Translate

quinta-feira, 13 de outubro de 2011

Létrer Subconscient- Docteur Geley

 

Índice do Blog 

 

Docteur Geley

L'ETRE SUBCONSCIENT

INTRODUCTION

De la méthode et de l’évolution de la philosophie scientifique

Philosophie scientifique et science idéale. - Méthode de la philosophie scien­tifique. - Evolution de la philosophie scientifique. - Le matérialisme et la science. - Difficultés des théories matérialistes. - Le monisme. - Ses bases scientifiques. - Les conséquences du monisme. - Tendance au pessimisme. - Les transformations imminentes de la philosophie moniste. - Le monisme et l'immortalité individuelle. - Les conséquences, au point de vue métaphysique, des progrès de la psychologie.

De toute évidence, la philosophie de l'avenir sera une philosophie scientifique, basée sur les connaissances positives, guidée dans ses déductions et dans ses hypothèses par l'esprit scientifique. C'est là, sans doute, une vérité banale, mais que l'on est bien obligé de proclamer hautement et sans cesse, en face des attaques audacieuses d'une certaine école.

M. Berthelot a bien exprimé ce que devait être cette phi­losophie qu'il appelle science idéale[1]: « En deçà comme au delà de la chaîne scientifique, l'es­prit humain conçoit sans cesse de nouveaux anneaux ; là où il ignore, il est conduit par une force invincible à con­struire et à imaginer, jusqu'à ce qu'il soit remonté aux causes premières... Ces réalités cachées, ces causes premières, l'esprit humain les rattache d'une manière fatale aux faits scientifiques, et, réunissant le tout, il en forme un ensemble, un système embrassant l'universalité des choses maté­rielles et morales... Pour construire la science idéale, il n'y a qu'un seul moyen, c'est d'appliquer à la solution des problèmes qu'elle pose tous les ordres de faits que nous pouvons atteindre... Ici, chaque science apportera ses résultats les plus géné­raux... La vérité, nous devons l'avouer, ne saurait être atteinte par la science idéale avec la même certitude que par la science positive... En effet, la science idéale n'est pas entièrement formée, comme la science positive, par une trame continue de faits enchaînés à l'aide de relations certaines et démon­trables. Les notions générales auxquelles arrive chaque science particulière sont disjointes et séparées les unes des autres dans une même science, et surtout d'une science à l'autre. Pour les réunir et en former un tissu continu, il faut recourir aux tâtonnements et à l'imagination, combler les vides, prolonger les lignes... Ainsi, tandis que la science positive une fois consti­tuée l'est à jamais, la science idéale varie sans cesse et variera toujours. »

Ainsi donc, la philosophie ne s'écartera pas de la méthode scientifique, quand elle ira au delà des faits. Elle avancera toujours très prudemment, du connu à l'inconnu, n'admettra que les déductions parfaitement logiques et rationnelles ; ne fera, en fait d'hypothèses, que celles qui seront rigoureusement nécessaires, et ne leur donnera jamais qu'un caractère provisoire. Elle n'hésitera pas à sacrifier les hypothèses devenues insuffisantes ou trouvées en contradiction avec un seul fait bien établi. La science étant indéfiniment progressive, la philoso­phie scientifique sera elle-même progressive, variable par conséquent.

Aussi constatons-nous que depuis moins d'un demi-siècle, par le prodigieux essor des sciences modernes, le caractère général de la philosophie scientifique a subi des transformations radicales. Du matérialisme pur, il s'est élevé au monisme natu­raliste. Le monisme lui-même semble devoir subir une évolu­tion capitale, grâce au développement récent de la psy­chologie, et aboutir bientôt à une interprétation rationnelle de l'univers et de la vie satisfaisante en même temps, au point de vue idéaliste et moral.

Le matérialisme pur semblait avoir trouvé une solide base scientifique dans les grandes découvertes des sciences naturelles et la théorie transformiste de Lamarck, Darwin, Wallace et leurs successeurs. Tout paraissait avoir une explication naturelle dans l'évolution progressive de la matière, reliant par une transition insensible les formes inférieures de la vie et de l'intelligence aux formes supérieures. L'homme descendait de l'animal avec lequel il ne pré­sentait aucune différence essentielle.

Comme, d'autre part, il était prouvé jusqu'à l'évidence qu'une corrélation étroite existait entre l'étendue  de la conscience et le développement des centres nerveux et comme cette conscience semblait subordonnée au bon état et au bon fonctionnement du système nerveux ; il n'y avait plus à espérer de survie de l'intelligence après la destruction de l'organisme.

Tout était donc matière, ou produit de l'évolution de la matière et cette évolution se faisait spontanément par l'influence du milieu, la lutte pour la vie et la sélection naturelle.

Influence du milieu et lutte pour la  vie amenaient la disparition du plus faible, la subsistance de l'organisme le mieux adapté aux conditions vitales ambiantes. De là les transformations progressives de l'organisme, favorisées par la sélection naturelle.

Donc plus besoin de cause première ni de cause finale. Ame, fonction du cerveau. Déterminisme absolu. Le mal, utile au perfectionnement de l'espèce, subi sans compensation par les individus. L'Univers, dans son ensemble, simple jeu des forces naturelles inconscientes. Telles étaient les premières conclusions de la philoso­phie scientifique. Mais les progrès de la science ébranlaient bientôt l'hypo­thèse matérialiste. D'abord, le raisonnement rigoureux semblait prouver que l'évolution est non pas une explication, mais une constatation pure et simple. En effet, la connaissance des conditions évolutives (influence du milieu, lutte pour la vie, sélection naturelle) ne peut pas, exclure l'idée de cause première ni de cause finale. Des volumes[2] ont été écrits en vue de cette démonstra­tion.

L'argument le plus probant et le plus scientifiquement déduit est le suivant : Dans aucun cas, le « plus » ne peut sortir du «moins », ni le « moins » ne contient pas en puissance toutes les possibilités du « plus ».

Admettre le contraire est tout à fait illogique et tout à fait anti-scientifique. Le chêne sort du gland, parce que le gland contient en germe le chêne futur mais le chêne ne pourra dériver d'une graine végétale inférieure, quelque lente que soit cette dérivation, que s'il est déjà contenu en puissance dans cette graine. Les conditions constatées de l'évolution n'en sont donc pas la cause suffisante. Les transformations progressives ne peuvent être con­çues comme possibles qu'à condition de les supposer en puissance dans l'élément originel le plus simple, quel qu'il soit, placé à la base de l'évolution.

Le raisonnement est rigoureux et semble bien scientifi­quement irréfutable. Par conséquent, bon gré mal gré, on est ramené à la recherche de cette cause première que l'on espérait éviter. Autre difficulté : la matière, prise comme base de l'évolution, n'offrait bientôt plus le solide point d'appui que l'on croyait trouver en elle. Ses qualités les plus essentielles, étendue, impénétrabilité soumises à l'analyse, apparaissaient tout à fait illu­soires. Les solides n'avaient de solide que l'apparence et cette apparence était essentiellement relative à nos sens.

Avec Ampère, Faraday, Tyndall, etc.., on ne pouvait plus voir dans un corps prétendu solide qu'un agrégat de milliards d'atomes mobiles, gravitant les uns autour des autres, ne se touchant nulle part, mais séparés par des distances relativement considérables.

L'atome lui-même n'apparaissait bientôt plus que comme une nécessité de logique, une fiction commode mais sans réalité vraie. L'atomisme devenait dynamisme l'atome n'était plus qu'un tourbillon (Helmoltz), un centre de forces et les forces elles-mêmes se ramenaient logi­quement au mouvement.

Le matérialisme n'a donc pas plus de valeur ni d'importance scientifique que le spiritualisme.

« Le matérialiste, dit admirablement Guyau[3], croit faire de la science positive ; il fait, lui aussi, tout comme l'idéaliste, de la poésie métaphysique ; seulement ses poèmes, avec leurs constructions imaginatives, sont écrits en langue d'atomes et de mouvements, au lieu d'être écrits en langue d'idées... ceux de nos savants qui spéculent ainsi sur la nature des choses sont des Lucrèce qui s'ignorent. »

En réalité, le seul système de philosophie scientifique est le monisme[4], avec sa conception grandiose d'un principe unique, à la fois intelligence, force et matière, embrassant tout ce qui est et tout ce qui est possible, cause première et cause finale, dont les différenciations ne seraient que des formes diverses de mouvements. Cette doctrine est d'accord avec toutes les constata­tions scientifiques ; elle s'appuie non seulement sur les sciences naturelles, mais sur tout ce que nous enseignent la physique, la mécanique et la chimie, touchant l'immor­talité de la matière et de la force ; leurs transformations et leur unité probable.

Les conséquences du monisme sont des plus impor­tantes :

Tout d'abord, c'est le rejet définitif de la conception d'une divinité extérieure à l'Univers. C'est, en effet, une « hypothèse inutile », conformément au vieil et irréfutable argument panthéiste qui nous montre la cause première, elle-même sans cause, comme au moins aussi incompréhensible pour nous en dehors de l'univers que dans l'univers même ; de sorte que placer cette cause première en dehors, c'est simplement reculer la difficulté et non la résoudre.

De plus, même au point de vue moral, c'est une hypo­thèse vraiment peu rationnelle, comme l'a bien montré Guyau. En dépit des subtilités théologiques, et des para­doxes de l'optimisme, le Dieu tout-puissant serait respon­sable de tout le mal constaté dans l'univers.

Il est plus moral et plus consolant d'attribuer le mal à la nature aveugle :

S'il est des malheureux, il n'est point de bourreaux,

Et c'est innocemment que la nature tue.

Je vous absous, soleil, espace, ciel profond,

Étoiles qui glissez, palpitant dans la nue,

Ces grands êtres muets ne savent ce qu'ils font.

(Guyau, les vers d'un philosophe.)

Du reste, le monisme naturaliste offre une explication satisfaisante du mal, en en faisant la condition du perfec­tionnement de l'espèce et en nous laissant espérer le bien futur, acquisition finale probable de l'évolution. Le bonheur de nos descendants sera le fruit de nos souffrances. Le monisme ainsi compris offre-t-il une interprétation satisfaisante de l'univers ? Au point de vue rationnel, peut-être ; au point de vue moral, non.

La perspective du perfectionnement, d'ailleurs non rigoureusement certain, de l'espèce, n'est qu'une consola­tion très relative au sacrifice de l'individualité, aux souf­frances sans compensation des êtres vivants. Les espé­rances de justice et de bonheur personnel s'évanouissent et, dès lors, le pessimisme apparaît comme la conséquence inévitable de cette interprétation scientifique de l'univers.

Toutes les objections faites au pessimisme ne peuvent tenir devant cette simple et très ancienne constatation : La somme des douleurs terrestres l’emporte sur la somme des plaisirs. Donc la vie terrestre, en ce qui concerne l'individu, est un mal.

Quant à nier la prédominance des douleurs dans la vie humaine, ce n'est guère possible :

Elle est évidente d'abord pour tous les hommes un peu élevés. Leurs plaisirs, sauf exceptions, ne sont pas complets : ils sentent trop la limitation de leurs forces et de leurs facultés, l'impuissance de réaliser leurs espérances ou d'atteindre pleinement leur idéal.

D'autre part, leur sensibilité trop développée multiplie pour eux les occasions de douleur et la douleur elle-même ; et l'instinct ou la conscience de l'universelle solidarité leur fait trop ressentir tout ce qu'il y a de misères, d'injustices et de souffrances autour d'eux et loin d'eux.

Pour les médiocres, qui constituent la masse de l'humanité, les conclusions pessimistes sont moins évi­dentes : la vie terrestre semble leur offrir souvent une moyenne satisfaisante de bonheur, parce que leurs facultés physiques et psychiques, leur élévation morale, leur sensibilité, sont adéquates aux conditions vitales ambiantes. Sans doute, ils n'ont pas de ces grandes joies émotives qui emportent l'être élevé au-dessus des réalités banales, mais une foule de petites satisfactions infiniment plus fré­quentes qui leur suffisent largement.

S'ils n'évitent pas le mal, ils restent du moins au-dessous de ces grandes douleurs morales qui brisent les forces, annihilent l'intelligence, mais, laissant intacte la sensibilité, deviennent en même temps de véritables souffrances physiques. Si par hasard un grand chagrin les effleure, ils ont un dérivatif que les êtres élevés n'ont plus : l'esprit de haine et de vengeance. Ils ont enfin une Suprême ressource, le suicide, qui échappe aussi à ces derniers[5].

Malgré tout, même pour les hommes inférieurs ou mé­diocres, il semble bien que la somme des peines l'emporte très généralement sur la somme des plaisirs. Une preuve accessoire, mais néanmoins intéressante, du peu de satisfactions réelles que donne la vie terrestre, c'est l'usage perpétuel et l'abus fréquent que l'humanité ; en tous temps et en tous lieux, a fait des narcotiques. Les narcotiques sont variables, mais ils sont toujours : alcool, tabac, haschich, opium, éther, etc.., etc.., peu im­porte ; l'homme semble ne pouvoir se passer de l'un ou de l'autre pour obtenir quelques illusions, ou simplement le repos et l'oubli.

Et puis, à côté de ces narcotiques organiques, physio­logiques, que de narcotiques moraux plus puissants encore : chimères religieuses et superstitions, rêveries mysti­ques, croyances merveilleuses, etc.., etc..

Enfin même, n'agissent-elles pas comme des narcoti­ques, toutes les illusions bienfaisantes auxquelles l'homme le plus malheureux ne renonce jamais, et qui font aimer la vie, moins pour ce qu'elle donne que pour ce qu'elle permet d'espérer ?

Privée de ses illusions, l'existence individuelle semble réellement un mal, si cette existence tient tout entière de la naissance à la mort, ce n'est pas là, heureusement, la conclusion définitive de la philosophie scientifique. De nouvelles connaissances, dans le domaine de la psychologie théorique et expérimen­tale, permettront peut-être une conclusion toute différente.

Le monisme n'est pas inconciliable avec les espérances d'immortalité individuelle :

Du moment que l'intelligence n'est plus considérée comme une sécrétion de la matière, mais comme un mode de mouvement du principe unique, il n'est plus logique d'affirmer l'anéantissement de l'intelligence par la mort de l'organisme. « On oppose fréquemment à notre mo­nisme, dit Hæckel, qu'il nie absolument l'immortalité. Cependant cela n'est pas vrai... L'univers, dans son en­semble, est immortel. Aussi peu il est possible que la plus petite parcelle de matière et de force ait jamais péri dans l'univers, aussi peu il est probable que cela puisse arriver aux atomes de notre cerveau, ou aux forces de notre esprit. »

Seulement, ajoute Hæckel, ce qui disparaît par la mort, c'est la conscience, la mémoire individuelle. La force intelligente de l'être se désagrège et se transforme, comme se désagrège et se transforme la matière organique elle-même.

Ce n'est là qu'une simple affirmation, et rien ne prouve qu'il soit impossible de démontrer le contraire. Guyau pré­voyait l'évolution prochaine de la philosophie scientifique, dans un sens idéaliste : « Le XIXe siècle, dit-il, finira par des découvertes encore mal formulées, mais aussi impor­tantes, peut-être, dans le monde moral, que celles de Newton ou de Laplace, dans le monde sidéral[6] ... »

Dans un chapitre important de son Irréligion de l'avenir, il étudie la possibilité de l'immortalité dans le naturalisme moniste. L'immortalité, selon lui, pour­rait devenir une acquisition finale de l'évolution. Elle pourrait être aussi le résultat d'une sorte de péné­tration réciproque des consciences supérieures, qui se continueraient l'une dans l'autre, ce qu'il y a de meilleur dans la conscience individuelle pourrait demeurer dans la conscience d'un être aimé et lui rester uni après la mort. Ce sont là des conceptions fort belles, sans doute, mais trop vagues et incertaines, comme le déclare Guyau lui­-même, pour satisfaire nos espérances d’immortalité.

Qu'il nous soit permis, d'entreprendre une étude métho­dique de quelques-unes des découvertes qu'avait prévues ce grand penseur, découvertes récentes et mal éclaircies encore, mais que la philosophie scientifique n'a déjà plus le droit de dédaigner. Peut-être ensuite hésiterons-nous à proclamer chimé­rique la conception de l'immortalité dans le naturalisme moniste.


Première partie

Examen au point de vu explicatif de la psychologie normale et de la psychologie anormale

Chapitre I

Faits obscurs de psychologie normale

La fonction cérébrale et les phénomènes conscientiels. – La psychologie peut–elle être ramenée entièrement au fonctionnement des centres nerveux ? – La corrélation psycho-physiologique. – L'âme fonction du cerveau. – N'y a-t-il pas autre chose que le fonctionnement cérébral ? –Examen des faits mal expliqués de psychologie normale. – L'impuissance de l'anato­mie et de la physiologie à fournir une interprétation complète des phénomènes conscientiels. – Les phénomènes psychiques inconscients. – Nécessité d'une hypothèse nouvelle en psychologie normale : l'hypothèse de la subconscience. – Le sommeil et son interprétation. – L'explication physiologique du sommeil : repos des centres nerveux. – L'explication psychologique du sommeil reste à trouver. – Diminution d'activité fonctionnelle et persistance ou augmentation de certains modes d'activité psychique pendant le sommeil.

1°) Est-il possible de ramener toute la psychologie au fonctionnement des centres nerveux ?

Cette question, qui a fait l'objet de tant de controverses théo­riques, antérieurement aux recherches expérimentales modernes, paraissait scientifiquement résolue par l'affirmative.

Les arguments donnés en faveur d'une solution con­traire étaient surtout d'ordre idéaliste et moral. Aux constatations positives : corrélation étroite entre le développement des centres nerveux et l'étendue de la conscience entre l'activité et la régularité des manifestations intellectuelles et l'acti­vité et la régularité du fonctionnement cérébral. Dépendance telle de la psychologie à la physiologie que le moindre trouble pathologique, traumatique, toxi­que, etc., atteignant directement ou indirectement les centres nerveux, suffit à surexciter, ralentir ou pervertir les manifestations de l'âme.

A ces constatations, on n'opposait guère qu'une objec­tion dubitative : la corrélation psycho-physiologique dé­pendait peut-être, disait-on, non pas de la subordination absolue, mais de l'association à l'organisme d'un prin­cipe psychique indépendant de lui dans son origine et dans ses fins. Comme ce n'était là qu'une hypothèse facultative et nullement indispensable, il semblait conforme à l'esprit scientifique de la rejeter purement et simplement.

Ce n'est pas, cependant, qu'on n'eût éprouvé de sérieuses difficultés à l'interprétation physiologique d'un grand nombre de faits psychiques, tels que la permanence de la personnalité, malgré le perpétuel renouvellement des molécules cérébrales ; les inégalités intellectuelles considérables entre individus voisins comme origine ; l'innéité de certaines facultés ; les différences entre l'hé­rédité physique et l'hérédité psychique ; le sommeil, etc.

Toutefois, ces difficultés, d'importance diverse et diver­sement appréciée, ne pouvaient ébranler sérieusement l'hypothèse physiologique : l'âme est fonction du cerveau.

Avec les progrès récents de la psychologie (tant dans le domaine théorique que dans le domaine expérimental), les difficultés d'interprétation physiologique se sont mul­tipliées à tel point qu'elles légitiment, qu'elles imposent le doute. On peut et l'on doit se demander aujourd'hui, non pas si l'ancienne hypothèse physiologique est fausse ; mais bien si elle est suffisante. Il ne saurait être question, évidemment, de nier l'importance du fonctionnement cérébral, mais on est obligé de rechercher soigneusement s'il n'y a pas autre chose que le fonctionnement cérébral. Dans une semblable étude, il est essentiel de laisser là toute idée préconçue, de repousser toute tentative de solu­tion a priori, de suivre pas à pas la méthode scientifique.

De cette manière, on est sûr, non pas peut-être d'arriver au but, mais de déblayer un peu la voie qui permettra d'y arriver ; et, quel que soit le résultat immédiat, de faire du moins œuvre utile. Je me propose, dans ce travail, d'analyser successive­ment tous les phénomènes psychiques, d'observation an­cienne ou récente, qui présentent de sérieuses difficultés d'interprétation physiologique, et de chercher leur expli­cation rationnelle. Parmi les hypothèses explicatives que je rencontrerai, je m'efforcerai de ne conserver que celles remplissant les conditions imposées par la méthode scientifique : d'être indispensables, d'être logiquement déduites et suffisam­ment probables, de n'être en contradiction avec aucune constatation positive. Enfin, je tâcherai de tirer des faits et des hypothèses toutes les déductions rationnelles.

Il s'agira donc, avant tout, d'après ce programme, de chercher une théorie capable d'embrasser et d'interpréter, si possible, tous les faits encore obscurs, tant dans la psychologie normale que dans la psychologie anormale. Par conséquent, je ne m'attarderai pas à démontrer l'authenticité de tous ces faits : des volumes seraient nécessaires[7]. Je ne m'égarerai pas non plus dans une longue description des phénomènes, je me contenterai d'établir la caractéristique essentielle de chacun d'eux et de citer quelques exemples des principaux. Je donnerai, en revanche, toute l'étendue possible à la partie explicative. Mon but, je le répète, n'est ni de prouver, ni même de décrire, mais d'interpréter.

2°) Les principales difficultés d'interprétation physiologique dans la psychologie normale proviennent des constatations suivantes :

1° Les inégalités intellectuelles et morales :

Considérables entre individus très rapprochés par les con­ditions de naissance et de vie ; leur développement psy­chique, l'étendue et la diversité de leurs facultés n'étant pas en rapport apparent appréciable avec des inégalités cérébrales constantes et proportionnelles[8].

2° La différence entre l'hérédité ou l'atavisme psychique et l'hérédité ou atavisme physique :

Il est d'observation courante que l'enfant ressemble par­fois absolument aux parents, au point de vue organique, et diffère, non moins totalement, au point de vue de l'intelligence et du cœur. Deux frères, nés et élevés dans des conditions identi­ques, peuvent se ressembler physiquement et n'avoir rien de commun moralement. Les hommes de talent et de génie sortent souvent de milieux inférieurs, et procréent non moins souvent des enfants fort médiocres. On peut conclure de tout cela que les ressemblances psychiques, lorsqu'elles existent, sont plutôt le fait de l'éducation et du milieu ambiant que de l'hérédité. Nous sommes donc en présence d'un premier ordre de constatations embarrassantes. On propose, en général, l'explication suivante : les difficultés d'interprétations physiologiques résulte­raient de la grossièreté et de l'insuffisance de nos moyens actuels d'investigation vis-à-vis de l'extrême délicatesse de l'organe cérébral. Des différences anatomiques inappréciables produi­raient toutes les différences psychiques. Enfin, ces différences anatomiques pourraient prove­nir elles-mêmes, en dehors de l'hérédité, d'une foule de causes restées inaperçues, telles que certaines influences pathologiques, traumatiques, toxiques, réflexes, etc., pendant la vie intra-utérine, ou telles que certaines con­ditions encore obscures de la génération. Cette explication n'est pas fort satisfaisante, puisqu'elle ne s'appuie que sur une présomption nécessaire d'ignorance, mais elle n'est pas irrationnelle. On peut l'accepter provisoirement, réserve faite sur laquelle il sera loisible de revenir.

3° Une difficulté d'un autre ordre consiste dans l'inter­prétation physiologique de la permanence de la per­sonnalité, malgré les perpétuelles variations moléculaires de l'organisme :

Cette question a donné lieu à d'interminables controverses, relatives à la nécessité, affirmée par les uns, niée par les autres, d'un principe fixe servant de substratum à la matière organique incessamment renouvelée. Je crois inutile d'entrer dans une semblable discussion. Je me contente de signaler cette difficulté d'une réelle importance, que les physiologistes esquivent volontiers et que, faute d'une explication satisfaisante, ils affectent trop de ne pas prendre au sérieux. Nous aurons à revenir sur ce sujet.

4° Les phénomènes psychiques inconscients, ou du moins échappant en majeure partie à la volonté consciente, constituent une autre énigme physiologique. Ces faits ont été groupés récemment sous l'étiquette d'au­tomatisme psychologique[9] :

Connus de tous temps, ils ont été trouvés, depuis les progrès récents de la psychologie et de la neuropathologie, beaucoup plus nombreux, complexes et importants qu'on ne pensait. Parmi les plus anciennement connus de ces faits, on peut citer : la conservation, à notre insu, d'une multitude de souvenirs, en apparence oubliés, mais pouvant réappa­raître sous l'influence d'une émotion violente, d'un dan­ger menaçant, etc.

L'activité psychique latente se traduisant par des émotions sans cause appréciable, des détermi­nations inattendues, des modifications brusques en appa­rence dans le caractère et les idées. Par des résultats conscients d'opérations intellectuelles inconscientes, tels que la solution inattendue d'une recherche abandonnée après de vains efforts, etc. Les recherches modernes ont considérablement étendu le domaine attribué à la psychologie inconsciente.

On y fait rentrer, non seulement, comme nous le verrons, toute la psychologie anormale, mais aussi une por­tion de plus en plus importante de la psychologie normale. L'activité intellectuelle latente jouerait un rôle dans les manifestations de nos facultés, et généralement dans toutes les opérations conscientielles. Hartmann, on le sait, attribue à l'inconscient une part prépondérante dans les manifestations élevées de l'âme, et considère volontiers le génie comme son émanation directe[10]. Parmi les très nombreux travaux récents sur le subcon­scient, le plus complet est certainement la revue d'ensemble qu'a donnée le Dr Chabaneix : Le subconscient chez les artistes, les savants et les écrivains.

Je ne saurais mieux faire que de présenter une analyse rapide des documents réunis dans ce travail. L'influence subconsciente peut se manifester, avec une puissance remarquable, souvent prépondérante, dans les productions scientifiques, artistiques ou littéraires. Elle peut être observée : soit pendant le sommeil ou au réveil, soit pendant l'état de veille, soit dans une sorte d'état intermédiaire à la veille et au sommeil. Voici quelques-uns des exemples qu'en donne le Dr Chabaneix :

Exemples d’activité subconsciente pendant le sommeil ou au réveil, ils sont multiples. On peut citer, d'après leurs propres déclarations, comme ayant observé et utilisé le travail psychique pendant le sommeil : Con­dorcet, Franklin, Michelet, Condillac, Arago.

Voltaire raconte avoir rêvé une nuit un chant complet de la Henriade autrement qu'il ne l'avait écrit. La Fontaine composa en rêve la fable des Deux Pigeons. Cardan dit avoir composé un de ses ouvrages tout entier en rêve. Maignan aurait ainsi trouvé des théorèmes impor­tants.

« J'ai eu souvent dans mes rêves, rapporte Burdach, des idées scientifiques qui me paraissaient tellement im­portantes qu'elles m'éveillaient. Dans bien des cas, elles roulaient sur des objets dont je m'occupais à la même époque, mais elles m'étaient entièrement étrangères quant à leur contenu. »

Le cas suivant de Coleridge est fort net : « Coleridge s'endormit en lisant et, à son réveil, il sen­tit qu'il avait composé quelque chose comme deux ou trois cents vers qu'il n'avait qu'à écrire. » Cinquante-quatre furent écrits sans effort et « aussi vite que la plume pou­vait courir ; mais ayant été interrompu par quelqu'un qui resta environ une heure pour une affaire, Coleridge, à sa grande surprise et mortification, trouva que, quoiqu'il eût encore un vague souvenir de l'ensemble général de sa vision, à l'exception de huit ou dix vers épars, tout le reste avait disparu sans retour. »

M. de Rosny déclare qu'il a l'habitude de mettre à côté de son lit un crayon et du papier, et qu'il se réveille par­fois en sursaut pour écrire des notes importantes.

Dans quelques cas, l'influence subconsciente dans le sommeil se traduit par un rêve hallucinatoire ; ainsi dans le cas bien connu de Tartini, rêvant que le diable exécute sur son violon une sonate merveilleuse, se réveillant brus­quement et l'écrivant de mémoire.

