme pris à la naissance et rejeté à la mort ;

2° L'âme qui est tout, qui conduit tout, sans que nous en ayons conscience ;

3° Le périsprit qui relie l'un à l'autre, qui fait toute la besogne entre le corps matériel et l'âme immatérielle.

Le corps, en mourant, n'est plus rien et se décompose, mais le sentiment de la personnalité, la conscience de se sentir vivre, d'être soi-même, reste en entier dans le périsprit qui l'emporte, avec la mémoire, dans l'autre monde, où l'attendent les parents et les amis qui viennent le chercher au sortir de la vie.


 

Deuxième notion

Le but de la vie sur la terre et dans l'autre monde

— Qu'arrive-t-il alors ? L'Esprit en arrivant là-haut doit rendre compte de sa mission sur la terre. L'âme compte, parmi ses facultés, le sentiment de la justice, qui est sa conscience. Sa conscience est un tribunal qu'elle porte en elle. C'est un tribunal infaillible, qui sommeille pendant que nous sommes sur la terre afin de nous laisser toute la liberté de nos actions. C'est ce que l'on appelle le libre arbitre. Puis elle s'éveille dès que nous quittons le corps qui l'étouffait, qui l'empêchait de se manifester. Pendant la vie elle se contente de nous donner tout bas de salutaires conseils, mais dès que la mort la débarrasse des liens du corps, elle reprend alors son rôle et se fait accusatrice. Elle se dresse devant nos yeux comme un miroir où nous apercevons toute notre vie et toutes nos fautes.

Si nous en avions commis de graves, nous sommes immédiatement saisis par les reproches dévorants que nous nous faisons à nous-mêmes, et qu'on appelle le remords, image de nos torts qui ne nous laisse pas une minute de tranquillité. Les criminels sont précipités dans les ténèbres, où la seule chose qu'ils voient est la figure de leur victime, sans cesse grimaçante devant leurs yeux pour leur reprocher leur action.

Si nous avons vécu honnêtement, honorablement, le ciel nous ménage de merveilleuses compensations à nos souffrances.

Il y a des punitions diverses suivant les fautes commises, mais, en dehors de ces punitions, il reste trois choses que commande notre conscience :

— Réparer le mal que nous avons fait sur la terre ;

— Nous épurer, nous améliorer, progresser dans notre avancement moral ;

— Apprendre, nous instruire, nous élever.

Ainsi, chers petits amis, souvenez-vous que vous aurez à réparer tout le tort ou le mal que vous aurez fait à d'autres et que vous aurez pour cela, comme vous allez le voir, à revivre une autre vie d'expiation.

Quand vient l'heure de la mort, les Esprits supérieurs s'emparent affectueusement de l'Esprit qui arrive de notre monde, lui expliquent en quoi il a fait mal et ce qu'il aurait dû faire, lui font son éducation morale, lui font subir une espèce de stage, d'apprentissage, de travail préparatoire, et après un long repos dans l'autre monde, quand il est prêt, bien préparé et disposé à l'œuvre de réparation et de progrès qu'il doit accomplir, ils choisissent sur la terre le milieu et les conditions les mieux appropriés à l'épreuve à subir, et l'Esprit est de nouveau envoyé dans un corps humain pour parcourir une nouvelle existence, ce qu'on appelle une réincarnation.

Dans cette nouvelle vie, il est puni des fautes qu'il a commises dans les précédentes, il a emporté du ciel avec lui toutes les résolutions nécessaires pour s'amender, progresser, réparer. Ces résolutions sont cachées en lui, mais sa conscience l'aide et le surveille en lui disant tout le temps si ce qu'il fait est bien ou mal. Toutes les occasions lui sont données pour remplir le but de ce nouveau voyage sur la terre et son devoir est d'en profiter.

Dieu ne lui permet pas, afin de ne pas l'entraver dans sa liberté, de se souvenir de ses autres vies, ni de ce qu'il a appris précédemment. C'est un être nouveau qui a fait peau neuve et qui jouit de toute sa liberté. Le passé enfoui dans son périsprit est comme des archives qu'il retrouve à la mort, dans le ciel qui est pour lui la vraie vie. Il y jouit de toutes ses facultés, de tout ce qu'il a appris et d'une liberté infiniment plus grande que sur la terre, où elle est entravée et restreinte par le corps.

La vie sur la terre est donc une mission à remplir avec ses récompenses pour le bien et ses punitions pour le mal, ainsi que des épreuves dans le but de nous faire progresser. Les maux qui nous frappent sont une dette du passé que nous payons, et nous devons en remercier Dieu, parce qu'ils rendent la liberté à notre conscience et la déchargent d'un poids qui l'oppressait.

La vie est donc comme une prison où nous sommes livrés à un travail forcé et dont la mort vient nous délivrer. Il faut bénir la mort qui nous rend à la liberté et à la radieuse patrie des âmes, car là-haut tout est beau et infiniment meilleur qu'ici-bas. Le séjour également y est beaucoup plus long que sur la terre, où nous ne revenons que de loin en loin pour expier les erreurs du passé.

Nous avons ainsi une succession d'existences. Au début nous ne savons rien, nous sommes comme des animaux, et dans le fait nous venons des animaux, nous élevant de vie en vie par nos progrès moraux. Si vous voyez sur la terre des criminels, des malfaiteurs, des gens grossiers, des êtres inférieurs de toutes sortes, ce sont des êtres au début de leur existence dans l'humanité. Ils ont encore la bête en eux et n'ont pas encore purgé l'instinct animal. Ils sont tous appelés à s'élever.

D'autres sont instruits, généreux, dévoués, vertueux, d'une nature élevée. Ceux-là ont parcouru un grand nombre d'existences et sont arrivés très loin dans l'échelle de leur avancement. Imitez-les, suivez-les, tâchez de les dépasser.

Le périsprit de ces derniers est clair et lumineux, tandis que celui des premiers est sombre et couvert de souillures.


 

Troisième notion

Nos devoirs sur la terre

— Quel est le devoir que vous avez à remplir sur la terre pour pouvoir dire, en arrivant dans l'autre monde, que vous avez fait tout ce que vous deviez.

Vous êtes entourés ici-bas d'êtres bons et mauvais. Ainsi que nous l'avons déjà dit, nous passons tous par l'animalité avant d'arriver à l'humanité. Nous avons été animaux avant d'être hommes. Beaucoup, nous l'avons vu, sont encore dans les premières existences qui ont suivi leur vie animale ; il faut les plaindre, parce qu'ils ont devant eux un long chemin, hérissé de luttes pénibles, avant d'arriver. Mais surtout il ne faut pas se prévaloir de ce qu'ils font pour les imiter. Il ne faut pas copier ce qui est en dessous de nous, Raisonnez toujours, ne faites rien sans questionner votre conscience, pour qu'elle ne vous dise pas en arrivant dans l'autre monde : « Tu as agi sans moi. » S'ils font des choses que vous croyez ne pas être justes, ne faites pas comme eux, mais, si c'est possible, donnez-leur un meilleur exemple par votre propre conduite.

A côté de ceux-là, prenez pour guides et pour modèles les gens charitables, bons, aimables, auxquels le mensonge et la colère sont inconnus. Ne dites jamais de mal de personne. Ne soyez ni jaloux, ni envieux, ni rancunier. On pensera alors de vous que vous avez une belle âme, et tout vous réussira dans la vie, en attendant la récompense du ciel.

Soyez indulgents, enfants, ne critiquez pas les autres, ne vous disputez jamais, pardonnez leurs fautes et leurs attaques à ceux de vos camarades qui ne sont pas aussi avancés que vous ; ne descendez pas à leur niveau en relevant leurs offenses ; inspirez-leur, au contraire, l'affection et l'admiration en vous élevant au-dessus des misérables petitesses de leur nature. Ne vous affectez pas de leurs injures, ce sont des animaux qui parlent. Soyez au-dessus de tout cela et pensez toujours aux Invisibles qui vous voient et vous approuvent.

Ce sera votre force, et quand vous quitterez ce monde, ils viendront vous recevoir dans leurs bras et vous conduiront bien haut dans le ciel où vous serez récompensés de votre patience, de votre indulgence et des vertus que vous aurez acquises sur la terre.


 

Quatrième notion

La Vie dans l'autre monde

— Les âmes, quand elles s'en retournent là-haut, chez elles, s'élèvent suivant leur pureté. Tous les êtres grossiers, avides, coupables, restent invisibles parmi nous, autour de la terre, errants, inquiets, à la recherche des leurs qu'ils ne trouvent pas, et dans un état continuel de souffrances morales jusqu'à une prochaine réincarnation. C'est ce qu'on appelle l'erraticité.

D'autres, moins mauvais, mais qui n'ont pas fait leur devoir sur la terre, ne souffrent pas autant, mais ne sont pas admis à pénétrer dans le sanctuaire des âmes que l'on appelle le ciel.

Ceux qui se sont bien conduits, qui ont toujours vécu dans la crainte et l'obéissance de Dieu, sont alors reçus dans les sphères célestes où la vie est un enchantement sans fin.

En quittant la terre, les êtres restent comme ils sont, moins le corps ; ils sont plus libres dans leurs mouvements et dans leur pensée, et ils profitent de tout ce qu'ils ont appris dans leurs précédentes existences. Ils voient et entendent ceux qu'ils ont laissés sur la terre et peuvent les guider, lés aider, leur donner de bons conseils.

Ils leur parlent en impressionnant leur pensée, leur conscience, et leur langage se traduit par des suggestions, des intuitions, des inspirations, des pressentiments que les mortels ressentent, comme si des voix discrètes leur chuchotaient des secrets.

Les Esprits s'entendent entre eux par une langue qui n'a pas de mots, mais qui émane de la pensée. Ils n'ont plus aucun de nos besoins, tels que nourriture, sommeil, vêtements, et ne sont affectés ni par le froid ni par la chaleur.

L'autre monde leur apparaît avec de féeriques paysages, infiniment plus beaux que tous ceux de la terre, puis, peu à peu, à mesure qu'ils S'élèvent par leur pureté et leurs vertus, ces paysages grandissent en beauté et n'ont plus rien qui rappelle notre monde matériel.

Il règne dans l'autre monde un Sentiment général d'amour, d'indulgence, de fraternité de tous les Esprits les uns pour les autres.

Ils sont plus occupés, mais plus agréablement occupés, que sur la terre. Dieu leur confie des missions de toutes sortes. Ils consolent les affligés, éclairent, les incrédules, réforment les dévoyés et ramènent tous ces êtres qui sont restés près de la terre dans une voie meilleure.

Telles sont les grandes lignes de l'instruction élémentaire que vous devez d'abord inculquer à vos enfants. Nous en avons fait un résumé aussi succinct que possible, peut-être même pas encore assez, pour ne pas les rebuter par un long développement.

Voici en quelques mots les points essentiels qu'il faut leur répéter jusqu'à ce qu'ils en soient bien pénétrés.

Nous sommes faits d'un corps terrestre dans lequel Dieu met une âme pour lui donner la vie. A la mort du corps l'âme remonte au ciel. C'est elle qui contient la connaissance d'elle-même, la conscience d'exister ; le corps n'est rien.

L'âme est immortelle et passe par une succession d'existences pour lesquelles elle emprunte à la terre un corps qu'elle rejette à la mort et qui n'est pour elle qu'un vêtement matériel temporaire.

Le but des existences est d'apprendre, d'avancer dans la perfection morale et de réparer les fautes qu'on a commises dans la vie précédente. A la mort, nous sommes jugés par notre conscience, qui se dresse devant nous comme un tribunal pour condamner ou récompenser.

Quand l'homme a atteint la perfection, il vit dans le ciel comme un bienheureux et ne se réincarne plus. Là-haut, qui est le séjour des âmes, nous retrouvons tous nos parents et amis. Pendant notre vie, ils voient tout ce que nous faisons, nous aident et nous guident. Les êtres méchants, inférieurs, malfaisants, n'y sont pas admis et restent près de la terre jusqu'à ce qu'ils deviennent dignes d'entrer dans le ciel.

Il y a une multitude d'autres choses auxquelles il ne faut pas toucher pour ne pas jeter trop de confusion dans leur esprit par des explications mystiques qu'ils pourraient ne pas comprendre. Il existe un grand nombre d'excellents ouvrages qu'on pourra tour à tour leur mettre dans les mains un peu plus tard, quand ils seront plus avancés. Mais le meilleur de tous est l'éducation spirite de chaque jour que l'ascendant et l'amour maternel doivent leur inculquer. Il y a des préceptes applicables à toutes les circonstances et à toutes les actions. L'éducation pratique ne fera que confirmer l'éducation théorique.

L'intelligence des mères doit être pour eux un livre toujours ouvert, adapté à toutes les manifestations physiques et morales de leur vie.

Puis, quand ils seront un peu plus avancés, parlez-leur des grands missionnaires venus sur la terre pour éclairer le monde. Montrez-leur que ce sont des Esprits supérieurs, chargés de nous apporter, par révélation, des connaissances que nous ignorons et qui doivent accentuer le progrès de nos civilisations. Tels les grands savants, les grands explorateurs, les grands génies de toutes sortes, les grands bienfaiteurs de l'humanité. Initiez-les à la vie des sages et donnez-les-leur comme exemple chaque fois que leurs actions vous en fourniront l'occasion.

Habituez-les à prier, non à réciter les prières qu'on trouve dans les livres, mais prier par les élans personnels et naturels de leur cœur. Dites-leur de s'abandonner à Dieu et de lui ouvrir leur âme avec confiance.

Recommandez-leur de ne jamais oublier ceux qui sont partis et de leur envoyer souvent une bonne parole et un affectueux souvenir.

S'ils ont eu des torts envers l'un d'eux, dites-leur de leur en demander pardon dans leurs prières quotidiennes.

Mais n'oubliez jamais, mères, sublimes éducatrices, que vous devez confirmer tous vos enseignements par l'exemple que vous donnerez vous-même.


 

Enseignement de la doctrine aux humbles

On peut donner à l'intelligence de l'enfant dont on a à meubler le cerveau tout neuf l'impulsion dans cette direction ; c'est une cire molle qui prend toutes les empreintes. Mais chez l'homme, dont les facultés indurées, comme les membres, ont perdu la souplesse du jeune âge, on ne peut changer d'un coup les conceptions qui constituent son ameublement intellectuel. Il se réfugierait ahuri dans l'accoutumance de sa paisible ignorance, plutôt que de ployer sa mentalité acquise à cette nouvelle langue qu'on ne lui a jamais parlée.

La main qui tient un outil est malhabile aux efforts de la pensée. Vouloir enseigner aux humbles ce qu'on a tant de peine à faire pénétrer dans les masses plus avancées serait courir à un échec ; on ne peut pas espérer éclairer de la même lumière des cerveaux à peine dégrossis et des cerveaux cultivés. Il faut mesurer tout fardeau aux forces qui doivent le porter.

On montre à l'enfant à lire et à écrire, on ne lui enseigne pas la syntaxe et la littérature. On l'initie aux quatre premières règles du calcul, mais pas à l'algèbre. On explique à l'apprenti géomètre les figures simples, comme le triangle et le quadrilatère ; on laisse pour plus tard le carré de l'hypoténuse. Il faut apprendre à marcher avant de courir. Il faut nourrir et non gaver, désaltérer et non abreuver, éclairer et non aveugler. On donne au mineur une lampe, on n'inonde pas la mine de luminosité.

Il faut doser les connaissances suivant les aptitudes, et l'on pourrait limiter à ce qui suit l'enseignement aux humbles. Ce qu'il faut, c'est éveiller en eux la conscience que leur vie est dominée par une vie plus haute, le reste viendra à son heure.

AUX MANUELS, AUX TRAVAILLEURS

L'homme naît, il traverse la vie à grands pas, il meurt. Est-ce tout ?

A quoi bon ce travail de toute une vie pour amasser des biens qu'il n'emporte pas avec lui ?

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi l'on vit, pourquoi l'être est limité par la naissance et la mort ? S'il est tiré du néant pour ensuite y retourner, pourquoi, une fois débarqué dans ce monde, n'y restons-nous pas à notre gré ? Mais, dans le fait, vous pourriez vous demander surtout pourquoi nous y venons. S'il y a une raison, c'est que notre vie a un but ; un but est une mission ou un devoir à remplir, et, dans ce cas, nous avons le droit de demander à la mort pourquoi elle nous reprend. |. Serait-ce que notre mission est alors accomplie ou que, ne l'ayant pas comprise, la mort vient nous cueillir parce que notre existence a manqué son but et est devenue inutile ?

S'il n'y a pas de raison, si notre vie est le résultat d'un hasard, d'un caprice génésique, alors la mort n'est que le caprice de ce hasard et nous n'avons pas de comptes à exiger d'elle.

Mais l'idée qu'un bien aussi précieux, aussi sérieux que la vie soit livré au hasard, révolte l'être intelligent qui est en nous. Il se sent trop supérieur aux caprices d'une fantaisie pour ne pas rejeter cette solution aussi humiliante qu'aveugle.

Il ne peut admettre que l'homme de bien qui, bon ami et bon père, a rendu les siens heureux autour de lui, qui a toujours trouvé la charité au fond de sa bourse et la fraternité au fond de son cœur, soit l'égal, devant la mort, du misérable, du paresseux, de l'égoïste, du criminel.

Son intelligence veut sortir des ténèbres et savoir la vérité. L'homme qui réfléchit sent en lui autre chose que le caprice d'une création livrée à l'aventure, il se refuse à se considérer comme le fruit d'une fantaisie. Le fait d'avoir été appelé à l'existence dans ce monde, lui donne le droit de savoir ce qu'on veut de lui en le lançant dans l'arène de la vie, dans une couche sociale plutôt que dans une autre, ce qu'on attend de l'instrument intelligent, vigoureux qu'on a fait de lui, capable de créer, de s'élever, capable des plus belles et des plus grandes choses.

Le travail manuel que fait l'artisan ne réclame que ses facultés organiques. C'est la vie matérielle, presque animale. A quoi alors réserve-t-on ses facultés intellectuelles, tout son être intelligent inutilisé ? Il peut ne pas avoir reçu d'instruction, mais cela est un bien que l'on peut acquérir, comme le prouvent tant de noms illustres partis des plus humbles conditions.

Il a un don plus précieux, ce sont les facultés et les aptitudes qu'il a apportées avec lui en naissant. Celles-là, on ne peut pas les acquérir, et elles sont bien à lui. C'est sa fortune personnelle. Est-ce donc un champ destiné à rester en friche, malgré les possibilités de fécondation qu'il peut avoir en lui ? Cette fortune-là est-elle condamnée à ne lui ouvrir aucune porte, ne fût-ce au moins que la conception de lui-même, pour qu'il puisse en tirer l'usage le plus avantageux que lui permettent ses facultés.

Il sait qu'il y a deux êtres en lui, l'être corporel, fait de ses organes, de sa dextérité, de sa force musculaire ; et l'être qui pense, qui juge, qui dirige l'autre.

Lequel de ces deux êtres est celui qui sent ? Le corps ? Non, mais l'esprit qui a la conception de la sensation, qui sent la blessure faite au corps, mais que le corps ne sent pas. Le corps reçoit et l'esprit perçoit.

L'homme ne peut accepter l'idée d'avoir été créé pour exercer ses facultés inférieures et laisser dormir ses facultés supérieures. Celles-ci doivent donc avoir un but, une raison d'exister, quelque mission à remplir, de même que le travail mécanique et la vie organique remplissent la vie de travail manuel sans absorber les pouvoirs de l'être intelligent.

Il ne peut admettre que ce don soit limité à la faculté de mouvoir ses membres et de manier un outil.

La Création a réglé avec une merveilleuse prévoyance tout ce qu'elle a fait. Pourquoi nous, pour qui elle a fait tout cela, serions-nous une exception ; pourquoi sa sollicitude s'arrêterait-elle à l'homme ; pourquoi notre être supérieur n'aurait-il pas un rouage aussi parfait que notre être matériel inférieur ? Pourquoi ce dernier serait-il privilégié de la nature et jouirait-il de ses bienfaits à l'exclusion d'une partie de nous-mêmes, à l'exclusion de notre être moral, qui lui est cependant supérieur, puisqu'il le dirige.

Heureusement, il n'en est pas ainsi. La Création est plus juste et plus pondérée, plus clairvoyante et plus miséricordieuse. La profession n'est qu'un moyen d'existence, mais si les bras servent à faire vivre, les facultés sont données pour exercer et servir l'être moral, qui a une portée infiniment plus importante et plus élevée, pour lui permettre de remplir sa mission. Le métier sert le corps, les facultés morales servent l'esprit.

Ne vous plaignez pas du travail, laissez les plaintes à ceux qui ne travaillent pas. Le travail, c'est l'humanité en marche ; l'oisiveté, c'est l'humanité stagnante. Elle ronge et corrompt et produit une fatigue morale bien plus grande que la fatigue physique.

L'être asservi au travail manuel n'est- pas la victime d'un sort malheureux, d'une existence livrée à la chance. Il faut qu'il sache bien, et c'est là le point le plus important qui lui expliquera tous les autres, que cette vie n'est pas l'unique existence de l'homme, mais une vie de passage parmi bien d'autres qui l'ont précédée et la suivront. Il faut qu'il sache que la Création ne crée pas un homme pour le faire souffrir, qu'elle ne crée pas pour reprendre aussitôt, qu'elle ne crée pas pour détruire.

Non, l'être est fait pour une longue suite d'existences, les unes heureuses, les autres malheureuses ; non pas selon le jouet d'un caprice, mais pour servir le rigide équilibre de la justice absolue, comme nous allons le voir.

L'être supérieur en lui, c'est son esprit, qui, par le mécanisme de l'intelligence, possède seul la conscience d'être.

L'être humain n'est, dans ce monde, qu'un voyageur de passage. La profession qu'il exerce, humble ou élevée, n'est qu'un épisode dans la succession de ses existences, car son voyage dans la vie n'est qu'une excursion temporaire au milieu d'une multitude d'autres.