Exemples d’activite subconsciente, soit à l’état de veille, soit dans un état intermédiaire à la veille et au sommeil ce qu'on appelle inspiration se produit fort souvent dans un état d'obnubilation plus ou moins complète de la réalité consciente :

« Diderot oubliait souvent les heures, les jours et les mois, et jusqu'aux personnes avec lesquelles il avait commencé à causer. »

Théophile Gautier dit en parlant de Balzac : « Son attitude était celle d'un extatique, d'un somnambule qui dort les yeux ouverts ; perdu dans une rêverie profonde, il n'entendait pas ce qu'on lui disait. »

Hegel termina tranquillement la Phrénologie de l'esprit à Iéna, le 4 octobre 1806, sans même s'apercevoir que la bataille faisait rage autour de lui[11]. »

Beethoven, tout absorbé par l'inspiration, sortit un jour, à Neustadt, à moitié vêtu. Il fut conduit en prison comme un vagabond ; personne ne voulant croire, malgré ses cris, qu'il fût bien Beethoven.

Schopenhauer dit de lui-même : « Mes postulats phi­losophiques se sont produits chez moi sans mon interven­tion, dans les moments où ma volonté était comme endormie, et mon esprit non dirigé dans une direction prévue d'avance... Ainsi ma personne était comme étran­gère à l'œuvre. »

Parfois l'influence subconsciente est tellement nette qu'elle semble une influence extérieure : c'est ce que Musset exprimait dans ces vers :

On ne travaille pas, on écoute, on attend,

C'est comme un inconnu qui vous parle à l'oreille.

Les exemples de Socrate, de Pascal, de Mozart sont classiques à ce point de vue. Mozart écrivait, sur sa manière de composer : « Quand je me sens bien et que je suis de bonne humeur, soit que je voyage en voiture ou que je me promène après un bon repas, ou dans la nuit quand je ne puis dormir, les pensées me viennent en foule et le plus aisément du monde. D'où et comment m'arrivent-elles ? Je n'en sais rien, je n'y suis pour rien….. Tout cela, l'invention et l'exécution, se produit en moi comme dans un beau songe très distinct... ; on peut sans inconvénient me déranger pendant que j'écris ; on peut aller et agir autour de moi, je continue d'écrire ; je peux parler de poules, d'oies, de Gretchen, de Barbe, etc[12].... »

L’influence subconsciente à l’état de veille est difficile à distinguer du travail conscient et volontaire. On pourrait la retrouver cependant dans les cas d'artis­tes ou d'écrivains ne composant une œuvre qu'avec des interruptions prolongées, l'abandonnant en présence d'une difficulté sérieuse pour la reprendre aisément plus tard.

Parmi ces derniers, le Dr Chabaneix cite Renan, Broca, Gœthe qui abandonna et reprit Faust à de longues années d'intervalle. Enfin, l'influence subconsciente est évidente dans les observations de manifestations géniales chez des enfants (Pascal, Mozart, etc.).

L'activité psychique latente n'est donc ni accessoire, ni d'importance négligeable, même dans la psychologie normale. Le « moi » nous apparaît dès lors infiniment plus com­plexe et plus difficilement analysable qu'on ne pensait. En outre de la conscience, soumise en majeure partie à la connaissance et la volonté normales, il comprendrait une subconscience échappant en majeure partie à la con­naissance et à la volonté directes. Nous verrons l'importance et le développement de cette hypothèse nouvelle dans les faits de psychologie anormale.

5° Une dernière et très importante difficulté d'interpré­tation psychologique est celle du sommeil :

Au point de vue physiologique même, l'explication du sommeil n'a consisté, pendant longtemps, que dans des théories hypothétiques et c'est tout récemment, grâce aux recherches histologiques, qu'on est enfin arrivé à le comprendre d'une manière satisfaisante.

La thèse du Dr Pupin – le Neurone et les hypothèses histologiques sur son mode de fonctionnement. Théorie histologique du sommeil – donne un résumé très clair et très complet de la question, des théories anciennes et des idées nouvelles : Les théories anciennes étaient aussi nombreuses qu'in­certaines et contradictoires. Une première théorie, la théorie circulatoire, attribuait le sommeil à des variations périodiques dans la circulation sanguine du cerveau. Seulement, les partisans de cette opinion ne s'accordaient pas sur les caractères de ces variations. Les uns, avec de Haller, Cabanis, etc.., croyaient à la congestion, l'hyperémie du cerveau pendant le sommeil. Les autres avec Durham, Cl. Bernard, Mosso, etc. croyaient à l'anémie.

Une autre théorie, la théorie chimique, faisait dépendre le sommeil de la diminution de la quantité d'oxygène du sang et des tissus (l'oxygène s'accumulant pendant le sommeil et diminuant pendant la veille par les divers processus d'activité vitale). Cette théorie, soutenue par Humboldt, Purkinje, Petten­kofer, etc., fut combattue par Voit, qui démontra que la quantité d'oxygène n'augmente pas pendant le sommeil. Enfin une dernière théorie, la théorie toxique, attri­bue le sommeil à l'accumulation de leucomaïnes produites par l'activité cérébrale (Armand Gauthier, Bouchard, etc.) Les recherches histologiques ont mis fin à ces incerti­tudes explicatives en permettant une théorie nouvelle très claire et très rationnelle du sommeil.

Voici, toujours d'après le Dr Pupin, cette théorie histo­logique qui repose sur les connaissances anatomiques et physiologiques récentes relatives aux neurones.

On sait qu'on entend par neurone la cellule nerveuse pourvue de son nucléus, de ses prolongements protoplas­miques, de son prolongement cylindraxile arborisé. Ces prolongements ramifiés ne s'anastomosent pas avec ceux des cellules voisines, comme on croyait autre­fois, les rapports se font non pas par continuité, mais par contiguïté.

Chaque neurone constitue une « individualité anatomi­que, physiologique et histogénique, un tout isolé et indépendant ». Le système nerveux, dans son ensemble, n'est qu'un « agrégat de neurones sans soudure entre eux. » Or, dans l'état de veille, l'activité fonctionnelle du cer­veau serait caractérisée par la mobilité et l'allongement des prolongements ramifiés « des tentacules », des neu­rones qui se mettent ainsi en contact de cellule à cellule. Dans le sommeil, au contraire, il y a rétraction et immobilité de ces « tentacules », qui s'isolent ainsi, arrêtant ou ralentissant le courant nerveux.

Aucun doute n'est donc possible, physiologiquement, si cette théorie est vraie : le sommeil est essentiellement le repos des centres nerveux. Toutefois, l'existence de ces mouvements amiboïdes n'est pas admise par tous les his­tologistes. Un certain nombre pensent que les neurones sont toujours immobiles, et que la transmission nerveuse se fait par une sorte de véritable décharge. Mais, dans cette hypothèse encore, le sommeil n'est concevable que comme le repos des centres nerveux.

Passons maintenant à l'explication psychologique du sommeil. On la fait généralement consister tout sim­plement dans cette notion de repos du système nerveux. « Le sommeil, dit Mathias Duval[13], est la cessation réparatrice, totale ou partielle, des fonctions de relation. »

Pour Broussais[14], le sommeil n'est que la cessation des fonctions intellectuelles ou affectives.

Pour Preyer[15], il consiste dans la disparition périodique de l'activité cérébrale supérieure.

La plupart des physiologistes professent une opinion semblable. Cependant, la question est loin d'être aussi simple : S'il ne s'agissait, dans le sommeil, que d'une obnubi­lation passagère de l'intelligence, l'explication naturelle­ment tiendrait tout entière dans le fait d'une diminution d'activité psychique par diminution d'activité fonctionnelle du cerveau. Mais, précisément, et c'est là que réside la difficulté, la diminution de l'activité psychique n'est pas le phénomène essentiel, ni même nécessaire du sommeil. Le repos du cerveau est surtout caractérisé par l'obnu­bilation de la volonté consciente normale, obnubilation qui n'empêche pas les autres modes d'activité psychique de persister ou même de s'accroître, malgré le sommeil. Sans parler de l'intensité émotive de certains rêves gais ou tristes, il suffit de se reporter aux manifestations si importantes du travail subconscient pour conclure que le sommeil n'a pas son explication psychologique suffisante dans une diminution de l'activité fonctionnelle du cer­veau. Et cependant la physiologie démontre que le sommeil n'est que le repos des centres nerveux.

Nous sommes donc en présence d'une contradiction partielle que j'essayerai de faire disparaître, dans l’interprétation finale que je donnerai de la subconscience et de tous les faits obscurs de la psychologie.


Chapitre II

Faits obscurs de psychologie anormale

Les névroses et l'hystérie au point de vue physiologique. – La névrose hystérique est totalement inexpliquée. - Les manifestations de personnalités multiples. – Constatations principales­ – Explications diverses, physiologiques, pathologiques, psychologiques. – Interprétation des personnalités multiples par l'hypothèse de la subcon­science. - L'hypnotisme et ses manifestations classiques. – Ses explications. – Suggestion ou névrose. Insuffisance des explications classiques. – Illogisme de certaines des explications classiques de détail. – Nécessité d'une hypothèse nouvelle. – L'extériorisation. – L’extériorisation de la sensibilité. – Les fantômes des vivants. – Moda­lités diverses du phénomène extériorisation. – Son explication. - Action sensorielle à distance. – Clairvoyance ou lucidité. – Faits, explications, hypothèses. – La lucidité n'est qu'une conséquence de l'extériorisation. – Rapports de la lucidité et des états hypnotiques. - Extériorisation de la motricité. – Mouvements sans contact. – L'état du sujet pendant la production des phénomènes. – Sommeil spécial en transe. – Direction intelligente des phénomènes. – Les personnalités médiumniques. – La motricité à distance expliquée par l'extériorisation et par la subconscience. - Action à distance d'une faculté organisatrice et désorganisatrice. Télé­plastie. – Objectivité des phénomènes. – Formations fantômales élémentaires et complexes. – Matérialisations et leurs caractères. –Désorganisation dans l'organisme même du sujet et désorganisation à distance. – Le sujet pendant les phénomènes. – Explication. La faculté organisatrice et désorganisatrice est une faculté de la subconscience. - Explication générale des phénomènes d'action à distance. – Deux hypothèses seules nécessaires : extériorisation et subconscience. - Actions de pensée à pensée. – Lecture de pensée. – Suggestion mentale. – Télépathie. – Explications des actions de pensée à pensée. – Importance de l'hypothèse explicative extériorisation. Importance de l'hypothèse explicative subconscience. - Le médiumnisme. – Phénomènes physiques. – Phénomènes intellectuels. Personnalités médiumniques. Caractères principaux de ces personnalités. – Autonomie et indépendance apparente du sujet. – Différences avec la personnalité normale du sujet. – Prétention des personnalités médiumniques d'être les « Esprits» des morts. – Explication du médiumnisme. – Tout peut à la rigueur s'expliquer par l'extériorisation et la subconscience. - Résumé des constatations relatives aux deux hypothèses nouvelles : exté­riorisation et subconscience. – Nécessité de rechercher leur essence intime.

1°Les névroses :

Il me parait nécessaire de commencer l'étude de la psychologie anormale par un examen rapide des névroses dans leurs rapports avec la physiologie.

On sait, en effet, que les névroses en général et l'hys­térie en particulier constituent, aux yeux de savants éminents, la cause déterminante et l'explication suffisante des manifestations psychiques anormales. Il est donc indispensable, au point de vue explicatif, de savoir ce que sont exactement les névroses et l'hystérie. Ce qu'elles sont, on l'ignore totalement. Le mot névrose est un véritable contresens pour la physiologie classique, en tant qu'il désigne une affection ne relevant que de troubles fonctionnels sans lésion orga­nique. Si les théories matérialistes sont vraies, un trouble fonc­tionnel quelconque est forcément inséparable d'une lésion organique, si faible soit-elle, et quelle qu'elle soit. Une machine intacte, placée dans les conditions vou­lues de fonctionnement, doit fonctionner normalement. Une machine qui, placée dans les conditions voulues de fonctionnement, ne fonctionne pas ou fonctionne mal, est une machine défectueuse ou lésée dans un ou plusieurs de ses rouages.

A ce raisonnement, la physiologie n'a qu'une réponse logique : c'est qu'en effet il ne peut être question d'affections indépendantes de toute lésion organique, et que le mot de névrose désigne simplement les maladies dont on n'a pu trouver encore la lésion causale.

Déjà, dit-on, les progrès de l'anatomie pathologique ont permis de restreindre beaucoup le cadre des névroses : la paralysie générale, par exemple, en a été distraite ; bien d'autres affections telles que la paralysie agitante[16], la chorée, l'épilepsie, etc., relèvent certainement d'une cause organique qu'on trouvera tôt ou tard. Le raisonnement est fort juste pour toutes les maladies à symptômes fixes et réguliers : il ne l'est plus pour la névrose typique, l'hystérie, la seule intéressante au point de vue qui nous occupe. L'hystérie présente une symptomatologie complexe ne rappelant en rien la caractéristique générale des affections organiques.

Une maladie organique se manifeste par des troubles morbides d'un caractère relativement fixe et constant, suivant une marche spéciale déterminée dans les grandes lignes, dépendant nettement, dans leur origine, leurs manifestations, leur disparition, de la lésion causale.

La névropathie hystérique est toute différente : ses symptômes sont essentiellement mobiles, inconstants ; apparaissant, disparaissant, variant sans cause ou sous l'influence de causes multiples. Anesthésies, hyperesthé­sies, contractures, paralysies se succèdent, passent d'une région à une autre région, échappent à toute prévision d'étendue ou de durée. Ils ont si peu de fixité qu'on peut parfois opérer leur transfert d'un membre à un autre membre et même d'un sujet à un autre, sujet (par la suggestion, les aimants, les contacts de métaux, etc.).

Les symptômes multiples peuvent troubler isolément ou simultanément toutes les fonctions nerveuses, motricité, sensibilité, intelligence, nutrition, etc. Ils relèvent indifféremment de l'excitation, de la dépression ou de la perversion dans les manifestations fonctionnelles.

Tout, dans la symptomatologie de l'hystérie, est con­traire à l'hypothèse d'une lésion organique fixe et spécifique. L'hystérie est encore totalement inexpliquée[17].

2° Les manifestations de personnalités doubles ou multiples chez le même individu :

Bien que ces curieuses manifestations de psychologie anormale aient été recueillies en grand nombre depuis la publication du Dr Azam[18], sur Félida, il est fort difficile d'en faire une étude générale. C'est que les cas connus et cités partout sont en général très mal observés et très imparfaitement décrits. Les indications données manquent de précision et ne portent que sur les grandes lignes.

L'observation du Dr Azam elle-même, bien que de beaucoup la plus consciencieuse n'offre pas de symptoma­tologie méthodique. On y trouve un véritable luxe d'hypo­thèses et de comparaisons, mais on y cherche en vain des détails analytiques dont l'importance serait essentielle, telle que la description précise, pour chacune des person­nalités, de chaque sens, de chaque faculté physique ou psy­chique, la recherche exacte des connaissances du sujet dans l'un et l'autre de ses états, etc.

Lorsqu'on lit les diverses observations classées sous l'étiquette commune de personnalités multiples, on a de suite le sentiment d'une confusion complète de faits très disparates, au milieu desquels on a peine à se recon­naître. On a confondu dans un même groupe toutes les altérations de la personnalité, soit spontanées, soit d'origine traumatique ou pathologique, soit d'origine hypnotique ou médiumnique. Or, ces états divers offrent au moins autant de dissem­blances que de traits communs. J'ai l'intention d'étudier simplement, sous le titre de personnalités multiples, les manifestations spontanées de personnalités complètes. Manifestations spontanées, c'est-à-dire ne dépendant nécessairement d'aucune influence causale accidentelle ou pathologique ; personnalités complètes, c'est-à-dire ayant toutes les facultés et capacités sensorielles et psychiques d'un être normal.

Caractères principaux des manifestations de personnalités multiples.

La vie consciente de l'individu est constituée tour à tour par des états psychiques plus ou moins différents et plus ou moins indépen­dants les uns des autres, mais toujours assez différents et assez indépendants pour représenter des personnalités distinctes et autonomes.

Observation résumée de Félida X... par le Dr Azam[19] : « En 1858, je fus appelé pour donner des soins à une jeune fille, Félida X..., que ses parents croyaient folle. Elle avait alors quinze ans. C'était une hystérique avec convulsions, laborieuse et intelli­gente et d'un caractère sérieux et presque triste. Voici le phénomène principal qui se présentait et qui avait épouvanté la famille et l'entourage : Presque chaque jour, sans cause connue, ou sous l'empire de la moindre émotion, elle est prise de ce qu'elle appelle « sa crise ». En fait, elle entre dans son deuxième état. Voici comment : elle est assise, un ouvrage de couture à la main. Tout d'un coup, après une douleur aux tempes, elle s'endort d'un sommeil profond, dont rien ne peut la tirer, et qui dure deux à trois minutes ; puis elle s'éveille. Mais elle est différente de ce qu'elle était auparavant : elle est gaie, rieuse, continue en fredonnant l'ouvrage commencé, fait des plaisanteries avec son entourage ; son intelligence est plus vive, et elle ne souffre pas des nombreuses douleurs névralgiques de son état ordinaire. Dans cet état, que j'ai nommé sa condition seconde, Félida a la connaissance parfaite de toute sa vie, se souvenant non seule­ment de son existence ordinaire, mais des états semblables à celui dans lequel elle se trouve. En 1858, cette condition seconde durait d'une à trois heures chaque jour, quelquefois moins. Après ce temps, nouvelle perte de connaissance, et Félida s'éveille dans son état ordinaire, mais elle est sombre, morose, et elle a la conscience de sa maladie ; ce qui l'attriste le plus, c'est l'ignorance complète où elle est, de tout ce qui s'est passé pendant la période qui précède, quelle qu'ait été sa durée. Je ne rappellerai qu'un exemple de cette lacune de la mémoire : étant en condition seconde, elle s'est abandonnée à un jeune homme qui devait être son mari, et un jour, dans son état normal, elle m'a consulté sur les phénomènes singu­liers qu'elle éprouvait dans son ventre. La grossesse était évidente, mais je me gardai de le lui dire. Un moment après, la condition seconde étant survenue, Félida me dit en riant : « Je vous ai raconté tout à l'heure toute espèce d'histoires ; je sais très bien que je suis grosse. »

Il en était ainsi en 1855. Dans les années suivantes, les périodes de condition seconde se sont accrues et elles ont égalé en durée les périodes d'état normal. Alors Félida présentait ce phénomène singulier que, pendant une semaine, par exemple, bien qu'elle fût dans son état normal, elle ignorait absolument ce qu'elle avait fait et tout ce qui s'était passé pendant la semaine précédente, et que, dans la semaine suivante, en condition seconde, elle connaissait toute sa vie. Puis, ces conditions secondes ayant dépassé en durée la vie normale, il s'est trouvé que, pendant nombre d'années, les périodes d'état normal ne duraient que trois à quatre jours, souvent moins, contre trois à quatre mois de condition seconde. Alors, pendant ces trois à quatre jours, l'exis­tence de Félida était intolérable, car elle ignorait absolument presque toute sa vie…. Aujourd'hui Félida a quarante-sept ans. Sa santé générale est mauvaise, car elle a un kyste de l'ovaire. Voici, au point de vue intellectuel, quel est son état : depuis environ neuf à dix ans, ces périodes de condition seconde ont diminué de longueur, et bientôt, comme quinze ans auparavant, elles ont égalé celles de la vie normale. Puis, celles-ci se sont accrues peu à peu. Enfin, à l'heure actuelle, en 1890, les conditions secondes, que son mari appelle « sa petite raison », ne durent plus que quelques heures, et apparaissent tous les vingt-cinq à trente jours. Au point de vue des différences psychiques dans l'un et l'autre état, voici ce que remarque le Dr Azam : « Ses facultés intellectuelles et morales, bien que différentes, sont incontestablement entières : aucune idée délirante, aucune fausse appréciation, aucune hallucination. Je dirai même que dans ce deuxième état, dans cette condition seconde, toutes ses facultés paraissent plus développées et plus complètes. Cette deuxième vie, où la douleur physique ne se fait pas sentir, est de beaucoup supérieure à l'autre. »

Chaque personnalité se manifeste pendant des phases de durée variable, allant de quelques instants à plusieurs mois. Le passage d'une phase à une autre phase est marqué par un état d'inconscience complète : tantôt cet état ne dure qu'une période de quelques secondes qu'Azam com­pare à une petite mort, tantôt il constitue une longue léthargie. Les personnalités peuvent être totalement différentes, au point de vue du caractère général, des facultés et des connaissances, mais le plus souvent elles ont un certain nombre de notions générales communes. Les personnalités s'ignorent l'une l'autre complètement ou incomplètement. Elles peuvent ne rien savoir de tout ce qui s'est accompli en dehors de leurs phases de mani­festations. Elles ont au contraire le souvenir complet de toutes leurs propres phases, même séparées par de longs intervalles. Parfois enfin, l'une, et une seule, des personnalités suc­cessives à la conscience et le souvenir des états différents des siens, comme dans le cas de Félida.

1° Explication des personnalités multiples : Les explications qu'on s'est efforcé de donner des manifesta­tions de personnalités multiples sont fort nombreuses. On peut les grouper en trois séries : explications physiologiques, explications pathologiques, explications psychologiques.

a) Explications physiologiques : Elles sont au nombre de deux et ne sont que deux hypothèses : La première est celle de modifications passagères et alternatives dans la circulation du cerveau. Il s'agirait de phénomènes de vasoconstriction ou de vasodilatation – au choix ! Cette hypothèse est tout à fait insignifiante, il s'agit là d'actions physiologiques banales accompagnant les mani­festations de l'activité organique, effets plutôt que causes, en tout cas phénomènes sans importance explicative. L'hypothèse est d'ailleurs entièrement abandonnée. La deuxième est celle du fonctionnement indépendant des deux lobes cérébraux (Luys). Cette hypothèse est invérifiable et, de plus, elle ne s'appliquerait pas aux cas de personnalités non plus dou­bles mais multiples. Elle est donc insuffisante et doit être rejetée, comme n'embrassant pas la totalité des faits. En somme, pas d'explication physiologique.

b) Explications pathologiques : Elles consistent dans une assimilation pure et simple aux altérations de la personnalité constatées dans certaines affections ou lésions nerveuses :

1° Dans les maladies organiques atteignant directe­ment ou indirectement les centres nerveux (lésions cérébrales, traumatismes, intoxications, infections, etc.) ;

2° Dans l'épilepsie et les maladies mentales. Or, cette assimilation n'est pas rationnelle. Il n'y a pas en général, dans ces cas, à proprement parler, modification de la personnalité, mais diminution ou perversion de la personnalité. Le plus souvent, il s'agit d'altérations partielles d'une ou plusieurs facultés : d'amnésie plus ou moins étendue, etc. D'autres fois, il s'agit de manifestations automatiques ou impulsives, irraisonnées ou déraisonnables. Ce ne sont pas là des phénomènes comparables aux observations de personnalités multiples complètes.

Enfin ces troubles sont sous la dépendance directe d'une cause productrice et lui peuvent être étroitement rattachés, condition dont ne relèvent pas les faits de personnalités multiples.

Une autre explication pathologique, plus judicieuse, est celle qui fait rentrer ces manifestations dans le cadre de l'hystérie. Elle est basée sur cette remarque que les sujets pré­sentant le cas de personnalités multiples sont très généralement des hystériques typiques. C'est parfaitement exact, mais ce n'est là qu'une con­statation et non une explication, l'hystérie n'étant pas encore interprétée physiologiquement.

c) Explications psychologiques : les explications psychologiques peuvent être ramenées à deux :

1° Explication par assimilation aux troubles de la per­sonnalité dans l'hypnose et le médiumnisme ;

2° Explication par l'hypothèse de la subconscience. Comparaison avec des manifestations hypno-médiumniques. Les altérations de la personnalité dans l'hypnose ont été constatées, soit sous l'influence de la sug­gestion, soit en dehors de la suggestion. Examinons-les successivement.

α. Altérations d'origine suggestive :

Elles consistent dans les manifestations, chez le sujet hypnotisé, de personnalités en apparence étrangères à la sienne, manifestations provoquées par une suggestion directe. Les expériences de Richet sont classiques.

Voici quelques-unes de ces expériences[20] : Je dis à A : « Vous voilà une vieille femme» ; elle se voit changée en vieille femme, et sa physionomie, sa démarche, ses sentiments sont ceux d'une vieille femme. Je dis à B... « Vous voilà une petite fille » ; et elle prend aussitôt le langage, les jeux, les goûts d'une petite fille... Voici quelques-unes des objectivations de M...

En paysanne : Elle se frotte les yeux, s'étire : « Quelle heure est-il ? 4 heures du matin ! » (Elle marche comme si elle faisait traîner ses sabots). « Voyons, il faut que je me lève ! Allons à l'étable. Hue ! la Rousse ! Allons, tourne-toi » (Elle fait semblant de traire une vache). « Laisse-moi tranquille, Gros-Jean. Voyons Gros-Jean, laisse-moi tranquille, que je te dis ! etc.. »

En actrice : Sa figure prend un aspect souriant... Vous voyez bien ma jupe, eh bien, c'est mon directeur qui l'a fait rallonger. Ils sont assom­mants, ces directeurs. Moi je trouve que plus la jupe est courte, mieux ça vaut. Il y en a toujours trop. Simple feuille de vigne. Mon Dieu, c'est assez ! Tu trouves aussi, n'est-ce pas, mon petit, qu'il n'y a pas besoin d'autre chose qu'une feuille de vigne. Regarde donc cette grande bringue de Lucie, a-t-elle des jambes, hein ! etc.

Les objectivations de B... sont tout aussi saisissantes :

En général : Elle fait « Hum ! Hum ! » à plusieurs reprises, prend un air dur et parle d'un ton saccadé... « Allons boire ! Garçon, une absinthe ! Qu'est-ce que ce godelureau ? Allons, laissez-moi passer... Qu'est-ce que tu me veux ? » (On lui remet un papier, qu'elle fait semblant de lire). « Qu'est-ce qui est là ? » (Réponse : C'est un homme de la 1ère du 3e.) « Ah ! bon ! voilà ! » (Elle griffonne quelque chose d'illisible). « Vous remettrez ça au capitaine adjudant-major. Et filez vite, etc. »

En matelot : Elle marche en titubant, comme le matelot qui descend à terre après une longue traversée : « Ah ! te voilà, ma vieille branche ! allons vadrouiller ! »

Il suggère au sujet qu'il est tel ou tel personnage connu, ou bien qu'il remplit telle ou telle profession, et le sujet prend la caractéristique du personnage ou de la profession. L'imitation est des plus fidèles, et la personnalité suggérée est représentée exactement jusque dans les détails. Le timbre de la voix, l'écriture même subissent des modifica­tions appropriées. On voit immédiatement combien ces personnalités fac­tices diffèrent des personnalités vraies. D'abord elles sont inséparables de la suggestion hypnotique, puis et surtout elles n'ont rien d'original. Ce sont des pastiches plus ou moins réussis de types et personnages connus. Il n'y a donc, dans ces expériences, que l'imitation du phénomène des personnalités multiples par le mécanisme de la suggestion. Il n'y a entre les manifesta­tions réelles et les manifestations simulées aucun rapport explicatif.

β. Altérations hypno-médiumniques de la personnalité en dehors de la suggestion :

La comparaison des per­sonnalités multiples spontanées avec les personnalités médiumniques est logique. Mais ces dernières sont au moins aussi surprenantes et difficiles à expliquer. (J'expo­serai plus loin l'état actuel de nos connaissances sur ce sujet.) C'est certainement par l'étude méthodique des manifes­tations intellectuelles du médiumnisme qu'on arrivera à connaître et à mettre en évidence tous les éléments constitutifs, conscients ou non, de l'être psychique ; mais ce n'est qu'après cette étude qu'on pourra tenter une expli­cation générale du dédoublement de la personnalité. La même remarque s'impose à propos des phénomènes similaires du somnambulisme. Les personnalités d'origine somnambulique sont encore aussi inexpliquées que le som­nambulisme lui-même et l'hypnotisme (voir plus loin ce qui a trait à l'hypnotisme). Il n'est donc pas possible de considérer comme satisfai­sante l'hypothèse audacieuse du Dr Azam, qui attribue les manifestations de personnalités multiples à un état de somnambulisme total, c'est-à-dire « avec fonctionnement total des facultés ou des sens[21]», de sorte que l'on pourrait, d'après cette hypothèse, « rencontrer des individus qui ont les apparences de tout le monde et qui cependant, étant en condition seconde, ne sont que des somnambules, lesquels, à leur réveil, auront tout oublié ». Du reste, cette hypothèse soulève une autre difficulté : c'est l'impossibilité absolue où l'on serait de distinguer un état prétendu de somnambulisme total d'un état normal ; par conséquent de fournir une preuve positive en sa faveur.

2° Explication des personnalités multiples par l’hypothèse de la subconscience : Toutes les préten­dues explications que je viens d'analyser ne sont donc en réalité que des assimilations aux troubles pathologiques, hypnotiques ou médiumniques offrant des analogies. Les assimilations, de plus, même justifiées ne font que reculer la difficulté et ne permettent pas de comprendre l'essence intime du phénomène. Aussi ne sont-elles plus considérées aujourd'hui que comme des explications secondaires nécessitant une expli­cation générale. Cette explication générale nous est fournie par l'hypothèse de la subconscience, laquelle, nous l'avons vu, dérive naturellement de certaines observations de psychologie normale.

Les facultés et connaissances des personnalités, diffé­rentes en apparence de la personnalité normale, seraient donc des facultés et connaissances de la subconscience. Contentons-nous momentanément de cette explication, telle quelle.

3°L'hypnotisme :

Les manifestations élémentaires de l'hypnose sont trop connues pour qu'il soit nécessaire d'en donner ici la des­cription. On sait qu'elles comprennent : Au point de vue de la sensibilité : des phénomènes dits d'anesthésie et d'hyperesthésie. Au point de vue moteur : des phénomènes de léthargie et de catalepsie ; des parésies et des contractures. Au point de vue psychique : une obnubilation considé­rable de la conscience et de la volonté normales, avec oubli au réveil comme phénomène primordial ; comme phénomènes secondaires, des altérations de la per­sonnalité, d'importance et de caractère variables ; et la prépondérance directrice de la suggestion du magnéti­seur.

Ces phénomènes s'observent sous la dépendance d'un sommeil spécial, provoqué de diverses manières : fixation d'un point brillant placé en général entre les deux yeux, un peu en haut et en avant (méthode de Braid). Passes magnétiques, ordre suggestif exprimé ou men­tal, pression sur certaines régions hyperesthésiées, dites hypnogènes, etc. Aux phénomènes classiques de l'hypnotisme se ratta­chent naturellement des manifestations plus intéressantes, encore à l'étude, mais que je crois préférable d'envisa­ger séparément. C'est des manifestations classiques seules que je vais tout d'abord chercher l'explication. On sait que deux grandes hypothèses explicatives ont été fournies de l'hypnotisme : l'une par l'école de la Salpê­trière, l'autre par l'école de Nancy. L'école de Nancy rapporte tout à la suggestion.

A cette hypothèse, on oppose deux objections :

1° La suggestion, dit-on, a besoin elle-même d'être expliquée, sans quoi elle ne constitue qu'une étiquette, qu'un mot sans valeur.

2° De plus, la suggestion ne peut pas tout embrasser.

Examinons ces objections. Est-il possible de comprendre le caractère intime de la suggestion ; l'annihilation de la volonté du sujet dominé par celle du magnétiseur ; son obéissance passive aux ordres donnés, même à échéance ? Certainement, répondent les défenseurs de cette hypo­thèse ; la suggestibilité hypnotique n'est qu'une exagération de la suggestibilité constatée pendant le sommeil normal. On connaît l'influence, sur la production de certains rêves, d'une suggestion extérieure d'origine sensorielle (bruits, contacts du dormeur avec certains objets, odeurs, etc.). La suggestibilité est le résultat, pendant le sommeil hypnotique, comme pendant le sommeil naturel, de l'obnubilation de la volonté consciente. L'assimilation est logique, en effet ; mais la difficulté n'est pas résolue, puisque le sommeil naturel n'est pas mieux interprété, au point de vue psychologique, que le sommeil hypnotique. Du reste, la suggestion ne peut rendre compte de tous les phénomènes.

Le Dr Bernheim est bien obligé lui-même de le recon­naître, et s'en tire en distinguant hypnotisme et magné­tisme[22] : « Le mot magnétisme animal, dit-il, eu égard à sa signification historique, doit conserver un sens plus large que celui d'hypnotisme. Il comprend, outre l'hypnotisme, tous les phénomènes dits d'influence fluidique rapprochée ou à distance. »

La suggestion mentale elle-même rentrerait nécessaire­ment dans cette dernière catégorie.

De l'aveu même de ses défenseurs, l'hypothèse « sug­gestion » ne peut tout embrasser : elle doit donc être abso­lument rejetée, au moins en tant qu'explication générale. En réalité, la suggestion est l'un des phénomènes de l'hypnotisme, et non pas tout l'hypnotisme. C'est là l'opinion formelle de Charcot et de ses élèves dont l'hypothèse explicative est la suivante : Les phénomènes hypnotiques ne sont que des troubles physiologiques et psychologiques relevant d'une névrose analogue, sinon assimilable à l'hystérie.

Il est évident que les analogies sont remarquables, en ce qui concerne les phénomènes sensitifs, moteurs et in­tellectuels. Seulement, là encore, nous ne pouvons voir qu'une assimilation logique et non une explication. Qu'est-ce que c'est que l'hystérie ? On ne sait. Mais ce n'est pas tout, prenons isolément les manifes­tations hypnotiques, et nous verrons les difficultés d'inter­prétation se multiplier : L'anesthésie n'est que la constatation d'un fait. Quelle est la cause intime de cette insensibilité de la peau, des muqueuses et même des parties profondes ; insensibilité telle qu'on peut traverser un membre de part en part avec un instrument piquant, ou pratiquer une opération grave, sans conscience du sujet ?

L'hyperesthésie est encore plus étrange : Si l’on place, par exemple, un morceau de glace ou un corps chaud à 20 ou 30 centimètres derrière le sujet, et, à son insu, ce dernier accuse immédiatement une sensation de froid ou de chaud.

Les sens de l'ouïe, de l'odorat, du goût même peuvent être influencés bien au delà de la portée normale des organes sensoriels. La vision semble s'exercer indépendamment des yeux, et même à travers les obstacles matériels.

Ces phénomènes dits d'hyperesthésie sont connus de tous les expéri­mentateurs : «J'ai vu, dit le Dr Azam[23], se répéter devant moi les choses étranges racontées du somnambulisme spontané... J'ai vu écrire très correctement en interposant un gros livre entre le visage et le papier ; j'ai vu enfiler une aiguille très fine dans la même position ; marcher dans un appartement, les yeux absolument fermés et bandés : tout cela, sans autre guide réel que la résistance de l'air, et la précision parfaite des mouvements, guidés par le sens musculaire hyperesthésié. »

Comme exemple de vision sans le secours des yeux, je rapporterai l'expé­rience suivante, du Dr Gibier[24] : Sujet hypnotisé, un tampon de coton sur chaque œil, plus une large et épaisse serviette nouée derrière la nuque. « Je pris dans ma bibliothèque le premier livre qui me tomba sous la main ; je l'ouvris au hasard, au-dessus de la tête du sujet, pendant que je tenais le texte imprimé à 2 centimètres environ des cheveux de la jeune femme hypno-magnétisée. Je commandai à cette dernière de lire la pre­mière ligne de la page qui se trouvait à sa gauche ; et, après un moment d'attente, elle dit : « Ah ! oui, je vois, attendez. » Puis elle continua : « L'identité ramène encore à l'unité, car si l’âme... » Je retournai le livre… – la première ligne, moins deux mots, avait été parfaitement vue et lue. Si je faisais tracer sur le parquet, par un tiers, un mot, un nom quel­conque, avec un morceau de craie ; amenée d'une pièce voisine, les yeux bandés, la même jeune femme lisait sans jamais se tromper, le mot écrit, dès qu'elle avait les pieds dessus... Lorsqu'on l'amenait sur le mot écrit à terre, c'était à reculons, et elle avait la tête dans une sorte d'extension un peu forcée qui permettait aux assistants de constater l'impossibilité où elle aurait été, même éveillée, de voir sous son bandeau. »

Pour tous ces phénomènes, l'hypothèse «hyperesthésie » semble une explication bien peu satisfaisante. Mais ce qui achève de bouleverser les idées, c'est que cette prétendue hyperesthésie se peut constater en même temps que la prétendue anesthésie. Il y a donc parfois coïncidence de deux phènomènes contradictoires dans la même fonction et dans le même temps.

Par exemple, le sujet qui entend le bruit d'une montre placée dans une pièce voisine ne l'entendra plus placée près de son oreille. Le morceau de glace qui lui produi­sait une impression désagréable à 30 centimètres de son corps ne sera pas senti, appliqué contre sa peau. Une odeur imperceptible pour les assistants sera, signalée par le sujet, lequel, cependant, ne sentira pas un flacon d'ammoniaque mis sous ses narines. Le même sujet verra et décrira des objets placés en dehors de son champ visuel, alors que ses yeux, convulsés en haut et en dedans ne distingueront pas les mêmes objets mis à leur portée.

Bien mieux, les sens divers, l'ouïe, l'odorat, le goût, la vision semblent s'effectuer, non plus par leurs organes spéciaux, mais indifféremment par toute la périphérie de l'organisme, et plus au moins en dehors de lui ; par­fois même à travers les obstacles matériels. Ainsi donc, voici deux explications secondaires : anesthésie et hyperesthésie qui, non seulement auraient besoin, si elles étaient admises, d'être expliquées elles-mêmes, mais dont la coïncidence, appréciable simultanément dans le même point de l'organisme, constitue une contradiction inacceptable. Que conclure ? Simplement qu'il n'y a essentiellement dans les phénomènes sensitifs de l'hypnotisme ni diminition, ni exagération de la sensibilité, mais avant tout déplacement de la sensibilité. Tout s'explique si l'on veut bien admettre cette nouvelle hypothèse. Il ne s'agit donc ni d'anesthésie, ni d'hyperesthésie, mais d'extériorisation. Je donnerai une théorie complète de l'hypnotisme, basée sur cette hypothèse.

4° L'extériorisation de la sensibilité :

Découverte et magistralement étudiée par M. de Rochas, l'extériorisation de la sensibilité a été contrôlée expéri­mentalement par de nombreux observateurs. Je rappel­lerai brièvement les principales constatations de M. de Rochas[25]. Chez un certain nombre de sujets, la sensibilité, dispa­rue pendant le sommeil hypnotique de la surface du corps, se retrouve, appréciable pour le magnétiseur, en dehors de lui. Les explorations montrent cette sensibilité disposée de la façon suivante :

Une première couche sensible, très mince, suit tous les contours du corps, à 3 ou 4 centimètres en dehors de la peau. Tout autour de cette première couche, il existe une série de couches équidistantes, séparées de la première par un intervalle de 6 à 7 centimètres et se succédant jusqu'à 2 ou 3 mètres, se pénétrant et s'entre-croisant sans se modifier. Si l'hypnose est poussée plus loin, les couches sensibles se condensent, après la troisième ou quatrième phase de léthargie, sur deux pôles de sensibilité situés l'un à droite, l'autre à gauche du sujet.

Voici, comme exemple, l'une de expériences de M. de Rochas[26], d'extériorisation complexe :

« J'endors Laurent par-devant, par des passes ; au sortir de la sixième léthargie, dans le septième état, les deux fantômes apparaissent simultanément, bleu à droite, rouge à gauche. Je lui fais pousser le fantôme gauche, le rouge, jusqu'au mur, sur lequel je place une feuille de papier, et je dessine sur ce papier le contour de la lueur qu'il aperçoit : c'est une colonne lumineuse d'environ 20 centimètres de diamètre, qui se termine à la hauteur de sa tête et descend jusqu'au sol. Je lui dis de le repousser encore plus loin ; le fantôme pénètre dans le cabinet voisin du mien, que Laurent connaît parfaitement. Il n'en voit qu'une partie, celle qu'éclaire le fantôme. Je le fais repousser encore plus loin, il traverse le jardin, pénètre dans la cour intérieure, rencontre l'escalier de fer et je lui dis de le ramener à lui. Pendant ce temps-là, le fantôme de droite, le bleu, n'avait pas changé de place ; à plusieurs reprises, j'avais pu constater sa présence, sa forme, grâce à l'impression par mes attouchements. Laurent me prévient tout à coup que les deux fantômes sont réunis en une seule colonne rouge et bleue ; il voit son double sur sa droite, près de la cheminée. Je cherche alors son emplacement en pinçant l'air, et j'arrive jusqu'à la glace qui surmonte cette cheminée sans qu'il sente rien. Il se retourne vers sa gauche et parait tout étonné de voir un second double complet, c'est-à-dire bico­lore. Je suis d'abord surpris comme lui de ce nouveau phénomène ; puis je réfléchis que le fantôme qu'il à vu à sa droite n'est peut-être que le reflet de celui qui est à sa gauche Je me porte vers ce dernier, et alors Laurent me voit dans la glace a côté de son double de droite. Le véritable double était donc en avant de lui, sur sa gauche, et il était bien réellement matériel puisqu'il se reflétait dans la glace pour le sujet. »

Enfin, ces deux pôles finissent par se réunir en un seul, et, dès lors, toute la sensibilité appréciable du sujet se trouve reportée sur une sorte de véritable fantôme, capa­ble de s'éloigner fort loin au gré et à l'ordre du magnéti­seur, de traverser les obstacles matériels en conservant sa sensibilité. Le sujet ou d'autres sujets témoins voient les diverses couches sensibles et le fantôme total. La moitié droite leur semble bleue et la moitié gauche rouge. Pour eux, le fantôme semble éclairer les sujets sur lesquels il se pose. Enfin, certains objets et substances mis en contact avec les couches sensibles s'imprègnent d'un peu de la sensi­bilité du sujet et peuvent la conserver quelque temps. Telles sont les singulières manifestations de l'extériori­sation de la sensibilité.

Naturellement, de pareils faits n'ont pas été accueillis sans scepticisme. On a invoqué la fraude, la suggestion plus ou moins involontaire du magnétiseur sur le sujet, et surtout la suggestion mentale. De semblables causes d'erreur peuvent être évitées, et des expériences bien conduites ont été répétées en assez grand nombre pour établir l'authenticité absolue des faits observés par M. de Rochas.

Je trouve, dans une étude récente du Dr Joire sur l'ex­tériorisation de la sensibilité[27], une bonne réfutation des critiques faites à la légère contre ce phénomène. Voici les conclusions du Dr Joire : « Comment, maintenant, pourrons-nous expliquer ces phénomènes de l'extériorisation de la sensibilité ? Je dirai de suite que j'ai constaté le phénomène, et que je l'ai fait constater par de nombreux témoins ; mais je n'en trouve jusqu'ici aucune explication satisfaisante... D'abord la supercherie. Je crois qu'il est inutile de la discuter ; les personnes qui ont été témoins de mes expé­riences et des conditions dans lesquelles je les ai faites ne peuvent garder aucun doute à cet égard.

La connivence inconsciente du sujet serait une objec­tion plus sérieuse... L'objection de connivence incon­sciente et d'autosuggestion de la part du sujet peut se réunir en une seule, et les arguments que je vais donner répondront à l'une comme à l'autre :

1° Je rappellerai, que dans la première expérience que j'ai faite, le sujet ne pouvait pas savoir ce que j'allais faire, puisque je ne le savais pas moi-même. Je n'ai eu l'idée d'essayer sur lui l'extériorisation de la sensibilité qu'après qu'il était déjà en somnambulisme.

2° Quand le verre d'eau[28] n'est plus entre ses mains, mais est placé derrière lui, il ressent la piqûre et pour­tant il ne peut rien voir. Il ne peut rien entendre non plus, car le mouvement d'enfoncer l'épingle dans l'eau ne produit pas d'autre bruit que tout autre mouvement à la suite duquel il ne réagit pas.

3° Quand le sujet tient le verre d'eau entre les mains, si je pique les parois du verre, le sujet éprouve certainement une sensation de contact. S'il y avait de l'auto-suggestion, c'est alors qu'elle devrait se développer. Il n'en est rien pourtant, il ne sent rien ; mais si je pique l'eau sans toucher le verre, c'est-à-dire sans qu'il puisse éprou­ver la moindre sensation directe, il témoigne qu'il ressent la piqûre... Nous prenons toutes les précautions voulues pour que le sujet ne soit prévenu en aucune façon du moment où l'on va piquer l'objet qui est chargé de sa sensibilité. On a soin de faire des manœuvres analogues sur des objets environnants ou semblables à celui dans lequel on a reporté sa sensibilité... et pourtant le sujet sans être pré­venu, manifeste clairement qu'il éprouve les impressions portées sur l'objet chargé de sa sensibilité, et il ne les éprouve pas dans les environs ou sur les autres objets... »

Reste l'hypothèse d'une suggestion mentale. Mais elle ne saurait, même en admettant son influence, expliquer tous les faits. On peut, par exemple, dit le Dr Joire, constater un re­tard régulier et proportionnel de la sensation chez le sujet, suivant l'éloignement de l'objet imprégné de sa sensibilité : « Que le verre d'eau soit tenu par le sujet lui-même, ou qu'il soit tenu par trois, quatre ou cinq personnes en communication avec le sujet, la sensation devrait être aussi rapidement perçue par lui si l'hypothèse de la sug­gestion mentale était exacte. La suggestion mentale est directe ; elle serait donc instantanée dans un cas comme dans l'autre et ne pourrait présenter le retard régulier que nous avons constaté .... »

Quelle est l’explication possible de la découverte de M. de Rochas ? Pas d'autre, évidemment, que celle qu'il a donnée lui-même : il y a extériorisation, de l'organisme du sujet, d'une partie de sa sensibilité ou plutôt extério-risation de quelque chose[29]qui entraîne et conserve cette sensibilité en lui servant de substratum en dehors de l'or­ganisme.

L'existence de ce substratum est prouvée par la démons­tration que M. de Rochas a faite de l'objectivité des effluves perçus dans l'état hypnotique, et de la réalité des fantômes des vivants, manifestation supérieure du même phénomène. Nous sommes donc dès maintenant en possession d'une hypothèse solidement établie sur des constatations posi­tives, et qui nous servira de guide pour l'examen expli­catif des phénomènes suivants : l'hypothèse de l'extériorisation. Avant d'abandonner l'étude de l'extériorisation de la sensibilité, il resterait à examiner si le phénomène peut se produire en dehors de l'hypnose.

Il semble bien que ce soit possible, mais à un degré élémentaire. Les recherches de Reichenbach sur les effluves odiques, celles plus récentes de nombreux expé­rimentateurs, en particulier de M. Baraduc, prouvent que le « quelque chose » qui peut s'extérioriser par l'hypnose n'est pas étroitement assujetti à l'organisme, même pen­dant la vie normale, et rayonne plus ou moins de sa périphérie. Les effluves ainsi émis impressionnent les plaques photographiques, et les impressionnent diversement, sui­vant l'état moral du sujet. Je n'insiste pas sur cette question, qui a donné lieu à de nombreuses controverses et nécessite de nouvelles recherches. Le rayonnement péri-organique, dans la vie normale, me paraît d'autant plus probable qu'il explique admirablement les phénomènes psychiques élémentaires, obtenus sans sommeil du sujet, soit dans le domaine de la sensibi­lité, soit dans celui de la motricité ou de l'intelligence. (voir chapitres suivants).

5°Action sensorielle à distance. Clairvoyance. Lucidité :

On désigne sous le nom de clairvoyance ou de lucidité la faculté d'acquérir des connaissances précises sans le secours des sens normaux et sans lecture de pensées. Les faits de cet ordre ont été recueillis en assez grand nombre ; quelques-uns semblent bien convaincants, mais ils ont malheureusement jusqu'à présent échappé en grande partie aux tentatives d'expérimentation méthodique.

On se rappelle la déconvenue récente d'un groupe de savants de Montpellier. C'est que ces phénomènes échappent absolument à la volonté du sujet. Ils se produisent « par éclairs » et ne peuvent être soumis à des conditions déterminées d'avance. Ils se produisent en général dans les états hypnotiques. Le sujet endormi rapporte le plus souvent le phénomène à la vision, dit voir ce qu'il raconte (c'est la clair­voyance typique). D'autres fois, il l'attribue au sens de l'ouïe (clairaudience).

Tantôt le sujet parle comme s'il se trouvait en présence de la scène qu'il décrit ; tantôt il semble projeter sa vision sur une surface réfléchissante (miroir, verre d'eau, etc.) par laquelle il obtient sans doute l'auto–hypnose. En général, le sujet « voit » plus facilement quand on lui fournit quelques points de repère, quelques indications comme pour le guider sur le chemin à parcourir.

Comme exemple de vision à distance dans le présent je citerai le récit suivant, emprunté aux Annales des sciences psychiques[30] Il s'agit d'un cas de vision à distance, immédiatement contrôlé par téléphone, et rapporté par M. Marius Decrespe. Le sujet était une som­nambule non professionnelle. La scène se passait dans le bureau d'un industriel, M. A...

... Après quelques minutes de repos, pendant lesquelles la somnam­bule dormait toujours, M. A... lui présenta une lettre d'un de ses corres­pondants, M. Mousson, dont la somnambule fit très exactement le portrait.

– Où demeure ce monsieur ? dit M. A...

– C'est bien difficile... Je vois bien que c'est à Paris, dans un endroit où il y a beaucoup de monde et beaucoup de voitures... mais il faudrait m'aider un peu.

– Cherchez dans le quartier de la Bourse.

– Ah ! j'y suis ! C'est place de la Bourse, à tel numéro, à tel étage. C'était vrai.

– Que fait ce monsieur, en ce moment ?

– Il écrit une lettre... je crois bien que c'est de l'anglais, puisque c’est pour Londres.

– Que dit-il dans cette lettre ? Lisez.

– Il explique qu'il y a eu un retard pour une commission qu'on lui avait donnée, mais ce n’est pas de sa faute, et il enverra après-demain la réponse qu'on lui demande.

Là-dessus, M. A... sortit de son cabinet, passa dans une pièce voisine où se trouvait un téléphone et demanda communication avec M. Mousson ; il était impossible d'entendre d'une pièce ce qu'on disait dans l'autre. Pendant ce temps la somnambule continuait : «  Maintenant, il relit sa lettre ; il se lève et va prendre un livre qu'il mouille (le copie de lettres) en par­lant à un petit garçon qui vient de rentrer... Ah ! il s'arrête ! tiens ! il cause dans une petite boîte qui est sur sa table (le téléphone). Oh ! mais qu'a-t-il donc ? Il a l'air tout étonné, le pauvre homme ! On dirait qu'il vient de lui arriver malheur... »

A ce moment, M. A. téléphonait à M. Mousson : « Vous venez d'écrire à Londres une lettre en anglais pour vous excuser d'un retard involontaire. Est-ce vrai ? – Oui ; mais comment savez-vous ? – C'est une expérience de somnambulisme, je vous expliquerai. Maintenant, faites-moi l'amitié d'accomplir exactement ce que je vais vous dire... »

« Ah ! reprit la visionnaire, à présent, il a l'air un peu plus rassuré... Il écoute dans un petit chose rond qu'il tient à son oreille (le récepteur)... mais qu'est-ce qu'il fait donc là ? En voilà une drôle de machine !... maintenant, il a fini de causer ; il accroche son petit chose rond à la boite... mais il a encore l'air tout chose. »

A ce moment, M. A... rentrait dans son cabinet.

« Il prend son chapeau ; il va sortir ; il revient et prend des papiers sur sa table ; il sort en fermant la porte à clé ; il descend l'escalier ; il s'arrête au palier, il a l'air préoccupé ; il continue à descendre ; il est dehors ; il s'arrête encore en regardant ses papiers... On dirait qu'il ne sait pas quoi faire... Il tourne à gauche ; non, il revient à droite ; il prend la rue qui est à droite (la rue Vivienne) ; il va jusqu'au bord du trottoir (au coin de la rue Feydeau) ; il s'arrête encore ; il regarde tout autour de lui ; il revient ; il monte et rentre chez lui. »

Tout, ce que venait de dire la somnambule était la description exacte des actions accomplies par M. Mousson, d'après les indications assez compli­quées, on le voit, que M. A... venait de lui transmettre par téléphone... »

Souvent aussi, la clairvoyance est facilitée par le con­tact du sujet avec un objet quelconque émané de l'endroit qu'il s'agit de voir, ou de personnes avec lesquelles le rap­port doit être établi (c'est la psychométrie).

Dans quelques cas, la lucidité semble indépendante de tout état hypnotique apparent, mais on sait combien un état léger d'auto-hypnose peut facilement rester inaperçu. Dans ces cas, le sujet prétend trouver les connaissances dont il fait preuve par certains procédés trop en dehors de la méthode positive pour qu'il me soit possible d'en parler dans ce travail (cartes, marc de café, lignes de la main, etc.), je cite tout cela pour être complet, sans m'y arrêter aucunement. En ce qui concerne les connaissances acquises par luci­dité, on observe qu'elles sont parfois extrêmement précises et exactes. D'autres fois, le sujet se trompe du tout au tout, sans qu'il soit possible de distinguer dans quel cas et pourquoi il se trompe ou voit juste. Les connaissances acquises par lucidité peuvent être relatives au passé, au présent ou à l'avenir.

Je citerai comme exemple la très intéressante observation suivante du Dr Liebeault[31] ; je cite textuellement : « Elle est extraite (l'observation) de l'un de mes registres, à son rang : n° 339, 7 janvier 1886. Est venu me consulter aujourd'hui, à 4 heures de l'après-midi,M. S. de Ch... pour un état nerveux sans gravité. M. de Ch... a des préoccupa­tions d'esprit à propos d'un procès pendant et des choses qui suivent. En 1879, le 26 décembre, se promenant dans une rue de Paris, il vit écrit sur une porte : Mme Lenormand, nécromancienne. Piqué par une curiosité irréfléchie, il se fit ouvrir la maison, et, introduit, il se laissa conduire dans une salle assez sombre. Là, il attendit Mme Lenormand qui, prévenue presque aussitôt, vint le trouver et le fit asseoir devant une table. Alors cette dame sortit, revint, se mit en face de lui, puis regardant la face palmaire de l'une de ses mains, lui dit : « Vous perdrez votre père, dans un an, jour pour jour. Bientôt vous serez soldat (il avait alors dix–neuf ans), mais vous n'y resterez pas longtemps. Vous vous marierez jeune ; il vous naîtra deux enfants et vous mourrez, à vingt-six ans. »

Cette stupéfiante prophétie, que M. de Ch. confia à des amis et à quelques-uns des siens, il ne la prit pas d'abord au sérieux ; mais son père étant mort le 27 décembre 1880, après une courte maladie et juste un an après l'entrevue avec la nécromancienne, ce malheur refroidit quelque peu son incrédulité. Et lorsqu'il devint soldat, seulement sept mois, lorsque marié peu après il fut devenu le père de deux enfants et qu'il fut sur le point d'atteindre vingt-six ans, ébranlé définitivement par la peur, il crut qu'il n 'avait plus que quelques jours à vivre. Ce fut alors qu'il vint me trouver... Le jour même et les jours suivants, je tentai de mettre M. de Ch... dans le sommeil profond, afin de dissiper la noire obsession gravée dans son esprit, celle de sa mort prochaine, mort qu’il s'imaginait devoir arriver le 4 février, jour anniversaire de sa naissance, bien que Mme Lenormand ne lui eût rien précisé sous ce rapport. Je ne pus produire sur ce jeune homme même le sommeil le plus léger, tant il était fortement agité. Cepen­dant comme il était urgent de lui enlever la conviction qu'il devait bientôt succomber, conviction dangereuse, car on a souvent vu des prévisions de ce genre s'accomplir à la lettre par auto-suggestion, je changeai de manière d'agir, et je lui proposai de consulter l'un de mes somnambules, un vieillard de près de soixante-dix ans, appelé le prophète, parce qu’ayant été endormi par moi il avait, sans erreur, annoncé l'époque précise de sa guérison pour des rhumatismes articulaires remontant à quatre années, et l'époque même de la guérison de sa fille, cette dernière cure due à l'affirmation de recouvrer la santé à une heure fixée d'avance, ce dont son père l'avait pénétrée. M. de Ch... accepta ma proposition avec avidité et ne manqua pas de se rendre exactement au rendez-vous que je lui ménageai. Entré en rap­port avec ce somnambule, ses premières paroles furent de lui dire « Quand mourrai-je ? » Le dormeur expérimenté soupçonnant le trouble de ce jeune homme, lui répondit, après l'avoir fait attendre : « Vous mourrez... vous mourrez... dans quarante et un ans.» L'effet causé par ces paroles fut merveilleux. Immédiatement le consultant redevint gai, expansif et plein d'espoir et quand il eut franchi le 4 février, ce jour tant redouté par lui, il se crut sauvé... Je ne pensais plus à rien de cela lorsque, au commencement d’octobre, je reçus une lettre de faire part par laquelle j'appris que mon malheureux client venait de succomber le 30 septembre 1885, dans sa vingt-septième année ; c'est-à-dire à l'âge de vingt-six ans, ainsi que Mme Lenormand l'avait prédit... »

Explication des faits de lucidité : Comment expliquer le phénomène de lucidité, lorsqu'il est indépendant de toute lecture de pensée ? Je raisonne en supposant, bien entendu, le phénomène scientifiquement établi, ce qui n'est pas encore. Il semble qu'une première explication, dans beaucoup de cas, puisse être simplement l'extériorisation de la sensibilité. Il y aurait projection et action à distance de la sensi­bilité extériorisée. Comme la distance et les obstacles matériels n'ont qu'une importance relative sur cette projection extra-organique, cette explication embrasserait tous les faits de lucidité dans le présent. Pour les cas de lucidité dans le passé ou dans l'avenir, en admettant bien entendu que leur authenticité soit bien établie, l'explication est plus difficile.