Qu'est-ce qu'une existence dans l'éternité ? Un souffle, une pulsation, un rapide météore que la naissance allume et que la mort éteint, qui vient de quelque part et va quelque part.

L'âme seule sait qu'elle existe, elle est faite pour vivre, elle est notre vie, et il n'y a pas de raison pour éteindre ce flambeau, parce qu'on quitte l'inerte enveloppe humaine. Celle-ci n'a pas de conscience propre, nous ne connaissons les maux physiques que parce que nos nerfs les portent à la connaissance de notre cerveau, centre des sensations.

L'esprit est fait pour s'incarner sous d'innombrables formes ; la forme, c'est le corps, uniforme qu'elle endosse pour matérialiser son existence. C'est un habit neuf qu'on prend à la naissance et que l'on rejette à la mort, quand il est usé, mais qu'est-il -par lui-même ? Rien, pas plus que l'uniforme ne fait le soldat, que la soutane ne fait le prélat, que la robe ne fait le juge.

Aujourd'hui vous êtes un humble artisan, demain vous pouvez être un grand seigneur. Chaque vie nous apporte, pour des raisons que nous verrons plus loin, une nouvelle destinée dont la succession nous permet de passer par toutes les phases et tous les degrés sociaux de l’humanité.

La terre n'est que le champ clos de ses ébats, une arène où s'agite l'être de passage qui vient pour y peiner et lutter. Lorsque l'être supérieur a rejeté l'habit emprunté à la terre et approprié à la destinée qu'il s'est choisie, il rentre dans son vrai pays, dans la patrie des Esprits dont il reste l'hôte jusqu'à sa prochaine réincarnation.

Vous ne le voyez pas ce monde, pas plus que vous ne voyez votre âme, votre pensée, votre intelligence, votre conscience, Vos facultés mentales et même l'air que vous respirez, parce que vos yeux de chair n'ont été faits que pour voir les choses matérielles et n'ont pas le pouvoir de voir l'autre monade, afin que notre mission ici-bas ne soit pas influencée ; afin de ne pas nuire à l'épreuve que nous venons subir sur la terre.

De même, d'autres yeux que les nôtres ne verraient que ce qui est invisible pour nous. Ils ne sont, après tout, qu'une lunette humaine mise au point et qui ne permet de voir que quand elle est à ce point là, tout ce qu'il y a en dehors de ce point n'existant pas pour elle, comme il y a des yeux myopes ou presbytes n'ayant chacun qu'un certain champ de vision.

Mais notre esprit est une étincelle de vie qui ne s'éteint pas. Quand il recouvre sa liberté, il voit avec d'autres yeux, auxquels plus rien, pas même les choses de la terre et nos plus secrètes pensées, n'est caché, car, œil de la pensée, il est fait pour lire dans la pensée.

Ceci nous permet de concevoir la supériorité de l'autre monde sur celui-ci ; en effet, une fois débarrassé des liens tyranniques du corps et des entraves physiques qui en font une sorte d'animal, l'être rentre en pleine possession de toute l'étendue de ses facultés, qui étaient étouffées par la chair, et de toute sa mémoire. Il revoit toutes ses vies passées, il n'est plus astreint aux souffrances, aux besoins, aux misères, aux maux de toute nature de la terre. Plus de haines, de rivalités, de souffrances, c'est une vie de liberté et d'amour.

Mais gardez-vous bien de confondre ce monde avec le monde intéressé inventé par les religions, monde odieux où des châtiments éternels attendent les humains pour les moindres peccadilles, monde des dogmes et de l'orthodoxie, imaginaire heureusement, et qui, s'il existait, serait une monstruosité et la négation de toute justice.

Arrêtons-nous un instant à ce mot de justice, qui est la voix de la conscience. Ce sentiment est inné chez l'homme et le révolte chaque fois qu'il est violé. Et cependant peut il admettre toutes les inégalités sociales, qui sont une violation de la plus élémentaire justice : les honneurs et la fortune allant aux uns, les misères et les malheurs aux autres ; des êtres favorisés de tous les dons, naissant dans des milieux fortunés, ayant des facultés et des aptitudes supérieures, du génie même ; d'autres faibles, difformes, infirmes, maladroits, idiots ; des êtres faits pour commander et des êtres faits pour obéir ; les uns parmi les sauvages, d'autres au sein des civilisations, les uns dans les glaces du pôle ou dans la fournaise des tropiques, les autres dans les paradis terrestres de la création. Des nullités viennent au monde sur le velours des trônes, et des intelligences supérieures croupissent au fond des classes les plus humbles.

Et voilà ce que serait l'existence si l'on ne vivait qu'une fois et que cette vie fût due aux ténèbres du hasard. Ce serait l'encouragement au plus fort, au plus habile, au moins scrupuleux.

Les victimes n'auraient-elles pas le droit alors de demander compte à la Création des hasards de la naissance, et à la mort, de l'aveuglement avec lequel elle frappe indirectement jeunes et vieux ?

La Création répondrait ; « Demande à la mort son secret, elle te dira pourquoi tu es né ainsi ».

Et la Mort répond : « Ton heure est venue parce que le bagage de ta vie est complet, c'est ta moisson. Je t'emporte pour que tu t'expliques avec ta conscience ; c'est elle qui te jettera dans une nouvelle existence où ce que tu appelles le hasard de la naissance ne sera que le résultat, récompense ou expiation, de ta vie actuelle ».

Et c'est dans la mort, résurrection à une vie plus pure, que nous allons trouver cette justice qui n'existe pas sur la terre.

La mort n'est pas seulement la délivrance, c'est aussi l'heure des comptes à rendre. Ne croyez pas que les bons et les mauvais soient égaux devant elle, ce serait enlever le mérite aux uns et la responsabilité aux autres.

Ne cherchez pas un tribunal et des juges ; ce tribunal vous l'avez en vous, ces juges c'est votre conscience qui s'éveille et se dresse comme un miroir devant vos yeux pour vous montrer toute votre vie dans son impitoyable nudité, dans toute sa beauté ou toute sa laideur. La beauté, c'est le travail, l'honnêteté, le dévouement, la charité, la fraternité. La laideur, fausse monnaie et contrefaçon du bien, ce sont les âmes viles vouées au mal.

La main qui a volé, qui a frappé, tremble devant sa victime ; le querelleur, le batailleur voit sa brutalité. La conscience dit au malfaiteur : « Tu as gâché ta vie, tu as nui à tes frères de la terre, tu vas y retourner dans une position misérable pour payer tes fautes et les expier ».

Le riche, le puissant, voient les mauvais usages qu'ils ont fait des avantages et des biens qui leur avaient été confiés dans le but d'en faire profiter leurs semblables ; les criminels, les potentats, les tyrans réalisent toute l'horreur de leurs crimes et reculent, terrifiés, devant ces images qu'ils ont créées.

Les responsabilités s'inscrivent en lettres de réprobation devant les yeux de leur âme, qui ne trompent pas comme ceux du corps.

Enfin le suicidé, ce déserteur de la vie, transfuge des nobles résignations, devra recommencer sur la terre l'épreuve abandonnée en chemin.

C'est leur conscience seule qui est leur juge, et les condamne à réparer le mal dans les conditions les plus dures pour racheter le passé et préparer un avenir meilleur.

Quand vous voyez de grandes infortunes, des existences de torture, des acharnements de malchance contre un être, vous pouvez toujours vous dire : « Voilà un terrible coupable qui paie sa dette. »

Ajoutons que, si nous n'avions pas acquis des connaissances de toutes sortes dans des vies antérieures, nous n'apporterions pas en naissant les aptitudes, l'ingéniosité, le talent, le génie ; il n'y aurait pas d'intelligence supérieure à d'autres et pas de ces enfants prodiges qui viennent achever dans cette vie une carrière prématurément interrompue dans la précédente existence.

Nous retrouvons dans l'Invisible tous nos amis et tous ceux que nous avons aimés. Bien que sans cesse auprès de nous et que nous ne les voyions pas, ils sont là, tout prêts à nous aider et à nous conseiller. Dans les moments difficiles, dans les heures d'incertitude et de découragement, adressez-vous à eux, parlez-leur, vous n'entendez pas leur réponse, mais ils agissent et vous pouvez constater dans les mille petits riens de la vie, aussi bien que dans les grandes circonstances, combien ils vous suivent et vous aident. Ne les oubliez jamais et consacrez-leur le plus souvent possible un affectueux souvenir.

La mort est donc une glorieuse délivrance en même temps que le grand nivellement et la justice inexorable. Saluons-la comme la fin de nos épreuves et de nos souffrances, mais ne la craignons pas et efforçons-nous de la rendre plus belle en pratiquant notre devoir sur la terre.

Il est ainsi tracé : Comme tâche, le travail. Envers la famille, l'amour. Envers les camarades, la fraternité. Envers les malheureux, la charité. Envers les égarés, l'indulgence et la pitié, et au-dessus de tout, la résignation à notre sort, en n'oubliant pas que c'est nous qui l'avons choisi, pour notre bien.

Nous avons dit en commençant : Pourquoi peiner toute sa vie pour amasser des biens qu'on n'emporte pas avec soi ? C'est une erreur, on les emporte avec soi, en emportant le mérite et le bénéfice du devoir accompli, qui seront comptés dans la proportion où l'on s'en sera acquitté. Cela représente de l'autre côté, une bien plus grande valeur que les biens matériels qu'on laisse aux siens pour les aider dans la lutte pour la vie.

C'est à vous, fils de 93, qui avez les premiers parlé de fraternité et avez exigé son inscription sur tous les monuments publics afin que tous les yeux de vos concitoyens les voient, les méditent et les mettent en pratique, c'est à vous de donner l'exemple des premiers, à prêcher ce que vous avez imposé à vos frères de la grande révolution. C'est votre droit et votre devoir de l'inculquer dans les masses en le pratiquant vous-même.

Et vous, honnêtes travailleurs, faites vous-même la police pour combattre les tentacules de la pieuvre des désœuvrés, des perfides conseillers et de tous ceux qui se font l'écho de leurs tentatives de corruption. Ces tentacules ont des noms, elles s'appellent le bistro, le jeu, les paris, l'inconduite, les querelles, les haines, les perfidies de la langue, l'intolérance, les insinuations malveillantes, et toutes les lies qui remontent dans la vie courante quand on remue les bas-fonds de la bête humaine.

N'oubliez pas : qu'il n'y a que les natures grossières qui emploient un langage grossier ; qui jurent et qui insultent ;

— Que la main est faite pour le noble usage du travail et non pour fermer le poing et en frapper ses semblables, laissez cette besogne aux brutes ;

— Que l'homme seul se grise et que l'animal lui donne l'exemple de ne boire que quand il a soif ;

— Que rien ne désarme la rancune comme un élan de franche cordialité.

Ayez la générosité de pardonner à vos amis défunts, ils deviendront pour vous là-haut des amis et vous désarmerez leur haine qui, sans cela, pourrait vous atteindre beaucoup plus sûrement de l'autre monde que de celui-ci.

Si vous avez le courage de pardonner aussi à vos ennemis vivants, ce qui prouve une grande âme, un cœur noble et généreux et si vous vous réconciliez avec eux, vous les ramènerez à vous, reconnaissants et dévoués, et cela vous sera compté libéralement à l'heure des comptes à rendre.

Mais surtout, méfiez-vous de ceux qui ont peur de regarder la vérité en face, de crainte d'avoir à rougir d'eux-mêmes, et qui cherchent à étouffer sous l'éteignoir de leurs sarcasmes la lumière qu'on leur apporte. Tenez bien haut, au contraire, le flambeau qui doit éclairer votre chemin, et vous verrez la vie sous un nouveau jour qui apportera la sérénité à votre esprit.

Cet exposé suffit pour éveiller la réflexion dans les bonnes natures, dans les cœurs honnêtes et pour leur donner le désir d'en savoir davantage.

Quant aux autres, il serait inutile de chercher à les convaincre, plaignez-les. Ils se ferment à eux-mêmes les issues de la délivrance.

Et vous, éducateurs qui avez la charité de les tirer de l'ignorance, contentez-vous de faits bien simples sans leur donner des noms de doctrine. Tout titre n'est jamais qu'une restriction qui renferme les vérités dans un cadre, qui emprisonne la lumière dans une lanterne. Ne bornez pas leur horizon par des limites, laissez leur imagination s'envoler dans celui que vous avez ouvert à leur esprit.

Il n'y a pas besoin de donner un nom à la lumière. Qu'elle éclaire, c'est tout ce qu'il faut ; s'ils comprennent seulement pourquoi ils vivent, n'en demandez pas davantage.


 

Conversion de l'Eglise au Spiritisme

La vérité est d'ordre divin, les religions n'en sont qu'une interprétation mitigée sous forme d'outil humain. Elles ont toutes matérialisé les vérités divines pour les adapter aux crédulités humaines.

Le catholicisme n'est que le Christianisme déformé par des intérêts terrestres. C'est une religion humaine, une religion d'affaire.

L'Eglise a conquis la domination qui lui assurait la conscience des faibles par l'intimidation, allant jusqu'à les brûler comme une allumette pour leur donner un acompte sur l'institution de l'Enfer que, dans ce but, avait créé son ignorance. D'ailleurs le catholicisme est fait d'aveugles conduisant d'autres aveugles. Les clients de l'Eglise qui vont se confesser sont des esprits faibles se confessant à des esprits faux.

Le prêtre s'habille en noir, il porte le deuil de la vérité. Ne lui jetons pas trop la pierre, étouffé par l'intolérance hiérarchique, il ne sait pas ! Ah ! S’ils savaient, tous ceux qui sont intelligents ou de bonne foi, ils comprendraient que notre vérité, qui n'a aucune restriction, est trop grande pour la leur qui est circonscrite par des nécessités, car il faut que les soutanes vivent, et ils viendraient tous à nous.

Les temps mystiques sont passés, les grandes époques de foi n'ont laissé après elles qu'un souvenir lumineux, mais fugitif. Les religions modernes sont un mélange de création humaine et de dogmatisme approprié à des besoins terrestres. Tributaires de l'évolution sociale, elles reposent sur des intérêts humains auxquels on a inoculé, pour les justifier, une teinture morale.

Le catholicisme a enlevé le flambeau de la main de Jésus pour le mettre dans la main des papes.

Il a toujours été un système de domination politique. Là où les lois n'atteignent pas les coupables, il est si commode d'atteindre les âmes en les terrorisant !

Depuis Constantin, l'Eglise, comme le pangermanisme, n'a jamais eu en vue que l'accaparement, provocation qui l'a conduite à la séparation de l'Eglise et de l'Etat. L'intolérance la mène pas à pas, mais visiblement, à la séparation de l'Eglise et de la religion. Celle-ci n'existe plus que de nom et par un cérémonial habile et soigné. Le culte est devenu un simple déguisement ; le sacerdoce lui portera le coup de grâce. Pour beaucoup de gens déjà tenus par l'Eglise, pratiquer, c'est se dispenser de croire.

« L'Eglise, dit Ed. Schuré (Ed. Schuré, les Grands Initiés.), ne pouvant plus prouver son dogme primaire en face des objections de la science, s'y est enfermée comme dans une maison sans fenêtres, opposant la foi à la raison, comme un commandement absolu et indispensable. Mais la religion sans preuve et la foi sans espoir se défient l'une en face de l'autre, sans pouvoir se vaincre.

Le protestantisme et l'islamisme sont protégés par leur cohésion ; le catholicisme, orthodoxie maladive dont l'enseignement christique a disparu, se livre sur lui-même à un suicide lent, en voilant cette lumière, pour envelopper un mélange d'enseignement et d'intérêts dans les ténèbres d'un dogmatisme étroit. »

La religion est devenue une forme commerciale de l'activité humaine. On l'entoure d'une savante mise en scène pour lui donner du prestige. On l'émaille de miracles, de légendes, de pratiques occultes, de révélations apocryphes pour lui imprimer un côté mystique ; et l'on peuple de chimères des mondes imaginaires, paradis, purgatoire, limbes, enfer, pour impressionner les imaginations faibles et terroriser les incrédules.

Au lieu d'être un lieu austère de recueillement, l'Eglise est un théâtre somptueux où sont accumulées des richesses ; où l'on paie sa place si l'on ne veut pas rester debout ; où des vierges et des saints, supposés humbles dans leur vie, sont couverts d'or et de pierreries ; où le prêtre, comme l’acteur, endosse un costume ; où l'on brûle des cierges et de l'encens ; où des chantres, l'orgue et l'orchestre encadrent la prière, et où l'officiant parle le latin, que, la plupart du temps, il connaît à peine.

Jésus prêchait l'humilité. Déshabillez vos saints, chamarrés comme pour un sacre royal, fermez ces boîtes à espionnage de confessionnal, par où le serpent se glisse dans les âmes, retirez vos mains de nos poches, défroquez Basile, et nous arriverons peut-être à être bons amis.

On brûle des chandelles, dans les chapelles, à des statues de braves saints inamovibles sur leurs socles, qui souriraient de la naïveté des trop crédules, s'ils n'avaient à garder leur dignité de marbre. Il en est qu'on grise d'encens pour leur dissimuler les duperies du prône, et l'on se demande en voyant leur air attristé, si c'est l'encens ou le sermon qui dérange leur béatitude. Assurément ce ne sont pas les saints de bois et les vierges chamarrées qui exaucent les prières.

C'est en même temps un grand bazar où l'on trafique de tout, messes, scapulaires, indulgences, cierges, objets bénits, stalle au paradis, dispenses, rachat des âmes du purgatoire, retraites, fêtes, pèlerinages, reliques, bénédictions, etc., à boutique ouverte, au comptant et sans escompte ; on n'a rien pour rien. La sacristie est un bureau d'affaire. Il y a aussi le trafic inépuisable des sacrements, et des réserves à tiroir pour les grandes occasions, comme les boîtes à miracle.

Les prélats, qui font vœu d'humilité, ont toutes sortes de cartes cachées pour faire ouvrir le chemin de leur bourse aux pauvres âmes confiantes, et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie, on découvre, sous toutes leurs formes, l'amoncellement des biens de la terre.

« Si on lançait dans le commerce, dit du Prel, les ventes d'indulgences, de bénédictions, etc., on aurait maille à partir avec la police. Elles seraient cependant aussi efficaces que celles du Vatican. Le successeur du Christ est devenu le Directeur de la banque qui vend les grâces vénales du Vatican. On ne dit plus : « Paix mes agneaux ! » on dit : Tonds mes brebis. »

Le Pape pourrait dire aux Boches : que vous êtes maladroits ! Vous faites la guerre pour vous enrichir, moi je m'enrichis en vendant des bénédictions.

On donne au prêtre un franc cinquante pour dire une messe d'une demi-heure à peine. Cela lui fait trois francs de l'heure. C'est un travail facile que beaucoup feraient volontiers. Pourquoi leur est-il fermé ? Que dirait-on s'il s'ouvrait un bureau pour dire des messes qui seraient confiées à des particuliers ? Est-ce que les prières de l'un ne valent pas celles de l'autre ? La seule différence est que le prêtre porte un surplis par-dessus sa soutane et le particulier le porte en dessous.

L'Eglise s'occupe même de la nourriture et en fait des articles de foi. Elle prescrit ou proscrit certains aliments à des jours qu'elle fixe. Jésus se contentait de dire : Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, c'est ce qui en sort. (Méditez cela, disciples de Basile.)

La conscience, la foi, les consolations, la rémission des fautes, tout a pris une forme commerciale. C'est le matérialisme sous le masque des choses les plus saintes.

Lors de la mémorable fin du monde de l'an 1000, chacun portait ses biens à l'Eglise pour acheter le ciel. Mais l'Eglise, ne leur ayant pas donné la fin du monde promise, n'ayant pas livré la marchandise payée, aurait dû restituer ces biens !

Bonne leçon pour ce naïf qui, une autre fois, fera bien de faire ses affaires lui-même, car l'Eglise n'a pas plus qu'eux la faculté d'acheter le moindre strapontin dans l'autre monde.

La cloche de l'Eglise appelle le fidèle comme l'annonce du journal appelle le client, comme l'affiche appelle le spectateur. Dans le fait, le fidèle n'est qu'un client.

Au lieu de vous dire : « II y à un Dieu dont vous devez suivre les lois morales », ils vous disent : « II y a une église dont vous devez suivre les commandements, c'est-à-dire servir les intérêts ». Pieuvre avide dont les tentacules plongent dans les bourses et les consciences.

Que nous voilà loin du spiritisme, qui ne connaît ni temples, ni officiants, ni trafics, ni cérémonies, ni culte, ni dogmes ; qui respecte la conscience et la foi, et qui se contente d'enseigner la charité et l'amour, le détachement des biens de ce monde !

Le prêtre croit ou ne croit pas à ce qu'il enseigne. S'il y croit, c'est un ignorant ; s'il n'y croit pas, ce n'est pas un honnête homme. Il est l'emblème de la mauvaise foi ou de l'ignorance.

Nous sommes à un moment où l'esprit, fatigué d'être fourvoyé, ne croit plus à rien de ce qui n'est pas démontré. Le scepticisme est sur la défensive. Et quand, pris au piège de sa propre maladresse, le prêtre répond, devant ce qu'il ne peut expliquer « Dieu le veut », alors qu'il n'en sait rien, puisqu'il n'est pas en rapport direct avec Dieu et que, n'étant pas spirite, il n'a pas la chance d'une communication de l'autre monde, il ne doit pas s'étonner de ce scepticisme auquel il n'apporte aucun argument.

Il y a dans les institutions du catholicisme deux monstruosités qu'il faudrait avant tout abolir : c'est le célibat des prêtres et la confession. Vœux de chasteté signifient vœux d'immoralité. C'est contre nature, toutes les fonctions veulent être satisfaites ; que deviendrait un homme qui ferait vœu de ne pas se nourrir ?

La loi de Moïse prescrivait le mariage. Il est encore en vigueur chez les pasteurs protestants, les rabbins et les prêtres grecs. Jésus approuvait le mariage, plusieurs apôtres étaient mariés et sainte Pétronille était la fille de saint Pierre.