Si l'on pouvait supposer que les faits passés ont laissé une image ou une empreinte quelconque et quelque part, sur la planète ou dans l'éther, on en déduirait que les sens extériorisés du sujet ont su retrouver et déchiffrer cette image. Mais une pareille supposition est bien invrai­semblable. Il est plus logique, peut-être, d'admettre que le sujet possède dans sa subconscience ou puise dans la subconscience d'une autre personne la connaissance des faits passés dont il fait preuve. Cette hypothèse semblera moins extraordinaire quand nous aurons passé en revue tout ce qui concerne la subconscience.

La prévision de l'avenir pourrait s'expliquer d'une manière analogue : l'avenir découle nécessairement du passé et du présent, le hasard n'est qu'un mot vide de toute signification, et le libre arbitre ne peut être isolé des motifs d'action, quelque opinion qu'on ait à son sujet.

Il suffirait donc de connaître tout ce qui touche une personne quelconque dans le passé et dans le présent ou même simplement dans le présent, qui résume tout le passé dont il découle, pour connaître dans les grandes lignes l'avenir de cette personne. Quand la lucidité est observée en dehors de l'hypnose, l'explication n'est plus satisfaisante telle quelle. Il fau­drait alors admettre que le passé et le présent qui nous concernent sont accessibles, par certains procédés, aux sens normaux, et non plus seulement aux sens extériorisés. Il ne faut pas en nier la possibilité a priori, mais il vaut mieux réserver momentanément cette question.

Lorsque, après avoir pris connaissance de tout ce qui touche à l'extériorisation et à la subconscience, nous essayerons une interprétation synthétique finale de tous les faits de psychologie normale et anormale, nous serons plus à même d'éclaircir le phénomène de lucidité, dans son ensemble et dans ses détails.

6° Extériorisation et action à distance de la motricité :

L'extériorisation et l'action à distance de la motricité ont été révélées par les manifestations médiumniques. Ce n'est que dans le médiumnisme qu'elles se produisent avec toute leur intensité. On a pu, cependant, obtenir des phénomènes de motri­cité à distance dans l'hypnose. On les a même observés sans sommeil apparent du sujet.

Exemple. Expérience du pèse-lettres[32] « Sur la table du salon, de 1 mètre de longueur environ, lourde et bien calée, est placée, vers l'une des extrémités, une forte lampe à pétrole donnant une belle lumière et munie d'un abat-jour en mousseline blanche. La table est brillamment éclairée. Il est 6 h. 1/2 environ. On va passer pour le dîner dans la salle à manger qui est à côté ; Eusapia est en état normal et non en transe.

Sont présents : MM. de Rochas, Sabatier, Dariex, de Gramont, de Watteville, Mme et Melle de Rochas. M. de Gramont demande à Eusapia si elle se sent capable, dans son état normal et en pleine lumière, d'agir par la simple imposition des mains sur un pèse-lettres à plateau et à bascule qu’il a dans sa valise de voyage. Eusapia répond qu'elle n'en sait rien, mais qu'elle est disposée à l'essayer.

Les membres de la Commission expriment le désir qu'une semblable expérience soit faite immédiatement, car le contrôle en est extrêmement facile ; son caractère improvisé ne permettant pas de soupçonner la prépa­ration préalable d'un artifice, et son succès ferait, dans leur esprit, disparaître bien des doutes. M. de Gramont va chercher un trébuchet à plateau, dans sa chambre, au premier étage, et l'instrument est placé sur la table à 60 centimètres de la lampe à pétrole, de manière que l'observation en soit très facile pour tous les observateurs. Le trébuchet est muni d'un plateau et d'un contrepoids placé à l'extrémité d'un levier coudé. Le mouvement d'une longue aiguille sur un cadran indique le poids corres­pondant au degré d'abaissement du plateau. La situation la plus abaissée du plateau correspond à un poids de 50 grammes placé sur le plateau. Eusapia se met debout, près de l'extrémité de la table où est placé le trébuchet dont l'aiguille marque 0, puisqu'il n'y a aucun poids sur le plateau MM. de Rochas, Sabatier, de Gramont et de Watteville se disposent autour de la table et portent leurs regards très attentifs sur le plateau et sur les mains d'Eusapia. Eusapia essaye d'abord infructueuse­ment de le faire mouvoir en plaçant une seule main à quelques centimètres au-dessus du plateau. Réunissant alors en pointe les doigts de chacune des deux mains, elle place celles-ci l'une à droite, l'autre à gauche du plateau, et concentre sa volonté sur ce point. L'extrémité des doigts de chacune des mains est distante de 3 ou 4 centimètres au moins des bords du plateau et se trouve absolument sans contact avec ce dernier. Eusapia esquisse avec les mains quelques faibles mouvements de haut en bas. Au début, le plateau est immobile ; bientôt il oscille, à plusieurs reprises, de haut en bas synchroniquement avec les mains. Enfin, Eusapia ayant abaissé les mains, le plateau s'est abaissé à fond, c'est à dire jusqu'au point extrême de sa descente, et est ensuite remonté. Pendant ce temps le médium n'a fait aucun autre mouvement que celui des mains ; la table, solidement calée, n'a subi aucune espèce d'ébranlement. » 

L'expérience fut recommencée avec le même succès et ne laisse pas de place au doute : « Les observateurs étaient groupés autour d'Eusapia ; il y en avait dans tous les sens, et, par conséquent, le contrôle saisissait les rapports des doigts d'Eusapia et du pèse-lettres dans toutes les directions. Il eût fallu que le médium eut réuni ses deux mains par un fil très fin ou par un cheveu ; mais, outre que la préparation de cette supercherie eut eu beau coup de chances de ne pas échapper à l'attention de l'un des cinq obser­vateurs réunis autour du médium, il faut ajouter qu'un cheveu, même très fin, se voyait fort bien avec un tel éclairage, ainsi que l'épreuve en a été faite par M. Dariex, après la séance. D'ailleurs, en présence des mêmes observateurs, l'expérience a été reprise avec de nouveaux moyens de contrôle. Pour s'assurer des mouvements des mains, et pour les maintenir à distance du pèse-lettres, M. Sabatier s'est placé derrière le médium et, passant les bras de chaque côté de sa taille, a saisi la main droite du médium avec sa main droite, et la main gauche du médium avec sa main gauche, les emprisonnant l'une et l'autre entre ses doigts, et laissant seulement saillir un peu l'extrémité des doigts d'Eusapia réunis en pointe. En outre, en se penchant légèrement sur le côté, il voyait très bien le pèse-lettres et les mains. Dans ces conditions, il a accompagné les mouvements des mains du médium et s'est assuré qu'elles se mouvaient bien dans des plans verticaux, sans obliquer vers le pèse-lettres, et sans entrer en contact avec lui. Le pèse-lettres s'est de nouveau abaissé à fond, pour la troisième fois, et aucun des observateurs n'a pu apercevoir le moindre contact. »

Mais, dans ces cas, ce ne sont jamais que des manifes­tations élémentaires. Le sujet, soit spontanément, soit par suggestion, exerce simplement une action motrice légère et à très proche portée. (L'expérience d'action motrice élémentaire rapportée ci-dessous est absolument convaincante, et d'une rigueur scientifique absolue.) Les phénomènes importants de motricité à distance s'obtiennent soit avec très léger contact du médium, soit absolument sans contact.

On trouvera de nombreux exemples dans l'ouvrage de M. de Rochas[33]. Parmi les expériences les plus importantes, je citerai celles que fit récemment, avec le médium napolitain Eusapia Paladino, une Commission scientifique composée de MM. Dariex, de Gramont, de Rochas, Sabatier, de Watteville.

Toutes les expériences eurent lieu dans le domicile privé de l'un d'eux ; le médium n'était pas perdu de vue dans l'intervalle des séances. Les séances étaient faites avec une lumière légère (une lumière forte gênant la production des phénomènes), les mains, les pieds, la tête, le corps du médium étaient tenus par les expérimentateurs. Dans ces con­ditions, les phénomènes les plus convaincants eurent lieu. Je cite quelques passages du compte rendu de la Commission Séance du 25 septembre 1895 : Le médium entre en transe. La lumière est affaiblie graduellement. A ce moment, la table, après s'être inclinée en s'élevant des deux pieds du côté gauche du médium, s'est élevée rapidement à 30 centimètres au moins au-dessus du sol, horizontalement, les quatre pieds étant simultanément détachés du sol (table de 80 centimètres de long sur 55 centimètres de large, et 75 centimètres de hauteur, du poids de 10 kilogrammes). Cette position se maintient pendant au moins trois secondes, puis la table retombe brusquement. Pendant qu'elle est en l'air, MM. Maxvell et Sabatier, situés chacun d'un côté du médium et lui tenant chacun une main qui se voit très clairement, constatent que les mains, placées sim­plement au-dessus de la table, n'en saisissent nullement les bords, et se détachent même parfois de la surface de la table soulevée ; ils constatent aussi de visu, en se penchant, que les pieds de la table, voisins du médium, sont entièrement libres de tout contact avec ce dernier. M. Dariex, placé en observation au-dessous de la table, comme il a été dit ci-dessus (couché sur le parquet) affirme que les genoux du médium sont restés immobiles et qu'aucune jambe n'a été avancée pour soulever la table par en dessous et la maintenir ainsi en lévitation. Le même phénomène se reproduit encore une fois dans des conditions semblables. Il faut également noter que pendant cette première partie des expé­riences. Le médium avait placé son pied droit chaussé sur le pied gauche de M. Sabatier et son pied gauche également chaussé sur le pied droit de M. Maxvell. L'un et l'autre ont pu sentir le contact continu des pieds du médium et les voir directement, et ils ont aussi constaté qu'il n'y avait pas eu de mouvement des pieds capables d'expliquer le soulèvement de la table (La lumière est alors diminuée.) Le fauteuil situé derrière le rideau est déplacé avec bruit. On entend une série de notes jouées sur le piano (piano d'enfant de 900 grammes) ; celui-ci passe sur la tête de M. Maxvell et est apporté sur la table, etc.

Séance du 28 septembre 1895. Le fauteuil placé, derrière Eusapia, à 1 mètre de distance au moins se soulève plusieurs fois et frappe vivement le parquet en retombant. La lumière est suffisante pour que les mouvements du fauteuil soient bien vus ; les mains sont vues et bien tenues ; les pieds sont bien tenus ; la tête est bien vue et immobile, etc.

Ils dénotent souvent une force considérable : des objets très lourds sont déplacés ou soulevés, parfois loin du sujet. Des objets plus légers sont transportés d'un point à un autre de la salle des séances. Les mouvements ont un caractère très important : c'est de n'être jamais incohérents. Ils sont toujours dirigés dans un but manifestement voulu, et parfois sont fort complexes.

L'un des phénomènes les plus remarquables de cet ordre est celui de l'écriture directe (plume ou crayon écrivant sans soutien apparent et sans contact du médium). Les phénomènes importants de motricité à distance ne s'obtiennent que par des sujets spécialement entraînés sauf exception.

Expériences de W. Crookes[34]. On sait que W. Crookes consacra trois années à l'étude des phénomènes médiumniques, et avec plein succès. J'emprunte au récit qu'il a donné de ses expériences quelques passages se rapportant à la motricité : « Les exemples où des corps lourds, tels que des tables, des chaises, des canapés, ont été mis en mouvement, sans le contact du médium, sont très nombreux. J'en indiquerai brièvement quelques-uns des plus frap­pants. Ma propre chaise a en partie décrit un cercle, mes pieds ne reposant pas sur le parquet. Sous les yeux des assistants, une chaise est venue lentement, d'un coin éloigné de la chambre dans une autre circonstance, un fauteuil vint jusqu'à l'endroit où nous étions assis, et, sur ma demande, il s'en retourna lentement à la distance d'environ 3 pieds. Pendant trois soirées consécutives, une petite table se mut lentement à travers la cham­bre. En cinq occasions différentes, une lourde table de salle a manger s'éleva de quelques pouces à 1 pied et demi au-dessus du parquet et dans des conditions spéciales qui rendaient la fraude impossible. Dans une autre circonstance, une table pesante s'éleva au-dessus du plancher, en pleine lumière, pendant que je tenais le pied et les mains du médium. Une des choses les plus surprenantes que j'aie jamais vues, en fait de mouvements d'objets légers, fut l'enlèvement d'une bouteille de verre pleine d'eau, et d'un verre. La chambre était éclairée très fortuitement, par deux grandes flammes d'alcool sodé, et les mains de Home (le médium) étaient très loin. Ces objets restaient suspendus au-dessus de la table. Je demandai s'il était possible d'obtenir une réponse à une question, par leur battement l'un contre l'autre : immédiatement ils frappèrent trois fois, ce qui signifiait oui. Ils demeurèrent ainsi, suspendus à environ 6 ou 8 pouces de hauteur, allant devant chaque personne et répondant aux questions. Ce phénomène dura cinq minutes, et nous eûmes tout le temps nécessaire pour nous assurer que Home était absolument passif, et que ni fils métalliques ni petites cordes n’étaient employés. Du reste Home n'avait pas pénétré dans la chambre avant la séance. »

Le plus souvent, pendant leur production, le sujet se trouve plongé dans un sommeil particulier appelé transe, analogue au sommeil profond de l'hypnose. D'autres fois, il n'est pas endormi, mais même alors, les phénomènes se produisent indépendamment de sa vo­lonté consciente. Après la séance, le sujet accuse une fatigue considérable. Lorsqu'il a dormi, il ne sait rien au réveil de ce qui s'est passé. Enfin, pendant la production des phénomènes, les membres du sujet esquissent souvent de légers mouvements, synchrones aux mouvements à distance, dirigés comme ils le seraient pour les produire directement. Mais ces mouvements sont toujours très faibles et sont inconstants, ce sont de simples mouvements réflexes ou associés.

Exemple de mouvements associés, extériorisation de la motricité, séance du 28 septembre 1895) : « ... Eusapia s'incline alors à droite et en avant, vers M. Sabatier, c'est-à-dire du côté opposé au fauteuil, et le prévient (de sa voix de transe, en français) qu'elle va lui tirer doucement les cheveux, et que, pendant ce temps, le fauteuil, placé à 1 mètre environ, avancera lentement de son côté. Cela se réalise parfaitement. Puis elle repousse la tête de M. Sabatier, et le fauteuil recule et s'éloigne. Eusapia se frappe les mains devenues libres, en l'air, au-dessus de la table ; ses mains sont vues de tous. Le fauteuil frappe des coups synchrones avec la mimique des mains. Elle frappe des mains et le fauteuil accompagne fidèlement de ses bonds et de ses coups les mouvements des mains. Les mains sont bien vues de tous. Les pieds sont bien tenus et même vus : le contrôle est déclaré excel­lent par tous les observateurs. Eusapia, saisissant de ses deux mains la main de M. Sabatier qui est assis à droite, fait des gestes saccadés de va-et-vient, comme pour ouvrir la porte du bahut située à gauche, à 1 mètre de distance environ, et der­rière M. de Watteville. Aussitôt la porte du bahut s'agite et produit des sons saccadés et tumultueux comme ceux d'une porte qu'on s'efforce d'ou­vrir, mais qui résiste, la serrure n'étant pas ouverte... »

D'autre part, Crookes déclare[35] : « Je n’ai jamais remarqué, comme le professeur Lodge l'a constaté pour Eusapia, un mouvement correspondant de la main ou du corps de Home, au moment ou les objets étaient enlevés à distance. Je suis certain que, dans la plupart des cas, quand Home n'était pas en transe, il ne savait pas plus que les autres ce qui allait se produire... »

Exemptes d'écriture directe. On trouvera de nombreuses expé­riences d'écriture directe dans l'ouvrage du Dr Gibier[36]. Le professeur Elliott Coues étudia le phénomène avec un médium de San Francisco, Mme Francis. J'extrais quelques lignes de son compte rendu[37] : «…..Je suis prêt à déclarer que j'ai vu, en pleine lumière du jour, à quelques pouces de moi, un morceau de crayon se lever et se mouvoir, personne ne le touchant, qu'il a écrit des phrases lisibles et compréhen­sibles qui indiquaient une pensée intelligente et que le même phénomène a été constaté en même temps, de la même manière, avec le même résul­tat par d'autres personnes auprès de moi…..»

Voici l'une des expériences du Dr Elliott Coues : « Mme Francis me demanda de lui tenir la main… Mme Francis tenait l'ardoise devant moi, en pleine vue ; elle la tenait par un coin, les doigts en dessous, le pouce en dessus, comme l'on fait ordinairement ; je serrais sa main fortement, je tenais même, en réalité, un peu l'ardoise aussi. Je sentis dans ses doigts un fort tiraillement, très particulier, presque con­vulsif et, à en juger par mon toucher et par mes yeux, elle me parut étreindre l'ardoise avec une telle force, dans ses doigts crispés, qu'elle fit se courber un peu le silicate ; le crayon était en dessus et il écrivait tout seul, là, en plein sous mes yeux... »

Les phénomènes qui échappent presque toujours, je le répète, à la volonté consciente du sujet, sont dirigés par une intelligence en apparence distincte de lui. C'est une personnalité différente de sa personnalité normale qui pro­duit les phénomènes avec la force extériorisée du sujet. Les personnalités médiumniques qui se manifestent ainsi semblent utiliser à leur gré, et indépendamment de la vo­lonté du médium, ses organes et ses facultés sensibles et motrices.

Elles peuvent avoir des capacités et des connaissances psychiques autres que celles de la personnalité normale[38]. J'étudierai en détail les personnalités médiumniques dans un chapitre spécial.

Explication des actions motrices à distance : Les actions motrices à distance nécessitent une double explication : 1° Explication relative à l'origine de la force agissante ; 2° Explication relative à la direction intelligente de cette force.

En ce qui concerne la force agissante, il est évi­dent que c'est une force extériorisée, du sujet. Tout le prouve : la présence indispensable d'un médium ; sa fatigue considérable après la séance, la constatation des mouve­ments associés, etc.. Il n'est pas de doute possible. Le « quelque chose » qui peut s'extérioriser entraîne donc avec lui non plus seulement de la sensibilité, mais aussi de la force.

2° En ce qui concerne la direction intelligente de cette force, le problème est plus difficile. Il est certain que l'intelligence directrice n'est pas l'in­telligence personnelle normale du sujet. Doit-on conclure qu'elle lui est extérieure et étrangère ? Ce n'est pas nécessaire, puisque nous savons qu'il existe en nous une subconscience individuelle échappant en majeure partie à la connaissance et à la volonté de l'être normal. Il est conforme à la méthode scientifique d'admettre que l'intelligence directrice, est simplement, et sans qu'il soit besoin de faire intervenir une hypothèse nouvelle, une personnalité subconsciente. De même que, dans la psychologie normale, la subcon­science est surtout manifeste par le sommeil naturel ; de même dans la psychologie anormale, elle apparaîtra sur­tout par les sommeils artificiels de l'hypnose et du médiumnisme. Lorsqu'il s'agira de phénomènes élémentaires obtenus par le sujet dans son état normal, on pourra les attribuer au rayonnement périorganique normal du « quelque chose extériorisable ».

7° Action à distance d'une faculté organisatrice ou désorganisatrice sur la matière :

Il semble que, dans les états hypnotiques et médiumniques, le sujet puisse avoir sur les molécules matérielles une véritable puissance organisatrice ou désorganisatrice. On connaît les effets possibles de cette faculté sur l'orga­nisme même du sujet : production de stigmates sur le corps des hystériques, soit par auto-suggestion mystique, soit par suggestion expérimentale (par exemple, vésication par un timbre-poste).

Je n'insiste pas sur ces faits, aujourd'hui classiques ; je me contente de faire remarquer qu'ils nous entraînent bien au delà de ce que l'on savait touchant l'influence du moral sur le physique, et qu'ils permettraient peut-être de comprendre certaines observations de guérisons, dites miraculeuses ; certains récits des prouesses des Aissaouas et des prodiges attribués aux Fakirs. Je veux surtout m'occuper de l'action à distance de cette faculté organisatrice ou désorganisatrice. Prouvée, cette action à distance pourrait expliquer cer­taines apparitions et visions, mystiques et autres, lesquelles ne relèvent pas simplement ni toujours de l'hallucina­tion. Or, là encore, l'étude du médiumnisme montre l'exis­tence d'une semblable faculté. Le sujet peut, soit désorganiser à distance certains objets, soit organiser dans des formes plus ou moins complexes, une trame matérielle émanée ou extériorisée elle-même de son organisme (c'est la téléplastie). Pour que de semblables phénomènes puissent être considérés comme réels et non hallucinatoires, il faut que leur réalité objective soit rigoureusement prouvée. Elle l'est, dit Aksakof[39], lorsque sont constatés les caractères sui­vants :

1° Vision de la « forme » par plusieurs personnes à la fois ; 2° Vision et contact de la forme par plusieurs per­sonnes, avec impressions concordantes des deux  sens ; 3° Effets physiques produits par la forme ; 4° Effets physiques durables (écriture, empreintes, moulages, photographies, effets sur le corps d'un assis­tant).

Dans ce dernier cas seulement, la preuve est absolue ; mais précisément, ce dernier cas est des plus fréquents. Une forme bien nette peut presque toujours laisser après elle des effets physiques durables. Pour plus de facilité, je considérerai successivement l'action organisatrice et l'action désorganisatrice.

a) Action organisatrice : Elle peut aboutir à des formations très variables comme netteté et comme com­plexité.

Exemples d'action organisatrice élémentaire à distance. Expérience de Paris avec Eusapia[40], séance du 26 septembre 1896. Derrière Eusapia, dans l'ouverture du rideau, un point lumineux apparaît..... c'est un rond de la grandeur d'une pièce de 1 franc ; le centre est rouge ; les bords sont auréolés de bleu. J’ai bien vu. Puis nous distinguons des formes imprécises, toutes de 25 à 30 centimètres, bleuâtres, que nous supposons être des mains qui n'ont pu se former. Mais voici une main, bien formée et juste au-dessus de la tête d'Eusapia ; elle est ouverte, la paume étant du côté de la tête….. Encore d'autres mains ; puis le ri­deau se gonfle de mon côté, de façon que Dariex seul puisse voir à l'inté­rieur et, tout à coup, il dit : « Oh ! qu'est cela, qu'est cela ? je vois une forme, une forme blanche, indécise... » et comme il répète « qu'est cela ? » Eusapia lui répond en français, d'un ton triste : « C'est ta femme. » Puis il sent sur sa main la caresse d'une main mignonne...

Expériences de Choisy Yvrac, récit de M. de Rochas[41] : Eusapia lui dit (à M. de Gramont) de nouveau de regarder vers la fenêtre ; il voit alors venir vers lui, au-dessus de la tête du médium, une main noire tenant un objet sombre terminé en pointe ; mais il ne peut le distinguer nettement. Une seconde fois, le phénomène se reproduit avec plus d'intensité, et M. de Gramont aperçoit la forme bien caractérisée d'un soufflet. Il y a lieu de noter qu'aucun soufflet ne se trouvait dans la chambre et qu'a ce moment Eusapia, tournée vers M. de Rochas, soufflait avec la bouche….. D'autres expériences, ajoute M. de Rochas, tendent à prouver que la nature fluidique extériorisée peut se modeler sous l'influence d'une volonté assez puissante, comme la terre glaise se modèle sous la main du sculp­teur. »

Les manifestations élémentaires sont caractérisées par la production éphémère et incomplète d'objets ou d'or­ganes. Ces formes éphémères peuvent néanmoins laisser des traces physiques : photographies, empreintes dans le mas­tic, la farine, le noir de fumée, la paraffine, le plâtre, etc.

Exemple d'empreinte d'une formation à distance. J'emprunte à l'ouvrage récent de M. de Fontenay[42] : le récit d'une expérience parfaitement nette au sujet des empreintes de formes matérialisées : Séance du 27 juillet 1897, à Monfort-l'Amaury, dans l'appartement de MM. Bleck en présence de M. et Mmes Bleck, de M. Kœchlin, de M. de Fontenay et de M. C. Flammarion, contrôle habituel, légère lumière rouge. « On demande des moulages de formes. Au bout d'un court moment le guéridon b (situé à 1 mètre du médium) se meut, et John (la person­nalité directrice) prie de vérifier l'assiette (assiette remplie de mastic et placée sur le guéridon). Le mastic portait une empreinte de quelques doigts mal finis. Ce n'est pas très brillant, mais on félicite John tout de même et on le prie de faire mieux et de mouler, s'il est possible, son visage. Le médium s'est renversé, à demi étendu sur l'épaule gauche de M. Flammarion qui a, de la sorte, le contrôle de la tête et de la partie supérieure du buste ; au surplus, l'obscurité ne nous empêche pas de per­cevoir vaguement le contour des objets volumineux, des personnes et en particulier d'Eusapia. Celle-ci gémit, soupire, mais non d'une manière exceptionnelle. Il se fait dans le cabinet un travail relativement faible : la chaise semble se mouvoir avec lenteur et précaution. La table, en revanche, résonne de quatre coups violents : « parlate », les dames obéis­sent, prononcent quelques paroles et presque aussitôt les tentures (fermant le cabinet noir nécessaire pour les matérialisations qui ne se forment qu'à l'abri de la lumière) s'écartent sous la poussée d'une masse sombre. On la voit s'élever au-dessus de la table, au-dessus des têtes, Eusapia est enserrée de tous côtés. Quant à la masse sombre et indistincte, elle se divise : le lourd plateau pesant 4 kg. 500 est déposé moelleusement sur les mains qui font la chaîne, et comme avec M. John les plus beaux phénomènes s'accompagnent parfois d'un épisode comique, la chaise, très peu galamment vient couronner Mme L. Bleck, voisine de M. Flammarion. Celle-ci proteste énergiquement, mais le médium coupe court à ces plaintes en se redressant et en déclarant voir sur la table une tête et un buste. Puis elle déclare « e fato ».... On court à la lanterne que l'on décoiffe, et l'on constate l'empreinte d'un profil, presque d'un trois-quarts, dont on peut voir la reproduction photographique, etc. »....

D'autre fois elles n'apparaissent que comme des lueurs bleuâtres, phosphorescentes. Les manifestations supérieures de la faculté organi­satrice sont des formations organiques, toujours éphé­mères, mais complètes. Il y a alors matérialisation, suivant le terme habituel, d'organes ou d'organismes parfaitement caractérisés ; copie exacte, parfaite, physi­quement et physiologiquement d'organes ou d'organismes naturels. Ces manifestations peuvent être spontanées ou d'origine médiumnique. Dans les cas spontanés, très rares ; on note la formation d'un organisme (à distance du sujet et parfois fort loin de lui), semblant la copie minutieuse « le double » du sujet.

Comme exemple, je donnerai, très résumée, l'observation de Mlle E. Sagée[43]. Emilie Sagée, âgée de trente-deux ans, française, blonde, tempérament nerveux mais bonne santé, intelligente, était, en 1845, institutrice au pensionnat de Neuwelike, en Livonie. Pendant les dix-huit mois qu'elle passa dans cet établissement, les pensionnaires, au nombre de quarante-deux et les professeurs, constatè­rent qu'elle « se dédoublait » fréquemment et leur donnait le spectacle de deux Emilie Sagée aussi nettes l'une que l'autre et visibles simultanément.

« Un jour qu'Émilie Sagée donnait une leçon à treize de ces jeunes filles, parmi lesquelles Mlle de Güldenstubbe (la narratrice du cas) et que, pour mieux faire comprendre sa démonstration, elle écrivait le passage à expliquer au tableau noir, les élèves virent tout à coup, à leur grande frayeur, deux demoiselles Sagée, l'une à côté de l'autre. Elles se ressem­blaient exactement et faisaient les mêmes gestes. Des mois se passèrent, et des phénomènes semblables continuaient à se produire. On voyait de temps à autre, au dîner, le double de l'institutrice, debout, derrière sa chaise, imitant ses mouvements, tandis qu'elle man­geait, mais sans couteau ni fourchette ni nourriture dans ses mains. Cependant il n'arrivait pas toujours que le double imitât les mouvements de la personne véritable. Parfois, quand celle-ci se levait de sa chaise, on voyait son double y rester assis. Un jour, toutes les élèves, au nombre de quarante-deux, étaient réunies dans une même pièce et occupées à des travaux de broderie. Ce jour­ là les jeunes pensionnaires étaient toutes assises devant la table, et elles pouvaient très bien voir ce qui se passait dans le jardin (la salle était au rez-de-chaussée avec quatre grandes portes vitrées ouvrant sur le jardin). Tout en travaillant, elles voyaient Mlle Sagée occupée à cueillir des fleurs. A l'extrémité supérieure de la salle se tenait une autre maîtresse, chargée de la surveillance et assise dans un fauteuil de maroquin vert. A un moment donné, cette dame s'absenta, et le fauteuil resta vide. Mais ce ne fut que pour peu de temps, car les jeunes filles y aperçurent tout à coup la forme de Mlle Sagée. Aussitôt elles portèrent leurs regards dans le jardin et la virent toujours occupée à cueillir des fleurs, seulement ses mouvements étaient plus lents et plus lourds, pareils à ceux d'une per­sonne accablée de sommeil ou épuisée de fatigue. Elles portèrent de nou­veau leurs yeux sur le fauteuil où le double était assis silencieux et immo­bile, mais avec une telle apparence de réalité que si elles n'avaient vu Mlle Sagée, elles auraient pu croire que c'était elle-même.

Ces curieux phénomènes durèrent avec quelques variantes environs dix-huit mois. On remarqua qu'à mesure que le double devenait plus net et prenait plus de consistance, la personne elle-même devenait plus raide et s'affaiblissait, et, réciproquement, qu'à mesure que le double s'évanouissait, l'être corporel reprenait ses forces. Elle-même était inconsciente de ce qui se pas­sait et n'en avait connaissance que d'après ce qu'on lui disait. Comme les parents des élèves s'inquiétaient et retiraient leurs enfant, Mlle Sagée reçut son congé. Elle raconta alors qu'elle avait déjà perdu pour la même raison sa place d'institutrice dans dix-huit pensionnats. Elle se retira auprès d'une parente qui avait plusieurs enfants. Ces derniers s'habituèrent vite à son dédoublement et « avaient l'habitude de dire qu'ils voyaient deux tantes Émilie ».

Ce dédoublement se produit à l'insu de sujet, tombé pendant ce temps dans un sommeil plus ou moins profond et ayant tout oublié au réveil. Le double peut influencer la vue et les autres sens des personnes qui le constatent. Il peut agir matériellement et se transporter à une grande distance. Les matérialisations complètes obtenues expérimen­talement dans les séances médiumniques présentent des caractères importants à considérer.

On trouvera de nombreux exemples de matérialisations complètes dans Animisme et Spiritisme d'Aksakof. Je résume ici l'observation fameuse de Crookes relative à la matérialisation de Katie King[44]. Crookes expérimenta pen­dant trois ans, de 1872 à 1874, avec une jeune fille de quinze ans, miss Cook, par l'intermédiaire de laquelle se matérialisait une forme féminine qui se donnait le nom, de Katie King. Le médium demeurait dans la mai­son, vivait constamment avec la famille de l'expérimentateur. Toutes les séances avaient lieu dans l'appartement et les précautions les plus minu­tieuses étaient prises contre une fraude possible. Le médium se retirait dans le cabinet noir séparé par un rideau de la salle où se tenaient les assistants. Bientôt apparaissait Katie King, entiè­rement matérialisée, ayant toute l'apparence d'un être normal. Elle dis­paraissait comme elle était venue au bout d'un temps variable. Elle appa­raissait sortant toujours du cabinet noir, mais parfois disparaissait en vue des assistants. Le phénomène dura trois ans. Katie avait annoncé dès le début la date de sa cessation. Elle put maintes fois être photographiée, et dans les derniers temps de sa manifestation, en même temps que le médium.

Dès les premières semaines Crookes parvint à voir simultanément le médium et l'apparition en se servant d'une lampe à phosphore ; sur l'in­vitation de Katie, il la suivit dans le cabinet noir : « Ce fut à tâtons que je cherchai Mlle Cook je la trouvai accroupie sur le plancher. M'age­nouillant, je laissais l'air entrer dans ma lampe, et à sa lueur je vis cette jeune dame vêtue de velours noir, comme elle l'était au début de la séance, et ayant toute l'apparence d'être complètement insensible. Elle ne bougea pas lorsque je pris sa main et tins la lampe tout à fait près de son visage ; mais elle continua à respirer péniblement. Elevant la lampe, je regardai autour de moi, et je vis Katie qui se tenait debout près de Mlle Cook et derrière elle. Elle était vêtue d'une draperie blanche et flottante comme nous l'avons déjà vue pendant la séance. Tenant une des mains de Mlle Cook dans la mienne, et m'agenouillant encore, j'élevai et j'abaissai la lampe, tant pour éclairer la figure entière de Katie que pour pleine­ment me convaincre que je voyais bien réellement la vraie Katie que j'avais pressée dans mes bras quelques minutes auparavant, et non pas le fantôme d'un cerveau malade... Par trois fois différentes j'examinai soi­gneusement Mlle Cook accroupie devant moi, pour m'assurer que la main que je tenais était bien celle d'une femme vivante, et à trois reprises dif­férentes je tournai ma lampe vers Katie pour l'examiner avec une atten­tion soutenue...

Plus tard, les phénomènes devenant de plus en plus puissants, il arrivait fréquemment que : « les sept ou huit personnes qui étaient dans le labo­ratoire pussent voir en même temps Mlle Cook et Katie sous le plein éclat de la lumière électrique. Il suffisait de jeter un châle sur la figure du médium avant d'éclairer. Elles purent être photographiées ensemble. Le médium et Katie avaient une grande ressemblance, mais aussi des différences de détails que Crookes a soigneusement notées : « Hier soir, Katie avait le cou découvert, la peau était parfaitement douce au toucher et à la vue, tandis que Mlle Cook a au cou une cica­trice... Les oreilles de Katie ne sont pas percées, tandis que Mlle Cook porte ordinairement des boucles d'oreille. Le teint de Katie est très blanc, tandis que celui de Mlle Cook est très brun. Les doigts de Katie sont beaucoup plus longs que ceux de Mlle Cook, et son visage est aussi plus grand. Dans les façons et manières de s'exprimer, il y a aussi bien des différences marquées. La chevelure de Mlle Cook est d'un brun si foncé qu'elle paraît presque noire : une boucle de celle de Katie qui là sous mes yeux, et qu'elle m'avait permis de couper au milieu de ses tresses luxuriantes, après l'avoir suivie de mes propres doigts jusque sur le haut de sa tête et m'être assuré qu’elle y avait bien poussé, est d'un riche châtain doré. Un soir, je comptai les pulsations de Katie : son pouls bat­tait régulièrement 75 tandis que celui de Mlle Cook peu d'instants après atteignait 90, son chiffre habituel. En appuyant mon oreille sur la poi­trine de Katie, je pouvais entendre un cœur battre à l'intérieur. Éprouvés de la même manière, les poumons de Katie se montrèrent plus sains que ceux de son médium, car au moment où je fis mon expérience Mlle Cook suivait un traitement médical pour un gros rhume... »

La forme matérialisée, je crois devoir le répéter, est complète, os, muscles, viscères, elle ne diffère en rien d'un être vivant par le fonctionnement organique. Elle ressemble souvent plus ou moins au médium. Quelquefois la ressemblance est assez forte pour donner l'impression d'un véritable dédoublement du sujet. D'autres fois, la forme diffère du sujet par des carac­tères importants (couleur des yeux et des cheveux, taille, sexe, etc.).

b) Action désorganisatrice : La faculté désorga­nisatrice peut se manifester : Dans l'organisme même du sujet ; Dans des objets extérieurs à lui.

1. Désorganisation dans l’organisme même du sujet :

Exemple emprunté à Animisme et Spiritisme, d'Aksakof, p. 243 : « A une séance de contrôle avec le médium miss Fairland, celle-ci fut, pour ainsi dire, cousue dans un hamac dont les supports étaient pourvus d'un enregistreur marquant toutes les oscillations du poids du médium, et cela aux yeux des assistants Après une courte attente, on a pu constater une diminution graduelle du poids ; enfin, une figure apparut et fit le tour des assistants. Pendant ce temps, l'enregistreur indiquait une perte de soixante livres dans le poids du médium, soit la moitié de son poids normal. Pendant que le fantôme se dématérialisait, le poids du médium augmentait, et à la fin de la séance, comme résultat final, il avait perdu 3 à 4 livres. » On trouvera d'autres exemples dans Un cas de dématérialisation partielle du corps d'un médium, d'Aksakof.

Il s'agit d'une véritable dématérialisation, laquelle coïncide précisément avec les formations matérielles à distance. Le sujet perd exactement le poids qu'acquiert la forme matérialisée. Après sa disparition, il recouvre son poids primitif, moins quelques centaines de grammes. Il pourrait devenir complètement invisible quand la forme est entière­ment matérialisée.

2. Désorganisation d'objets extérieurs au sujet : Des objets divers pourraient être décomposés dans leurs molécules constituantes et reconstitués dans leur état primitif, soit sur place, soit après transport dans un autre lieu.

L'astronome Zoellner, expérimentant avec le médium Stade, affirme avoir constaté la formation de nœuds sur une corde sans fin ; la disparition et la réapparition d'un guéridon, l'entrelacement d'anneaux de bois, etc. Les apports d'objets à travers les murs, les portes et les fenêtres fermées sont décrits fréquemment dans les séances spirites. Comme exemple, je citerai le cas rapporté par le professeur W. F. Barret, d'une photographie transportée de Londres à Lowestoft a une distance de 175 kilomètres (Animisme et Spiritisme, p. 455) : « F .. demande qu'il lui soit apporté une chose quelconque de chez lui. Immédiatement il se sent cahoté dans tous les sens, tombe en transe, et alors sur la table, devant lui, on découvre une photographie. Une femme la saisit et la lui montre une quinzaine de minutes après, quand il a repris ses sens. Ayant aperçu l'image, il la serre dans sa poche et dit, les larmes aux yeux : « Jamais de la vie je ne l'aurais désiré ! »

Cette photographie était l'unique épreuve du portrait d'une jeune fille à laquelle il avait autrefois été fiancé. Elle se trouvait dans un album, qui était serré dans une boîte, fermée par une double serrure, dans son appar­tement, à Londres. « De retour en ville, nous en constatâmes la disparition, et la femme de M. F..., qui ignorait que nous faisions des séances de spiritisme, nous raconta que pendant notre absence il s'était produit un craquement ter­rible, à la suite duquel tout le monde était accouru pour en chercher la cause. »

Pendant la production des phénomènes d'organisation et de désorganisation, le sujet se comporte comme pen­dant les autres phénomènes d'extériorisation. Il est, sauf exceptions, dans un état de transe plus ou moins complète et ne se rappelle rien au réveil. Sa volonté conscience normale n'a aucun pouvoir sur ces manifestations, lesquelles sont dirigées par une intelligence différente, en apparence, de celle du sujet. L'explication sera donc la même que précédemment le « quelque chose » qui peut s'extérioriser n'entraîne plus seulement de la sensibilité et de la force, mais aussi des molécules matérielles et une faculté organisatrice et désor­ganisatrice.

Quant à l'intelligence qui dirige cette faculté organisa­trice et désorganisatrice, ainsi que le phénomène dans son ensemble, qui modèle la matière extériorisée, à son gré ou suivant des lois qui restent à étudier[45], cette intelli­gence peut encore être considérée comme émanée de la subconscience du sujet.

Explication générale des faits d’action à distance

L'interprétation générale des phénomènes d'action à distance peut être résumée ainsi : extériorisation et projection à distance de quelque chose émané de l'organisme du sujet, entraînant de la sensibilité, de la force motrice, de la force organisatrice et désorganisatrice, et parfois des molécules matérielles dudit organisme. Ces phénomènes sont tous et toujours (sauf exceptions élémentaires) indépendants de la volonté consciente du sujet. Ils sont dirigés par une intelligence différente en appa­rence de celle du sujet, mais que l'on peut considérer simplement comme son intelligence subconsciente[46].

8° Actions de pensée à pensée :

On comprend en général sous ce titre trois groupes de phénomènes : a) Lecture de pensée ; b) Suggestion mentale ; c) Télépathie (cette dernière bien à l'étroit dans le cadre des actions de pensée à pensée, comme on le verra). Je les passerai successivement en revue.

a) Lecture de pensée  :

Je donnerai comme exemple un cas de lecture de pensée, chez un enfant de sept ans, rapporté par le Dr Quintard à la Société de médecine d'Angers[47]. Observation résumée : « Ludovic X... est un enfant de moins de sept ans, vif, gai, robuste, et doué d'une excellente santé. Il est absolument indemne de toute tare nerveuse. Ses parents ne présentent également rien de suspect au point de vue neuropathologique. A l'âge de cinq ans, cependant, cet enfant sembla marcher sur les traces du célèbre Inaudi. Sa mère ayant voulu, à cette époque, lui apprendre la table de multiplication, s'aperçut, non sans surprise, qu'il la récitait aussi bien qu'elle ! Bientôt Bébé, se piquant au jeu, en arrivait à faire, de tête, des multiplications avec un multiplicateur formidable. Actuellement, on n'a qu'a lui lire un problème pris au hasard dans un recueil et il en donne aussitôt la solution. Celui-ci, par exemple : Si on mettait dans ma poche 25 fr. 50, j'aurais trois fois ce que j'ai moins 5 fr. 40. Quelle est la somme que j'ai ? » A peine l'énoncé est-il achevé que Bébé, sans même prendre le temps de réfléchir, répond ce qui est exact . « 15 fr. 45. » On va ensuite chercher, à la fin du livre, parmi les plus difficiles, cet autre problème : Le rayon de la terre est égal à 6366 kilomètres ; trouver la distance de la terre au soleil, sachant qu'elle vaut 24.000 rayons terrestres. Exprimer cette distance en lieues ? »

Le bambin, de sa petite voix bredouillante, donne, également, sans hésiter, cette solution qui est celle du recueil : 38.196.000 lieues ! Le père de l'enfant, ayant d'autres préoccupations, n'avait, tout d'abord, apporté aux prouesses de son fils qu'une attention relative. A la fin, il s'en émut pourtant, et, comme il est quelque peu observateur, au moins par profession, il ne tarda pas à remarquer que : 1° l'enfant n'écoutait que peu, et quelquefois pas du tout, la lecture du problème ; 2° la mère, dont la présence est une condition expresse de la réussite de l'expé­rience, devait toujours avoir, sous les yeux ou dans la pensée, la solution demandée. D'où il déduisit que son fils ne calculait pas, mais devinait, ou, pour mieux dire, pratiquait sur sa mère la lecture de pensées ; ce dont, incontinent, il résolut de s'assurer. En conséquence, il pria Mme X… d'ouvrir un dictionnaire et de demander à son fils quelle page elle avait sous les yeux, et le fils de répondre aussitôt : « C'est la page 456 », ce qui était exact. Dix fois il recommença, et dix fois il obtint un résultat identique.... Une phrase est écrite sur un carnet, si longue soit-elle, il suffit qu'elle passe sous les jeux maternels pour que l'enfant, interrogé, même par un étranger, répète la phrase mot pour mot.... Pas n'est besoin même que la phrase, le nombre ou le mot soient fixés sur le papier ; il suffit qu'ils soient bien précis dans l'esprit de la mère pour que le fils en opère la lecture mentale.

Mais le triomphe de bébé, ce sont les jeux de société. Il devine l'une après l'autre toutes les cartes d'un jeu. Le Dr Quintard discute ensuite l'hypothèse explicative de la suggestion : « Pour qu'il y ait suggestion dans le cas qui nous occupe, il faudrait constater chez la mère que certaine concentration psychique, un certain degré de vouloir indispensable au succès de l'expérience. Or, la lecture de pensée s'accomplit, le plus souvent, contre son gré. Toute médaille, en effet, a son revers. Quand bébé fut en âge d'apprendre sérieusement à lire, sa maman, qui s'était dévouée à cette tâche, remarqua, non sans chagrin, que sous sa direction, son fils ne faisait aucun progrès. Devinant tout, il n'exerçait ni son jugement, ni sa mémoire. Un autre médecin, le Dr Tesson, examina l'enfant et confirma l'observation du Dr Quintard devant la Société de médecine d'Angers.

Le phénomène de lecture de pensée semble bien établi dans les états hypnotique et médiumnique. C'est du moins l'explication la plus commode (trop commode même, car on en abuse singulière­ment) de beaucoup de faits. Elle semble, jusqu'à un cer­tain point, possible à l'état de veille, ou du moins dans un état d'hypnose ou d'auto-hypnose assez léger pour passer inaperçu. Mais en dehors de l'hypnose et du médiumnisme, la lecture de pensée est rarement observée d'une manière satisfaisante. Il faut exclure bien entendu les cas de pré­tendue lecture de pensée obtenus avec contact de l'agent et du sujet, qui sont des cas de divination par mouvements inconscients.

b) Suggestion mentale : La possibilité et la réalité de la suggestion mentale sont établies de la manière la plus rigoureuse[48]. Un ordre suggestif du magnétiseur peut être transmis par la simple tension de la volonté, sans aucune mani­festation extérieure, le sujet étant en état d'hypnose.

La suggestion mentale peut s'effectuer à distance, par­fois à longue distance, et à travers les obstacles maté­riels.

c) Télépathie[49] : La télépathie consiste essentiellement dans le fait d'une impression psychologique intense se manifestant en général inopinément chez une per­sonne normale, soit pendant l'état de veille, soit pen­sant le sommeil, impression qui se trouve être en rapport concordant avec un événement survenu à distance. Tantôt cette impression psychique constitue tout le phénomène. Tantôt elle s'accompagne d'une vision en apparence objective et extérieure au percipient. La télépathie peut être spontanée ou expérimentale.

A. Télépathie spontanée, elle peut être : a) Relative à un événement futur imminent. Cas de pressentiments, de prémonitions, de visions pré­monitoires, d'apparitions d'un mourant. b) Relative au présent ou à un passé récent.

Cas de visions nettes ou de divination d'événements éloignés (dans l'état normal). Cas d'apparitions d'un mort, soit à l'instant précis du décès, soit quelques instants, quelques heures, ou quelques jours plus tard. Cas d'apparitions d'un vivant, plongé en général dans un sommeil anormal ou pathologique (léthargie, délire fébrile, crise nerveuse, etc.). Le plus souvent le phénomène a trait à une personne unie au percipient par des liens d'affection plus ou moins étroits. Il s'agit en général d'un événement malheureux ; rare­ment d'un événement heureux ; exceptionnellement d'un événement indifférent.

Exemples de télépathie spontanée.

Cas rapporté par le Dr Coodall Jones[50] : Mme Jones, femme de M. William Jones, pilote à Liverpool, gardait le lit depuis le samedi 27 février 1869. Lorsque j'allai chez elle le lende­main dimanche, 28 février, à 3 heures de l'après-midi, je rencontrai son mari, qui était en chemin pour venir me chercher, parce que sa femme avait le délire. Il me raconta qu'à peu près une demi-heure auparavant, il était à lire dans la chambre de sa femme, quand tout d'un coup elle se réveilla d'un profond sommeil en déclarant que son frère William Roulands (aussi pilote à Liverpool) s'était noyé dans le fleuve (Mersey). Son mari essaya de la calmer en lui disant que Roulands était à sa sta­tion du dehors et qu'il ne pouvait se trouver sur le fleuve à cette heure-ci. Mais elle persista à soutenir qu'elle avait vu qu'il se novait. Des nouvelles arrivèrent dans la soirée annonçant que, vers l'heure mentionnée, c'est-­à-dire vers 2 h. 1/2, Roulands s'était noyé.

Cas Wheatcroft[51] : Au mois de septembre de l'année 1857, le capitaine G. W., du 6è ré­giment des dragons de la garde partit pour les Indes afin de rejoindre son régiment. Sa femme resta en Angleterre ; elle demeurait à Cambridge. Dans la nuit du 14 au 15 novembre 1857, vers le matin, elle rêva quelle voyait son mari, ayant l'air anxieux et malade ; après quoi elle se réveilla, l'es­prit très agité. En ouvrant les yeux, elle vit de nouveau son mari debout à côté de son lit. Il lui apparut en uniforme, les mains pressées contre la poitrine ; ses cheveux étaient en désordre et sa figure très pâle. Ses grands yeux noirs la regardaient fixement, et il avait l'air très excité. Sa bouche était contractée d'une façon particulière, comme cela lui arrivait lorsqu’il était agité. Elle le vit, avec tous les détails de ses vêtements et aussi distinctement qu'elle l'avait jamais vu durant toute sa vie, et elle se rappelle avoir vu entre ses mains le devant de sa chemise blanche, qui cependant n'était pas tachée de sang. Son corps semblait se pencher en avant avec un air de souffrance, et il faisait des efforts pour parler, mais on n'entendait aucun son. Sa femme pense que l'apparition dura une mi­nute environ, puis s'évanouit. La première idée fut d'arriver à se rendre compte si elle était réelle­ment éveillée. Elle frotta ses yeux avec son drap et sentit qu'elle le touchait réellement. Son petit neveu était dans son lit avec elle ; elle se pencha sur cet enfant qui dormait, et elle écouta sa respiration. Elle en entendit dis­tinctement le bruit et elle se rendit compte alors que ce qu'elle venait de voir n'était pas un rêve. Il est inutile d'ajouter qu'elle ne dormit plus cette nuit-là. Le matin suivant elle raconta tout ceci à sa mère. Elle fut telle­ment impressionnée par la réalité de cette apparition, qu'elle refusa, à partir de ce moment, toutes les invitation déclarant que, ne sachant pas si elle n'était point déjà veuve, elle ne fréquenterait aucun lieu d'amuse­ments jusqu'à ce qu'elle eût reçu des lettres de son mari d'une date posté­rieure au 14 novembre. Ce fut un mardi, dans le mois de décembre 1857, que le télégramme annonçant le triste sort du capitaine W... fut publié à Londres. Il disait que le capitaine avait été tué devant Lucknow, le 15 novembre... La suite est encore plus curieuse : un sollicitor de Londres, M. Wilkinson, qui était chargé des affaires du capitaine W., et était au courant des choses se trouvait, à quelque temps de là, dans un ménage ami, M. et Mme N. – Je reprends la citation : M. Wilkinson leur parla comme d'une chose étonnante de la vision qu'avait eue la veuve du capitaine, en ce qui concernait la mort de celui-ci et il décrivit l'apparition telle qu'elle s'était présentée à elle. Mme N., se tournant vers son mari dit immédiatement : « Cela a dû être la même personne que j'ai vue un certain soir lorsque nous parlions des Indes et que vous dessiniez, un éléphant avec un howdah (mot indien) sur son dos ». Mme N. a fait la description exacte de son apparition et de sa position : uniforme d'un officier anglais, les mains pressées sur la poitrine, son corps penché en avant comme s'il souffrait... M. et Mme N., qui étaient des spirites, obtinrent alors ce qu'ils appellent un message de cet étrange visi­teur. Il leur dit qu'il avait été tué dans l'après-midi par suite d'une bles­sure reçue dans la poitrine... Ceci arriva à 9 heures du soir et la date notée le même soir est celle du 14 novembre.

Par conséquent, l'apparition avait frappé deux personnes éloignées l'une de l'autre et ne se connaissant pas. Elle les avait frappées toutes deux la nuit du 14 au 15 novembre. – Cependant le certificat du ministère de la guerre indiquait le 15 novembre comme la date précise de la mort du capitaine W... M. Wilkinson s'informa et ne trouva rien qui pût faire croire à une erreur dans le certificat en effet : La mort du capitaine W. était mentionnée dans deux dépêches séparées de sir Colin Campbell, et dans les deux la date correspondait avec celle donnée par le télégramme. Les affaires en restèrent là jusqu'en mars 1858, époque à laquelle la famille du capitaine W. reçut du capitaine G. G., qui appartenait alors au train des équipages, une lettre datée d'un endroit près de Lucknow, du 19 décembre 1857. Cette lettre l'informait que le capitaine W. avait été tué à la tête de son escadron, devant Lucknow, non pas le 15 novembre, comme le disaient les dépêches de sir Colin Campbell, mais le 14 no­vembre dans l'après-midi. Le capitaine G. était à côté de lui quand il le vit tomber. Il fut atteint par un éclat d'obus, et, à partir de ce moment, il ne prononça plus une parole. Le Ministère de la guerre finit par corriger la date.

Le phénomène télépathique est en général inattendu. Souvent il frappe des personnes tout à fait éloignées, par goût et par occupations, du merveilleux et qui, rarement, sont influencées plus d'une fois dans leur vie. Il les frappe soit à l'état de veille, soit plutôt pendant le sommeil, qu'il interrompt.

En ce qui concerne le phénomène lui-même, il faut noter deux caractères importants :

a) La vision télépathique est en général très précise ; les détails relatifs à l'événement, aux circonstances ambiantes, à la victime ou à l'objet de la vision, sont tout à fait exacts.

b) La distance ni les obstacles matériels n'ont d'impor­tance appréciable sur les conditions du phénomène.

Un troisième caractère exceptionnel est le suivant : La vision peut affecter simultanément ou successivement plusieurs personnes – elle semble pouvoir affecter des animaux – parfois elle aurait laissé des traces physiques de son passage.

Enfin l'impression télépathique, n'affecte pas seulement la vue, lorsqu'il y a vision en apparence objective, mais parfois aussi les autres sens (ouïe, contact).

  1. Télépathie expérimentale :

Exemple de télépathie expérimentale[52], Récit de M. B  : « Un certain dimanche soir, au mois de novembre 1881, je venais de lire un livre où l'on parlait de la grande puissance que la volonté humaine peut exercer. Je résolus donc, avec toute la force de mon être, d'apparaître dans la chambre à coucher du devant, au second étage d'une maison située 22, Nogarth Road, Kensington. Dans cette chambre couchaient deux personnes de ma connaissance Miss L. S. V. et Miss C. E. V., âgées de vingt-cinq et de onze ans. Je demeurais à ce moment au 23, Kildare Square, à une distance de trois milles à peu près de Nogarth Road, et je n'avais parlé de l'expérience que j'allais tenter à aucune de ces deux personnes. Je voulais apparaître à 1 heure du matin, très décidé à manifester ma présence. Le jeudi sui­vant j'allai voir les dames en question et, au cours de notre conversation (et sans que j’eusse fait une allusion quelconque au sujet) ; l'aînée me raconta l'incident suivant : Dans la nuit du dimanche précédent, elle avait été très effrayée en m'apercevant debout près de son lit et, lorsque l'apparition s'avança vers elle, elle cria et éveilla sa petite sœur qui me vit aussi. Je lui demandai si elle était bien éveillée à ce moment, elle me l'affirma très nettement. Lorsque je lui demandai à quelle heure cela c'était passé, elle me répondit que c'était vers 1 heure du matin. C'était la première fois que je tentais une expérience de ce genre et son plein et entier succès me frappa beaucoup. Ce n'est pas seulement ma volonté que j’avais fortement tendue, j'avais aussi fait un effort d'une nature spéciale, qu'il m'est impossible de décrire. J'avais conscience d'une influence mystérieuse qui circulait dans mon corps, etc. »

A ce récit sont jointes les attestations des deux jeunes filles.

Les cas de télé­pathie expérimentale, rares et rarement précis, consistent dans une impression psychique produite à distance sur une personne, par une autre personne, et cela simplement par tension de la volonté. On pourrait parfois ainsi provoquer une véritable vision. Il faut reconnaître toutefois que la télépathie expéri­mentale est loin d'être établie aussi nettement que la télé­pathie spontanée.