C'est aux conciles de Trente (1545 et 1563) que l'on doit cet abîme de souffrances et de crimes, et c'est le 4e concile de Latran en 1215 qui institua la confession, abominable instrument d'espionnage, livrant aux prêtres l'honneur et le secret des familles ; la confession qui encourage le mal par l'absolution ; qui pardonne les crimes les plus monstrueux ; qui prétend envoyer au paradis le criminel qui se confesse quand sa victime, fût-elle un saint, est plongée en enfer, la mort l'ayant surprise sans qu'elle eût le temps de se confesser.

La confession directe à Dieu, comme la pratiquent les protestants, est toute naturelle. C'est contre Lui qu'on a péché, c'est Lui qu'on a offensé, c'est à Lui qu'on doit demander pardon et non au prêtre. Dieu n'a pas besoin d'intermédiaire, interprète ignorant ou intéressé, et le prêtre n'a aucun pouvoir pour nous transmettre la manière dont Dieu accueillera notre confession. La confession à Dieu est un commencement d'exercice du tribunal de la conscience.

Quant aux béatitudes que l'Eglise fait miroiter, comme un gros lot, pour s'attirer les âmes confiantes, elles peuvent tromper les naïfs, parce qu'aucun ne se dit qu'ils n'en savent pas plus qu'eux, puisqu'ils n'y ont pas été voir ; mais c'est une singulière outrecuidance de s'imaginer qu'elle peut imposer à Dieu des saints officiels, avec instructions papales sur le sort a leur réserver.

Aussi, qu'avons-nous vu parmi les candidats à cette hospitalisation céleste ? Des papes comme Grégoire XII, l'incestueux ; Jean XXIII, le pire des monstres ; le sodomiste Paul II ; le libidineux assassin Sixte IV ; le buveur de sang, Innocent III ; et combien d'autres ; tous criminels lascifs, bombardés saints et qui déshonoreraient le bagne.

Etre canonisé par l'Eglise n'a d'ailleurs pas plus de valeur aux yeux de Dieu que d'être anobli par un souverain ou chamarré de titres et de décorations. Valeur conventionnelle sur la terre, non-valeur dans l'autre monde. En somme, les théologiens sont des marchands de lumière artificielle. Ils ne reconnaissent comme lois de Dieu que celles qu'ils lui imposent et non celles que Dieu impose.

Le catholicisme, malgré son histoire tachée de sang, a été une lumière, mais cette lumière est peu à peu éclipsée par la lumière plus éclatante du spiritisme, qui veut ramener les âmes au pur christianisme de Jésus. Toutes les interprétations terrestres des opinions religieuses ne sont jamais qu'un rattachement à la terre. Le détachement, qui nous ouvre la voie des vérités divines ne connaît aucune des formules de matérialisation dont on les entoure pour les servir aux humains. Le spiritisme plane au-dessus de toutes les religions.

Ce qui est spirituel est plus grand que tout ce qui est temporel ? La prière est plus grande que le temple ; un spirite sincère est plus grand que tous les prélats ; la morale est plus grande que les lois des hommes ; la conscience plus grande que la Justice ; la charité est le plus beau sacerdoce.

Le spiritisme a fait trop de bruit pour n'être pas connu du prêtre. Rome sait qu'une religion qui n'a besoin ni de temple, ni de servants, ni de culte serait sa mort, aussi l'argus du Vatican veille et dit à ses subordonnés : si vous avez le malheur de vous laisser gagner à cette doctrine, nous vous coupons les vivres.

C'est prendre l'animal par ses besoins. Alors, une multitude sont spirites in petto et hostiles officiellement, comme Galilée, comme le cardinal Mazarin, qui condamnait les pratiques superstitieuses et s'y livrait en cachette. Lutte pénible pour les honnêtes consciences, forcées d'enseigner par métier ce à quoi elles ne croient pas, comme l'avocat qui déclare innocent le plus fieffé criminel. Forcés de mentir à leurs convictions pour gagner leur pitance, ils croient tout bas, ils nient tout haut, mais leur foi plus pure s'élève au-dessus de l'autel où ils pontifient plus saintement, avec plus de ferveur, sans que nul, excepté Dieu qui recueille leur prière, ne puisse lire le fond de leur pensée. Aussi combien, sacrifiant sur deux autels, sont spirites à leurs heures, en dehors des heures d'affaires.

Ah ! S’il y avait moyen de s'assurer contre la perte de l'indispensable salaire ! S'il y avait un Institut, une société de sauvetage qui les accueillît, qui les aidât à un travail honnête, sans compromissions, que de milliers d'âmes on arracherait à l'hypocrisie cléricale !

L'un d'eux me disait : « L'Eglise me paie pour dire des vérités qui sont des mensonges et traite de mensonges ce que ma conscience reconnaît comme des vérités. Je me dois, par devoir, à l'Eglise qui me donne la vie matérielle, mais je me dois, par mes convictions, au spiritisme, qui m'a révélé la vie spirituelle. Je tâche de les concilier le mieux possible, en contournant les mensonges et en m'appesantissant sur les vérités communes ».

Le pape Célestin disait honnêtement : « Quand je lis l'Evangile, je ne comprends plus la Théologie, et quand j'étudie la Théologie, je ne comprends plus l'Evangile ».

En dehors des heures de métier, l'aveuglement imposé au prêtre, qui a généralement une certaine instruction, est reçu à contrecœur. Triste comédie à un moment où l'homme a tant besoin de lumière pour dégager la vérité de l'ombre.

Le simple soldat de la soutane travaille pour enrichir des prélats florissants, et on lui compte les bouchées. Il doit s'incliner, il n'a pas la ressource des grèves. Il n'ignore cependant pas le progrès, mais il doit se contenter de le regarder passer de loin. Il courbe la tête devant une hiérarchie dictatoriale et gare aux rébellions, la poignée de l'arme qui est à Rome a sa pointe partout.

Rome a fait des autodafés de livres spirites. Les siens ont un sort plus doux, ils meurent de leur belle mort. Mais le flambeau du spiritisme est trop grand pour l'éteignoir du Vatican, et cet éteignoir, brandi sur le spiritisme, retombera un jour sur la Tiare, luminaire vacillant, et l'éteindra.

Si l'Eglise n'avait pas ridiculisé la religion par les absurdités qu'elle y a introduites — et le ridicule tue — elle aurait arrêté le matérialisme et on n'aurait pas nié Dieu. Elle est elle-même de ce fait, par provocation maladroite, créatrice de l'ennemi laïque ; il grandit, rallié par nos valeureux morts à une vérité qu'elle combat et condamne, parce que, comme les oiseaux de nuit, elle craint cette aurore.

Au lieu de l'attaquer, ouvrez-lui vos bras, c'est le salut. Il n'est que temps si vous voulez échapper à l'enlisement. Vos persécutions, tribut éclatant, ont éveillé l'attention et la curiosité, réclame non sollicitée, d'un prix inestimable, et ont grossi nos rangs d'une multitude de soutanes.

Il y en a, parmi eux, qui se destinent à la chaire, comme les Dominicains. Ils sont trop instruits ou trop avisés pour obéir ou protester. En voici un exemple :

En 19..., le jour des morts, je passais devant l'Eglise de... Je ne précise pas pour ne pas exposer un de ces habiles courageux à de ténébreuses représailles. J'avais un rendez-vous auquel il était trop tôt pour me rendre, l'idée me vint d'entrer dans l'église, qui ruisselait de lumière. Une voix vibrante, éloquente, emplissait la nef sonore. Je m'approchai, un prédicateur en bure blanche parlait des victimes de la guerre, sermon approprié en un pareil jour.

Il disait à ces mères et à ces veuves en larmes : « Les morts éveillent le glas, mais les fanfares de la victoire étouffent cette note douloureuse dans l'allégresse de leur triomphe. Les clairons font tressaillir les tombes. Vos fils et vos époux ont payé de leur vie ces réjouissances patriotiques auxquelles ils ne peuvent se mêler, mais s'ils n'en ont pas leur part sur la Terre, le sacrifice de leur existence leur en assure une plus belle là-haut. »

Pendant toute la durée de son sermon, il n'a pas dit un seul mot qui s'écartât de la doctrine spirite. II a peint aux mères le tableau de leurs fils toujours là à leur côté, quoique invisibles ; de leurs fils cherchant à les consoler, les attendant dans le séjour des délivrés.

« Dieu, leur dit-il, n'aurait pas mis tant d'amour aux cœurs des mères, des épouses, pour une courte et rapide existence ; cet amour, qui réclame une continuation, est précisément, de ce fait, la preuve d'un autre monde où il pourra s'épanouir, et de l'éternité des âmes, que cet autre monde est destiné à lier les unes aux autres dans les béatitudes de la vie prochaine. »

Il s'est bien gardé de rééditer les vieux clichés de purgatoire et d'enfer ou de parler des morts sans confession, comprenant combien toutes ces naïves puérilités étaient démodées. Il a proclamé, au contraire, que le sacrifice de la vie pour son pays assurait, aux yeux de Dieu, une réception à bras ouverts dans le séjour bienheureux des âmes.

« Oui, a-t-il affirmé à ces pauvres endeuillées, vous vous retrouverez tous là-haut, pour ne plus vous séparer, parce que cette séparation est une épreuve qui vous est envoyée par Dieu pour acheter les joies qui vous attendent. »

Ne croirait-on pas assister à une conférence spirite ?

Puis il a habilement effleuré un point délicat. N'osant prononcer le mot de périsprit, il a tourné la difficulté en disant que nous retrouverons tous les nôtres tels que nous les avons connus et que, bien qu'ils aient laissé leur dépouille à la terre, nous les reverrons comme ils étaient, empruntant, pour se manifester l'image fluidique de leurs corps terrestre. Pour ceux qui lisent entre les lignes, cet euphémisme est une reconnaissance absolue, quoique un peu embarrassée, du périsprit.

Ne le chicanons pas pour si peu, il ne pouvait pas mieux dire. Il a fait un excellent discours spirite, en même temps qu'un habile sermon catholique. C'est un éloquent convaincu et un croyant consciencieux.

Et ceci m'amène précisément à la morale que je veux tirer de ce chapitre et dont ce prédicateur a donné la note juste.

L'Eglise ne peut abdiquer, se déjuger, reconnaître ce qu'elle a condamné, infliger un démenti à son passé. Elle est suivie par de plus fanatiques qu'elle, dont elle ne peut brusquer la conscience, parce que, si sa bonne foi n'est pas immaculée, la leur est inébranlable.

D'autre part, elle ne peut, rectifier les grosses erreurs qui l'écrasent sans verser dans le Spiritisme. ; Chaque rectification de dogme la force à y avoir recours. Elle ne peut les modifier, qu'en rentrant dans le Christianisme, dont le spiritisme est l'essence et l'expression.

Une révolution serait dangereuse ; l'évolution est plus sage et plus politique.

En attendant, les défections deviennent tous les jours plus nombreuses et des schismes ont commencé à surgir, comme à Cincinnati, où l'on, a fondé un séminaire spirite.

Ce serait un acte de courage et de suprême habileté de faire comme le pape Gélase qui, se voyant débordé et menacé par des coutumes que réprouvait l'Eglise, alla au-devant du danger en s'empressant de les adopter et de les approuver comme conformes à la religion. A son exemple elle pourrait dire : « Le spiritisme n'est que ce que nous enseignons dans le fond, sinon dans la forme. Le fond est éternel, la forme est une adaptation au temps et aux mœurs. Sa doctrine, qui est celle de Jésus, est la nôtre. » Le meilleur moyen de se débarrasser de ses ennemis est de s'en faire des amis.

Le prêtre rendu à la moralité et armé de la vérité serait alors respecté comme les anciens prophètes.

Au lieu de porter l'extrême-onction au mourant et de le plonger dans les terreurs d'une justice impitoyable, il le préparerait à la délivrance en lui faisant voir les beautés et les êtres aimés qui l'attendent. Il prodiguerait à ceux qui restent les consolations dont le spiritisme abonde.

Leurs prédications affecteraient l'allure de conférences éducatives. Toutes les classes de la société, y compris les ignorants et les incrédules, reprendraient le chemin de l'Eglise. La chaire grandirait, entourée de reconnaissance et de respect.

Le prêtre se ferait un devoir de rechercher les jeunes âmes dévoyées, qui s'en vont à la dérive et alimentent l'armée du mal et du crime. Il deviendrait l'apôtre, le gardien et le grand éducateur moral, le jour surtout où vous abolirez le célibat et la confession.

La soutane prendrait un caractère sacré, et le prêtre, devenu le vrai missionnaire de Dieu, serait le plus grand éclaireur des masses. Il conduirait l'humanité dans une voie ascendante d'évolution spirituelle qui ferait oublier 16 siècles d'égarement. Le catholicisme redeviendrait christianisme.


 

La misère

Tout l'Orient, de la mer Blanche à la mer Rouge, des glaces éternelles aux sables brûlants de l'Arabie, semble livré aux horreurs de quelque vague d'expiation et présente le navrant spectacle d'un cinéma de la mort.

Les peuples soulevés plongent dans l'inconnu, à la recherche, dans le sang, de progrès et de vérité et ne trouvent que le vide de l'utopie et de la famine.

Des populations entières agonisantes, des enfants de tous âges, émaciés, rongés de misère et de maladie, épuisés, exténués, s'éteignent au milieu des souffrances physiques et morales dans des caves, dans des bouges, le long des routes.

La guerre brutale a tué des millions d'hommes. Voilà maintenant que ses conséquences, les horreurs de la faim, des épidémies et de tous les maux combinés, s'abattent sur ce qui reste de victimes à frapper, tuant en détail des millions de femmes et d'enfants. Plus de cinq millions de ces derniers se tordent dans la douleur, en attendant que les glaces du nord envoient leurs morsures à travers les steppes à ces pauvres chairs déjà meurtries, dont l'hiver va aiguiser les tortures.

Pourquoi cette mort cruelle qui les prend par lambeaux, qui joue avec leurs angoisses, n'a-t-elle pas la charité de les cueillir d'un seul coup, sans leur faire payer par la souffrance et d'inutiles agonies la délivrance tant désirée ?

Quelle douleur pour une mère dont le sang épuisé ne peut plus sécréter de lait, de voir se tordre et agonir dans ses bras l'enfant qu'elle ne peut plus nourrir.

Devons-nous rester témoins indifférents de ce spectacle d'horreur qui glace les plus endurcis ? A-t-on le droit de dire qu'on, est impuissant à les soulager, alors que des êtres chargés de millions ne trouvent jamais assez de dégradants plaisirs pour satisfaire leur bestialité ; alors que des crésus libertins donnent aux créatures méprisables dont les chairs flattent leurs vices des colliers de perles dont le moindre sauverait des milliers de victimes; payent deux cent mille francs un cheval de course ou font cadeau d'un théâtre tout agencé à quelque cabotine ; alors que la perversion du goût public, assoiffé de brutalités et de plaisirs morbides, donne à des virtuoses du coup de poing des millions qui arracheraient à la mort, par, centaines de mille, les pauvres victimes sur lesquelles la guerre impie et ses suites ont jeté un linceul de douleur ?

Que, penser de ces lignes cueillies dans la chronique de Deauville ? « Le jour où le pari mutuel faisait sept millions d'affaires, une quête patriotique au profit des mutilés de guerre rapportait à grand-peine 14.000 francs. »

La nuit, à la table de baccara, des joueurs risquaient 500.000 francs sur un coup de carte.

Si les gaspillages étaient convertis en charité, ces millions ouvriraient toutes grandes les portes du ciel aux sauveurs généreux qui les emploieraient à apaiser cette lugubre misère.

Si un instant seulement ils pouvaient entendre les cris douloureux, les appels de la faim, les sanglots étouffés des âmes et des corps, les gémissements des terrassés, le râle des mourants, dans quels remords les grands et urgents devoirs à accomplir ne jetteraient-ils pas leurs criminelles extravagances !

Etes-vous donc si certains de l'impunité que vous puissiez vous gorger de plaisirs pendant que les déchirements tenaillent vos frères ? Etes-vous donc certains que des revers ne vous frapperont pas pour vous faire expier votre indifférence en vous plongeant à votre tour dans les pires misères ?

Infortunes méritées, disent parfois ces jouisseurs pour excuser leur égoïsme. Qu'en savent-ils? Il n'y a d'infortunes méritées que celles infligées aux coupables par leur conscience même comme expiation en se réincarnant. C'est la justice de Dieu, et la juger serait comme vouloir regarder le soleil en face.

Mais nous savons aussi que Dieu nous commande la charité et l'amour. C'est là-notre rôle envers nos semblables, et nous devons le remplir. Nous n'avons pas besoin d'en savoir davantage, le reste appartient au Grand Juge.

Si seulement la foi pouvait pénétrer ces âmes cuirassées par leurs souillures, ils courraient là où la pitié et l'humanité les appellent. Ils ouvriraient tout grand leur cœur et leur bourse à ces martyrs ; ils n'auraient jamais assez de larmes pour pleurer l'indifférence de leur passé.

Et plus près de nous, hélas ! à côté du scandaleux spectacle des plaisirs dégradants de nos villes, où l'insolente opulence éclabousse le malheur et la misère, que de pauvres êtres sans abri, le ventre creux, tombent épuisés, le soir, sur le pas d'une porte, sous la bise, la pluie ou la neige, transis, n'ayant pour tout repos que le court sommeil arraché au malheureux terrassé qui succombe à la fatigue !

Combien de familles sans nourriture, sans lit, couchant sur la dure, vivent dans un bouge de quelques pieds carrés, avec parfois, parmi eux, des malades et des mourants, tous à peine vêtus, torturés par la faim, le froid, la fatigue et les privations de toutes sortes, et sans cesse exposés à être expulsés par l'impitoyable cerbère qu'est leur propriétaire !

Si c'est là l'expiation de fautes passées, combien cette attristante vision ne devrait-elle pas nous faire fuir avec horreur tous les écarts de la vie qui pourraient nous exposer à pareilles représailles dans une autre existence !

Faites voir de près cette navrante misère à ceux qui ne demandent à la vie que ses joies égoïstes ; si leur cœur n'est pas endurci à la souffrance, s'il s'y blottit dans quelque coin une étincelle de sensibilité, peut-être enflammera-t-elle leur pitié et sauvera-t-elle leur âme en y éveillant la charité.

Faites-la voir à vos enfants pour tâcher d'orienter les bouillonnements naissants de leur cœur vers les nobles élans, plutôt que de les laisser sombrer dans les égarements de la jeunesse.

Pourquoi l'enseignement de la morale ne comprendrait-il pas un pieux pèlerinage à ces foyers de souffrance ? La vue des déchéances sociales serait plus éloquente que des volumes. Ne pouvons-nous en faire un saint devoir comme la visite aux tombes de nos morts ? N'y a-t-il pas là un éveil moral et un puissant élément d'éducation ? Chaque être ne devrait-il pas ajouter au programme de ses obligations mondaines ou sociales la visite obligatoire aux blessés de la vie, aux lies humaines, à ces verrues de la civilisation qu'est le calvaire de la misère ? Ne leur demandons pas compte de leurs souffrances ; ils souffrent, c'est tout ce que nous devons savoir.

Quand on voit des malheureux, on est presque honteux d'être heureux ;

Quand on voit souffrir autour de soi des malades sans pouvoir les soulager, il semble que ce soit presque de l'égoïsme de se bien porter.

Quelle âme généreuse enseignera ce saint devoir à l'insouciante humanité et le fera pénétrer dans les mœurs comme un facteur de l'éducation ? Pensez-y, amis, et agissez.

Chacun ne devrait-il pas prélever, sur ses dépenses de luxe ou de plaisir, le denier du pauvre pour alléger un peu la misère réelle, alors que toutes les bourses confessionnelles s'ouvraient au denier de Saint-Pierre pour faire une inutile aumône au plus riche thésauriseur de la terre ?

Comment ne pas éprouver un violent frisson de pitié et d'horreur à la vue de ceux qui souffrent, de dégoût et de honte pour ceux qui laissent souffrir quand on pense à ces milliardaires d'Amérique qui n'auraient qu'à ouvrir la main pour arracher aux tortures et au martyre des populations entières. N'était-ce pas là leur mission sur la terre ?

Les petites fortunes allégeaient les petites misères, mais à mesure que les maux grandissaient et s'étendaient, Dieu a ouvert de plus larges crédits à ses agents missionnaires pour organiser le soulagement sur une plus vaste échelle, et quand la misère, la famine et les épidémies se sont abattues sur des pays entiers, il a mis dans la main de ces milliardaires d'outre-mer l'instrument de secours destiné aux masses. Quand ils retraverseront la frontière, Dieu leur demandera compte de leur gestion, il leur demandera ce qu'ils ont fait des dépôts qu'il leur a confiés ; ils auront à répondre des malversations qu'ils ont commises en les détournant de leur destination.

Que n'ai-je une bribe de leur fortune pour participer à cette œuvre admirable des asiles de jour et de nuit qui ne demandent que quatre murs et un peu de paille, pour donner à chacun un bol de potage chaud et nourrissant qui les arrache au froid et à la faim, pour confier aux soins de docteurs philanthropes toutes ces pauvretés souffrantes, toutes ces misères physiologiques ?

Combien les querelles politiques, les ambitions orgueilleuses, les satisfactions de vanité paraissent peu de chose à côté de ces touchants devoirs ! Cette soif d'or et de jouissance ne paraît-elle pas criminelle quand l'écho des rires leur rapporte des sanglots et quand les joies malsaines rencontrent dans la boue où elles traînent les âmes, les victimes, râlantes que la misère y a plongées.

L'humanité sombre dans la folie et le vice. Elle semble défier les colères et la justice du ciel. Elle vend ses béatitudes futures pour l'éclair d'une vie de plaisir. Elle prépare sa descente dans ces misères lors de l'existence prochaine, pour lui ouvrir tes yeux qu'elle s'obstine à détourner du devoir qui l'appelle.

Je me demande alors si nous ne sommes pas tous coupables de rester inactifs, si nous ne devrions pas considérer comme nôtre premier devoir dans la vie de secourir ces frères malheureux.

Ne pourrions-nous créer parmi les âmes de bonne volonté l'embryon d'une union fraternelle pour répandre l'usage de la visite aux malheureux, prélever sur toutes nos dépenses somptuaires l'obole formant la part du pauvre, et faire descendre dans la conscience publique le principe de la charité avant le plaisir ?

Quel est l'enfant de Dieu qui aidera à attacher le grelot ?


 

Vagabonds de l'erraticité sur la terre

Il est parmi nous une race étrange qui semble avoir échappé à la surveillance du geôlier de l'erraticité et s'être glissée au milieu des humains sans le passeport de la réincarnation, êtres mystérieux, vivant en contrebande sur la terre, sans se mêler aux hommes et reliés à leurs frères de l'espace par des liens insaisissables, race antique et mystérieuse dont l'origine est inconnue.

On les appelle tziganes en Bohême, Zingaris en Russie, chinganis en Hongrie, gipsies en Angleterre, gitanos en Espagne, et chez nous bohémiens ou romanichels, êtres aux coutumes impénétrables, rebelles aux conventions de la vie sociale, hostiles au travail embrigadé et vagabonds d'instinct.

Les plus anciens sont les zangani ou tziganes, qui veut dire errants. Ils furent rejetés, il y a quelque dix mille ans, des bords du Gange, comme l'irréconciliable écume de l'Inde mystique. Ils se tenaient toujours le long des fleuves où ils célébraient leurs mystères. Ceux des bouches du Danube, appelés zigannes, célébraient les leurs à Histropolis. Aux bouches de Boetis, ce sont les gitanes ; aux bouches du Rhône les gipsies ; au bord de l'Oder, les Suèves, qu'on retrouve en Asie sous le nom de Shamanes.

Les gitanes étaient fameuses à Rome par leurs danses. Il y a plus de deux mille ans, les zigannes du Danube étaient connus des Grecs. Ces races errantes sont les restes des anciens bateleurs chargés de jouer les mystères.

Leur culte, qui est secret, est fait de légendes et de traditions, dont le sens ésotérique échappe à toutes les interprétations. Il a pour dogme le principe du mal et comme symbole la figure d'un serpent de bronze, mais ce n'est pas là un fétiche ou un icône dont on implore la protection. Bien au contraire, la seule prière qu'on lui adresse est de les laisser tranquilles et de ne pas s'occuper d'eux. Ils sont l'image de la légende de Caïn, rejeté du sein de la famille et condamné à l'erraticité.

Enfermés dans les secrets de leur race dont ils sont les gardiens jaloux, ils ne se marient jamais en dehors de la tribu. Une langue mystérieuse les unit qui ne ressemble à aucune autre et n'a pas d'écriture. Race maudite, s'écrie-t-on, et l'on plaint les pauvres enfants, innocentes victimes, qui sont nées là. Détrompez-vous, ces enfants sont des âmes qui se sont volontairement incarnées dans ces colonies errantes. Dans quel secret dessein, pour obéir à quelle mystérieuse nécessité, qui peut le savoir ?

Ils forment une classe hybride, participant de l'incarné et du désincarné, espèce d'insondables amphibies de nos deux mondes, vivant dans celui-ci avec des attaches secrètes dans l'autre, comme s'ils conservaient un pied dans l'erraticité ou des relations avec de criminelles entités dont ils serviraient les ténébreux desseins.

La société, inquiète à leur égard, leur a fermé l'humanité sociale, les rejetant de son sein comme inassimilables par leur nature de lie humaine et indéfinissables par le manque de souplesse et d'adaptation de leur caractère énigmatique.

Ils donnent l'impression d'animaux qui ne veulent pas être apprivoisés, préférant leur indépendance à l'esclavage des conventions humaines.

Ils cachent un grand problème où des subtilités psychiques côtoient les contaminations criminelles de l'erraticité. Combien parmi ceux ont du crime dans leur passé et dans leur être latent de la terre? On dirait qu'ils fuient la responsabilité d'existences régulières, dans la crainte d'avoir à subir une réincarnation expiatoire ; on dirait que, déchu de splendeurs passées, beaucoup parmi eux craignent ou dédaignent de se mêler à des milieux d'où ils sont tombés et où ils auraient honte de se retrouver. Ils aiment mieux rentrer dans la boue où ils se cachent et cherchent à échapper à leurs juges en se dérobant à l'attention par leur vagabondage infatigable.

Parmi ces errantes épaves d'un passé voilé, se trouvent des êtres indéfinissables; la plupart du temps des femmes, moitié sibylles, moitié sorcières, au regard perçant, plongeant dans notre être présent, passé et même futur, et qui vous lisent avec une déconcertante pénétration.

Cartomanciennes, chiromanciennes, magiciennes, devineresses, voyantes ou tout ce que l’on voudra, elle ont une sorte de médiumnité magnétique, hypnotique formant une secrète attache psychique qui semble les relier à une ténébreuse affiliation de l'astral.

Il en est dont les prunelles ont des reflets d'acier qui semblent déverser sur vous : des regards de feu et dont les yeux percent les êtres comme des dards, comme s'ils voyaient à travers.

Chez certaines gipsies de Naples, d'Andalousie, l'œil est un poignard où brillent des activités psychiques qu'il est prudent de subir le moins possible et de ne pas braver. Ces yeux ignorent les larmes. Elles sont pour eux une faiblesse, ils sont le miroir d'une âme orageuse et forte, mais sombre et cruelle.

Il en est dont les grands yeux noirs sont caressants, rêveurs, enveloppants ; mais méfiez-vous de ces regards qui entortillent, ils cachent toujours l'astuce et la griffe féline.

Ces êtres qui se sont peut-être trompés de monde en venant chez nous, ne connaissent pas la morale et les scrupules, restriction à. l'indépendance de leur volonté. Ils vivent des caprices et des impulsions de chairs pétries de vices et de rapines, sans aucune pudeur et sans la moindre conscience du mal.

Nos tempêtes sociales ne troublent pas leur insouciance. Ils n'ont ni patrie, ni famille, et leur roulotte errante est leur seul point de contact avec notre monde.

A quelle classe d'humains, dans leur ascendance, ont-ils pu appartenir ?

Nous sommes un véritable musée zoologique, nous avons traversé une multitude d'espèces dont chacune a laissé dans notre être une note personnelle héréditaire sous forme d'empreinte psychométrique et d'atavisme générique. Nous devons retrouver en nous la trace de tous ces passants dont la somme des existences a bâti la nôtre : mammifères, sauriens, batraciens, reptiles, hexapodes, crustacés, ovipares, vivipares, poissons, oiseaux, et même, avant la faune, des impatiences de progrès et des témérités le la flore.

De quel concours d'éléments adverses a pu résulter cette race bohème à qui il a manqué les influences directrices pour en faire des humains ? Attardés sans doute dans certains règnes, dont la fusion de toutes les individualités ne permettait pas un tout homogène, ils ont pu former ainsi des êtres incomplets dont les facultés manquent d'équilibre. Il y a un profond secret au fond de ces âmes ; elles subissent sans les comprendre — parce que la clé en est là-haut — des destinées d'une fatalité énigmatique[4].


 

Aux pionniers éducateurs

Portez la bonne parole dans les milieux ingrats et incultes, dans les antres et les bouges, courageux qui n'avez pas peur d'affronter les ténèbres des âmes.

Réconfortez les cœurs qu'a abandonnés l'espérance. Montrez-leur que cette espérance était celle de la terre, éphémère comme tous les biens terrestres ; que leurs souffrances, au contraire, dont ils méconnaissent la portée rédemptrice, sont, sous la forme d'un calvaire, une bénédiction divine. Elles leur apportent une aube d'espérances nouvelles infiniment plus précieuses que celles qu'ils ont perdues. Ils se lamentent au lieu d'y voir un bienfait, parce que si elle ferme la porte à des joies temporaires, elle les ouvre toutes grandes à des joies plus durables.

Leurs regards s'abaissent vers la terre où vont leurs larmes ; montrez-leur le ciel. Eveillez-le en eux. Qu'ils sachent bien que pas un pleur, pas un soupir ne seront perdus et que s'ils connaissaient mieux la vérité ils auraient à remercier Dieu de ces souffrances qui leur sont envoyées comme un radeau céleste.

Consolez aussi l'indigence. Elle cache des douleurs muettes. Une vie de misère, dans le cours du temps, passe comme une minute de froid et de privation. Ils récolteront de ce fait une moisson spirituelle compensatrice, alors que ce sera au tour des dissipateurs à apprendre, à leurs dépens, que l'on n'a pas le droit de gaspiller les biens de la terre tant qu'il y a des malheureux pour qui ces biens seraient le salut.

Consolez la veuve en affermissant, dans sa foi, les liens spirituels qui rattachent le visible à l'invisible et qui sont autrement moins fragiles que les liens terrestres. Consolez la mère dont saigne le cœur en deuil, quelque attirante perspective que le ciel lui offre comme compensation, comme consolation ; il n'y a pas pour une mère de compensation à la perte d'un fils aimé. Il n'y a pas, malgré même toute sa foi en la doctrine spirite, de consolation à cette cruelle séparation ; toutes les consolations ne le lui rendront pas. Elle l'appelle entre deux larmes et lui prodigue ses plus tendres accents. Il est au fond de toutes ses prières. S'il avait été marié, s'il avait laissé un enfant, oh ! Comme l'amour pour l'absent rejaillirait sur le cher petit ! Un pleur silencieux perle au coin de cet œil toujours humide. Elle a voué un culte à son souvenir. Tout ce qui lui a appartenu est devenu relique. Elle va discrètement au cimetière aux heures où il n'y a personne, pour être bien sûre d'être seule avec lui. La vue des indifférents gênerait l'expansion de sa douleur. Les fleurettes arrosées de ses pleurs tournent vers elle leur petite face parfumée, comme pour lui apporter le sourire de celui qui repose là, mais ses sanglots n'ont pas d'écho sous la terre, la chère voix s'est tue à jamais.

Attachée à la terre tant qu'il vivait, elle tourne maintenant ses regards vers le ciel où elle sait qu'il est. Elle boit avec avidité toutes les assurances de le revoir. Vraies ou fausses, ces espérances lui font du bien, mais elle est insatiable parce qu'elle est inconsolable. Le moindre objet lui ayant appartenu lui rappelle un passé aimé, souvenir maintenant douloureux, et elle fond en larmes.

On console quelquefois une veuve, on ne console pas une mère. Expliquez-lui cependant que la séparation n'est qu'illusoire, que si elle pouvait voir l'Invisible, elle verrait son bien-aimé fils à ses côtés, affligé de ses larmes, prêt à se jeter dans ses bras. Tâchez de soulever à son espérance un coin du voile qui lui cache le séjour où son fils l'attend. Cherchez au fond de vos cœurs les accents qui convainquent et qui consolent. Vous les trouverez. L'aurore de la foi naissante sera le terrain préparé à la divine floraison de l'espérance. Et vous aurez accompli une charité qui les vaut toutes. Et puis alors, pour épargner des larmes prochaines, allez ouvrir les yeux à ceux qui dépensent leur vie sans compter. Rappelez à l'artisan imprévoyant dont l'existence est le pivot de celles qui grandissent autour de lui, que les heures de prospérité ne doivent pas lui faire oublier les dangers voilés et les imprévus qui peuvent les menacer. Les maladies, les revers, les incapacités de travail, la mort veillent accroupis à son seuil, n'attendant que leur heure, et demain peut-être à son chevet, s'il n'a pas prévu les moyens de s'en défendre.

Prévenez sa femme contre les gaspillages, contre les excès de bonne chère et les chiffons inutiles. Les gros salaires ne connaissent pas les économies et les trompent, parce qu'ils les considèrent comme une base acquise et irréductible. Tout ce qui y entre en gain en sort, sans laisser de trace de son passage dans la tirelire familiale, blottie dans un petit coin où l'on retrouvera le pécule dans les mauvais jours. Montrez-leur combien le gaspillage est près des larmes, près des déchéances morales qui conduisent au repentir et aux expiations.

Il y a deux choses surtout qu'il ne faut jamais perdre de vue dans l'humble logis.

1° Prêcher la concorde. Quand la guerre, les querelles, la discorde pénètrent sous le toit du travailleur, c'est l’éteignoir sur les joies du home, la misère morale et le poison de la vie. Les familles unies sont les seules heureuses, l'union fait la sérénité et la force de l'âme. Il faut qu'ils sachent surtout bien, l'un et l'autre, que le mari et la femme sont les deux moitiés d'un être, complet par l'union et incomplet dans l'état d'unité ; qu'il n'y a pas de maître ; qu'il ne doit pas y avoir de volonté tyrannique dans l'association de deux cœurs unis.

2° Et puis, chassez, fustigez, traquez cette peste, l'ivrognerie. Tâchez de créer au logis un intérêt qui combatte le cabaret. Que les amis entre eux, les parents, les voisins, organisent une vie sociale qui rende les rapports affectueux, et resserrent les liens d'amitié, les besoins d'expansion, la cordialité des plaisirs en commun. Qu'on perde la notion du comptoir d'étain où se déploient, excitée par l'alcool, l'éloquence subversive, les excitations mutuelles, les ferments de vice et de discorde.

Allumez votre flambeau spirite avec discrétion ; ne les éblouissez pas d'un seul coup ; ils seraient ahuris au milieu de cette lumière éclatante et fuiraient effrayés ce qu'ils ne comprendraient pas. Inculquez les vérités par petites doses, laissez-les méditer sur chacune. Quand elles auront germé dans un sol qu'il ne faut pas étouffer sous la semence, quand elles auront été peu à peu comprises et que, de leur âme éveillée, elles descendront dans leurs pensées quotidiennes, alors seulement, faites un pas en avant, ajoutez une nouvelle graine à la première, laissez-lui prendre racine et, pas à pas, vous leur infiltrerez toute la doctrine, vous aurez répandu toute la lumière dans une âme enfin arrachée à la terre et désormais acquise au ciel.

N'oubliez jamais de leur faire remarquer que les misères des autres peuvent être un jour les leurs ; enseignez-leur l'indulgence, la charité, et si ce n'est pas la charité qui donne, que ce soit la charité qui console, et celle-là est à la portée des plus pauvres. La charité est la sœur de la fraternité. Ce sont deux des plus belles fleurs de l'âme. Dites-leur que la grande main qui veille auprès des êtres s'ouvrira pour le leur rendre, en déversant sous une forme ou une autre dans la leur, d'autres biens dont celle-ci débordera, venant de la main généreuse qui récompense le bien au centuple, comme au centuple elle punit le mal.

Prévenez surtout les pauvres égarés par des sentiments haineux, qu'ils forgent à leur conscience des armes contre eux-mêmes.

Les humbles ont le sentiment de leur médiocrité, ils n'ignorent pas qu'ils ne savent rien, ils vous écouteront. Mais vous aurez plus de peine à vous faire ouvrir les portes opulentes.

Le matérialiste, le viveur, l'égoïste et surtout les ouailles circonscrites par la pieuvre cléricale sont moins abordables, mais si les brebis de confessionnal sont sourdes à tout ce qui touche à leur religiosité, vous trouverez leurs confesseurs plus accessibles s'ils n'ont pas l'intransigeance du parti pris, et ils vous fourniront, sous le manteau de la cheminée, des recrues intelligentes.

L'ambition et l'orgueil sont des forteresses où il est difficile de faire la plus légère brèche. Je laisse à votre sagacité le soin de leur ouvrir les yeux ; les uns sont des aveugles par ignorance, d'autres des aveugles volontaires, mais ces derniers sont des sourds par intérêt ! Ils ne vous écouteront pas, parce que le ciel les gêne. Sceptiques irréductibles, ils accueilleront ce qu'ils appellent chez vous de la crédulité simpliste par des sarcasmes. Du haut de leur suffisance, de leur faux col empesé, de leurs écus, de leur scepticisme qui fait les esprits forts (?), ils plongent dans les ténèbres ; ne voyant rien, ils ne croient à rien. Ceux-là savent tout, sont seuls dans le vrai, et au dessert, entre le verre de vin de la suffisance et le verre de vin de trop, ils s'amusent de vos rêveries et travestissent vos croyances pour les ridiculiser.

Forcer ces portes d'airain est conquérir la Bastille, le Kremlin et le Capitole. Leur ignorant orgueil a pour devise péremptoire : « On n'entre pas ici ». La foi, l'âme, Dieu, la vie invisible, sornettes que tout cela ! Si ce sont des rêves creux, faites de l'action la sœur du rêve pour les prendre d'assaut si vous pouvez. Il est probable que vous vous briserez contre ce granit, mais vos tentatives laisseront en eux une empreinte dont ils se souviendront quand ils auront franchi le pas et elles seront peut-être pour eux une lueur dans les ténèbres où ils iront échouer.

L'heure du réveil à la vérité fera d'eux, à leur insu, des adeptes. Votre parole, dédaigneusement repoussée, n'en a pas moins été gravée dans leur subconscient et c'est une semence qui germera à son heure, non dans ce monde, mais, dans l'autre, quand ils s'éveilleront dans le trouble de la réalité.


 

La propagande

C'est en sauvant des âmes qu'on sauve en même temps la sienne propre.

Tâche ingrate que celle du propagandiste. Les humains sont des citadelles de routine difficilement accessibles au progrès et aux idées nouvelles, et tout ce qu'ils ne connaissent pas est une idée nouvelle, fût-elle vieille comme le monde. Ceux qui se font les propagateurs de vérités sont traités comme des commis voyageurs en dogmes ou en morale, plutôt que comme des missionnaires, menue monnaie du Christ. La tâche n'est pas plus facile parmi les civilisés que parmi les sauvages, au contraire. Les civilisés sont des incrédules de parti pris, les sauvages des crédules par nature. Les premiers sont des landes indéfrichables, les seconds un terrain vierge ouvert à toute culture.

Il y a, chez les êtres, une frontière naturelle faite de leur égoïsme et de leurs intérêts et entourée des fossés presque infranchissables de l'orgueil ou de l'indifférence. Des pionniers résolus ont essayé de jeter un aliment spirituel aux âmes par-dessus ce fossé, mais ils ont rarement pu atteindre l'autre bord.

Les appels restent sourds, les enseignements improductifs. Les efforts sont stériles parce que l'indifférence est aussi générale que l'égoïsme, dont on peut dire d'ailleurs qu'elle est une des formes.

La grande difficulté est d'aborder un sujet dont le nom seul suffit, sans examen, à provoquer de l'hostilité, mais si l'on peut vaincre la première résistance et éveiller la curiosité, l'intérêt, la doctrine elle-même se charge du reste ; l'adepte se passionne et fait des progrès à pas de géant.

La propagande est un devoir à l'égal de la charité, parce qu'elle a pour objet d'éclairer le prochain sur les vérités qu'il ignore et qui lui ouvrent le droit chemin. C'est une charité spirituelle.

Lorsque l'on demande sa route à un passant, il ne fait, en l'indiquant, que ce que nous faisons en éclairant nos frères de l'humanité.

Lorsque l'on consulte un avocat ou un médecin sur des questions d'affaires ou de santé où l'on se sent incompétent, ce qu'ils conseillent à leur client pour le ramener dans la banne voie est ce que nous faisons en cherchant à l'instruire.

Nous sommes le poteau indicateur, l'avocat et le médecin, de l'âme.

Ne nous lassons pas. A force de proclamer les vérités, nous n'arriverons peut-être pas à convaincre beaucoup d'incrédules, mais nous les ébranlerons. Leurs doutes feront le reste.

Nous ne serons jamais assez nombreux, il faudrait pouvoir, recruter parmi nous une armée de missionnaires, car elle a à combattre une armée d'ignorants et d'incrédules.


 

La fraternité et la solidarité

La fraternité spirite, un instant acclimatée dans nos cœurs et dans nos rapports sociaux par les pythagoriciens, s'est perdue en chemin dans les périodes décadentes de ce qu'on appelle le progrès. Le progrès s'est retourné du côté des intérêts et des jouissances, il est descendu de son autel austère dans les saturnales du forum; il a quitté Crotone pour retourner à Capoue, et la Rome d'Auguste pour reprendre le chemin de Babylone. Les vestales ont éteint le feu sacré et fermé les portes du temple.

Réveillons-la dans les cœurs en renversant toutes les barrières ennemies, même celles qui font du sacerdoce un métier. Il n'y a pas besoin de porter une soutane pour servir Dieu, comme tous les saints ne sont pas dans des niches ; toutes les poitrines héroïques ne sont pas décorées, tous les fronts géniaux ne sont pas nimbés d'une auréole. En effet, les plus obscurs sont parfois les plus grands, les distinctions de la terre meurent avec l'uniforme charnel qui les porte et ne forment point les portiques du ciel.

La fraternité spirite ne doit connaître ni sectes ni schismes, mais des hommes seulement. Nous irons donc à tous la main tendue, à vous, humbles soutanes, petite monnaie du Vatican, comme aux autres. Vous nous traitez en ennemis parce que nous gênons vos intérêts plus que vos croyances, mais nous, qui ne mêlons à notre foi aucun intérêt terrestre, qui ne traînons pas notre ciel dans les entreprises humaines, nous ne voyons en vous, malgré tout et malgré vous, comme dans tous les hommes, que des frères. Vous croyez en Dieu et votre sacerdoce a pour mission de montrer aux humains le chemin qui conduit à Lui. Quelque divergence qui nous divise, notre but est le même. Vous ne pouvez nous lancer un Rétro parce que nous invoquons l'amour et la fraternité. Nous sommes tous serviteurs du même Dieu, bien que nous suivions des voies différentes pour aller à lui.