Explication des actions de pensée à pensée

L'explication que l'on propose en général est la sui­vante : il y aurait transmission des vibrations d'un cer­veau à un autre cerveau. Dans les cas de télépathie, il y aurait, de plus, parfois, production d'une hallucination réflexe, dite véridique, parce qu'elle serait la projection exacte de la réalité perçue télépathiquement. Cette explication est évidemment rationnelle, mais elle est insuffisante. Elle n'explique pas tout.

Une première difficulté qu'elle soulève est relative au mode de transmission des vibrations cérébrales : Quel est l'intermédiaire physique transmetteur ? C'est l'éther ambiant, dira-t-on.

Soit, mais alors comment se peut-il que ni la distance, ni les obstacles matériels n'aient d'influence appréciable constante sur cette transmission de vibrations ? Comment la transmission peut-elle être parfois retar­dée de plusieurs semaines, comme dans certains cas télé­pathiques produits deux mois après la mort du cerveau d'où serait partie la communication ?

Enfin pourquoi cette communication d'un cerveau à un autre n'est-elle possible, sauf pour des phénomènes élé­mentaires et peu précis, que dans les états anormaux ; en général pendant le sommeil, la maladie ou état accidentel, etc., de l'un au moins des deux sujets, soit du récepteur, soit du transmetteur ?

Ce sont là des difficultés sérieuses, mais dont il est facile de venir à bout en complétant l'hypothèse. Il suffit pour tout comprendre, d'avoir recours à l'explication qui s'est déjà imposée à nous : celle de l'extério­risation. Dans les actions de pensée à pensée, il y a d'abord, et avant tout extériorisation de force, intelligence, sensibilité, au moins chez l'un ou chez l'autre des sujets, transmetteur ou récepteur.

C'est pour cela que l'un ou l'autre sera toujours dans un état rendant possible l'extériorisation (sommeil, léthargie, accident mortel, hypnose, auto-hypnose par tension de la volonté, etc.)­ La communication est dès lors possible, soit, si l'on veut, par transmission après extériorisation par l'intermé­diaire de l'éther, soit par projection et action directe à distance de la force extériorisée. Je tenterai plus loin l'essai d'une théorie complète de la télépathie ; je constate seulement ici l'importance explicative essentielle de l'hypothèse extériorisation.

Enfin, une dernière remarque, qui s'impose, est la sui­vante : l'influence de la pensée sur la pensée est rarement accessible à la volonté consciente. La télépathie lui échappe presque entièrement. La lecture de pensée, phénomène presque banal dans les états hypnotique et médiumnique, est tout à fait exceptionnelle dans la vie normale et, dans ce cas même, son mécanisme est subconscient (comme dans l'exemple que j'ai rapporté). Seule, la suggestion mentale est le produit de la volonté consciente du magnétiseur ; mais il est à remarquer qu'elle n'agit pas sur la personnalité normale du sujet, mais sur et par ses facultés hypnotiques.

Il faut conclure que, non seulement l'action de pensée à pensée nécessite le recours à l'hypothèse explicative exté­riorisation, mais aussi à l'hypothèse explicative subcon­science. La possibilité d'action de pensée à pensée est avant tout une propriété de la subconscience. Ce n'est qu'accessoirement et exceptionnellement qu'elle peut, dans certaines circonstances, être accessible à la conscience normale.

9° Le médiumnisme :

On sait qu'Aksakof propose de comprendre sous cette rubrique tous les phénomènes appelés ordinaire­ment spirites. Cette dénomination a l'avantage de réserver entière­ment l'explication des phénomènes. Je ne m'étendrai pas sur les recherches fort nombreuses et parfaitement concluantes faites sur ce sujet par des savants ou groupes de savants de tous les pays[53].

Je rappellerai seulement que ces phénomènes ne sont plus niés que par les per­sonnes qui ne connaissent la question ni théoriquement, ni expérimentalement ; qu'ils ont une réalité objective facilement démontrable et ne sont nullement explicables par la fraude, l'illusion ou l'hallucination ; qu'ils n'ont rien de surnaturel et peuvent être inter­prétés d'une manière tout à fait rationnelle et satisfai­sante. Le médiumnisme comprend des phénomènes physiques et des phénomènes intellectuels. Les phénomènes physiques sont les suivants : mouvements d'objets avec contact ou sans contact. Ecriture automatique du médium[54]. Langage automatique. Ecriture directe sans opérateur visible. Sensations objectives de contacts de la part des assistants. Visions de lueurs et de formes organiques matériali­sées et pouvant laisser des traces physiques (empreintes, photographies). Phénomènes de désorganisation sur la matière. Dématérialisations, apports. Je ne reviens pas sur la description de ces phénomènes, faite en grande partie dans les chapitres précédents. Je m'étendrai seulement sur les phénomènes intellectuels :

Phénomènes intellectuels du médiumnisme. Personnalités médiumniques : On sait que les phénomènes physiques du médiumnisme sont dirigés par une intelligence différente, en apparence, de celle du médium. On peut se mettre en communication avec cette intel­ligence directrice, soit par des signaux de convention (mouvements d'objets, coups frappés), soit par l'écriture ou le langage automatique du sujet, soit, plus rarement, par l'écriture ou le langage directs[55].

Les manifestations intellectuelles que l'on obtient par ces divers procédés sont très variables comme importance et comme valeur. Elles sont parfois élémentaires, peu précises, incohé­rentes. Les communications sont faites d'éléments disparates, rappelant ceux des rêves ordinaires ; ou bien de notions suggérées volontairement ou non par les assistants, ou de connaissances venues, du médium lui-même, bien que sou­vent inattendues et sortant de son champ d'activité psy­chique habituelle. En plus ou en moins, ce sont de manifestations de ce genre qu'on obtient, le plus souvent, par l'intermédiaire des mouvements de la table avec contact. On sait d'ail­leurs le rôle possible, dans ces cas, des mouvements incon­scients des assistants. Au contraire, les manifestations psychiques importantes révèlent de véritables personnalités médiumniques qu'il importe d'étudier avec soin, quelle que soit l'idée que l'on se fasse de l'origine de ces personnalités.

Les principaux caractères des personnalités médiumni­ques sont les suivants :

Autonomie et indépendance apparente ;

Différence très nette d'avec la personnalité normale du médium comme facultés et comme connaissances ;

Prétention presque constante de ces personnalités d'être les « esprits » des morts.

Prenons successivement ces trois points.

1° Autonomie et independance apparentes :

Les personnalités médiumniques sont en apparence indépendantes du médium. En effet :

a) Elles sont absolument soustraites à la volonté et à la connaissance du sujet normal et ne se manifestent (sauf exception) que par l'obnubilation de cette volonté et de cette connaissance dans le sommeil médiumnique.

b) Elles ont un caractère très fixe et permanent. Leurs éléments psychiques constitutifs sont aussi perma­nents que ceux d'une personnalité vivante. Elles sont toujours identiques dans leurs diverses mani­festations, quel que soit le mode de communication. Dans quelques cas elles se manifestent identiques, avec des médiums différents et ne se connaissant pas.

c) Elles sont originales, comme je le montrerai plus loin, par leurs connaissances et leurs facultés. Elles le sont ensuite par ce fait qu'elles dirigent à leur gré la production des phénomènes physiques. Elles le sont encore par la durée totale de leurs manifestations. Il arrive en effet que ces personnalités, après avoir apparu spontanément un certain temps, disparaissent tout à coup à jamais. Dans ce cas, la durée de leur action est annoncée d'avance par elles-mêmes. Enfin des personnalités très différentes peuvent se manifester par le même médium. Donc, les personnalités médiumniques sont bien auto­nomes et indépendantes en apparence du médium.

2° Caractère général. Facultés et connaissances des personnalités médiumniques : Les personnalités médiumniques diffèrent de la personnalité normale du médium d'une manière le plus souvent très nette. Les traits communs qu'elles présentent avec elle sont, de peu d'importance, lorsqu'il y en a, et les dissemblances très accentuées. Les différences se constatent : Dans le caractère général, dans l'ensemble psychique ; Dans les facultés et capacités ; Dans les connaissances.

a) Différences dans le caractère général :

Exemples de différences dans le caractère général[56] : S. Moses, docteur en philosophie de l'Université d'Oxford, mort en 1892, doué de facultés médiumniques remarquables, raconte, dans son ouvrage Spirit teachings, la transformation de ses idées philosophiques sous l'influence des enseignements d'une personnalité dont il était le médium. « Le médium-auteur, dit Aksakof, est un homme d'une haute cul­ture intellectuelle : ses idées religieuses étaient bien arrêtées au moment où ses facultés médiumniques se firent jour, et son étonnement et sa con­sternation furent grands lorsqu'il découvrit que les choses écrites de sa propre main étaient diamétralement opposées à ses convictions les plus fermes »

L'ouvrage de S. Moses décrit longuement toutes les péripéties de la lutte intellectuelle qu'il soutint et ses discussions philosophiques avec la personnalité manifestante. Finalement, il fut convaincu, et ses idées religieuses et métaphysiques subirent une complète révolution.

Cas rapportés par M. Podmore[57] : « Un pasteur baptiste qui demeurait à Egahm, près d'Oxford, recevait par la main de ses enfants des communications écrites de sa femme. Ces messages contenaient beaucoup de choses consolantes pour lui, et présen­taient beaucoup de preuves d'identité. Soudain, sans motif plausible le caractère des communications changea, les textes bibliques et les paroles de sympathie et d'affection firent place à des jurons et à des blas­phèmes. »

Elles sont inférieures ou supérieures à la personnalité normale du médium. Leurs sentiments et leurs idées sont parfois contraires aux siennes. Les manifestations peuvent être hostiles au médium, ou contraires à sa volonté : les divers modes d'expression de la pensée, l'écriture sont différents de ceux du médium.

Exemples de manifestations hostiles au médium. Les cas sont assez fréquents. « Souvent, dit Aksakof, le médium est victime des tours les plus pendables : on lui enlève les objets dont il a besoin, on tire les draps de son lit, on lui jette de l'eau, on l'effraye par différents bruits. Aux séances obscures, ces manifestations prennent quel­quefois un caractère si violent, si agressif, si hostile, qu'il devient dange­reux de les continuer. »

Les observations typiques de manifestations hostiles au médium sont celles dites de maisons hantées. On trouvera, dans les Annales des sciences psychiques, 92 et 93, la très curieuse observation d'un château hanté, par M. G. Morice, docteur en droit. M. Myers rapporte le cas d'un excellent médium, Th. F. qui dut cesser ses expériences à la suite des persécutions dont il était l'objet : « A notre retour à la maison, ma femme et moi nous fûmes constam­ment ennuyés de diverses manières. Les frappements et les bruits ne cessaient pas. Les portes s'ouvraient plusieurs fois, même après avoir été soigneusement fermées à clef. Nos domestiques aussi se plaignaient d'être sujets aux mêmes ennuis. Des bruits de tambour et de cor se faisaient entendre tout près de nous la nuit. Une fois, étant couchés, la porte fermée, nous fûmes aspergés avec l'eau du bain. Divers petits objets appartenant à ma femme disparaissaient et étaient retrouvés ensuite en différents endroits, une fois par exemple dans un tiroir fermé, etc[58].... »

b) Différences dans les facultés et capacités : Je ne parle pas des facultés d'action motrice ou organisatrice sur la matière, ou d'action de pensée à pensée. J'ai déjà dit et répété que ces facultés n'appartenaient pas à la personnalité normale du médium. Je ne m'occuperai que des facultés et capacités intel­lectuelles de même essence que celles du sujet normal, mais de puissance et de nature différentes (mémoire, capacités d'opérations psychiques diverses, capacités artis­tiques, scientifiques, professionnelles, etc.) Par exemple, on observera la production médiumnique de dessins d'un caractère très artistique, le sujet n'ayant aucune notion de cet art, ou bien la production d’œuvres littéraires remarquables par un médium sans instruction et d'intelligence médiocre, le médium est parfois un enfant en bas âge ou un nourrisson !

Parmi les cas de ce genre que cite Aksakof[59], je note celui d'un médium américain, sans éducation, composant, en état de transe, une œuvre litté­raire remarquable : il s'agit d'un roman de Charles Dickens : Edwin Drood, resté inachevé par la mort de l'illustre auteur, et complété par un médium de quatorze ans. Apprenti mécanicien, ce jeune homme n'avait reçu qu'une instruction scolaire très élémentaire et ne s'était jamais intéressé à la littérature.

Il écrivit un jour automatiquement une communication signée Dickens dans laquelle il était dit que le soi-disant Dickens désirait terminer son roman par la main du médium ; qu’il le jugeait apte à lui servir d'intermédiaire, et qu'il avait longtemps auparavant cherché un médium possible, sans le trouver : Il priait le médium de consacrer à cette œuvre tout le temps dont il pourrait disposer. Les travaux, exécutés par le médium, en dehors de ses occupations professionnelles, qui lui prenaient dix heures chaque jour, produisirent, jusqu'en juillet 1873, douze cents feuillets de manuscrit, ce qui représente un volume in-octavo de 400 pages. Au commencement, le médium n'écrivait que trois fois par semaine, et pas plus de trois ou quatre pages chaque fois ; mais ensuite les séances devinrent biquotidiennes, et il écrivait finalement dix ou douze pages, parfois même vingt. Il n'écrivait pas de son écriture normale, et, comparaison faite, il y avait quelque ressemblance avec celle de Dickens. Quelques-unes des pages commencent par des signes sténographiques, dont le médium n'avait pas la moindre connaissance. L'écriture est parfois si rapide qu'on a peine à la déchiffrer. La façon de procéder aux séances est fort simple : on prépare deux crayons bien taillés et une grande quantité de papier coupé en demi–feuillets. Le « secrétaire » de Dickens place le papier et les crayons à sa portée, pose ses mains sur la table, la paume en dedans, et attend. Après être resté à la table le temps voulu, suivant les circonstances, M. A... perd connaissance graduellement, et c'est dans cet état qu'il écrit durant une demi-heure ou une heure.

Voici maintenant, toujours d'après Aksakof, la critique de cette œuvre médiumnique : « Nous nous trouvons ici en présence de tout un groupe de personnages dont chacun a ses traits caractéristiques, et les rôles de tous ces person­nages doivent être soutenus jusqu'à la fin, ce qui constitue un travail con­sidérable pour qui de sa vie n'a écrit trois pages sur n'importe quel sujet ; aussi sommes-nous surpris de constater dès le premier chapitre une res­semblance complète avec la partie éditée de ce roman. Le récit est repris à l'endroit précis où la mort de l'auteur l'avait laissé interrompu, et ce, avec une concordance si parfaite, que le critique le plus exercé, qui n'aurait pas connaissance de l'endroit de l'interruption, ne pourrait dire à quel moment Dickens a cessé d'écrire de sa propre main. Chacun des person­nages du livre continue à être aussi vivant, aussi typique, aussi bien tenu dans la seconde partie que dans la première. Ce n'est pas tout. On nous présente de nouveaux personnages, Dickens avait coutume d'introduire de nouveaux acteurs jusque dans les dernières scènes de ses rouvres qui ne sont pas du tout des doublures des héros de la première partie ; ce ne sont pas des mannequins, mais des caractères pris sur le vif, de véritables créa­tions. Créés par qui ?

Voici plusieurs détails d'un incontestable intérêt. En examinant le ma­nuscrit, je trouvai que le mot traveller (voyageur) était écrit partout avec deux 1, comme c'est l'usage en Angleterre, alors que chez nous, en Amé­rique, on ne met généralement qu'une seule l. Le mot cool (charbon) est partout écrit coals, avec une s, ainsi qu'on le fait en Angleterre. Il est intéressant aussi de noter dans l'emploi des ma­juscules les mêmes particularités que l’on peut observer dans les manuscrits de Dickens. Remarquable aussi la connaissance topogra phique de Londres. Il y a aussi beaucoup de tournures de langage usitées en Angle­terre, mais inconnues en Amérique. Je mentionnerai aussi le change­ment subit du temps passé en temps présent, surtout dans un récit anime, transition très fréquente chez Dickens, surtout dans ses derniers ouvra­ges... »

c) Différence dans les connaissances : Enfin les personnalités médiumniques font preuve de connaissances tout à fait ignorées du médium. Tantôt il s'agit de connaissances simples d'un fait ou événement dont le médium n'a pu certainement être ins­truit par les voies sensorielles habituelles. Tantôt il s'agit de connaissances complexes, connais­sances scientifiques, professionnelles, etc., ou connais­sance précise d'une langue que le médium n'a pas apprise et qu'il est incapable de parler ni de comprendre dans son état normal.

Je citerai comme exemple le cas de médiums comprenant et parlant les langues qui leur sont inconnues. Lorsque la manifestation est très nette, elle ne laisse pas de place aux soupçons de fraude si l'on sait bien à quoi s'en tenir sur l'éducation reçue par le médium. Les cas semblables abon­dent.

J'emprunte quelques citations a l'ouvrage d'Aksakof[60] : « Pendant quelque temps (rapporte M. John Young), ma femme se trouva sous l'influence d’esprits » allemands ; elle parla et chanta en allemand plusieurs soirées consécutives. Personne de notre cercle ne comprenait cette langue. Désireux de m'assurer du fait, j'invitai un docteur allemand, M. Euler, à venir me voir et me donner son avis. Il vint deux fois et s'entretint avec le médium, en allemand, pendant plus d'une heure à chaque visite. Grand était son étonnement, mais encore plus grande sa joie de pouvoir parler sa langue maternelle. Outre l'allemand, ma femme a parlé l'italien, langue qui lui est également inconnue. »

Le juge Edmonds rapporte le cas de sa fille, qui, ne connaissant que l'anglais et le français, parlait en état de transe les langues indienne, espagnole, polonaise, grecque et italienne. Un jour, dit-il, sa fille soutint une longue conversation avec un Grec, dans la langue de ce dernier : « Par moment, l'émotion de M. Evangelidès (le Grec) était si vive qu'elle attirait l'attention des assistants ; nous lui en demandâmes la raison, mais il esqui­vait la réponse. Ce n'est qu'a la fin de la séance qu'il nous dit que jusqu'alors il n'avait jamais été témoin de manifestations spirites, et qu'au cours de l'entretien il s'était livré à diverses expériences pour apprécier la nature de ce genre de phénomènes. Ces expériences consistaient à aborder divers sujets que ma fille ne pouvait certainement pas connaître et à changer très souvent de thème en passant brusquement de questions d'ordre privé à des questions politiques, philosophiques ou physiologiques, etc. En réponse à nos interrogations, il nous affirma que le médium comprenait la langue grecque et la parlait correctement[61]. »

Aksakof, cite un exemple fort remarquable de connaissances non apprises ; celui d'une enfant : « qui exécute un morceau sans avoir jamais appris la musique, comme en témoigne M. N. Tallmage, ancien sénateur et gouverneur de Wisconsin, père du médium... » Voici le récit de ce dernier : « Au mois de juin 1853, à mon retour de New-York, où j'avais observé diverses manifestations spiritiques, j'allai chez un médium-écrivain qui demeurait dans mon voisinage et reçus un message dans lequel on me conseillait d'organiser un cercle intime dans ma maison, en me prédisant qu'un médium se formerait qui dépasserait toutes mes prévisions. J'exprimai le désir de connaître le nom de ce médium, et reçus pour réponse que ce serait ma fille. « Laquelle, demandai-je, car j'en ai quatre ? « Emilie » me fut-il répondu. Ou m'enjoignit ensuite de placer ma fille Emilie au piano quand les séances seraient organisées... Emilie était ma fille cadette, âgée de treize ans. Je ferai observer qu'elle ne connaissait pas la musique et n'avait de sa vie joué un air quelconque... Je parvins bientôt à organiser un petit cercle intime. Je présentai à Emilie une feuille de papier et un crayon. Sa main se mit à tracer des lignes droites qui formèrent une portée. Ensuite elle y mit des notes et ajouta les signes. Ceci fait, elle laissa tomber le crayon et commença à taper sur la table comme sur les touches d'un clavier. Je me souvins alors que je devais l'asseoir devant un piano ; après un moment d'hésitation, elle se rendit à mon invitation et se mit au piano avec l'assurance d'un artiste accompli. Elle attaqua résolument le clavier et exécuta la Grande valse de Beethoven dans un style qui aurait fait honneur à un bon musicien. Ensuite, elle joua plusieurs airs connus... Elle exécuta encore un air inconnu, chantant en même temps les paroles improvisées qui s'y rapportaient[62]. »

3° Le troisième caractère important des personnalités médiumniques est leur prétention d’être les esprits des morts : elles appuient cette prétention sur un certain nombre de preuves, plus ou moins complètes, dont les principales sont : La ressemblance, en cas de matérialisation, dans l'en­semble ou dans les détails, avec le défunt tel qu'il était dans les derniers temps de sa vie.

Je cite quelques exemples parmi les plus troublants qu'a réunis Aksakof : cas d'Estelle[63] : « Je crois, dit Aksakof, qu'il serait impossible de trouver un cas plus concluant, plus parfait comme preuve d'identité de l'apparition d'une forme matérialisée, que celui que nous présente l'apparition d'Estelle, décédée en 1800, à son mari M. L. Livermore. Ce cas réunit toutes les conditions nécessaires pour devenir classique ; il répond à toutes les exigences de la critique. » Estelle put se matérialiser dans une ressemblance parfaite avec sa per­sonne corporelle ancienne. Comme elle ne pouvait parler que difficilement dans cet état, elle écrivait ce qu'elle avait à dire sous les yeux même de M. Livermore qui conserva une centaine de cartes remplies de cette écri­ture. « L'écriture de ces communications est un parfait fac-similé de l'écriture d'Estelle de son vivant. Le contenu, le style, les expressions, tout, dans ces communications, témoignait de l'identité de la personnalité qui se manifestait ; et, outre ces preuves intellectuelles, plusieurs de ces communications furent écrites en français, langue qu'Estelle possédait à la perfection et que le médium ignorait complètement. » Les manifestations d'Estelle durèrent cinq ans, puis cessèrent comme elle-même l'avait annoncé d'avance.

La mémoire de sa caractéristique (langue, connais­sances, facultés, style, écriture, caractère général, idées, faits personnels, etc.). Les caractères sont parfois énumérés en l'absence de toute personne ayant connu le défunt. Les détails, après enquête, sont souvent reconnus exacts. Ainsi dans le cas suivant[64] : Dans une séance spirite, à l'île de White (Angleterre), se manifesta un personnage qui déclara s'appeler Abraham Florentine, avoir pris part à la guerre de 1812, en Amérique, et être mort à Brooklyn (Etats-Unis d'Amérique), le 5 août, âgé de quatre-vingt trois ans, un mois dix-sept jours.

Le personnage était totalement inconnu des assistants qui décrivent ainsi le phénomène : « Nous étions trois à une table si lourde que deux personnes avaient peine à la déplacer... L'impatience de l'inter­locuteur invisible était si grande que la table se penchait même avant que le tour de la lettre suivante fût arrivé ; elle tremblait comme dans une agitation extrême et s'abattait avec violence à la lettre voulue... » On écrivit en Amérique et voici les renseignements qui furent donnés : Le nom d'Abraham Florentine figure dans le livre d'adresses de Brooklyn. Un intermédiaire se rendit à l'adresse indiquée et fut reçu par une vieille femme. Je demandai si Abraham Florentine demeurait dans cette maison. Elle me répondit :

- Il a demeuré ici, mais il est mort .

- Ne seriez-vous pas sa veuve ?

- Parfaitement.

- Pouvez-vous me dire l'époque de sa mort ?

- Au mois d'août dernier.

- A quelle date ?

- Le 5.

- Quel âge avait-il ?

- Quatre-vingt-trois ans.

- Passés ?

- Oui, il a eu quatre-vingt-trois ans le 8 juin.

- A-t-il pris part à la guerre ?

- Oui, à la guerre de 1812.

- Avait-il le caractère vif, indépendant, ou autrement ?

- Il était assez violent et volontaire, etc.

Questions et réponses avaient été écrites séance tenante. La veuve Flo­rentine ne sut qu'après pourquoi on l'interrogeait).

Dans des cas plus rares, la personnalité communicante se donne comme étant l'esprit d'un vivant endormi en léthargie, malade, etc., et en fournit des preuves analo­gues aux précédentes.

Observation de M. Damiani[65] : « Il y a de cela environ six semaines, notre ami commun, le Dr. Nehrer, qui vit en Hongrie, son pays natal, se communiqua à nous par la bouche de notre médium, la baronne. La personnification ne pouvait être plus complète : ses gestes, sa voix, sa prononciation, le médium nous les trans­mettait, avec une fidélité absolue... Il nous dit qu'en ce moment il faisait un somme, se reposant des fatigues de la journée, et nous fit part de divers détails d'ordre privé, et que tous les assistants ignoraient complètement. Le lendemain j'écrivis au docteur... dans sa réponse il constata que les détails communiqués par son esprit étaient exacts en tous points. »

Autre observation[66] « Dans un cercle spirite, à Cleveland, chez M. Cutler, un médium fémi­nin se mit à parler allemand, bien que cette langue lui fut complètement inconnue. L'individualité qui se manifestait par elle se donnait pour la mère de miss Marie Brant, une jeune personne allemande qui se trouvait présente. Miss Brant affirmait que sa mère, autant qu'elle les avait, était en vie et bien portante. Quelque temps après, un ami de la famille, venant d'Allemagne, apporta la nouvelle que la mère de miss Brant, après avoir traversé une maladie sérieuse, à la suite de laquelle elle était tombée dans un long sommeil léthargique, déclara à son réveil avoir vu sa fille, qui se trou­vait en Amérique. Elle dit qu'elle l'avait aperçue dans une chambre spa­cieuse, en compagnie de plusieurs personnes et qu'elle lui avait parlé.»

Explication du médiumnisme : peut-on expliquer tous les phénomènes médiumniques (l'hypothèse spirite étant provisoirement réservée), par les seules notions déjà connues sur l'extériorisation et sur la subconscience ?

Il semble bien que cela soit possible à la rigueur, à con­dition de ne pas trop approfondir certains détails, sur lesquels je reviendrai ; à condition aussi d'accorder un développement considérable à ces phénomènes d'extériorisation et de subconscience. On peut expliquer tous les phénomènes physiques par l'extériorisation, à condition d'admettre l'extériorisation complexe de sensibilité, de force, de matière, et d'intelli­gence, et d'une faculté puissante d'organisation et de désor­ganisation sur la matière. On peut expliquer l'influence directrice des phénomènes et toutes les manifestations intellectuelles par la sub­conscience ; à condition d'admettre une subconscience individuelle fort complexe, très différente de la conscien-ce normale par ses facultés et ses connaissances, souvent beaucoup plus importantes et plus vastes, renfermant des personnalités multiples complètes ignorées de la person­nalité normale.

A condition enfin d'accorder à la subconscience des acuités de lecture de pensée et de clairvoyance assez étendues pour lui permettre de connaître tout ce qui con­cerne les prétendus esprits dont elle simule les manifesta­tions.

Il est clair que, si l'on accorde un pareil développement aux phénomènes d'extériorisation et un pareil pouvoir à la subconscience, on peut tout expliquer sans avoir besoin d'admettre l’intervention des « esprits ». Seulement, même ces conditions admises, il ne faut pas trop approfondir. Une objection, par exemple, qui s'offre immédiatement est la suivante :

Il est nécessaire d'admettre une erreur volontaire ou involontaire presque constante de la subconscience, relativement à l'origine des phénomènes ; puisqu'elle attribue aux esprits des morts ce qui vient d'elle en réalité. Passons cependant sur de semblables difficultés, et admettons provisoirement l'interprétation exclusive du médiumnisme par l'extériorisation et par la subcon­science.

Nous n'en serons que plus inévitablement amenés à des déductions essentielles qui permettront de tout comprendre.

10° Résumé général des constatations nouvelles en psychologie normale et anormale :

Comme dernier exemple de psychologie anormale, j'emprunte aux Annales des sciences psychiques l'observation d'un cas très complexe, réunissant en un seul sujet tous les phénomènes que j'ai passés eu revue, je souligne quelques passages particulièrement importants. Extraits des rapports lus au Congrès des sciences psychiques de l'Ex­position universelle colombienne sur le cas de miss Mary J. Fancher[67].

Les rapports sont lus à M. Dailey au professeur Charles E. West, directeur du Brooklyn Heights Seminary, où miss Fancher entra à onze ans ; au professeur Henry M. Parkhurst, astronome ; à J. Gordon Bennett, directeur du New-York-Herald.

Le médecin qui a soigné particulièrement la jeune malade est le Dr S. Fleert Speir. Nous donnerons les principaux passages de son rap­port ainsi que des extraits de celui de l'ophtalmologiste S. W. Wrigt M. D. de l'Université royale. Commençons par la lettre du professeur West, écrite en 1878, qui résume la vie de miss F. jusqu'au jour où elle entra dans son état extraor­dinaire :

« Miss Mary J. Fancher est née à Attbeborough, Mass, le 16 août 1848, et a été élevée sous ma direction au séminaire de Brooklyn Heights. C'était alors une petite fille à organisation délicate, à tempérament nerveux, grandement estimée pour ses manières charmantes et la douceur de son caractère. Excellente élève, surtout eu littérature. Mais, à cause de sa santé, elle quitta l'école peu de temps avant les examens de sa classe, en 1864, et je la perdis de vue pendant trois ans. J'appris plus tard que :

Le 10 mai 1864, elle fait une chute de cheval et est grièvement blessée.

Le 8 juin 1865, en descendant de voiture, sa jupe reste accrochée et elle est traînée sur le pavé.

Le 2 février 1866, elle devient sérieusement malade. Dérangement complet du système nerveux. La tête rejoignant les pieds, le corps prend la forme d'un cerceau...

Le 8 février, elle entre en transe et a toutes les apparences de la mort.

Le 17 février, elle perd la vue.

Le 18 février, elle perd la parole.

Le 19, l'ouïe.

Le 22, elle voit, parle et entend pendant une demi-heure et perd de nouveau ces facultés.

Le 24, ses doigts se ferment.

Le 25, c'est le tour des mâchoires.

Le 26, les jambes prennent une triple contorsion.

Le 7 mars, les spasmes sont violents.

Le 20 mai, elle demande de la nourriture, mange un petit morceau de biscuit et prend une cuillerée de punch. C'était la première fois qu'elle prenait quelque chose depuis sept semaines et que son estomac pouvait le garder.

Le 27 mai, elle est secouée par un coup de tonnerre et perd de nou­veau la parole.

Le 28 mai, elle entre, à 2 h. 30, dans un état de rigidité cadavérique qui dure jusqu'à 11 h. 30 le lendemain, puis en transe sans raideur jus­qu'au 1er juin.

Le 2 juin, on peut faire entrer de force de la nourriture dans l'esto­mac, avec une pompe, ce qui fait entrer la malade en convulsions... Puis sa gorge se contracte et elle est incapable de prendre aucune nourriture et de proférer un seul son.

Ma première visite date du 4 mars 1567. Je la trouve couchée sur le côté droit avec le bras droit replié au-dessus de la tête, Les doigts sont crispés sur la paume de la main. Elle est en transe, soupire et semble souffrir. Les accès durent souvent de dix à douze jours.

La même position sur le côté droit a été gardée pendant douze ans. Pendant neuf ans elle a été paralysée, les muscles se relâchant seule­ment sous l'influence du chloroforme. Puis au bout de ces neuf années... les muscles se relâchent... Les yeux qui avaient été fermés neuf ans s'ouvrent et semblent regarder, et ne se ferment plus même la nuit. Ils ne voient pas. Elle pourrait avaler mais ne prend aucune nourriture, l'odeur même d'un aliment lui fait mal. Durant ces douze années, il y a eu bien des périodes où l'apparence de la mort était complète. Impossible de découvrir le plus petit battement du pouls, aucune trace de respira­tion. »

Sur la question d'absence de nourriture pendant douze ans, nous devons nous en rapporter à ce que dit le Dr S. Fleet Speir. Il voulut s'as­surer de la réalité du fait et fit prendre à sa malade de l'émétique, à l'improviste. L'estomac ne rejeta rien d'autre que le médicament. Ce qui est grave, c'est que ce fut après cette expérience qu'elle tomba dans l'état cataleptique qui dura neuf ans, et quand elle sortit de cet état comme le Dr Speir entrait dans la chambre, elle s'écria : « Vous croyez que je ne savais pas pourquoi vous me donniez cette médecine, mais je le savais. Vous vouliez voir s'il y avait de la nourriture dans mon estomac, vous vîtes qu'il n'y avait rien. Cela m'a rendue bien malade. Vous ne voulez pas recommencer, n'est-ce pas ? »

Le docteur n'affirme pourtant pas qu'elle ne prit rien pendant neuf ans ; il n'a pas été là constamment il croit que la quantité totale de la nour­riture qu'on a pu faire entrer de force dans l'estomac, par les moyens artificiels, a été si petite qu'il est inconcevable qu'elle ait suffi pour entre­tenir sa vie. Je copie maintenant dans le rapport quelques passages ayant trait à la vision sans le secours des yeux. Nous avons dit qu'elle fut examinée par un ophtalmologiste, le Dr E. W. Wrigt, voici le résultat de l'examen.

« La rétine n'offre aucun signe d'atrophie. La choroïde également paraît normale. Mais il n'en est pas de même du nerf optique qui est gris au lieu d'être blanc. La cornée, l'humeur aqueuse, le cristallin, l'humeur vitrée sont clairs et laissent passage à la lumière. Mais l'aspect du nerf optique fait croire à une atrophie primaire ou grise. Nous croyons qu'il a perdu la faculté de transmettre au cerveau les excitations venues de l’œil et qu'il doit être atteint de névrite rétro-bulbaire ou d'atrophie. De l'examen ophtalmoscopique nous concluons qu'il ne peut y avoir de vision. Cependant elle voyait, et même d'une façon très distincte. J'étais là, dit le professeur West, pendant qu'elle faisait ces étonnants ouvrages qui ont donné lieu à tant de commentaires, ces ouvrages de fantaisie avec des couleurs variées...

Quelquefois je lui ai apporté la photographie d'une personne qu'elle connaissait avant son accident. Elle la voyait toujours et la reconnaissait. Quant aux livres, aux journaux, souvent elle semblait les lire par le sens du toucher en passant son doigt très rapidement sur les lignes impri­mées.

J'amenai une fois avec moi un homme de haute taille avec une grande barbe noire. « Que pensez-vous, lui dis-je, de ce petit homme avec son menton rasé et étroit ? et sans se retourner, elle répondit : « Il est très grand et à toute sa barbe, je le vois bien... Dans une poche intérieure de mon habit, j'avais au moins une vingtaine d'écheveaux de laine de différentes couleurs. En prenant un seul à la fois dans ma main fermée et restée cachée dans ma poche, je demandai à miss F... le nom de la couleur. Elle me le disait exactement... j’ignorais la couleur, je ne regardais que lorsqu'elle avait parlé... »

Si nous jetons un regard d'ensemble sur l'étude que nous venons de faire, nous constaterons que nous avons été conduits à admettre deux hypothèses nouvelles en psy­chologie : L'hypothèse de l'extériorisation ; L'hypothèse de la subsconscience.

La première est imposée par les phénomènes d'actions à distance et d'actions de pensée à pensée. La deuxième est imposée par la constatation en nous de facultés et de connaissances indépendantes de la conscience normale. Les deux hypothèses sont basées non seulement sur l'observation, mais aussi prouvées expérimentalement. Elles remplissent d'autre part toutes les conditions imposées par la méthode scientifique : elles sont indispensables ; naturellement et logiquement déduites des faits et ne sont en contradiction avec aucune constatation posi­tive.

Maintenant des exemples de vision à distance et à travers les obsta­cles :

Comme exemple du pouvoir de double vue, voici ce que raconte encore le professeur West : « Elle voit chez eux, à distance, avec leurs mises, dans leurs occupations, ses parents, ses connaissances séparées pourtant par de grandes distances... Elle voit et dit où l'on trouvera un objet perdu... »

Le Dr Speir se rappelle qu'une fois comme il se trouvait auprès de la malade avec le Dr Ormiston et miss Crosby, le facteur apporta une lettre à celle-ci. Le docteur la prit, elle était cachetée, et miss Fancher étant en ce moment incapable de parler, prit une ardoise et un crayon et écrivit le contenu de la lettre qui, ayant été ouverte, fut trouvée exacte­ment conforme. Elle savait quand le docteur était dans le voisinage, quand il s'arrêtait sur le palier, laissant entrer d'autres personnes, et une fois elle annonça son arrivée alors qu'il venait de sortir de chez lui, à un mille de distance...

Exemple de lucidité de l'avenir :

Une autre fois elle prévint le docteur qu'il serait probablement volé... le lendemain même la prédiction se vérifiait...

Exemple de personnalités multiples :

Le cas de miss F... est un cas de sextuple conscience. Six person­nalités bien différentes se succèdent. Chacune a reçu de miss F... elle-même un nom spécial... « On m'a dit, expliquait-elle elle-même au juge Dailey, qu'il y a cinq autres Mollie Fancher qui prétendent être, chacune seule, la véritable Mollie Fancher. Quelles elles sont, ce qu'elles sont ? je ne puis le dire, ni l'expliquer ».

Exemples de facultés médiumniques :

Ecriture automatique. Sans avoir étudié la botanique ni pris des leçons de modelage, elle ne se trompe jamais sur les formes des feuilles ou des fleurs... elle écrit de la main gauche, au crayon ou à la plume, avec une extraordinaire rapidité... Elle a écrit une fois un poème de dix vers, en autant de minutes. Voici ce qu'elle raconte elle-même :

« J'entre en transe et dans des états spasmodiques, quelquefois pendant le jour, la plupart du temps entre 10 et 11 heures du soir, et, quand j'en sors, je suis inconsciente de ce qui s'est passé ; mais quelquefois je me rappelle distinctement où j'ai été, quelles personnes, quelles choses j'ai vues et observées, j'arrive toujours à être convaincue que, chose inexplicable, j'étais absente de mon corps et me trouvais avec elles, ou que j'étais capable de faire mes observations sans que la vue de mon esprit fût obstruée par les objets matériels, ni influencée par la distance. J'ai toujours refusé de servir de médium, c'est-à-dire d'intermédiaire pour des communications avec les esprits. Mais je dois avouer qu'il m'a souvent semblé être loin de ce monde, avec des amis, dans des lieux tout à fait célestes. La conscience que j'ai de ces souvenirs me semble aussi réelle que l'expérience de ma vie sur cette terre. Je vois souvent ma mère, ou du moins je crois la voir, et, dans mes sombres jours de tris­tesse et de souffrance, j'entends sa tendre voix me prodiguer les encouragements, me supplier d'être brave et forte... Quelquefois j'ai vu autour de moi et autour de mes amis les formes de ceux que l'on dit être morts... »

Avant de terminer ajoutons qu'il n'y a qu'une voix sur l'élévation du caractère de cette martyre, ses hautes qualités morales de courage, de bonne humeur, malgré la souffrance. Quant à son physique, voici dans quels termes enthousiastes en parle James Gordon Bennett. « Elle est, je peux le dire, une des plus belles jeunes filles que j'aie vues. Même main­tenant, en dépit de ses longues années de souffrance, sa beauté est frap­pante... »

Suivant le juge Dailey, la maigreur du corps, au bout de neuf ans, était arrivée cependant à un point extrême. Ce n'était plus qu'une ombre. Ou pouvait sentir distinctement les os de l'épine dorsale, en pressant la main sur l'abdomen.

Dans cette observation se trouve condensée toute la psychologie anor­male : Hystérie ; manifestations d'extériorisation et de facultés subcon­scientielles ; extériorisation sensorielle du sens unique permettant la vision sans le secours des yeux et la vision à distance, à travers les obstacles matériels, ou lucidité ; manifestations de personnalités multiples ; puis­sance organisatrice sur la matière permettant la subsistance de l'orga­nisme sans alimentation ; diverses manifestations hypnotiques (léthargies) enfin manifestations médiumniques.

Tout, dans ce cas, peut s'expliquer par l'extériorisation et par la sub­conscience douée de ses facultés d'action à distance d'action organisatrice, et pourvue de connaissances et facultés ignorées de la conscience normale.

Les deux hypothèses doivent donc être admises. Nous nous demanderons maintenant si nous ne devons pas et si nous ne pouvons pas aller au delà. La réponse n'est pas douteuse : l'extériorisation ni la subconscience n'ont en elles-mêmes leur explication suffisante ; elles ne sont guère que la constatation de faits généraux auxquels il est possible de ramener tous les faits particuliers. Les deux hypothèses sont surtout importantes parce qu'elles rendent possibles, préparent et imposent toute une série de nouvelles recherches et de déductions essen­tielles. Comprendre l'essence intime de l'extériorisation et de la subconscience ; faire ressortir les conclusions philoso­phiques qui en résultent, telle est la tâche à laquelle on ne peut se dérober et que je vais tenter d'accomplir.

Voici le plan que je me propose de suivre : 1° Étudier les rapports qui peuvent unir les deux hypo­thèses nouvelles ; 2° Chercher l'explication intime de l'extériorisation et de la subconscience. En déduire une théorie rationnelle ; 3° Puis reprendre, dans une synthèse générale, tous les faits dont j'ai parlé, de psychologie normale et de psychologie anormale, pour en tenter une interprétation complète d'après les données nouvelles.

CHAPITRE III

INTERPRÉTATION DES HYPOTHÈSES NOUVELLES EXTÉRIORISATION. SUBCONSCIENCE

Rapports de l'extériorisation et de la subconscience. – Ce sont deux aspects d'une seule manifestation. – Hypothèse de, l'être subconscient extériorisable. – Caractères connus de l'être subconscient extériorisable. –Caractères organiques. – Facultés. – Connaissances. - Origine de l'être subconscient extériorisable. – L'être subconscient extériorisable est-il produit du fonctionnement cérébral ? – Examen rigoureux de cette dernière hypothèse par la méthode scientifique. – Cette hypo­thèse doit être rejetée comme irrationnelle, insuffisante, contradictoire avec certains faits. - Recherche de l'origine de l'être subconscient extériorisable par l'analyse de ses connaissances. – I'être subconscient est le produit synthétique d'une série de consciences successives qui se sont fondues en lui. – Con­science et subconscience leur rôle et leur rapport réciproque. – La subconscience est l'individualité permanente. La conscience est la person­nalité transitoire.

1° Des rapports de l'hypothèse « extériorisation » et de l'hypothèse « subconscience » :

Les rapports entre le phénomène général « extériorisation » et le phénomène général et « subconscience » sont évidents.

Je rappelle, pour mieux faire saisir ces rapports, les principales constatations relatives à l'un et à l'autre.

1 ° Exteriorisation : une portion de la force, de l'intelligence (dans son sens le plus vaste) et de la matière peut être extériorisée de l'organisme, agir, percevoir, organiser, penser, en dehors des muscles, des organes des sens et du cerveau. Cette extériorisation n'est possible, en majeure partie, que pendant et par le sommeil hypnotique, somnambuli­que, médiumnique (peut-être aussi pendant le sommeil naturel). La portion de force-intelligence extériorisable échappe, en majeure partie, à la volonté et à la connaissance nor­males, et subit la direction de la subconscience.

2° Subconscience : Il est en nous un ensemble de facultés et de connaissances dites subconscientes, parce qu'elles échappent, en majeure partie, à la volonté et à la conscience normales. La subconscience est appréciable, en majeure partie, pendant et par le sommeil hypnotique, somnambulique, médiumnique et naturel. Elle est surtout appréciable pendant et par les phéno­mènes d'extériorisation qu'elle dirige. Les rapports, on le voit, sont constants, de l'extériorisation à la subconscience.

Même origine : les sommeils divers.

Même mode de manifestation.

Même indépendance de la volonté consciente.

Dépendance étroite, réciproque : ni l'extériorisation, ni la subconscience ne se manifestant isolément et autre­ment que l'une par l'autre.

La conclusion s'impose :

L'extériorisation et la subconscience sont deux aspects, inséparables, de la même manifestation psychique. Par conséquent, nos deux hypothèses se ramènent logiquement à une hypothèse unique, que l'on petit exposer ainsi :

Une portion de la force, de l'intelligence et de la matière peut être extériorisée de l'organisme, agir, percevoir, organiser et penser en dehors des muscles, des organes des sens et du cerveau. Elle n'est autre que la portion subconsciente de l'Etre. Elle constitue véritablement un Etre subconscient extériorisable coexistant dans le moi avec l'Etre conscient normal.

Interprétation de la subconscience extério­risable : nous pouvons rechercher maintenant quelle est l'origine, la nature intime, le rôle de l'Être subconscient extériorisable ; en un mot, des constatations positives dont nous ne sommes pas encore sortis, tirer toutes les déductions compatibles avec la méthode scientifique. Je résume tout d'abord ces constatations positives :

L'être subconscient extériorisable présente essen­tiellement à l'observation :

Des caractères organiques ;

Des facultés ;

Des connaissances.

Principaux caractères connus de l'Etre subconscient extériorisable :

a) Caractères organiques : Substratum de substance fluidique servant de véhicule à la force, la sensibilité et l'intelligence subcons­cientes. Cette substance fluidique est homogène, inaccessible aux sens normaux, impondérable, capable de traverser les obstacles matériels, susceptible d'être projetée partielle­ment fort loin du sujet. Elle est visible pour les sensitifs en état d'hypnose, qui la décrivent, en général, mi-partie bleue, mi-partie rouge. Elle est accessible aux investigations du magnétiseur par la recherche méthodique de la sensibilité extériorisée.

Cette sensibilité semble répandue sur toute sa surface, et condense en un sens unique les sens divers du sujet. La substance fluidique peut être modelée dans des for­mes diverses, sous l'influence de la volonté subconsciente. Dans son extériorisation, elle entraîne parfois avec elle des molécules organiques ; elle peut alors intéresser la vue et les autres sens d'une personne quelconque. Les molécules ainsi entraînées sont modelables, comme la substance fluidique elle-même, par l'intelligence subconsciente. Enfin, dans l'état normal, la substance fluidique exté­riorisable rayonne plus ou moins loin de la périphérie de l'organisme, mais elle ne s'extériorise notablement que dans les sommeils hypno-médiumniques.

b) Facultes de l’être subconscient : L'Être sub­conscient a deux catégories de facultés : La première catégorie comprend les facultés et capacités psychiques analogues, comme essence, aux facultés con­scientes, et n'en différant que par leur degré de puissance et par leur soumission à une volonté qui n'est pas la volonté du sujet normal. La deuxième catégorie comprend les facultés dites transcendantes :

Facultés d'action à distance (sensibilité, vision, motri­cité).

Facultés d'action de pensée à pensée.

Facultés organisatrices et désorganisatrices sur la matière.

Enfin lucidité qui n'est qu'une capacité d'action senso­rielle échappant en partie aux conditions de l'espace et du temps.

c) Connaissances de l’être subconscient : Les con­naissances doivent être divisées en deux groupes :

Connaissances acquises par les voies sensorielles normales ;

Connaissances ne venant pas des voies sensorielles normales.

Le premier groupe doit être subdivisé, il comprend :

a) Les connaissances qui ont été acquises sciemment et oubliées et passées dans la subconscience. (On sait que les acquisitions même les plus insignifiantes, oubliées depuis longtemps, peuvent être retrouvées sous des influences émotives ou anormales).

b) Les connaissances acquises par les voies sensorielles normales, mais à l'insu de l'être conscient. (Tout ce qui a pu frapper nos sens se peut retrouver dans la subcon­science.)

2° Le deuxième groupe comprend toutes les connais­sances qui n'ont pu être acquises par les voies sensorielles normales : ainsi, la notion nette d'événements éloignés, passés ou futurs, que l'être conscient n'a pu apprendre ni directe­ment ni indirectement. Ainsi, surtout les acquisitions psychiques complexes, ignorées de l'être conscient et qui ne peuvent lui être dues : Connaissances scientifiques, artistiques, littéraires, professionnelles, etc.., non apprises. Connaissance précise d'une langue ignorée du sujet normal, etc.. Maintenant que nous connaissons suffisamment l'Être subconscient extériorisable, nous pouvons tenter d'en chercher l'essence intime et l'origine.

2°Origine de l'Être subconscient extériorisable :

Pour mener à bien une pareille recherche, il est indis­pensable de faire abstraction de l'immense intérêt qu'elle présente, de laisser momentanément de côté toute opinion philosophique préconçue, et de suivre pas à pas la méthode scientifique.

Conformément à cette méthode, qui enjoint d'aller tou­jours du connu à l'inconnu, nous devons essayer tout d'abord d'adapter à l'interprétation de la subconscience l'explication physiologique acceptée généralement pour la conscience normale.

Nous devons en d'autres termes nous poser la question suivante :

Le fonctionnement des centres nerveux auquel on rattache les manifestations de la conscience normale peut-il expliquer, également les ma­nifestations de la subconscience extériorisable ?

Ce n'est là, remarquons-le bien, qu'une hypothèse, laquelle, toujours conformément à la méthode scientifique, ne devra être acceptée comme probable que si elle remplit les conditions imposées :

D'être logiquement déduite des constatations positives ;

D'être suffisante ;

De n'être en contradiction avec aucun fait.

C'est ce que je vais examiner.

1° L'hypothèse « Subconscience est fonction des centres nerveux » est-elle logiquement déduite ? Puisque cette hypothèse est basée sur une analogie prétendue d'origine entre la subconscience et la conscience, nous pouvons nous guider sur les preuves données par les physiologistes en faveur de l'explication de la conscience par le fonctionnement cérébral. Les preu­ves, on le sait, sont les suivantes (voir chapitre premier) :

Corrélation étroite entre l'anatomo-physiologie et la psychologie ; Activité psychique proportionnelle et l'activité fonc­tionnelle ; Activité psychique inséparable du fonctionnement organique.

Or, les conditions de manifestations de la subconscience sont inverses de celles de la conscience : pas de corrélation constatée entre l'anatomo-physiologie et les manifestations subconscientes. Activité subconsciente en raison inverse de l'activité fonctionnelle, puisque sa condition essentielle est le som­meil, c'est-à-dire le repos organique. Activité subconsciente séparable du fonctionnement organique (extériorisation), et d'autant plus forte que l'extériorisation est plus complète.

Par conséquent, si les arguments donnés en faveur de l'hypothèse ; conscience est fonction du cerveau, si ces arguments sont logiques et rationnels, ils imposent une conclusion contraire en ce qui concerne la subcon­science, et forcent d'admettre que : la subconscience n'est pas fonction du cerveau.

Le raisonnement me paraît irréfutable : il y a rigou­reusement autant de présomptions contre l'hypothèse : subconscience est fonction du cerveau, qu'il y en a en faveur de l'hypothèse : conscience est fonction du cerveau.

Continuons l'examen de l'hypothèse fractionnelle, en nous plaçant à un autre point de vue : la fonction subconscience, échappant en majeure partie à la volonté et à la connaissance de l'être dans sa vie régulière, ne jouant qu'un rôle effacé dans sa vie régu­lière, serait une fonction en majeure partie inutilisée et inutilisable.

Or, conformément à la doctrine évolutionniste, une fonction en grande partie inutile n'est jamais qu'une fonc­tion accessoire et de faible importance. Mais cela précisément ne saurait s'appliquer à la sub­conscience, que nous savons supérieure à la conscience, dont les connaissances emmagasinées sont infiniment nombreuses ; dont les facultés transcendantales d'action à distance et d'action de pensée à pensée auraient, soumises à la volonté consciente, une importance pratique immense. Si la subconscience est une fonction, c'est une fonction à la fois très importante et en majeure partie inutile ce qui implique une contradiction insoutenable.

Dernier argument contre l'hypothèse fonctionnelle : Nous savons que l'une des facultés de la subconscience extériorisable est un pouvoir organisateur et désorganisa­teur sur la matière. Il serait donc plus logique de faire dépendre l'organisme du pouvoir organisateur de la subconscience que de faire de la subconscience un produit organique. De cette série d'arguments découle la conclusion fort nette : l'hypothèse subconscience est fonction des centres nerveux est illogique et irrationnelle. Reste-t-il, malgré tout, un doute ? Passons sur ce caractère illogique de l'hypothèse et soumettons-la aux autres épreuves de la méthode scientifique.

2° L'hypothèse « Subconscience est fonction des centres nerveux » est-elle suffisante ? Or, il est facile de se rendre compte que cette hypothèse n'explique rien : ni les faits d'extériorisation, ni les facul­tés transcendantales, ni les connaissances subconscientes. Cette hypothèse admise impliquerait un corollaire indispensable : l'aveu d'ignorance et d'impuissance de la physiologie à la faire comprendre.

3° Enfin, l'hypothèse n'est-elle en contradiction avec aucune constatation positive ? Au con­traire, elle est en contradiction avec certains faits télépathiques réalisés plusieurs semaines après la mort du sujet transmetteur. Elle est en contradiction avec certains faits médium­niques, tels que la constatation de facultés et connaissances subconscientes importantes chez des enfants dont le cerveau commence à peine son développement[68].

Elle est en contradiction, surtout, avec la constatation de connaissances subconscientes non acquises par les voies sensorielles. En effet, s'il est un axiome qu'aucun physiologiste ne reniera, c'est le nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu. Par conséquent, si la subconscience est fonction cérébrale, on doit pouvoir trouver l'origine sensorielle de toutes les connaissances qu'elle renferme. Or, cela n'est pas possible :

Nous savons qu’à côté du groupe des connaissances subconscientes acquises par les voies sensorielles, con­sciemment ou inconsciemment, il existe une autre catégo­rie de connaissances qui ne proviennent certainement pas de ces voies sensorielles.

Et ce ne sont pas, je le répète, des connaissances vagues et peu précises, laissant par conséquent place au doute quant à leur origine, mais des connaissances complexes, exactes et étendues[69] : connaissances scientifiques, artistiques, professionnelles, connaissance parfaite d'une langue, etc.., toutes acquisitions psychiques qui ne sont pas, qui n'ont jamais été dans la conscience normale, et que, dans certains cas, on observe même dans les mani­festations subconscientes d'enfants en bas âge et de nour­rissons[70] !

Aucun doute n'est possible, dans tous les cas ci-dessus de pareilles connaissances ne proviennent pas de voies sensorielles.

Je sais bien que certains savants ne manqueront pas, pour éviter, cette conclusion, d'invoquer, à l'exemple de M. Figuier (Histoire du merveilleux) le résultat d'une exaltation momentanée des facultés intellectuelles. Mais ces savants seront simplement les dupes d'une équivoque.

Il ne s'agit pas de facultés, de capacités d'apprendre, mais de connaissances apprises. La surexcitation de l'intelligence n'explique nullement la possession des élé­ments acquis, si variés, que nécessite l'usage d'une langue.

A défaut de voies sensorielles et facultés normales, invoquera-t-on, pour expliquer ces acquisitions subcon­scientes, l'usage des facultés transcendantes

La vision à distance ou la lecture de pensées peuvent évidemment procurer, et procurent en effet à la subcon­science beaucoup de ses connaissance anormales, mais leur action est loin de les expliquer toutes. D'une manière générale, elles ne rendent pas compte des connaissances complexes. Prenons par exemple le cas de la connaissance précise d'une langue ignorée de la conscience normale.

Peut-on admettre que le sujet puise la connaissance de cette langue dans la pensée d'un assistant ? Et s'il n'est aucun assistant connaissant cette langue ? Ira-t-on jusqu'à invoquer une action à distance sur la pensée d'une personne quelconque la connaissant ? Et s'il s'agit d'une langue morte ? Et si le sujet prouve la connaissance non plus d'une, mais de plusieurs langues qu'il ignore également dans son état normal ?

On voit toute l'invraisemblance de l'hypothèse « lec­ture de pensée ».

Il n'est vraiment pas admissible, quelque extension que l'on donne au phénomène de lecture de pensée, qu'un sujet soit jugé capable de puiser dans un cerveau étranger tout ce qui est nécessaire pour comprendre, parler, utiliser une langue qu'il n'a pas apprise. Il pourrait sans doute énoncer des mots ou des phrases en cette langue, mais sans les comprendre, et surtout sans savoir s'en servir pour exprimer sa pensée.