Et vous, chers confrères en spiritisme, théosophie, ésotérisme, occultisme, quelque nuance qui motive notre foi, ne pouvons-nous combler le fossé qui nous sépare, car il n'y a qu'une vérité, comme il n'y a qu'une morale, comme il n'y a qu'une conscience ?

La solidarité. — La fraternité est le premier pas vers la solidarité, qui représente une fraternité collective.

La vie sociale a formé des associations qui reposent sur des intérêts communs ; pourquoi la vie spirituelle ne grouperait-elle pas ses adeptes en une union reposant sur les intérêts spirituels ?

La solidarité n'est pas autre chose, c'est une vaste chaîne formée de tous les êtres se tenant par la main.

C'est demander beaucoup à l'être humain, car pareille chaîne serait composée de saints, et les mains sont trop liées à leurs intérêts terrestres pour s'immobiliser et s'unir en une chaîne désintéressée.

Dans la pratique, ni la solidarité ni la fraternité n'existent. Ce sont des mots décoratifs dont les effets ne sont pas mûrs ; ils sont encore à l'état de semence et germeront quand les préceptes spirites et moraux auront enjambé de la théorie dans leur application aux règles de la vie.

La solidarité, qui a pour assise fondamentale quand on peut, on doit, gênerait considérablement l'égoïsme humain. Ceux dont on dit s'ils veulent, ils peuvent, y substituent volontiers la formule plus élastique : Je peux, mais je ne veux pas.

Nous devons avoir le courage moral d'accepter l'injonction spirite que si nous pouvons, nous devons.

Refuser d'accorder ou de donner ce qu'il est en notre pouvoir de faire est comme l'homme riche qui laisse passer l'occasion d'un acte charitable sans la saisir, péchant ainsi par omission.

L'homme qui nous fait un tort matériel est coupable assurément, mais celui qui pourrait nous aider à en sortir et ne le fait pas, l'est tout autant.

A ce titre, la tâche du millionnaire est excessivement épineuse, car il est en butte à toutes les sollicitations, et à moins de pratiquer le précepte de Jésus qu'il faut partager ce qu'on possède avec ceux qui sont dans le besoin, il est exposé à encourir, pour chaque omission, une dette spirituelle. D'après le principe altruiste, son devoir serait de penser aux besoins des autres avant de s'occuper des siens. Quel est le millionnaire qui consentirait à accepter cette interprétation messianique comme son devoir humain ?

— Mais alors, s'écrie l'égoïste, si la solidarité est le souci des intérêts de tous, je ne m'appartiendrai plus, j'appartiendrai à tout le monde.

Assurément, car il aurait à convertir son chacun pour soi en chacun pour tous, à l'imitation de la loi d'harmonie qui règne là-haut entre les âmes et qui constitue la plus généreuse manifestation de l'altruisme. On la trouve au fond de tous les préceptes du Christ, car elle contient la fraternité, la charité, l'abnégation et l'amour.

Si la société avait ce principe pour base, ce serait la solution de toutes les questions sociales. En attendant, n'oublions jamais, nous spirites, que le devoir spirite ne transige pas avec si l'on peut, l'on doit.


 

La charité

Charité en deçà, amour au delà, devises de la terre et du ciel.

L'enfant a tous les défauts de l'animal ; son plaisir est de faire du mal : il écrase sur son chemin les insectes inoffensifs, il jette des pierres aux animaux, il est agressif et batailleur.

Chez l'homme, le premier sentiment envers ses semblables est l'hostilité et la critique. On cherche le mal avant de chercher le bien.

Celui qui aime, qui loue, qui excuse, qui s'enthousiasme, parle avec son âme. Celui qui n'aime rien est une scorie de l'humanité.

Quelle satisfaction reste-t-il du mal qu'on a fait ? Le bien, au contraire, est comme une chaude rosée de douce satisfaction au cœur. C'est une récompense qui renaît de ses cendres pour se prodiguer sans cesse. Quel intérêt l'homme a-t-il à provoquer du ressentiment plutôt que de la reconnaissance, de la rancune plutôt que de l'affection ?

Puis-je suggérer un modeste conseil ? Il n'est pas nécessaire de retourner notre nature comme un gant ni de transformer l'animal que nous sommes en un être de bonté, mais essayez, si peu que ce soit, et la satisfaction que vous en éprouverez sera telle qu'elle vous donnera envie de persévérer.

Peut-être sommes-nous injustes envers les autres. Mettons-nous à leur place pour les juger ; voyons si nous n'aurions pas fait comme eux. Avant de nous sentir offensés de ce qu'ils pourraient nous refuser, voyons si nous le leur aurions accordé, dans le cas où ce seraient eux qui l'eussent sollicité. Ne demandons d'ailleurs pas ce que nous refuserions ; ne refusons pas ce que nous demanderions nous-mêmes.

Pourquoi avons-nous des ennemis ? Quel est le coupable, eux ou nous ? Nous nous donnons raison et nous leur donnons tort. Ils en font autant.

Souvenez-vous de l'opinion que nous avons conçue des gens qui étaient bons, qui ont signé leur vie par des bienfaits ; et l'impression que nous ont laissée ceux qui ne l'étaient pas. Laissons parler notre cœur au lieu de montrer les dents.

Au surplus, voyons si nous ne pouvons pas établir un petit code moral à notre usage personnel, mais ne perdons jamais de vue que nous avons affaire à des humains. N'imitons pas les moralistes, toujours prêts à donner de bons conseils sans les accompagner d'exemples ; image des poteaux qui indiquent le chemin sans le parcourir.

De même que ce n'est pas nous qui devons punir les coupables qui nous ont offensés, parce que la justice exclusivement est dans les mains de Dieu, de même ne devons-nous pas nous attendre à de la reconnaissance de ceux à qui nous avons fait du bien, parce que leur reconnaissance même ne serait pas la récompense du bien que nous leur avons fait, la seule récompense nous venant de Dieu. Nous pouvons donc, et c'est notre devoir d'ailleurs, nous désintéresser de leur gratitude.

Loin des grands cœurs, ces amours vulgaires et frelatés qui ne parlent qu'aux sens ; vivre de son rêve, fidèle au souvenir ou à l'espérance des saintes affections de l'âme, vaut mieux cent fois que de mésallier son âme.

Les souffrances humanisent le cœur ; il compatit au lieu d'accuser, il souffre au lieu de haïr, il gémit au lieu de maudire.

Mais en sommes-nous là ? Lorsqu’on nous dit d'aimer notre prochain et de pardonner à nos ennemis. S'il nous arrive de les passer en revue, nous avons une excuse toute prête pour ne pas pratiquer cette charité envers eux. Nous nous souvenons de leurs fautes et il nous semble dur de les excuser. Il faut de la résignation, il ne faut pas se plaindre. Se plaindre, c'est défier Dieu.

Nous sommes toujours prêts à juger les autres d'après nos propres idées, sans nous demander si elles sont justes ou fausses, de sorte que nous les voyons à travers un instrument myope ou presbyte, à travers des préjugés, des divergences de vues, d'opinions et d'intérêts, suivant les infinies subtilités de notre propre nature. De même ne sommes-nous jamais nous aux yeux des autres, mais le nous qui s'accorde le mieux avec leur instrument d'optique psychique.

Quand vous faites du bien, êtes-vous sûrs d'en avoir écarté tout calcul qui en ferait, à votre insu, un coup d'encensoir donné à votre vanité ? Et avez-vous soin de ne jamais vous souvenir de ce bien ? Que d'heureux on pourrait faire avec le bonheur qui se perd en ce monde ?

Si chacun donnait ce qu'il dépense inutilement, il n'y aurait pas de misère. Si nous donnions ce que nous mangeons de trop à ceux qui ont faim, il n'y aurait pas d'affamés. Si nous donnions au bien la moitié des pensées que nous donnons au mal, la vie glisserait sur le velours, sans les épines.

Les mauvaises pensées corrompent l'atmosphère, comme les mauvaises odeurs.

M. Sage, dans la Yoga, dit : Ne fais ou ne pense pas le mal. La mauvaise action ou la mauvaise pensée, après avoir décrit une circonférence au rayon plus ou moins long, reviendrait tôt ou tard te frapper en plein front. Le méchant ne nuit qu’à lui-même en dernière analyse. Mais le bien revient aussi à son auteur comme le mal.

La bourse ne doit pas être tellement fermée que la charité ne puisse l'ouvrir, sans pour cela être tellement ouverte que chacun puisse y puiser. Consacrez-lui le cinquième de ce que vous possédez, disent les uns, le dixième, disent les autres, la moitié, dit Jésus.

Donner vite et spontanément, sans calcul, c’est donner double (Bis dal qui cito dal). Les bienfaits marchandés ne méritent pas ce nom. S'en vanter, c'est presque les reprocher.

Tout paradoxal que cela puisse paraître, ce n'est pas aux autres que l'on fait la charité, mais à soi-même, car c'est sur nous, à notre actif, que retombe le bien que nous faisons.

L'obole d'en bas vaut mieux que celle d'en haut. Les deux sous qui sortent d'une poche à peu près vide valent mieux que les vingt francs qui sortent d'un gousset bien garni.

N'oubliez pas non plus vos devoirs de charité envers les animaux. Ne jetez pas les miettes de pain, n'oubliez pas que ce qui est une miette pour vous est une bouchée pour les oiseaux.

Au point de vue humain, la charité donne ce dont elle n'a pas besoin. Au point de vue divin, donner c'est savoir se priver. Le seul mérite est de donner de son nécessaire, non de son superflu. Si vous n'avez pas de quoi donner, privez-vous, mais donnez, si peu que ce soit. Ce dont vous vous priverez pour le donner, vous fera plus de bien que si vous l'aviez dépensé pour vous. Donner dans ce monde, c'est recevoir dans l'autre. Ne jamais donner dans ce monde, c'est s'exposer à ne jamais recevoir dans l'autre.

La vraie charité part du cœur quand elle est plus heureuse de donner que de recevoir. Elle consiste à s'oublier pour les autres.

Un bienfait reproché dispense celui qui l'a reçu de toute reconnaissance.

Le bienfait anonyme mérite de nous arrêter un instant. Il est le seul moyen d'échapper à ce sentiment de l'animal humain de rendre le mal pour le bien. Vous avez aux yeux de Dieu seul le mérite du bien que vous faites. Les hommes ne le reconnaissent et ne l'apprécient pas. Que leur importe ! Ils ne connaissent que ce qu'on leur donne, celui qui donne ne compte pas. Le plus souvent, ils cherchent à amoindrir la valeur de ce qu'ils reçoivent pour diminuer leur obligation d'en savoir gré.

Quant à la reconnaissance, image aux pieds d'argile, les grandes âmes seules savent la pratiquer.

Lorsque le bienfaiteur est anonyme, il grandit réellement dans leur pensée. Ils se sentent alors les obligés d'un inconnu. Un bienfaiteur connu est comme un reproche vivant. Inconnu, il reste, dans leur cœur, un créancier moral, et ils professent une véritable reconnaissance pour cet inconnu qui ne les gêne pas.

Bienfait pour celui qui donne aussi bien que pour celui qui reçoit, parce qu'un don anonyme est un don à Dieu.

La gloriole de vanité que l'on tire d'un don signé en détruit la valeur, le silence la grandit.

Les Esprits nous en montrent l'exemple. C'est d'eux que nous viennent la plupart des bonnes choses qui nous arrivent. Ils ne s'en vantent pas. En revanche, nous nous en attribuons le mérite, au lieu d'en remercier les véritables dispensateurs dont nous n'avons été que le docile instrument. Sot orgueil de la bête humaine, toujours prête à s'encenser, et qui se croit quelque chose alors qu'elle n'est rien.

Il y a des gens qui s'occupent tellement des affaires des autres qu'ils n'ont pas le temps de s'occuper des leurs et qui se préoccupent tellement des fautes des autres qu'ils n'ont pas le temps de s'apercevoir des leurs.

Ce sont presque toujours ceux dont il ne serait pas édifiant de sonder le passé qui attaquent et accusent le prochain. Aussi n'est-il pas attristant de voir des frères spirites s'éloigner de ceux qui ont sombré un jour dans quelque faute, et de leur en faire porter le poids toute leur vie ? N'est-ce pas, au contraire, le devoir d'un spirite, au lieu de repousser un homme qui a péché, mais qui a payé, qui a expié, de lui tendre la main et de l'aider à se relever ?

Un spirite a-t-il le droit d'avoir des rancunes ? N'est-ce pas une des vérités fondamentales de la doctrine spirite que, si bas que soit tombé un pécheur, il est appelé à se laver de ses fautes et à progresser sans cesse et toujours vers les sommets ? Et n'est-ce pas notre devoir d'y aider nos frères, surtout ceux de nos frères qui ont failli, afin de les éclairer ? Les autres n'ont pas besoin de notre aide.

Vous qui pratiquez l'ostracisme d'un des vôtres pour un péché qui n'est quelquefois qu'une peccadille à côté de ceux que vous trouveriez dans votre propre vie, imitez Jésus en ouvrant les bras à tous vos frères malheureux. Vous ne vous compromettrez pas en suivant son exemple.

Ne jetons jamais la pierre à ceux qui tombent, car qui dit que nous aurions fait mieux qu'eux si nous avions été pris dans le même réseau d'entraînement ou de nécessité ?

Venons toujours, au contraire, à leur secours. Prodiguons-leur de tendres paroles pour les ramener, au lieu de les décourager par des sévérités mal placées qui pourraient les replonger dans leurs erreurs. Et cette âme que vous aurez aidée à se relever vous vaudra des palmes d'or.

Ne nous glorifions pas trop d'avoir évité les fautes que nous reprochons aux autres, car qui dit que nous n'y aurions pas succombé aussi nous-mêmes ?

Que de fautes, d'ailleurs, n'avons-nous pas commises parce que l'occasion ne s'est pas présentée. Comme saint Bernard, remercions Dieu de ne pas les avoir rencontrées dans notre chemin.

C'est ici, frères de la Terre, que je fais appel à toute votre abnégation, à toute votre communion en Jésus pour devenir des frères du ciel.

Nous sommes exposés à des jalousies, à des calomnies, aux perfidies de langues venimeuses. N'imitons pas ces êtres malveillants qui créent par leur médisance un abîme entre eux et le ciel. La première charité est celle de la langue.

Marchez le front haut sans vous inquiéter des calomniateurs. Les âmes basses attribuent volontiers aux autres leurs propres défauts. Elles prennent facilement ombrage, parce qu'elles sentent leur infériorité et elles pardonnent difficilement.

Ne vous préoccupez pas de ces attaques. Elles ne monteront pas jusqu'à vous. Si elles venaient de nos Invisibles, elles nous iraient tout droit au cœur. Venant de la terre, elles y retombent de tout leur poids et de toute leur impuissance.

Les calomnies sont des bulles de savon qui éclatent à leur heure.

Ne vous défendez pas, le ciel vous défendra. Dites à l'offenseur : Venez, donnez-moi vos mains, j'ai tout oublié; laissez-moi vous conduire vers la lumière.

Votre pardon aura un double effet, il vous fera: du bien à vous, spirituellement, et désarmera l'offenseur.

Tendez-lui la main. Peut-être, honteux, ne répondra-t-il pas à votre geste, parce que ce serait pour lui l'humiliation de s'avouer coupable, mais si sa main ne touche pas la vôtre, Dieu y mettra quelque chose de plus précieux.

Le chien lèche la main qui le frappe, l'arbre santal parfume la hache qui l'abat.

Si nous rencontrons dans notre chemin un insecte, quel qu'il soit, détournons-nous sans mettre le pied dessus.

Penser au mal qu'on nous a fait est déjà une révolte intérieure. Penser aux gens qui nous l'ont fait est comme une protestation latente. L'indifférence envers les ennemis est déjà une sorte d'oubli et de pardon.

A chaque humiliation, nous sommes plus petits aux yeux des hommes et plus grands aux yeux de Dieu.

Au lieu de leur vouer de la haine, plaignons-les. La haine n'est pas un châtiment, mais plaignons-les parce qu'un châtiment plus réel les attend. Pourquoi leur en vouloir de leur hostilité qui ne fait que prouver leur cécité spirituelle ?

Dans l'homme vu de près, dit Sophocle, quelle foule de vices !

Ne perdons jamais de vue l'admirable doctrine de Pythagore : quelque querelle que vous ayez, quelques paroles offensantes que vous ayez échangées, ne laissez jamais le soleil se coucher sans vous être réconcilié avec cet ennemi d'un jour.

Si ceux qui nous ont quittés ont des torts envers nous, oublions-les pour ne nous rappeler que ceux que nous avons eus envers eux.

Nous ne devrions pas avoir d'ennemis ou d'adversaires si nous tendions la main à tout le monde et ne voulions que le bien de tous.

Je ne peux mieux terminer ce chapitre que par cet admirable cri de résignation de Ch. Lancelin. Dans les âpres luttes de la terre, sachons être celui qui pleure et non celui qui chante, celui qui prie et non celui qui menace, celui qui console et non celui qui afflige, celui qui soutient et non celui qui accable, la victime peut-être, mais jamais le bourreau.


 

Examen de conscience

Nous nous faisons sur nous-mêmes de complaisantes illusions. Nous nous traitons avec indulgence et partialité.

Si quelque miroir pouvait apporter à nos yeux le reflet de notre orgueil, nous reculerions consternés à l'idée que nous faisons parade de pareille sottise et que nous l'ignorions.

L'orgueil de la terre aime à afficher aux lumières l'étincellement de ses rubis et de ses diamants.

L'orgueil spirituel, plus légitime, possède un écrin de pierreries autrement scintillantes, fait d'humilité et de renoncement.

L'infaillible vermisseau ignorant que nous sommes, superlatif de rien, est aveuglé par sa propre nullité qui s'imagine tout savoir et il se croit parfait. C'est l'image du paon qui, ayant déployé son fastueux éventail de plumes, prétend éblouir le monde.

Il ne s'arrête pas un instant à l'idée qu'il puisse avoir aucun des défauts qu'il voit chez les autres, alors qu'il en est pétri.

Mais lorsque l'âme inquiète questionne son passé, elle sursaute d'indignation de retrouver la bête au fond de toutes ses actions.

La conscience qui s'éveille s'étonne d'avoir à traîner ce lourd bagage d'erreurs terrestres. Un retour en nous-mêmes devient alors salutaire ; si nous avons été aveuglés, ne l'avons-nous pas été aussi envers notre prochain ? Nous condamnons volontiers chez les autres les défauts que nous excusons en nous.

Quand nous pensons qu'on nous a offensés, n'est-ce pas nous qui avons offensé les autres ? Quand nous avons à nous plaindre de quelqu'un, renversons les rôles, voyons comment nous aurions agi à sa place et peut-être aurions-nous plus à nous plaindre encore s'il avait agi comme nous l'aurions fait. Prenons des tiers comme arbitres de nos querelles, exposons-leur les faits sans les atténuer à notre profit et sans citer les noms des intéressés, et voyons quel sera leur verdict.

Nous sommes notre propre ennemi ; ne faisons pas un pas sans nous assurer que c'est un pas en avant et non en arrière. Ne perdons pas de vue une minute que toutes nos actions de cette vie préparent notre vie prochaine. Ayons toujours l'œil sur le but. Ayons un peu de pitié de nous-mêmes afin de nous épargner dans une autre existence le paiement de dettes inutiles contractées dans celle-ci.

A partir de cet instant, disons-mous : je ne ferai plus rien inconsidérément. J'aurai toujours en vue les conséquences qui peuvent en résulter.

Vous deviendrez votre propre protecteur et vous vous ferez plus de bien, dans cette vie et dans l'autre, qu'en implorant sans la mériter et sans aucun droit à la clémence divine, la protection du ciel.

Vous avez été volé, insulté, calomnié. Estimez-vous heureux de ne pas être le voleur, l'insulteur, le calomniateur. Remercions Dieu d'être la victime qui reçoit le coup et pas la main qui frappe ; d'être l'offensé et pas l'offenseur. Le vainqueur, hier, sera le vaincu demain,

Calomniez, calomniez, dit Basile, il en reste toujours quelque chose. Oui, mais ce quelque chose se retourne à son heure contre le calomniateur.

L'honnêteté, comme toutes les actions de la vie, porte toujours ses fruits qui, parfois, se manifestent bien longtemps après, mais toujours sûrement.

Il faut savoir être compatissant envers tout ce qui a une existence, depuis la fleur et l'insecte jusqu'à l'enfant et la caducité.

Lao-Tseu disait : Envers les méchants, je suis bon, et alors tous deviennent bons.

Les conquêtes sont le point de départ de conquêtes nouvelles. Les efforts couronnés de succès tendent à des efforts plus grands. Toute découverte en amène une autre. Quelque belle que soit une œuvre, elle en fera naître, sous la main qui l'a produite, d'autres plus belles encore.

Lorsque l'on fait des projets d'avenir, ce sont toujours des projets en beau ; pourquoi pas des projets d'expiation, de repentir, de réparation ?

A mesure qu'on se spiritualise, on vit dans le remords, non qu'on ait commis des crimes ou des fautes graves, mais on voit plus clair, on se sent déjà vivre dans l'atmosphère d'expiation de la justice. Toutes les erreurs du passé viennent tomber dans le crible de la conscience qui s'éveille et nous commençons le travail préparatoire de comptabilité qui établit la liquidation de nos comptes terrestres par la balance de l'actif et du passif.

Ce travail d'épuration est la mesure de notre avancement. C'est le critérium du niveau moral de l'être. Quand nous aurons vaincu en nous l'être du passé, peut-être sentirons-nous poindre dans notre cœur la vraie fraternité, la tolérance pour les faibles et les égarés, l'attirance vers les afflictions cachées.

Lorsque l'on voit ce qu'il y a de souffrances muettes cherchant à se dérober aux bruyantes gaietés du monde, il semble que l'insouciance des joies égoïstes soit une insulte au malheur.

Combien j'ai connu de pauvres femmes, mères inconsolables, veuves jetées comme une épave dans la solitude de la vie, qui, modestes, effacées, le cœur gonflé de secrètes amertumes et, de ce fait, orienté vers toutes les souffrances, attendent de la compassion divine leur tour de monter parmi les anges ! La foule passe insouciante, entraînée par le tourbillon de la vie, devant ces âmes saignantes. Si votre cœur est moins engrené dans les illusoires obligations humaines, arrêtez-vous. Il y a une ombre entre le ciel et ces âmes. Peut-être pourrez-vous y jeter le baume qui la dissipera.

Que d'or et de fange dans cette grande promiscuité humaine !

Et quand nous voyons un malheureux qui, passant près d'un plus malheureux que lui, se prive de dîner pour venir en aide à un frère, saluons avec émotion ces obscurs héros du bien, car ils valent mieux que nous.

Finir une vie de patient labeur dans l'isolement et l'abandon, dans le silence de la solitude, sans un rayon de soleil, sans affection autour de soi, sans société, loin de tous, c'est un calvaire.

L'épreuve morale la plus pénible dans la vieillesse est l'isolement, et la cécité en fait une prison cellulaire.

Si vous avez quelque vieux parent ou ami auquel vous avez voué un peu d'intérêt, d'affection, ne les abandonnez jamais dans la solitude. Elle est le bagne dans la liberté, le bagne dans l'isolement. C'est un exilé au milieu de la foule. C'est le vide partout autour de lui, c'est le cordon sanitaire qu'aucune main charitable ne vient trancher.

Seul avec ses souvenirs, seul avec ses douleurs, il vit sur le bord d'une tombe qu'il appelle comme la délivrance. Et, cruelle ironie du sort, il est doué d'une activité cérébrale dévorante. Des trésors se pressent en foule dans sa pensée qui feraient la fortune des organes spirites, mais nulle plume n'est là pour les recueillir ; c'est autant de joyaux jetés aux vents.

Alors il pleure et il prie ; il écrit dans sa pensée, pour les Invisibles compatissants qui l'écoutent. Et jamais il ne se plaint.

Mais on ne peut pas toujours prier et pleurer, et alors on regarde en arrière. Et dans l'immense élan d'une âme compatissante déjà imprégnée de l'amour du ciel, il se souvient de ces deux vers d'Andrieux :

Dans l'état le plus humble on peut rendre service, Et d'un plus malheureux, être le bienfaiteur.

La solitude c'est la parole qui se fige aux lèvres désertées par le sourire, c'est la terreur dans l'angoisse, l'enthousiasme sans ailes, une larme toujours prête ; c'est le foyer, morne et sans joie, la place chérie encore tiède qu'a désertée une âme, la nuit de la tombe dans les moments de découragement. C'est la nature sans âme, sans les suavités de la vie. C'est le silence en réponse à tous les appels, à tous les élans. C'est la vie qui s'en va par lambeaux jetés au vent, sans la vivre, sans s'arrêter aux fleurs du chemin ; c'est l'âme qui s'effeuille et accroche au buisson épineux des indifférences humaines ses espérances et ses aspirations. C'est la route déserte à travers les ans, sans conseils, sans aide, sans la chaleur d'une affection. Ce sont les jours envahis par les nuits. C'était la joie hier, ce sera la tombe demain. Aujourd'hui, c'est l'agonie.


 

L'heure de la conversion

De même que, quelque exposé qu'on soit, la mort ne vous veut pas toujours et ne frappe que là où elle doit ; que l'on a vu un Belsunce se prodiguer au milieu des pestiférés sans être atteint par le fléau ; que de vieux troupiers ont fait toutes les campagnes de l'empire sans recevoir une égratignure ; de même, la lumière, quelque éclatante qu'elle soit, n'éclaire pas tout le monde avant que l'heure de la conversion n'ait sonné.

On voit une multitude de gens côtoyant la vie spirite avec indifférence, sans que jamais ses principes ne dérangent leur vie. Beaucoup se disent ou se croient spirites, mais fort peu le sont dans l'acception que lui donne Léon Denis lorsqu'il dit : « II ne suffit pas de croire, il faut vivre sa croyance », et Allan Kardec : « Chez beaucoup le spiritisme est sur les lèvres, mais pas dans le cœur ».

Un jour, un événement inattendu surgit au cours de leur tranquille existence, généralement une grande douleur, et ce spirite à fleur de peau voit tout d'un coup la consolante doctrine éclore dans son esprit comme une révélation. Elle se dévoile à lui sous un nouveau jour, c'est l'étincelle, c'est le coup de foudre, c'est l'heure marquée qui vient de sonner.

Il semble que Dieu laisse à dessein l'homme se débattre dans son obscurité, livré à ses seules impulsions, pour lui permettre de s'embourber dans ses fautes, afin de voir comment il s'en tirera. Il lui faut ce baptême, tant pis s'il trébuche. Il n'en appréciera que mieux le bénéfice de la lumière. A quel mérite sans cela pourrait-il prétendre, si, dès ses premiers pas, il avait été conduit par une main protectrice à travers les écueils ?

Il est des êtres qui, présumant trop de leurs forces ou éblouis par l'humanité, y sont entrés trop tôt. Beaucoup s'y sont attardés, fascinés par ses séductions. Mais, pour tous, il y a une ascension lente à travers la vie matérielle, jusqu'au moment où, pénétrant peu à peu dans la vie spirituelle, se fait un mouvement de bascule en faveur de cette dernière, sans cesse en lutte vers le mieux.

C'est le point tournant où, après une période d'équilibre entre la bête et l'archange, celui-ci fait pencher la balance en faveur de l'être spirituel. La bête blessée agonise peu à peu dans les derniers spasmes, devant une conscience qui vient de se ressaisir et qui assure désormais à l'être la voie spirituelle.

C'est à ce moment que sonne l'heure de la conversion et que commence l'ascension dans la lumière. Mais par combien d'existences devons-nous passer avant que cette heure ne sonne ! Elle est le sommet, l'aboutissant d'une certaine évolution, mais quand elle a arraché le bandeau aux yeux si longtemps aveuglés par les illusions terrestres, c'est un signe que le néophyte a franchi les épreuves les plus pénibles et qu'il va pouvoir suivie à l'avenir un chemin moins épineux. Il est sauvé.

Tant que cette heure n'a pas sonné, il ne peut y avoir de conversion sincère, c'est comme un fruit qui n'est pas encore mûr.


 

Vivre en Dieu

Quel qu'il soit, ce grand Inconnu mystérieux me poursuit, m'enveloppe, m'inquiète, et pourtant m'attire, car malgré nous, et même à notre insu, nous l'invoquons involontairement.

Qu'est-il ? Cette question nous plonge dans un trouble qui donne le vertige de l'Infini. Nous ne pouvons pas le regarder en face ; qu'en connaissons-nous ? Tout ce que nos yeux peuvent voir, tout ce que nos instruments peuvent sonder ne sont jamais par rapport à l'Univers que comme une bulle d'air dans l'atmosphère, une goutte d'eau dans l'océan. Cet Univers que notre pensée cherche parfois à parcourir, cet Univers de notre conception, qui nous dit qu'il n'est pas la molécule d'une infinité d'autres, formant un tout colossal ? Nos yeux se ferment, éblouis devant ces mystérieuses possibilités.

Et tout cela n'est rien à côté de l'Infini de l'Invisible, car l'Infini matériel n'est qu'une infinitésimale partie de l'œuvre divine.

A mesure que le Dieu colossal de ces stupéfiantes immensités grandit, grandit..., nous nous sentons diminuer, nous anéantir dans l'infiniment petit devant cet infiniment grand... Alors ce mot vivre en Dieu dresse, dans nos cœurs troublés, cette saisissante image d'un être qui serait perdu dans une coquille de noix au milieu de l'océan ou à cheval sur une bulle d'air dans les profondeurs de l'espace.

Qu'appelons-nous donc vivre en Dieu ? Que sommes-nous donc et de quel droit ou par quelle orgueilleuse prétention osons-nous venir demander à ce gigantesque inconnu de nous prendre sous son aile ?

Et cependant quelque chose en nous nous attire vers Lui, parce que nous sentons que nous sommes trop petits et qu'il est trop grand pour ne pas être bon et que, dans cette universalité des mystères de la Création, ce grand Tout est tellement immense qu'il peut entendre toutes les voix, même les plus humbles qui s'élèvent vers lui, et s'occuper du plus infime des êtres.

Alors vivre en Dieu est vivre en pensée dans cette atmosphère de grandeur et nous abandonner avec confiance à la magnanimité du colosse invisible. Et là où il y a sincérité, conviction, confiance, une protection occulte, sorte de fluide divin, nous suit et nous guide, écoute nos prières et exauce jusqu'aux secrets désirs que nous n'osions pas formuler.

Que nous demande-t-il en échange ? Rien pour lui, que pourrions-nous lui donner ? Tout ce qu'il veut, c'est encore pour notre bien, c'est de nous rendre dignes de ses bienfaits en travaillant à notre propre élévation.

Evitons surtout ces éclaboussures de langage, grossièretés et mots mal sonnants qui provoquent et attirent les Esprits bestiaux. La langue qui dit : « Dieu » ne doit permettre à aucune expression triviale de la souiller.

Quoi qu'il nous arrive de favorable, même dans les plus petites choses, que notre premier mouvement, avant de nous en réjouir, soit de l'en remercier.

Ne nous glorifions jamais d'un résultat heureux ; sachons bien que nous n'en sommes pas l'auteur, c'est à Lui que nous le devons et c'est à Lui que doivent aller toutes nos joies du succès et non à notre vanité.

Qu'avons-nous fait pour mériter cette bonté en dehors de toute proportion avec nos plus louables efforts ? Aussi ne devons-nous cesser de lui demander pardon de notre longue chaîne d'erreurs volontaires ou involontaires et de le remercier de tout ce que, malgré nos fautes, il a bien voulu faire pour nous ; car le meilleur de nous a des taches. Qui n'en a pas, le soleil a les siennes ?

Bien que nous ne le comprenions pas et ne méritions aucun intérêt, sa bonté nous suit et nous accorde tout ce que notre affectueuse confiance en lui a sollicité avec ferveur.

A chaque minute et dans mille détails de la vie courante, se manifeste la main de l'Invisible. Son intervention constante n'échappe qu'à l'inconscient qui laisse couler la vie sans remarquer les incidents du chemin. Mais pour l'observateur qui demande à chaque fait sa raison et sa cause, il n'en est pas de même ; la question amène toujours la même réponse : « C'est nous, les serviteurs de Dieu, nous vous guidons, nous provoquons les faits et rien de ce que vous voyez surgir n'est dû au hasard. Tout vient de nous qui en sommes la cause, mais cette cause n'est qu'une répercussion, la vraie cause c'est vous, mais vous ne vous en rendez pas compte, et, suivant votre degré de foi en Dieu, nous vous aidons dans les résultats. Nous vous prévenons toujours, nous voyons les difficultés ou les dangers que vous ne voyez pas. N'ayez pas la présomption de vouloir diriger votre vie, elle s'agite dans un dédale de causes qui vous échappent. L'air en est plein, comme il est plein de cohues de pensées, de messages télépathiques, d'effluves de toutes sortes qui s'y entrecroisent et le peuplent d'une agitation invisible, formant un tourbillon incessant. Ces essaims, comme une grêle diluvienne, s'entre choquent, frappent ce qu'ils rencontrent dans leur chemin et provoquent des combinaisons de toutes sortes qui vous sont inconnues. » «Seule au milieu de ce chaos, la prière perce ces pullulations de l'ambiance pour monter tout droit au but, comme un message téléphonique entre les âmes de la terre et la grande âme du ciel. Alors cette prière, qui vous rapproche de Dieu, nous dicte notre devoir envers vous, stimule nos efforts et nous arme contre les influences contraires. »

Vous entendez, mes frères : la prière ! Prions ; remercions Dieu de toutes ses bontés pour nous, non seulement de celles que nous voyons, mais surtout de celles, bien plus nombreuses, que nous ne voyons pas ; de tous les écueils qu'il nous a fait éviter ; de tous les dangers, de tous les maux possibles qu'il a détournés de nous, que nous regardons passer et qui ne nous atteignent pas.

Mais il se trouve des orgueilleux, des aveugles, qui traitent de rêveries ces miracles discrets et l'on ne peut acheter la foi ni crocheter les consciences.

Ils nous défient de prouver cette protection occulte. Dieu pourrait leur répondre :

« Tu demandes des preuves à Dieu, te doit-il donc des comptes ? Peux-tu commander à la nuit d'éclairer tes pas ? Peux-tu attendrir le marbre des tombes ? Peux-tu arrêter le bras de la mort qui fauche ? Peux-tu balayer les ténèbres d'une âme ? Peux-tu renverser le mur d'airain qui te cache l'Invisible ? Peux-tu demander au temps de se reposer, à l'Infini de s'arrêter ? Que peux-tu, toi qui oses prétendre commander à Dieu ? »

Ces âmes restent arrêtées à la porte de la lumière qui se ferme sur elles et les laisse dans les ténèbres.

Et, plus bas encore, il se trouve des créatures assez viles pour insulter dans leur infinie petitesse cette infinie grandeur, cette infinie bonté.

C'est l'oisillon à la sortie de l'œuf qui ne voit le jour que pour l'insulter ; c'est le naufragé épargné par la mer qui l'insulte de l'avoir déposé en sûreté sur la rive ; c'est le seul survivant d'une hécatombe ou d'un cataclysme qui insulte la mort de l'avoir épargné !

L'insecte peut regarder le soleil en face, ça n'émeut pas le soleil, mais ça aveugle l'insecte.

Prenez ce qui suit, si cela vous plaît, comme une fantaisie ; ou mieux comme une suggestion.

Je rencontrai un jour une pauvre vieille mendiante, à peine vêtue de sordides haillons, vrai rebut de l'humanité, quelque Messaline, Lucrèce Borgia ou Catherine de Médicis, condamnée à cette misérable existence pour payer sans doute quelque terrible dette. Je l'arrêtai pour l'interroger, mais elle n'était pas communicative.

— Le bon Dieu n'a guère pitié de vous, lui dis-je. Elle me lança un regard courroucé :

Le bon Dieu, le bon Dieu ! S'il y avait un bon Dieu, il n'y aurait pas de malheureux comme moi,, fit-elle.

— C'est ce qui vous trompe, lui dis-je. Priez-vous quelquefois ?

Elle eut un éclat de rire sardonique.

— Vous croyez à ces bêtises-là, vous ? dit-elle.

— Oui, j'y crois, et je vous affirme que si, matin et soir, vous adressiez une courte prière à ce Dieu auquel vous ne croyez pas, si vous portiez vers lui vos pensées au lieu de l'écarter de votre vie, vous verriez bien vite, qu'il existe.

Elle haussa les épaules.

— Eh bien, voulez-vous essayer ?

— Pourquoi faire ?

— Pour- me faire plaisir.

— Je n'ai pas besoin de vous faire plaisir, je ne vous connais pas.

Alors je lui tendis une pièce de monnaie en lui disant : Tenez, ma brave femme, prenez ceci, et faites tous les soirs et tous les matins une courte prière et vous me reverrez dans quelques jours.

Il fallait bien lui payer sa prière. Elle rôdait toujours dans le même quartier et je savais où la retrouver.

— Et que voulez-vous que je lui dise ?

— Simplement ceci : Je viens à vous avec confiance ; on m'a dit que vous étiez bon, je suis malheureuse, secourez-moi.

— Je veux bien.

Le dimanche suivant, je la vis à la porte d'une église.

— Eh bien, lui dis-je ?

— Eh bien, répondit-elle, j'ai fait ce que vous m'avez dit.

— Et avez-vous vu un résultat quelconque ?

— Non, mais, tout de même, j'ai été un peu moins misérable, et puis j'ai fait une bonne semaine.

— Vous en ferez une meilleure si vous continuez, lui dis-je, mais ajoutez à vos prières ces simples mots : merci, mon Dieu, de m'avoir aidée, daignez me continuer votre protection et je ne vous écarterai jamais plus de ma vie.

Huit jours après, c'est elle qui m'aperçut, et elle courut après moi.

— Monsieur, me dit-elle, j'ai eu une bonne nouvelle, une brave femme a eu pitié de moi, elle m'a rhabillée et donné de l'ouvrage.

— C'est Dieu qui vous l'a envoyée, lui dis-je.

— Peut-être bien... Je l'ai pensé aussi, car je suis entrée dans l'église et l'en ai remercié.

Je m'étais mise à genoux par terre, n'osant pas me mettre sur les chaises, et en me voyant comme cela, une dame qui passait m'a glissé un franc dans la main.

Depuis lors elle pria. Elle finit par comprendre ce que c'était que vivre en Dieu, et Dieu lui prouva qu'elle ne s'était pas trompée.

L'idée me vint de faire venir dans, un petit café retiré une clientèle de malheureux que je péchai un peu partout. Je les conviais à venir y passer une demi-heure le dimanche suivant, en leur disant (c'était l'hiver) qu'ils y trouveraient un bon feu et une bonne tasse de café, et peut-être mieux.

Il y en a qui vinrent, d'autres ne parurent pas. Je leur expliquai alors, après les avoir réconfortés, que s'ils étaient malheureux, c'est qu'ils expiaient les fautes d'une autre existence et que si, au lieu de repousser Dieu, ils priaient et vivaient en lui, il les aiderait et leur position ne tarderait pas à s'améliorer.

Les uns écoutaient, d'autres souriaient. En les quittant, je les engageais à essayer et je les conviais à une autre réunion le dimanche suivant.

Quelques-uns revinrent. Les uns avaient réussi, les autres pas ; mais le bon feu et la tasse de café les ramenaient.

Je finis par faire des conversions et changer des destinées. J'étais à l'affût de tous les malheureux que je pouvais rencontrer et nous nous réunissions tous les dimanches.

Que de pauvres âmes éclairées et sauvées et quelle source de bien à faire pour ceux en quête d'une bonne œuvre !


 

Au Pays du rêve

0 réveil des morts dans la vérité ! Vous m'avez jeté une grande poésie dans l'âme. J'y ai senti se mouvoir tout l'Inconnu. Et moins inquiet du Ciel que de la Terre, j'écoute, dans l'espoir qu'il me livrera son secret dans une de mes rêveries.

J'ai compris que vivre, vivre vraiment, non dans la fange humaine, mais dans l'harmonie insaisissable de l'Invisible, c'est laisser parler son âme, dans un délicieux dialogue muet, avec l'ombre de nos discrets amis qui causent avec nous par la pensée.

Est-ce le trop plein du tumulte humain qui donne la nostalgie du silence ! Est-ce par goût qu'on recherche la solitude ou par dégoût des foules !

Est-il alors paradoxal de dire qu'on se sent seul, comme dans un désert, au milieu de l'agitation humaine, et que la solitude est une résurrection.

Penser est le chemin à prendre pour se conquérir et la musique du silence est la musique des âmes.

Tout ce qui se manifeste n'est qu'une parade ; notre vie est une vie de surface, bruyante et tapageuse comme toute manifestation extérieure. Seul dans les profondes solitudes de notre être mystérieux, le silence parle aux âmes qui écoutent.

Laissons au seuil de l'existence superficielle toute cette imprégnation terrestre qui nous entraîne dans ses remous. Ames, ouvrez vos ailes pour fuir la tumultueuse fourmilière des animaux humains.

Alors je me suis souvenu de ce cri du cœur d'Alfred de Vigny : oh ! Fuir, fuir les hommes et se retirer parmi quelques élus, élus entre mille milliers de mille ! Et parmi ces élus, d'autres voix semblent s'unir à la sienne, comme celle d'Amiel, dans ce délicieux tableau qui résume toute sa délicate nature.

« Laisse en ton cœur un petit angle pour les semences qu'apportent les vents ; réserve un petit coin d'ombrage pour les oiseaux du ciel qui passent. Aie en ton âme une place pour l'hôte que tu n'attends pas et un autel pour le dieu inconnu. Si un oiseau chante dans la feuillée, ne t'approche pas trop vite ; entoure de paix le germe naissant, n'abrège pas sa nuit; permets-lui de se former et de croître ; n'ébruite pas son bonheur. Œuvre sacrée de la nature, toute conception doit être entourée du triple voile de la pudeur, du silence et de l'ombre. »

Alors je me suis dit : Examinons-nous, isolons-nous du tumulte étourdissant de l'agitation humaine ; il nous empêche de descendre en nous et de vivre un peu de nous, non dans une égoïste réclusion, car il y en a d'autres comme nous, mais dans une fraternelle union ; union de pèlerins, communion d'âmes.

Il y a aussi, dit Sage dans la Yoga, les saints, dévorés de nostalgie, soupirant après l'heure qui les délivrera du cadavre, ne trouvant plus d'intérêt à rien qu'à la beauté morale. Et ceux-là se rendent bien compte que ce qui les a tant tourmentés, c'était l'attraction divine.

Aussi bien l'homme que les animaux, l'être est fait pour vivre en société. La solitude est une expiation. Pourquoi vivre séparés, pourquoi pas ensemble ? Quand l'un partirait, il irait porter à nos morts nos élans d'amour. Le recueillement est plein de surprises consolantes. Comme Socrate, comme Jeanne d'Arc, nous avons tous nos voix amies, étouffées par les bruits humains. Nous ne cherchons pas à les écouter, mais elles se feront discrètement entendre dans un séjour de grand silence.

Dès que les bruits incessants de la tapageuse agitation de nos cités déborderont de nos oreilles, de moins en moins tumultueux, comme si les bourdonnements qu'elles y avaient accumulées cherchaient à en sortir, le calme du ciel délivrera notre esprit des turbulences de la chair.

Laissez-moi un instant m'ébattre dans ces joies inconnues.

Qu'est-ce que cette discrète symphonie qu'on n'entend que quand les grands bruits de la vie se taisent ?

Chut ! Silence, écoutons.

Ce sont les voix de la forêt, voix heureuses des nids qui chantent ou d'oiseaux qui s'effarent ; des bruits d'aile, des allégresses dans les branches, des frémissements de l'insecte ailé qui boit dans le calice des fleurs ou qui s'agite, laborieux ; du papillon qui caquette avec la rosé, des ruches qui bourdonnent, des plantes qui se penchent l'une vers l'autre dans des confidences d'amours discrètes ; du bruit mystérieux des gerbes qui poussent, de la floraison qui s'épanouit, des gouttes d'eau tombant en perles des roches qui pleurent ; des ruisseaux jaseurs sous la feuillée, des feuillages qui frissonnent sous les tendresses ou les colères du vent ; de la brise qui pleure dans les sapins ou gémit dans les saules ; des broussailles qui jasent entre elles en s'y balançant, du chuchotement des fleurettes qui se confient leurs secrets, que le parfum de leur corolle va répéter à des grillons qu'il grise ; et à tous les propos d'amour qu'ont effeuillés des âmes tendres en promenant leur idylle sous le feuillage et que des amoureux y ont oubliés.

Comme la forêt, la mer a ses accents, la montagne y répond, et l'on entend de loin les murmures de la vallée ; les grands clairs de lune cachent des secrets dans leurs ombres ; et, du recueillement des belles nuits, rayonne aux voûtes éternelles, dans les profondeurs mystérieuses des ciels étoiles, un hymne silencieux et mystique.

Tout est concert dans la nature, l'ombre chante, le silence a des voix, les choses mêlent leurs refrains à ceux des êtres. Alors l'homme se tait et se recueille, il croit entendre le chœur des âmes invisibles qui entourent les vivants. Il sent que Dieu est là.

Le bonheur de ce monde n'est pas tapageur, et, si grand dans son exubérance, il doit savoir se faire bien petit, car il tient dans ces joies, dans cette sainte paix du cœur qui est comme une prière et qui rapproche de Dieu.

Tout ce que nous aimons tapisse alors notre cœur des caresses du rêve. Nos pensées s'envolent vers ces riens qui ont bâti leur nid dans nos souvenirs, pour y enfouir de modestes trésors ; ils sont la sève de nos aspirations et de nos enthousiasmes. Biens sacrés et charmants, parfum de nos illusions qui fait oublier les ronces, refuge et sanctuaire de nos rêveries, combien il m'est doux de m'égarer dans ces solitudes de notre imagination !

J'aime les ruines et les jardins en friche, envahis par ces pauvres parasites auxquels la tolérance d'une nature bohème donne un indulgent asile. J'aime l'herbe dans les chemins et l'ombre des sentiers solitaires, les discrets parfums qui émanent d'on ne sait où. J'aime ce qui a été et qui pleure un passé, ce qui semble recueilli dans de tristes et lointains souvenirs. J'aime le bocage silencieux, les grandes herbes où se cachent les paresses avides de repos. J'aime ces pauvres plantes errantes, sans patrie, qui s'accrochent aux murs où la brise les pousse et les murs compatissants qui ouvrent charitablement leur modeste terrain de croissance à ces timides abandonnées, naufragées du vent, heureuses de cette fraternelle hospitalité. J'aime la clématite qui festonne les arêtes où elle s'accroche et l’égosillement des fauvettes grisées par le parfum des glycines aux grappes d'azur. J'aime la rosée trémière où des fleurs coquettes, aux joyeuses couleurs, se disputent à l'envi tous les points de sa tige frêle pour s'y cramponner. J'aime les bruits si lointains qu'ils effleurent à peine le silence. J'aime les parfums de la terre après l'orage, les fleurettes gamines toutes fières de montrer leurs couleurs rieuses dans les flots d'herbes.

J'aime, quand le crépuscule se fond dans la brume envahissante de l'ombre, les astres qui s'éveillent peu à peu de leur sommeil du jour.

J'aime ces comètes échevelées, glissant d'un vol éperdu à travers les espaces comme de pâles astres défunts, traînant leur suaire à la recherche d'une tombe dans l'immensité.

J'aime les profondeurs fuyantes du firmament où cette poussière de mondes et de soleils de la voie lactée s'élance vers d'autres archipels scintillants, dans d'autres profondeurs célestes. J'aime cette grande poésie de la nature aux vers ailés, où l'âme, pour être heureuse, ne demande à l'azur que des chants d'oiseau, à la nuit que la paix reposante de ses étoiles. Volupté du souvenir en qui ces extases tranquilles sont comme une lueur fugitive de la patrie perdue.

Vivre dans la poésie, n'est-ce pas déjà vivre un peu dans le ciel ?

J'aime l'ouragan céleste de mes rêves qui balaie pêle-mêle, en un tourbillon, tous les joyaux de la mut qui viennent sombrer en pluie d'or sur la terre.

Quelles attaches peuvent avoir ces tendresses dans quelque autre de mes existences ? C'est le voile du passé que je ne peux soulever et derrière lequel je sens que j'ai joué un rôle. Ces revenez-y continuels qui surnagent dans notre pensée sont la nostalgie de choses qui ont dû remplir toute une vie et dont la fascination nous poursuit. Nous sommes hypnotisés par le souvenir qui flotte quelque part en nous, comme le sillage d'un passé troublant.

Mais ce qui me hante comme une hallucination, c'est qu'il me semble avoir parlé une langue faite de poésie et avoir voyagé à travers tous ces mondes que je contemple avec une affectueuse émotion, comme d'anciens amis. Où est-elle la clé d'or qui me permettra d'ouvrir la porte de ces mystères ?

Qu'est-ce que ces souvenirs tumultueux qui se pressent en foule sous la plume ? Est-ce un adieu, est-ce le passé qui pleure ou le recueillement précurseur du grand réveil ? Est-ce l'ombre d'une heureuse vie éteinte, est-ce la tristesse des linceuls d'automne, est-ce l'écho des cœurs fatigués de la vie et des âmes endolories ? Est-ce un deuil, un soupir ou une prière ? Est-ce la terre ou le ciel ?

La plus grande douleur dans ces moments divins est de devoir vivre avec des humains; et cependant, je ne suis pas un misanthrope, au contraire. Dans chaque être, ce n'est pas l'enveloppe mortelle que je vois, mais l'âme qu'elle cache et c'est entre les âmes qu'est le lien de la fraternité, comme l'amitié entre les hommes. Nous sommes sans cesse rappelés du ciel sur la terre, par les nécessités humaines qui sont des bornes à nos envolées. L'intensité de la vie intérieure rend impropre au contact avec le monde.

Quand une secrète communion d'âmes nous a ouvert le sanctuaire du souvenir où la fosse déverse les affections qu'on lui confie, l'agitation terrestre autour de nous est une éternelle meurtrissure. Le misérable intérêt qui avilit les créatures de Dieu en les faisant descendre de leur essence divine dans les convoitises des biens terrestres, est un spectacle dont l'écœurante bassesse torture l'être spirituel.

Plus les haines jalouses nous éloignent, plus elles nous rapprochent de Dieu. La solitude est une oasis, où, seul avec la pensée, équivaut à être seul avec Dieu. Vues de ces hauteurs, les turpitudes de la tourbe humaine semblent bien petites ! J'aime à m'égarer dans cette vision.

Nous taire et nous recueillir, c'est laisser parler notre âme. Le silence n'est pas muet, il écoute et de ses profondeurs sortent des voix qui répondent bien bas, parce qu'elles nous apportent de trop jolies choses pour être profanées par des oreilles distraites.

En m'éveillant de tous ces rêves, il m'a alors semblé qu'il serait bon de partager, avec des frères spirites, une retraite modeste, écho lointain de cette phalange d'Esséniens dont sortit Jésus.

Etre quelqu'un, si haut qu'on soit, c'est être esclave. Libres ! N'avons-nous pas les menottes des obligations mondaines ? N'être personne, au contraire, c'est comme l'oiseau à qui on ouvre la cage et qui a tout l'espace devant lui pour s'ébattre ; c'est la liberté, la seule liberté, celle qui peut suivre, sans les entraves du monde, le chemin qui mène à Dieu.

La Bohème spirite doit être une retraite de recueillement où l'on puisse être soi sans avoir à travestir sa personnalité pour obéir aux sottes conventions humaines. C'est l'abdication de toutes attaches matérielles, c'est quitter Sybaris pour Crotone, Babylone pour Chanaan.

Ce ne seront pas des anachorètes réfugiés dans l'égoïsme de la solitude. Chacun est une lueur, et l'ensemble forme une lumière. Son rayonnement projettera autour d'elle des rayons d'initiation, de charité, de fraternité. Elle peut être un foyer de réchauffement d'âmes, tout en étant retraite de recueillement. C'est au fond de soi que l'on trouvera cette lueur, cette étincelle divine, en même temps que le secret d'extérioriser son âme en rayons bienfaisants vers ses semblables.


 

La bohème spirite

Le minuscule phalanstère, trait d'union entre nos deux mondes, ne s'adresse pas à l'animalité humaine. Pour pénétrer dans le sanctuaire au fronton duquel on pourrait inscrire la devise latine: Aurea Mediocrilas, il faut laisser à la porte les faiblesses humaines, comme on laisse ses chaussures au seuil d'une mosquée.

Vanité, vénalité, médisance doivent être déposées au coin de la borne la plus prochaine, car il n'y â pas de vestiaire où l'on puisse consigner son petit bagage terrestre pour pontifier sous un masque hypocrite. Les paons et les boches de l'humanité, ces porteurs de bacilles de la flore matérielle, n'ont pas droit au titre d'adepte dont ils n'auraient de la doctrine qu'une faible dose homéopathique.

En voici le programme, incompatible avec tes promiscuités du tourbillon des villes.

Point de ces carnavalesques extravagances qui sont les insignes tapageurs de la vanité, pas d'oripeaux inutiles : on s'habille pour se couvrir et non pour te parer, la seule parure étant celle de l'esprit, et à celle-là on peut apporter une certaine coquetterie.

Chacun pour tous et tous pour chacun. Pas de discussions oiseuses, qui nous rappelleraient à la Terre.

Indépendance individuelle absolue, chacun vivant comme il l'entend: et se livrant à ses occupations sans obligations d'aucune sorte.

Vie matérielle réduite au minimum des nécessités et allégée par un peu de culture en commun et d'élevage élémentaire. Aucune dépense somptuaire.

Tirelire formant bourse commune où chacun jetterait son appoint sans compter, suivant ses ressources, dans un esprit de complet désintéressement, et qui, jointe aux productions ci-dessus, alimenterait la colonie.

Fraternité, tolérance, indulgence. Indifférence aux intérêts terrestres, détachement, dématérialisation et spiritualisation. Culte des morts !

Que de bonnes soirées, quelle pure communion d'âmes, où chacun pourrait déverser du plus profond de soi les jolies découvertes picorées dans les heures de méditation !

Quels trésors individuels d'imagination dépensés en projets charitables, en affectueuse consolation, en éloquente propagande, en bonnes actions qu'on s'empresse d'oublier après les avoir faites, afin de ne pas les déflorer en s'en parant !

C'est comme l'antichambre du monde prochain, antichambre où tout est bon en attendant que, dans l'autre, tout devienne meilleur ; où les vertus ne soient point considérées comme un devoir, mais comme si naturelle qu'elles semblent la petite monnaie de la pureté de la doctrine ; où l'on vive les pieds encore dans la boue de la terre et l'être moral dans la vie spirituelle.

Les humains humanisant regardent cette colonie d'idéalistes, ascenseur vers le ciel, comme un nid d'utopistes, comme un déraillement social. Pour eux, les jouissances des sens sont les seules qui ne trompent pas ; les jouissances de l'esprit, une fumée : les grands devoirs de l'âme, une illusion volontaire !

Il n'est ouvert qu'aux désintéressés qui ne reculent pas, par leur mépris des biens de la terre, à remonter le courant des avidités humaines. Ce mépris se fiance à la foi, pour combattre toutes les tentations. L'opulence ne conduit pas à Dieu ; Jésus nous a enseigné l'humilité, mais les humains n'ont pas voulu y descendre, oubliant que c'était monter.

— Pauvres fous ! se disent les gens qui passent devant cette grille de la sainte arche.

— Pauvres aveugles ! Répondons-nous.

Et des villages voisins s'élève le bruit des danses, des joies, des turbulences du cabaret, tandis que de la ruche austère ne s'élève que la prière silencieuse. Les premières emplissent l'air du fracas d'un tambour que l'on bat et qui est vide sous la peau bruyante. L'autre, parfum de l'âme, va s'épanouir en fleurs d'espérance dans le monde que nous ne voyons pas.

Et quand, de ce sanctuaire, s'envole une âme, cette prière, son passeport pour là-haut, l'enveloppe d'un suaire de lumière.

Le village se signe et dit : « Mort en dehors de l'Eglise, sans extrême-onction, sans l'absolution du prêtre ! Un damné ! Lui, villageois, au contraire, cet enfant des joies de la vie, sera en règle avec la crosse et le goupillon, l'eau bénite et la croix ; rien n'y manque, il sera sauvé, se dit le village. »

Pauvres êtres qui vivent dans le rêve en attendant le cauchemar de l'erraticité. Prières sincères d'un côte, artificielles de l'autre ; image perpétuelle des à rebours de la vie !

J'entends la brise m'apporter tout bas des objections discrètes Laissons-les passer, car ce sont des filles de la Terre. Il n'y a d'objections que quand il y a des intérêts ; l'abandon de toutes les attaches illusoires d'ici-bas est la solution à tous les problèmes terrestres.

Mais où donc est ce Nirvana, demanderont ceux qui voudraient noyer leurs amertumes de la Terre dans cet éden de renoncement et de spiritualisation ?

Faites comme moi, frères et amis, préparons nos titres d'admission par la pratique de ces réconfortants devoirs : le dévouement et le pardon. Demandez-vous tous les soirs, comme Titus, quel bien vous avez fait, et il vous semblera que vous avez déjà pris votre envolée dans l'astral, ne vous souvenant de la terre que pour y semer la charité et l'amour, comme si vous vous essayiez déjà à votre rôle prochain d'Esprit.

Et alors, dès que nous serons une force par l'aptitude plus que par le nombre, ses portes s'ouvriront d'elles-mêmes toutes grandes à la réalisation facile de ce trait d'union entre nos deux mondes.


 

Le chant du cygne

Quand la caducité et les infirmités de l'âge appellent un à un à la retraite nos organes fatigués, la décrépitude des ans traîne vers la tombe une enveloppe dilapidée et nous nous présentons comme un corps mort dans une âme vivante.

Le monde n'a pas besoin de moi pour marcher, je n'ai plus assez de force pour pousser à la roue. A mon âge je ne suis plus un humain, je suis presque un défunt, et j'espère toujours que le lendemain de la Toussaint prochaine sera le jour de ma fête.

C'est le chant du cygne. C'est un adieu suprême au rivage terrestre et le salut à la mère patrie qui va s'ouvrir.

Ces adieux, confiés aux quatre vents, éveilleront peut-être, dans les cœurs amis, une parole bienveillante pour ce fugitif qui a enveloppé tous leurs noms dans une onde anticipée de l'amour du ciel. Son âme espère en recueillir là-haut l'écho discret.

Chers amis, s'il en est parmi vous que j'ai offensés, pardonnez-moi comme j'ai pardonné à tous, car je ne veux emporter aucune rancune, poison de l'âme, jets d'ombre sur la lumière ; bagage dangereux qu'il faudrait déclarer à la frontière astrale et que la douane céleste fait payer cher, car cette contrebande n'échappe pas à l'œil vigilant du grand juge.

Parmi tous ceux que j'ai côtoyés sur la route de la vie, j'ai trouvé beaucoup d'amis et peu d'ennemis.

J'ai été victime de certaines perfidies et de la sottise qui épouse les querelles des autres, en s'en faisant le complaisant écho. Mais je les plains trop pour leur garder rancune.

Je ne veux me rappeler que le meilleur de leur âme et j'ai oublié leurs torts, pour qu'ils oublient les miens en faveur de mes bonnes intentions. Qu'ainsi soient dissipés ces nuages du passé, remous des tempêtes de l'existence, afin de pouvoir-nous retrouver sans arrière-pensée quand l'heure des rencontres sonnera.

Ce n'est pas pour eux que j'écris, mais pour ces chers aimés inconnus avec qui je sympathise sans les connaître, parce que les ondes télépathiques nous lient dans une communion de sentiments.

Au début du voyage dans la vie, nous partons comme un essaim de gais compagnons ; puis, peu à peu, nous semons des épaves dans le chemin et le triste jour vient, jour crépusculaire au seuil de l'ombre prochaine, où notre route est solitaire et jalonnée par des croix.

Donnons un pieux souvenir à tous les chers disparus. Ils sont là, fidèles à notre appel. Nous ne les voyons pas, mais ils nous écoutent, et nous gardons au fond du cœur ces bons souvenirs du passé comme on conserve dans un médaillon ou dans une boîte une mèche de cheveux d'un être aimé.

Comme un chapelet qui s'égrène, j'ai perdu l'un après l'autre, en chemin, tous mes compagnons de l'existence. Ils ont bâti une nécropole dans les souvenirs attristés de ma vie. J'aurais voulu crier : Tombe, ne ferme pas la porte de la délivrance, fais-moi une petite place à côté de l'heureux qui s'en va ! Tous ces heureux morts m'appellent ?

Des fosses se creusent autour de nous à mesure que nous avançons ; bientôt nous serons seuls, bientôt nous arriverons à cette dernière fosse qui sera la nôtre.

Et lorsqu'au seuil du tombeau nous saluons une honnête vie qui part, disons-lui : « Va vers le vrai, maintenant que tu as marché dans le juste ! »

Mais toutes ces tombes vont bientôt se rouvrir. Ils vont tous revivre et ils m'attendent.

Pourquoi faut-il, hélas ! Qu’à cette joie des rencontres prochaines se mêle une ombre, le regret de ceux qu'on abandonne sur la Terre et dont, impuissants, nous voyons couler les larmes silencieuses ? Que veulent dire ces pleurs qui saluent notre délivrance ? Ce monde est-il donc jaloux de l'autre ? Pourquoi ne pouvons-nous retrouver les aimés sans en perdre d'autres. Je ne peux pas dire à tous : « Venez avec moi ». Quel joyeux train de plaisir pour le ciel !

On dit : « Loin des yeux, loin du cœur. » Et cependant notre affection pour ceux que nous avons aimés semble s'éveiller dans toute sa force quand ils nous quittent, et elle grandit d'autant plus que nous avons été injustes envers eux. Quand je leur envoie des élans d'affection, m'entendent-ils ou ma voix va-t-elle mourir dans le silence ?

Il est une case dans notre mémoire qui en est comme le musée, c'est le coin des souvenirs, fumée des réalités envolées. Si l'on fait alors le tour de ce cœur fatigué que l'on a traîné à travers les ronces et les joies de l'existence, de ces années dont on a gravi lentement les échelons, on y voit passer en tourbillon dans la pensée, vibrante d'émotions, ces jours auxquels on voudrait s'accrocher pour les empêcher de fuir, ces journées de bonheur où le souvenir voudrait jeter l'ancre, où le regret voudrait se cramponner pour tâcher de les sauver, à la dernière heure, dans un suprême effort. Le bonheur est comme une prière, ce qui déborde de lui va à Dieu.

Il faut refouler en soi tout ce passé effeuillé, le feu d'artifice des jours heureux de la jeunesse s'éteint dans l'ombre envahissante de l'âge.

Mais Celui qui a fait ton hiver a aussi fait ton aurore. Il l'a remplie de joies, inconscientes parce qu'enfant tu ne savais pas. Tu sais maintenant et la joie s'est transformée, en montant vers la lumière.

Au milieu de ces souvenirs, qui sont les jalons du passé, il y a, dans un feuillage discret, des croix funéraires, des urnes dans lesquelles pleurent les saules, car combien de chères affections n'ai-je pas laissées dans le lointain de ma jeunesse. Il y avait aussi des indifférents, peut-être des ennemis. A ceux-ci j'ai depuis longtemps pardonné, les indifférents sont oubliés, mais les amis n'ont jamais cessé de vivre dans ma pensée et le jour béni où je quitterai la terre pour aller retrouver ma compagne chérie qui m'attend, j'emporterai avec moi, comme un trésor blotti au fond de moi-même, le souvenir de toutes les amitiés qui ont ensoleillé ma jeunesse, car, mes chers amis, vous êtes morts au monde, mais vous n'êtes pas morts dans mon cœur.

Mais, au-dessus de toutes ces affections, rayonne celle qui fut le culte de ma vie et l'apothéose de toutes les aspirations de mon âme ; de celle aux longues douleurs de laquelle le ciel tendit des bras consolateurs, me laissant seul, épave ballottée par les remous de la vie. Ame de mon âme envolée de cette terre ! La mienne, ne pouvant déployer d'ailes pour la suivre, l'a regardée monter dans la lumière où l'appelaient des sœurs du ciel.

Il semble alors que tous les lieux aimés ont perdu leur gaieté en me voyant revenir seul au milieu d'eux, comme s'ils vivaient d'elle. Tous ces riants fantômes de ma jeunesse m'ont salué d'un air triste, comme pour me dire : Qu'en as-tu fait, où est-elle ?

Ces sentiers qu'emplissaient des égosillements de fauvettes et des chants insouciants, semblent désolés comme l'abord d'un mausolée. Toute cette nature qui gazouillait autrefois sur mon passage s'est tue. Le ruisseau ne murmure plus, tout est devenu silencieux et indifférent. La musique de tout ce qui peuple les bois est muette ; la poésie, âme des choses, s'est envolée, celle qui leur manque a emporté leur gaieté avec elle et je les retrouve en deuil. Tout est encore là, mais ne vit plus. Les choses pleurent.

Pourquoi donc devons-nous vivre avec nos douleurs et garder pour les indifférents, qui ne sont rien dans notre vie, un masque souriant, comme si nous sentions que notre douleur est à nous, ainsi qu'un bien précieux, et que leur indifférence la profanerait ?

Pourquoi, trépas libérateur, ne viens-tu pas à notre appel quand nous sommes las de la vie ?

— Présomptueux, répond-il, qui prétends imposer des conditions à la mort !

Les larmes et les joies sont des étapes du pèlerinage de la pensée vers le Nirvana de l'âme.

Quels lointains horizons que ces fuyantes visions du passé ! Qu'il semble étrange de se trouver si loin d'un temps qu'on a vécu ! Et à mesure qu'on s'approche de ce quelque chose qu'on sent instinctivement au-dessus et autour de soi, comme un immense mystère qui cache d'infinies merveilles, quelque chose de fascinant et de redoutable, l'intérêt des choses de la vie s'évanouit. On sent combien elles sont peu de chose à côté de ce qui nous attend. On sent comme un vide immense devant soi; il semble qu'on s'approche de l'Infini et de l'Eternité.

Et alors on éprouve, à son insu, comme un instinctif besoin de se recueillir, de se détacher des stériles ambitions humaines et d'élever son âme vers le grand Inconnu qui l'appelle.

C'est le moment de faire le testament de sa pensée, et, comme le dit Amiel, d'accepter le calice de la vie avec son miel et son fiel.

Si nous faisons notre examen de conscience, toutes nos fautes de cette vie seront notre bête dans notre prochaine existence.

Je m'étudie avec soin pour tâcher de découvrir des indices de ce que j'ai pu être dans mes vies passées, mais je ne trouve rien ; j'en conclus que j'ai été rien du tout, comme dans cette vie-ci, c'est-à-dire une unité ordinaire dans la masse, sans couleur bien nette, sans éclat et sans sillage. Alors, je prends en pitié notre sot orgueil, notre futile vanité, nos grotesques prétentions. Je me demande ce que j'ai fait de bon et je me crie d'un ton vengeur : « Dieu t'a envoyé en mission pour faire quelque chose que tu n'as pas découvert. Au lieu de chercher, tu t'es fourvoyé, tu as perdu ton temps ; chasseur intrépide après des ombres, tu as voulu goûter aux jouissances de la terre ; tu as vogué étourdiment à travers toutes les illusions de ce monde. Collectionneur de fausse monnaie, où est-elle la vraie monnaie qui sert de pécule dans l'autre monde ? Peux-tu compter les bonnes actions sans ostentation que tu as mises au fond de ta valise ? Et que va-t-on trouver au déballage à la grande frontière ? Va, tu n'es qu'un vil humain comme les autres ; tu ne laisseras à la terre aucun regret, parce que tu n'emportes, pour les présenter au ciel, aucune des vertus qu'elle t'offrait des deux mains ; tu as préféré les ronces, alors que tu n'avais qu'à te baisser pour cueillir les plus belles fleurs. »

Hélas ! Il est trop tard pour retourner en arrière, je dois me supporter comme je suis; Je me prends alors en pitié et je me flagelle de toutes les rancunes que dicte cette révolte tardive de l'être moral.

J'ai fait bien des choses dans ma vie. Je voudrais me dissimuler dans le public pour savoir l'effet que je me ferais à moi-même, physiquement et moralement, en voyant parader le pantin qui est en moi.

Suis-je donc forcé de me supporter et de vivre toujours avec moi, sans pouvoir un instant échapper à cette tutelle, à ce geôlier ?

Quand je suis l'objet d'éloges, de compliments, je me demande si on n'abuse pas indignement de ma crédulité, s'il n'y a pas là une ironie déguisée. Je ne suis pourtant pas un être autrement que les autres, et les autres ne me font pas le piteux effet que je me fais à moi-même. Je trouve tout le monde mieux que moi ; est-ce l'humilité ? Et cette humilité ne serait-elle pas de l'orgueil ? Je demande des renseignements à mon subconscient, et je me querelle avec lui parce qu'il ne veut pas m'en donner.

Il y a des moments où l'on sent comme si l'on n'était pas. Quand je vois quelque chose que j'ai fait, je me demande si c'est bien moi qui en suis l'auteur ou si quelqu'un l'a fait pour moi. Est-ce bien moi qui ai vécu ma vie ? Suis-je un être, une ombre, une projection, un reflet, un écho? Je cherche les ficelles qui me font mouvoir.

C'est très drôle, les jugements sur moi, tout ce qui s'adresse à moi me semble aller à une autre personne que moi. Je ne me reconnais pas dans ces opinions ; il doit y avoir, en dehors de moi, un autre moi qui m'est étranger, que je ne vois pas, et qui, peut-être, à mon insu, justifie tout cela, car, moi, je ne me reconnais pas comme méritant ces manifestations.

Spectateur de mon passé, en attendant que j'en sois le juge, je vois défiler cette fantasmagorie de mon existence comme une série d'ombres chinoises, en me demandant s'il est bien vrai que j'en ai été l'acteur. C'est sans doute de cette façon que, dans l'autre monde, la partie de nous qui est chargée de juger l'autre l'appellera à sa barre. Elle frappera alors des verges de la justice tout ce qui, dans ce défilé redoutable, fera tache sur notre robe astrale.

On dit : connais-toi toi-même. Comment se connaître quand déjà on ne se comprend pas?

Je suis à cet âge où la lassitude d'être fait tourner la pensée vers le repos du non-être, vers les grands inconnus. Elle monte, chevauchant le rêve, s'égarant aux profondeurs stellaires, dans la région où la lumière s'arrête, parce que notre conception ne peut y pénétrer ; cherchant, sans la trouver, la porte qui va s'ouvrir pour elle sur l'Infini.

Il me semble que l'engrenage moral actionne mal le rouage charnel et que l'un veut monter, alors que l'autre cherche à s'affaisser.

Mon âme secoue ce deuil des joies de la terre, gaietés maintenant éteintes et silencieuses. Je vois s'avancer l'ombre libératrice qui m'ouvrira les portes de l'Invisible ; mes jours fuient au-devant de la mort et je lui tends les bras, car si c'est la nuit du corps, c'est la libération rayonnante de l'âme.

Vous, les jeunes, quand vous voyez une personne âgée, vous vous dites : Pauvre vieux, il n'a plus longtemps à vivre !

Et vous le plaignez, alors que c'est vous qui êtes à plaindre, car, pour lui, les portes de la prison vont bientôt ouvrir la liberté à l'envolée de son âme, tandis que vous avez encore tout votre terme de captivité à subir.

Ces folâtrements, ces joies de vivre, cette tapageuse jeunesse, c'est l'insouciance de l'avenir qui écarte les soucis devant elle, ne laissant s'épanouir que la gaieté. Il n'en est pas moins vrai que vieillir c'est rajeunir, c'est-à-dire se rapprocher de ce printemps éternel des existences astrales.

Dieu, l'a ainsi voulu ; l'heure de la lumière sonnera un jour pour eux, au détour de quelque violente secousse, lorsque l'être mûri se trouvera face à face avec une grande douleur.

Combien d'êtres plus jeunes que moi j'ai vu partir ! Je me demande alors si je n'ai pas gaspillé mon temps pour être ainsi retenu dans la vie, quand les autres, autour de moi, sont rendus à la liberté.

Je suis comme un collégien en retenue après les heures de classe, parce qu'il n'a pas fait son devoir pendant le temps de l'étude, et je me dis que je n'ai pas encore gagné la faveur d'être reçu là-haut.

En attendant, je ne suis sur la terre que nominalement. Je suis un laissé pour compte ici-bas, oublié par la grande faucheuse, en souffrance dans l'antichambre de l'autre monde.

Ces dernières étapes d'un attardé dans l'existence, qui vit la tête dans le ciel, un pied sur la terre et l'autre dans la tombe, sont un calvaire.

Je ne demande aucune jouissance à ce monde parce que les seules vraies sont là-haut, c'est la Terre Promise.

Je lui fais bonne figure, cherchant, sous ce masque, à distraire de sa mélancolie la pensée secrète d'une vie languissante, vie sans joie, résignée, dans les angoisses d'une âme inquiète.

Que d'ombres ont glissé, impalpables, dans le souvenir, emportées par le fleuve rapide du temps ! Dès qu'une chose est passée, elle m'apparaît comme un rêve ; et, en attendant, c'est dans le rêve que nous vivons ; notre sort peut être décidé et nous n'en savons rien, vivant parfois à la veille d'une catastrophe avec la plus grande quiétude. Là mort rôde souvent autour du foyer solitaire, c'est comme un vautour qui plane lentement au-dessus de sa proie.

Peu à peu, les impressions et les souvenirs nous disent adieu. L'intérêt de tout ce qui est agitation terrestre s'efface dans la brume d'un rêve qui fuit. Et la tombe m'attire, car elle n'est pas la nuit, mais au contraire une éclatante aurore.

Quand Atropos, celle des trois Parques chargée de couper le fil de la vie, sonnera à ma porte, je l'ouvrirai toute grande.

Avant de m'acheminer vers cette belle patrie où mon âme puise ses rêves, je voudrais une dernière fois, mes chers amis de la terre, serrer toutes vos mains.

Ma conversion tardive au spiritisme constitue mes préparatifs de voyage pour l'autre monde, mais mon temps sur la terre n'est pas fini, j'ai encore quelques mois, quelques années peut-être de bail, de bagne devrais-je dire, parce que j'ai commencé trop tard dans la vie l'œuvre régénératrice.

Le jour où j'ai perdu ma compagne chérie a été le coup de foudre qui a déchiré le voile. Ma vie a été, depuis, une fantasmagorie, il me semble que je me meus dans le rêve ; j'ai vécu huit ans d'une nouvelle vie, inconnue de l'ancienne.

Je suivais jusque-là le cours monotone de toutes les existences conventionnelles. Comme si je voulais regagner tout le terrain perdu, ma nouvelle vie a connu une activité fiévreuse, une ruée sans merci dans la voie révélatrice.

Des voix intimes m'ont poussé à entreprendre, sans aide et sans ressources, un travail qu'un coup d'œil rétrospectif dresse, dans ce passé rapide et récent, comme un inimaginable et audacieux effort. Et à chaque étape de la lutte, quand je crois être arrivé au port, la voix murmure, impitoyable : « Tu n'as pas fini, ce n'est pas encore assez, va... » Ces messages autoritaires d'un guide inconnu qui me suit, qui commande et dirige, mais veut garder l'anonymat, m'ont tracé la voie. Je l'ai suivie pas à pas, malgré des entraves et de peu charitables hostilités.

Je suis bien vieux, bien éprouvé ; n'ai-je point encore mérité mes invalides et est-ce bien cette fois le chant du cygne, ou vais-je encore demain recevoir quelque ordre nouveau ? Tant que ma main pourra tenir une plume, j'obéirai.

Cher grand guide, qui que vous soyez, vous êtes pour moi comme un rayon de la Divinité qui éclaire ma voie, et, dussé-je traîner une croix, je suivrai votre étoile, parce qu'elle est pour moi le pardon et l'espérance, et la boussole qui conduit à Dieu.

Cependant, ainsi que la légendaire colombe qui venait annoncer à Noé la fin du courroux céleste ; ainsi que l'apparition de débris de végétation sur les eaux et d'oiseaux dans l'air qui révélait enfin à Christophe Colomb le continent rêvé, des indices discrets, des messages mystérieux m'ont annoncé enfin une grande joie prochaine. Quelle plus grande joie puis-je espérer que celle de la délivrance du grand départ ? Et lorsque l'heure en aura sonné, chantez un hosanna, point de crêpe ni de pleurs sur cette tombe libératrice, mêlez votre joie à celle du défunt ressuscité, car ce jour de deuil est un jour de fête.

Puissé-je vous demander d'allumer un feu de joie sur le sommet de l'Himalaya, pour que j'en sente là-haut la douce chaleur.

Je descends tous les jours une marche de ce sombre escalier qui conduit vers le tombeau, et je me dis :

Voici l'heure venue, l'heure tant attendue. Est-il bien possible que, demain peut-être, je sois l'hôte de cette féerie ? Quelle étrange sensation, celle de ce grand voyage, celle du départ, et celle de l'arrivée ! L'arrivée surtout, quand notre âme libérée voit encore, couché à ses pieds, son compagnon de route de la Terre, que la Terre retient, et que nous allons voir s'ouvrir à nous tous ces mystères qui ont passionné nos méditations. Quelle récompense pour une si courte vie ! Car ma vie ne date que du jour de ma conversion, huit ans à peine ; le reste ne compte pas, c'est la bête qui l'a vécu. Quels bras vont nous recevoir ? Quel débordement de joie en retrouvant l'âme sœur de notre vie, dont le départ nous a coûté tant de larmes ! Et combien d'autres vais-je retrouver, comment vais-je les voir, que serai-je à leurs yeux, et que d'éblouissements ? Et tout cela, là, tout près ! Est-ce un rêve, ce réveil dans l'infini, cette joie suprême ?

Mais, lorsqu'en arrivant parmi eux, tous ces Esprits amis me demanderont si j'ai fait un bon voyage, ne vais-je pas être forcé de répondre : Non, j'ai connu la vérité trop tard !

Et chaque fois que ma paupière se ferme, j'espère qu'elle se rouvrira dans l'astral.

Quitter ce monde où tout est mensonge et souffrance, Partir pour les pays d'amour et d'espérance, Fuir la bête vénale et l'animal humain, Aujourd'hui prisonnier et libéré demain !


Adieux à la vie, salut à la mort

Lorsque la fosse attend, il faut qu'on y descende, a soupiré Musset, la Grande Tondeuse ayant écrit sur sa faux : soyez toujours prêt, car je viendrai à l'improviste.

Lorsque l'Ange des Ténèbres fait sur la terre un bouquet d'âmes en cueillant les fleurs fraîchement épanouies, c'est parmi les plus évoluées du printemps de la vie qu'il récolte sa moisson, laissant aux frimas des hivers les attardés de l'existence, les têtes blanchies qui ont une lente expiation ou une longue mission à remplir.

Après un laborieux voyage dans la vie, le pèlerin se demande alors, au détour de ses 80 ans, si la Parque n'a pas perdu sa piste.

Du haut de la décrépitude où l'ont plongé les luttes sans fin, son regard suit avec amertume la nuée fuyante de ces fumées dont étaient faits ses soucis et ses joies, il demande à ses souvenirs, à ses frêles espérances si souvent trompées, le viatique de leurs impressions.

Illusions et mirages, ces impressions se sont évanouies sans laisser de sillage ou d'empreinte. Ses arcs-en-ciel même n'étaient qu'une envolée du rêve un instant matérialisé pour tromper son œil avide de ciel, en les habillant des couleurs chatoyantes du réel. C'est le prisme où les glorioles et les fumées tapageuses des semblants de la vie brillent et s'éteignent en un éclair, sans plus laisser de tracés que la bulle d'air qui crève.

On a dit : « L'homme ne meurt pas, il se tue. » Ses sensualités et ses jouissances sont une lettre de change qu'il tire sur sa chair, sur son être physiologique et qui s'en va protestée dans la tombe.

Qu'est-ce pourtant que cette courte Capoue d'une vie de sybarite à côté de la grande odyssée céleste ? Notre terre n'est qu'une préface à notre ciel. Ne sacrifions pas celui-ci aux plaisirs, de l'autre. Nos tâtonnements ici-bas sont l'école primaire où nous apprenons l'alphabet de la langue des hautes études que nous allons parler là-haut. Allégeons notre bagage de ses rancunes et de ses indulgences charnelles. Faisons, avant de partir, la toilette de notre âme : Mettons-y toute la coquetterie que pourra nous inspirer notre spiritualité. Songeons que nous allons nous présenter dans toute notre nudité morale, avec toutes nos éclaboussures humaines, étiquette de notre évolution, devant tous ces yeux d'amour d'amis retrouvés qui viendront nous tendre les bras au débarqué.

Si au seuil de chaque action nous nous étions arrêtés un instant pour en dégager le motif terrestre, l'intérêt ou la vanité, nous reculerions en nous cabrant devant cette cause semée, appelée à germer dans le bien ou le mal, égrenant de notre propre main des écueils le long de notre route.

Nos résistances alors seraient autant de fleurons à notre couronne astrale. Aussi, ne marchons pas aveuglément dans la vie sans regarder où nous mettons le pied, car chaque pas a une conséquence comme écho.

Mais l'envoyée du Styx, la Camarde à l'œil fauve, est toujours là qui rôde autour de notre foyer et quand elle vient frapper à notre porte, demandons-lui d'abord de trancher de sa faux toutes les emprises qui nous retiennent dans les servilités terrestres. Laissons aux creuses vanités de notre corps, avant de le jeter à la hotte du chiffonnier, toutes les dépenses somptuaires des passions humaines. Ouvrons notre cœur à l'indulgence et à la charité, chassons-en les mesquines agitations de la créature charnelle, car elles ne sont là-haut que la fausse monnaie de la terre. Nos attaches à ce monde ne servant que nos complaisances envers les faiblesses de l'animal ; si nous hésitons à rompre le lien de servage entre notre être inférieur et notre être supérieur, entre la bête et l'ange, contemplons un instant cette belle eau cristalline et limpide d'un lac d'azur, à côté du bourbier marécageux où s'empêtrent des êtres enlisés dans sa fange, et choisissons, car ils sont l'image des deux patries. L'un est le ciel et l'autre la terre.

Emondons de leurs épines les fleurs qu'a ramassées notre âme, respectons la pureté de nos acquis, ne maculons pas notre flore spirituelle.

Mais voilà qu'un jour ce pèlerin oublié voit la terre s'assombrir sous ses pieds et le ciel s'entre ouvrir pour laisser apparaître la radieuse image de toutes les mains tendues ; pour laisser s'épancher vers lui les voix affectueuses qui se sont tues sur la terre et réveillées dans le ciel ; qui lui crient comme dans une mélodie tissée de lumière et d'amour: « Rapporte-nous ton âme».

L'heure a sonné à la grande horloge du temps, le gong céleste donne à l'attardé de la terre le signal du départ ; tout son ciel s'enflamme de la grande féerie dont la mort va arracher le voile. Et c'est à mes yeux éblouis qu'il offre ce spectacle, c'est à l'être chétif et humble qui le contemple que Dieu veut bien faire une petite place parmi les élus de l'appel céleste ! Est-ce bien moi qu'il appelle ? Vais-je donc être bientôt parmi toutes ces belles âmes lumineuses sur lesquelles la mienne jettera une ombre ?

Ma reconnaissance éclate en élans d'amour, et puis je rassemble à la hâte tous mes titres à la clémence divine. Hélas ! Je m'aperçois que mon bagage est bien léger ; l'autre, l'être animal, a tout accaparé. Il s'est gorgé de terre, sans souci des efforts déployés par son pauvre compagnon de lutte pour emplir la tirelire destinée à son voyage astral.

C'est à cette heure révélatrice que les biens éphémères d'ici-bas nous paraissent méprisables et coupables et que les fleurs de l'âme étincellent comme autant d'étoiles dans notre firmament spirituel.

Je m'empresse d'aller restituer à la terre ce corruptible vêtement, ce pauvre haillon d'argile qu'elle m'a prêté, et de lui redemander mes ailes pour m'envoler là-haut. Toute mon âme s'y transporte et vit déjà dans le rêve. Ne l'en éveillez pas, dans la crainte qu'elle ne retombe du haut de son apothéose dans la bête humaine.

Le rêve est le Parnasse de la pensée, ses suavités en sont la poésie. Laissez-le planer pour qu'il ne salisse pas ses pétales ailés au contact des promiscuités humaines.

J'ai fini ma terre et j'ai hâte de commencer mon ciel. Adieu donc à cet éclair d'illusion qu'a été le songe de la vie, et salut à vous, tombe attentive, charitable libératrice qui vous recueillez dans le silence pour entendre s'envoler les âmes, bercées par la symphonie du tourbillonnement des mondes.

Quand mon heure viendra je ne le saurai pas

Mais je m'éveillerai, l'âme heureuse et ravie

Dans un berceau fait d'aube au sortir du trépas

Car la terre est un rêve et la mort est la vie

Table des matières

Avant propos. 2

La traversée de la vie. 4

L’éducation.. 7

Les punitions corporelles. 11

Evolution.. 14

La distraction.. 18

La colère. 23

L’orgueil. 24

La Terre. 27

Ignorants et matérialistes. 30

Le veau d'or. 34

Dématérialisation.. 36

Douleur et consolation.. 40

L'amour dans l'Au-delà.. 47

La fin de l'être terrestre. 50

Initiation spirite à l'usage de l'enfance. 51

Nos bébés. 52

Aux Mères. 53

Première notion.. 56

Deuxième notion.. 58

Troisième notion.. 60

Quatrième notion.. 61

Enseignement de la doctrine aux humbles. 63

Conversion de l'Eglise au Spiritisme. 69

La misère. 75

Vagabonds de l'erraticité sur la terre. 78

Aux pionniers éducateurs. 80

La propagande. 83

La fraternité et la solidarité. 84

La charité. 86

Examen de conscience. 90

L'heure de la conversion.. 93

Vivre en Dieu.. 94

Au Pays du rêve. 98

La bohème spirite. 102

Le chant du cygne. 104

Adieux à la vie, salut à la mort. 110


[1] Le cinéma éducateur a pénétré dans l'école, il faut l'encourager et le généraliser.

[2] L’Egalité des sexes, publié en 1885, par la librairie de la Nouvelle Revue.

[3] Voir l'étude qu'a faite Henri Brun dans son livre La Foi nouvelle sur l'enseignement moral. Editions de la B. P. S., 8, rue Copernic. Voir aussi les ouvrages d'Ernest Solvay en Belgique, sur un plan complet de transformation sociale.

[4] Le romanichel ne connaît pas le mot scrupule; il prend tout ce qui tombe sous sa main ; il vit de vol et de rapine, il est le fléau des basses-cours ; il dresse des singes à déterrer des pommes de terre ; aux frontières, des chiens, le corps enveloppé comme dans un manchon, chargé de dentelles, de tabac ou autres marchandises fortement imposées, font la contrebande. Ils passent inaperçus la nuit et avec une telle dextérité le jour, que les douaniers ont beau tirer dessus, ils ne sont jamais atteints.

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