Hartmann considère que le sujet pourrait peut-être parler une langue en détail, mais seulement sous une suggestion directe : « Les somnambules, dit-il, peuvent prononcer et écrire des mots et des phrases dans des langues qu'ils ne comprennent pas, si le magnétiseur ou une autre personne quelconque, mise en rapport avec eux, prononce ces mots et ces phrases mentalement, dans le but de les leur suggérer ; les somnambules en comprennent même le sens, en tant que la personne qui leur transmet la suggestion le comprend et le saisit pendant qu'il pro­nonce le message, soit à haute voix, soit mentalement[71]. »

Ce sont là des conditions étrangères aux faits que nous avons étudiés. On le voit, non seulement les connaissances de la subcon­science ne sont pas toutes attribuables aux sens normaux, mais il en est qui ne peuvent même être expliquées par les facultés transcendantes de cette subconscience.

Du reste, alors même qu'elles viendraient des facultés transcendantes, la difficulté ne serait pas résolue, puisque ces facultés elles-mêmes ne sont pas explicables par le fonctionnement des centres nerveux. Invoquer l'usage des facultés de lecture de pensée ou de lucidité pour appuyer l'hypothèse « subconscience, fonction du cerveau » ce serait simplement se dérober derrière une équivoque. Il resterait bien une dernière ressource ; ce serait de déclarer héréditaires ou ataviques ces connaissances sub­conscientes qu'on ne peut expliquer par les voies senso­rielles actuelles ; mais vraiment ce serait aller par trop au delà de ce que permet la logique. Je crois inutile de discuter une semblable hypothèse.

On peut conclure formellement :

L'hypothèse : « Subconscience fonction actuelle du cerveau » est : illogique et irrationnelle ;

insuffisante pour l'explication des faits en contradiction avec plusieurs. Elle doit être rejetée sans réserve, comme incompatible avec la méthode scientifique. Si la subconscience n'est pas fonction des centresnerveux, quelle est son origine ? Quelle est son essence intime ?

C'est dans cette recherche surtout qu'il importe de sui­vre pas à pas la méthode scientifique.

Notre seul guide pour aller du connu à l'inconnu sera l'analyse rigoureuse, au point de vue originel, des facultés et connaissances subconscientes. Nous savons déjà qu'elles peuvent être divisées en deux groupes :

1° Facultés et connaissances acquises par les voies sen­sorielles, consciemment ou non, et passées de la conscience normale dans la subconscience qui les a emmagasinées et conservées.

2° Facultés et connaissances qui n'ont pu être acquises par les voies sensorielles. La constatation des facultés et connaissances du pre­mier groupe prouve que la subconscience est en partie constituée par les acquisitions totales de la conscience, qu'elle contient tous les anciens attributs de cette dernière, en d'autres termes qu'une portion des éléments psychiques de la subconscience ont été préalablement éléments psychiques de la conscience.

Nous pouvons, dès lors, de ces constatations, déduire une hypothèse rationnelle pour expliquer les facultés et connaissances du deuxième groupe et, par suite l'origine totale de la subconscience. Nous arrivons à cette hypothèse par une simple géné­ralisation : nous avons constaté : qu'une portion des éléments psychiques subconscients ont été préalablement éléments psychiques conscients.

Nous sommes en droit de supposer : que tous les éléments psychiques subconscients ont été préalablement éléments psychiques conscients.

Ce qui implique le corollaire suivant : les attributs de la subconscience qui ne proviennent pas des voies sensorielles et de la conscience actuelles provien­nent des voies sensorielles et de consciences antérieures à la conscience actuelle.

C'est l'hypothèse qui se présente logiquement, si l'on se base sur l'axiome : nihil est in intellectu, quod non prius fuerit in sensu.

On peut l'exprimer plus clairement et plus simplement en ces termes : l'Etre subconscient extériorisable est le produit synthétique d’une série de consciences successives qui se sont fondues en lui et l’ont peu à peu constitué.

Telle est l'hypothèse que l'on peut proposer en rempla­cement de l'hypothèse : fonction cérébrale[72], que nous nous sommes vus forcés d'abandonner. Il ne reste plus qu'à la soumettre à une critique analo­gue et à rechercher si l'hypothèse nouvelle : est logique et rationnelle ; est suffisante ; n’est en contradiction avec aucun fait. Elle remplit bien la première condition ; en effet : Rien de plus logique que de supposer toutes les connaissances acquises par la voie sensorielle.

Rien de plus rationnel que de faire dépendre la supé­riorité de l'être subconscient sur l'être conscient de son développement plus considérable (il serait supérieur parce qu'il aurait toutes les acquisitions de la conscience actuelle plus celles des consciences antérieures). Les facultés transcendantales seraient donc simplement le produit d'acquisitions complexes résumant les facultés diverses, constituant des facultés supérieures, facultés de facultés.

Rien de plus rationnel que de supposer ce développement effectué lentement et progressivement dans des existences successives, sans avoir rien de mystérieux.

L'hypothèse est rationnelle à un autre point de vue : puisque l'être subconscient n'est pas fonction actuelle de l'organisme et en est indépendant, il doit forcément préexister et survivre à cet organisme.

Or, comme la nature tire des forces qui sont à sa dispo­sition le meilleur parti possible, en économisant, en évi­tant toute production de forces nouvelles, il est logique de penser qu'elle utilise la force-intelligence subconsciente dans des organismes successifs avec lesquels et par lesquels cette force-intelligence se développe, et qui se développent eux-mêmes avec elle et par elle. Enfin, si nous tirons de notre hypothèse toutes les déductions compatibles avec l'esprit scientifique, et si nous lui donnons tout son développement, nous verrons son caractère logique et rationnel s'affirmer de plus en plus. Essayons de faire ressortir quelques-unes de ces déduc­tions, avant de soumettre l’hypothèse à la dernière épreuve, celle de l'interprétation générale de la psychologie par les données nouvelles.

Les nouvelles constatations psychologiques et la nouvelle hypothèse nous montrent, dans le moi, tout un monde d'élé­ments psychiques des plus complexes.

Le «connais-toi toi-même » est infiniment plus impor­tant et plus difficile qu'on ne le supposait. L'être psychique comprendrait deux parties essen­tielles :

1° Le moi conscient, qui n'en représente que la partie la moins importante ;

2° Le moi subconscient, qui constitue la partie principale.

Le moi conscient dépend en majeure partie du fonctionnement organique et en est inséparable.

Le moi subconscient comprend Force, Intelligence et Matière, en majeure partie inaccessibles à la connaissance et à la volonté directes et immédiates de l'Etre dans la vie normale. Il est en majeure partie indépendant du fonction­nement organique actuel et extériorisable. Il est le produit synthétique des acquisitions de la conscience actuelle et de consciences antérieures.

Nous pouvons maintenant comprendre les rapports réciproques de la conscience et de la subconscience, et leur rôle.

l° Rôle de la conscience relativement à la subconscience : Ce rôle, nous le savons, est d'enrichir cette dernière : la subconscience emmagasine toutes les acquisitions des sens, même les faits les plus insignifiants ; même ceux qui ont frappé nos sens à notre insu. De plus, la subconscience synthétise ces acquisitions en capacités nouvelles, pour son développement.

2°. Rôle de la subconscience relativement à la conscience : Ce rôle peut être considéré :

a) Dans les manifestations conscientielles actuelles ;

b) Dans l'origine, le développement, la conservation de la conscience.

a) Rôle de la subconscience dans les manifestations conscientielles actuelles : Le rôle est certain, mais il est difficile de préciser où il commence et où il finit, puisque la subconscience échappe en majeure partie à la volonté et à la connaissance normales. Il est prouvé par ce que nous savons de l'automatisme psychologique dans la vie régulière (voir page 21), et de l'importance du travail subconscient. Il est infiniment probable que la subconscience joue un rôle de direction générale dans les manifestations de la conscience.

Ce rôle sera plus ou moins bien rempli, suivant que les conditions organiques feront du cerveau un instrument plus ou moins docile. Du reste, l'influence subconscientielle n'est pas seule à agir sur la conscience ; elle peut être entravée dans une certaine limite par des influences extérieures (éducation, exemples), par les suggestions voulues ou non de l'entourage, etc. Mais une autre question se pose : si la subconscience possède réellement la direction générale de la conscience, ou si elle joue simplement un certain rôle dans cette direction, il est à présumer que ce rôle est un rôle voulu, raisonné, et non pas simplement automatique.

En d'autres termes, la subconscience connaîtrait tout ce qui a rapport d la conscience et exercerait sûr elle une influence occulte, tout en étant elle-même en majeure partie ignorée de cette dernière. Cette opinion n'a rien d'extraordinaire : nous avons vu que, dans les cas de personnalités multiples, la plus avan­cée des personnalités sait parfois tout ce qui a rapport aux autres, tout en étant ignorée d'elles.

Il en serait de même pour les manifestations conscien­tielles et subconscientielles. La conscience ne connaît pas la subconscience ; mais la subconscience, qui garde la mémoire complète de tout ce qui s'est passé dans le champ de la conscience, et qui lui est bien supérieure, la connaî­trait et la dirigerait dans une certaine mesure.

b) Rôle de la subconscience dans l'origine, le développement, la conservation de la conscience : S'il est vrai que la subconscience possède la direction générale de la conscience, elle doit avoir une influence considérable sur son origine, son développement, et sa conservation. Elle lui fournit, sans doute, ses facultés innées, ses prédispositions à telles ou telles capacités, et s'efforce de les adapter le mieux possible au fonctionnement organique, pour le développement ultérieur de l'être conscient.

Peut-être, probablement même, joue-t-elle un rôle dans le développement de l'organisme, puisqu'elle jouit, nous le savons, d'une faculté organisatrice sur la matière. La subconscience maintient enfin la permanence géné­rale de l'être conscient, au milieu du perpétuel renouvel­lement moléculaire, pendant la vie. Après la mort, l'être conscient disparaît, mais son souvenir intégral persiste dans l'être subconscient, lequel est indépendant du fonctionnement organique actuel. Ses éléments psychiques restent unis dans la synthèse sub­consciente, aux éléments psychiques des consciences anté­rieures qui l'ont constituée.

En résumé, l'être subconscient serait le moi réel, l'in­dividualité permanente ; tandis que l'être conscient serait le moi apparent, la personnalité transitoire[73]. L'individualité serait elle-même la synthèse des person­nalités successives, intégralement conservées.

Telles sont les déductions logiques de notre interpréta­tion de la subconscience ; interprétation déduite logique­ment elle-même, nous l'avons vu, de l'étude détaillée de tous les phénomènes psychiques.

Aksakof[74], partant du spiritisme, arrive à une opinion identique à celle que je viens d'exposer. Il l'exprime dans une très belle page que je cite intégralement :

« Grâce aux travaux philosophiques du baron L. von Hellenbach et du Dr Carl du Prel, la notion de la person­nalité a acquis un développement tout nouveau ; et les difficultés que nous présente le problème spiritique sont déjà beaucoup aplanies.

« Nous savons à présent que notre conscience intérieure (individuelle) et notre conscience extérieure (sensorielle) sont deux choses distinctes ; que notre personnalité, qui est le résultat de la conscience extérieure, ne peut être identifiée avec le moi, qui appartient à la conscience intérieure, ou, en d'autres termes, ce que nous appelons notre conscience n'est pas l'égal de notre moi. Il faut donc dis­tinguer entre la personnalité et l'individualité. La per­sonne est le résultat de l'organisme, et l'organisme est le résultat temporaire du principe individuel transcendantal.

«L'expérimentation, dans le domaine du somnambulisme et de l'hypnotisme, confirme cette grande vérité : dès que la personnalité, ou la conscience extérieure, est assoupie, surgit autre chose, une chose qui pense et qui veut, et qui ne s'identifie pas avec la personnalité endormie, et se manifeste par ses propres traits caractéristiques. Pour nous, c'est une individualité que nous ne connaissons pas mais elle connaît la personne qui dort, et se souvient de ses actions et de ses pensées. Si nous voulons admettre l'hypothèse spiritique, il est clair que ce n'est que ce noyau intérieur, ce principe individuel, qui peut survivre au corps, et tout ce qui a appartenu à sa personnalité ter­restre ne sera pour lui qu'une affaire de mémoire. »


CHAPITRE IV

THÉORIE SYNTHÉTIQUE DE LA PSYCHOLOGIE
D'APRÈS LES NOTIONS NOUVELLES

Interprétation des faits obscurs de psychologie normale. - Interprétation des névroses.- Interprétation des cas de personnalités multiples. - Théorie des sommeils. - Théorie de l'hypnotisme, de la suggestion et de la suggestibilité. - Explication des actions à distance et des actions de pensée à pensée. - Explication de la télépathie.- La lucidité n'est qu'une action sensorielle indépendante dans une certaine mesure des conditions d'espace et de temps. - Théorie du médiumnisme. – L'immortalité individuelle. - Conclusion.

Il me reste à montrer que l'hypothèse psychologique nouvelle, admise avec le développement complet qu'il a été possible de lui donner sans sortir de la méthode scientifique, explique admirablement tous les faits obscurs de psychologie normale et de psychologie anormale.

L'interprétation, très simple, ne laisse subsister aucune difficulté.

1° Interprétation des difficultés dans la psychologie normale :

Je reprends toutes les difficultés que j'avais signalées, au point de vue d'une interprétation anatomo-physiolo­gique :

L’inneité des principales facultés et capacités.

Le talent et le génie.

Les inégalités psychiques considérables entre êtres voisins par les conditions de naissance et de vie.

Les différences entre l’hérédité physique et l’hérédité psychique.

L’automatisme psychologiques et le travail inconscient.

Toutes ces constatations s'expliquent facilement par le rôle de la subconscience dans l'origine, le développement, les manifestations de la conscience. L'étendue et le développement de la subconscience directrice, lesquels dépendent eux-mêmes de son degré évolutif, déterminent en partie le plus ou moins d'éléva­tion et de capacités de la conscience.

Je dis en partie, parce que le physique joue naturellement un rôle important dans les manifestations conscien­tielles, qui dépendent directement du fonctionnement cérébral. Le cerveau, plus ou moins parfait, sera plus ou moins apte à subir la direction de l'individualité subconsciente.

On ne peut donc pas juger rigoureusement, d'après la personnalité, de l'état d'avancement réel de l'individua­lité, mais c'est à cette dernière que la personnalité doit, très généralement, ses principales facultés, ses qualités les plus éminentes, la possibilité de faire œuvre de grand talent ou de génie. L’« inspiration » des géniaux n'est qu'une suggestion de la subconscience. Par contre, la subconscience peut avoir son rôle totale­ment ou considérablement annihilé par un mauvais fonc­tionnement congénital ou acquis, de l'organe cérébral. Donc, si l'on peut penser qu'une personnalité consciente supérieure implique une individualité subconsciente avan­cée, on ne peut affirmer qu'une personnalité consciente inférieure révèle forcément une individualité subconsciente élémentaire.

L'influence directrice de l'être subconscient explique, d'autre part clairement, je le répète, la permanence générale de la conscience malgré les variations moléculaires perpétuelles.

Il y a bien, en réalité, modifications et oublis ; mais, comme tout ce qui a été conscient reste dans la subcon­science, les modifications et oublis ne sont jamais que par­tiels, et la caractéristique générale personnelle est perma­nente, parce que permanente et invariable est la direction individuelle.

2°Explication des névroses :

La névropathie vraie, indépendante de toute lésion orga­nique, de tout processus pathologique, est très facilement explicable par les notions nouvelles : Il y a névropathie toutes les fois qu'il n'y a pas corré­lation ou dépendance suffisantes de la conscience à la subconscience.

Il y a névropathie parce que la subconscience remplit défectueusement son rôle de direction générale de l'être conscient.

Considérons un hystérique typique : il semble réellement ne pas savoir utiliser convenable­ment ses sens ni ses facultés : il y a des organes qui échap­pent à sa direction consciente, à sa sensibilité ou à sa volonté ; d'autres dans lesquels sa sensibilité et sa motricité semblent s'accumuler avec exagération : d'où, d'un côté, anesthésies ou paralysies ; de l'autre, hyperesthésies ou contractures. Et ce qui prouve bien que c'est seulement la direction générale qui est défectueuse, c'est que ces symptômes contraires se déplacent, n'ont aucune fixité, soit comme localisation, soit comme intensité. Mêmes remarques pour les troubles psychiques, d'exci­tation, de surexcitation, de dépression et d'incohérence. Toujours force directrice mal dirigée, inutilisée ou défectueusement utilisée.

L'être subconscient, directeur de l'organisme, s'acquitte mal de sa fonction. Impuissant à tout diriger, il donne trop d'un côté, pas assez de l'autre, laisse toujours quelque organe ou quelque fonction échapper à sa surveillance.

L'hysterie serait donc due, essentiellement à l’impuissance de la subconscience directrice. C'est là, du reste, une opinion que semblent entrevoir aujourd'hui philosophes et médecins : On sait que M. Pierre Janet fait de l'hystérie un trouble de l'attention, de la mémoire et de la volonté. Dans un très beau travail d'ensemble sur l'hystérie[75], le Dr Paul Sollier donne une théorie nouvelle de cette névrose, qui me parait concorder également avec mon explication.

Pour lui, l'hystérie serait la conséquence d'un sommeil local du cerveau. Tous les centres divers pourraient être atteints, isolément et à des degrés variables, de ce som­meil ; d'où la variabilité extrême des symptômes morbides.

Au lieu de sommeil local, mettons abandon au repos, utilisation des centres cérébraux, ce qui revient au même, et l'accord de cette théorie avec l'opinion que j'ai avancée sera complet.

Des théories analogues ont été données par divers savants, pour l'explication des symptômes isolés de l'hys­térie. Ainsi, pour le professeur Lépine, l'anesthésie et la paralysie, hystériques proviendraient d'une insuffisance temporaire de la transmission interneurotique (Lyon médical, 1894).

Branly exprime une opinion identique et assimile le fonctionnement des neurones au fonctionnement des radio­conducteurs[76]. Les physiologistes sont donc bien d'accord sur la ques­tion de la pathogénie hystérique. Seulement, ce repos, ce sommeil desdits centres céré­braux, cette insuffisance de circulation nerveuse, etc., constituent une constatation, et non, à proprement parler, une explication.

Quel est la cause intime du phénomène ? C'est ce que ne nous apprend pas la théorie du Dr Sollier, ni les théories analogues. La cause intime est celle que nous connaissons : L'impuissance de la direction subconsciente.

Maintenant surgissent quelques questions secondaires, relatives précisément à l'impuissance de la direction subconsciente. A quelles raisons faut-il attribuer cette impuissance ?

Les raisons peuvent être multiples, comme le sont tou­jours des causes secondaires. On les trouvera aisément quand notre pathogénie de l'hystérie sera admise et étudiée. On peut dès maintenant en fournir quelques-unes :

a) La subconscience directrice peut être impuissante, parce que son union avec la conscience et l'organisme est mal assurée, et que des phénomènes élémentaires d'extériorisation se produisent trop facilement et spontanément. La défectuosité de cette union pourra elle-même être congénitale ou acquise (origine traumatique, infectieuse, toxique, réflexe).

b) La subconscience directrice peut être impuissante, parce quelle doit lutter contre des suggestions extérieures, contre les effets d'une contrainte, d'un genre de vie, d'un système d'éducation, etc., détournant l'être de sa voie naturelle. C'est là une cause secondaire fréquente de l'hystérie. Dès que l'être est sorti de sa voie normale, dès surtout qu'il vit en désaccord avec les lois naturelles, la nature se venge cruellement et la névrose survient. On sait combien l'hystérie est fréquente dans les cou­vents : c'est la tare habituelle des anormaux.

c) Enfin, la subconscience directrice peut être impuis­sante par nature, réellement intérieure à sa tâche, parce qu'elle est unie à un organisme trop compliqué pour elle, trop perfectionné pour qu'elle sache l'utiliser convenable­ment. Les hystériques de cette catégorie seraient simple­ment des névropathes inférieurs.

d) En regard de ces névropathes inférieurs, on conçoit immédiatement une catégorie de névropathes supérieurs, dont l'individualité subconsciente est trop au-dessus d'un organisme grossier. L'activité subconsciente est en lutte perpétuelle contre une cérébration défectueuse, contre un instrument orga­nique et des sens dont elle ne tire pas tout le parti qu'elle désirerait et qu'elle surmène en vain. La lutte et la gêne se traduisent dans l'être conscient par des malaises et des troubles divers.

L'influence subconsciente, chez le névropathe supé­rieur, ne pèche donc plus par insuffisance, mais par excès. Le névropathe supérieur, en outre des malaises organi–ques, souffre moralement, parce qu'il voit toujours mieux ce qui lui manque que ce qu'il possède, parce qu'il a l'in­tuition trop claire de la limitation de ses forces, de ses fa­cultés et de ses connaissances, de ses sentiments affectifs. Il ne peut assez agir, assez admirer, assez se donner, assez aimer, et être aimé. D'autre part, la conscience intuitive ou raisonnée qu'il a de la solidarité universelle multiplie pour lui les émotions pénibles. L'humanité est encore trop loin de son idéal de liberté, de justice et d'amour. Les névropathes supérieurs sont légion : la majorité des grands écrivains, artistes ou savants, la plupart des hommes de grand talent, tous les hommes de génie sont, à des degrés divers, des névropathes supérieurs.

Si l'on voulait des exemples, celui de J.-J. Rousseau, si l'on en juge d'après ses Confessions, serait l'un des plus typiques. On retrouve à chaque page cette lutte d'un être supérieur contre un organisme défectueux, un cerveau récalcitrant et aussi contre des instincts grossiers de sa personnalité consciente. Un autre type de névropathe supérieur est Emile Zola, tel qu'il nous est dépeint dans le travail bien connu du Dr Toulouse.

3° Interprétation des cas de personnalités multiples :

Les cas de personnalités multiples chez le même individu n'ont plus rien de surprenant, si l'on admet la réalité d'une subconscience constituée précisément par des personnalités multiples successives. Leur condition directe de manifestation isolée est l'im­puissance de la subconscience dans son rôle de direction générale de l'organisme chez les hystériques. De là une véritable incoordination psychique, pouvant aller jusqu'à la manifestation isolée d'un groupe des élé­ments psychiques de l'individu.

Il est probable que ce groupe d'éléments psychiques représente simplement, plus ou moins complète ou plus ou moins déformée, l'une des personnalités antérieures de l'être subconscient. L'une des personnalités antérieures prédominerait sur la personnalité actuelle, avec oubli plus ou moins absolu de cette dernière. L'organisation cérébrale est telle qu'elle ne comporte pas la manifestation simultanée de plusieurs personnalités conscientes. Il y a donc ignorance, pour chaque personnalité devenue consciente, des autres personnalités de l'être ; et passage de l'une à l'autre par une phase de léthargie, une véritable petite mort.

Il est à remarquer que, chez beaucoup de personnes, dans la vie normale, le dédoublement s'observe, à l'état d'ébauche leur caractère général peut sembler tellement différent d'un moment à l'autre, que l'on dit couramment de ces personnes : « Il y a deux êtres en elles. »

4° Interprétation des sommeils :

Nous savons qu'au point de vue physiologique le som­meil est le repos des centres nerveux. La contradiction entre le repos fonctionnel et la persis­tance possible de l'activité psychique s'explique facile­ment si l'on admet la coexistence à la conscience person­nelle d'une subconscience indépendante du fonctionne­ment cérébral actuel.

Il n'est pas besoin de chercher ailleurs une théorie psy­chologique du sommeil et des sommeils. Dans le sommeil ordinaire, il y a repos de l'organe cérébral et, par suite, obnubilation de la conscience nor­male. Les rêves ordinaires, incohérents, sont le produit d'un reste d'activité cérébrale, laquelle n'est totalement abolie que par la mort.

Les rêves logiques et cohérents, intelligents, géniaux, sont des manifestations de la subconscience, laquelle n'est pas diminuée par le repos des centres nerveux, mais au contraire plus aisément apparente en ses effets et en son influence. Les opérations subconscientielles pourront arriver net­tement et immédiatement à la conscience, s'il y a réveil brusque pour une cause ou pour une autre. Dans le cas contraire, elles ne sont pas forcément perdues pour l'être conscient, seulement elles ne lui arrivent que peu à peu dans l'état de veille et se confondent avec les produits du travail volontaire.

Le sommeil toxique (narcotiques, anesthésiques) donne lieu aux mêmes observations générales. Toutefois, il s’accompagne non seulement de diminution, mais aussi de perversion des manifestations conscientielles (ivresse).

Restent les sommeils hyptnotiques et médiumniques. Le mécanisme est le même. Ils sont causés essentiellement par la diminution de l'activité fonctionnelle du cerveau et l'obnubilation de la volonté consciente. Mais il y a, de plus que dans les autres sommeils, exté­riorisation de la subconscience, à des degrés variables, d'où la netteté de ses manifestations apparentes.

5° Interprétation de l'hypnotisme :

Le sommeil hypnotique et toutes les manifestations de l'hypnose peuvent s'expliquer par l'extériorisation plus ou moins complète de l'être subconscient. On sait que les phénomènes caractéristiques peuvent être constatés soit dans l'organisme du sujet, soit en dehors de son organisme.

Les phénomènes organiques (anesthésie vraie, hyper­esthésie vraie, catalepsie, léthargie, etc.) tiennent précisément, comme chez les hystériques, à l'impuissance directrice et perceptrice de la subconscience, laquelle est en partie extériorisée de l'organisme.

Les phénomènes constatés en dehors de l'organisme sont dus à l'être subconscient extériorisé.

Les phénomènes sensitifs, en général, sont en partie le fait de l'extériorisation : L'anesthésie et l'hyperesthésie sont chose secondaire.

Il n'y a pas essentiellement diminution ni augmentation, mais déplacement de la sensibilité. La sensibilité, qui a disparu de la surface du corps et des organes des sens, se trouve reportée sur les lignes et les pôles d'extériorisation décrits par M. de Rochas. On comprend dès lors comment on peut constater simul­tanément deux phénomènes en apparence contradictoires : l'insensibilité organique et la perception, hors de la portée des organes sensoriels, de sensations tactiles, olfactives, auditives, gustatives et visuelles.

D'autre part, on comprend que cette sensibilité se puisse exercer à travers les obstacles matériels, qui n'ont pas d'action appréciable sur la force-intelligence extério­risée. Enfin, on s'explique ce fait étrange que les sens divers s'exercent indifféremment sur un point quelconque du rayonnement périorganique, par ce fait que tous les sens normaux sont condensés et synthétisés en un sens unique sur tout l'organisme subconscient. Passons maintenant à la suggestion :

La suggestion pourra s'exercer :

1° Soit sur la conscience organique obnubilée ;

2° Soit sur la subconscience extériorisée.

Suggestion sur la conscience anormale obnubilée : Elle se comprend de suite : la volonté du magnétiseur prend purement et simplement la place directrice de la subconscience extériorisée. Dès lors il dirige à son gré l'organisme du sujet et sa cérébration. Comme, sans doute, l'être subconscient agit surtout sur l'être conscient par le mécanisme de la suggestion, dans la vie normale ; il y a simplement, dans l'hypnose, change­ment d'influence suggestive : celle de la subconscience est extériorisée et celle du magnétiseur est intériorisée.

Suggestion sur la subconscience extériorisée[77] : Cette suggestion s'explique par le fait du trouble con­sidérable, bien que momentané, de la volonté subcon­sciente qui se sépare de son instrument cérébral. L'être subconscient éprouve une obnubilation relative qui lui fera facilement subir l'influence de la volonté puissante du magnétiseur. Du reste cette obnubilation n'est que passagère, et liée aux phases élémentaires de l'extériorisation.

Lorsque l'extériorisation est suffisante, comme dans les états médiumniques supérieurs, l'être subconscient mani­feste une volonté très personnelle et une caractéristique très originale. Dans tous les cas, la question de suggestion sur la sub­conscience extériorisée nécessite de nouvelles recherches expérimentales, systématisées dans ce but ; elles permet­traient seules de la distinguer nettement de la suggestion sur la conscience, obnubilée et de connaître dans quelles limites elle est possible, ou même si elle l'est.

Reste à étudier la suggestion et échéance ; mais son mécanisme est plus compliqué, et je suis obligé d'étudier auparavant la suggestibilité en général, dont il est essen­tiel de fournir une théorie conforme aux notions nouvelles.

De la suggestibilité : La suggestibilité ne consiste pas seulement dans la possibilité de subir des influences diverses, mais aussi dans la possibilité d'adapter à la con­science personnelle tout ce qui peut l'influencer.

En d'autres termes, la suggestibilité est la faculté d'adaptation de l'être psychique au milieu et aux in­fluences ambiantes : et d'adaptation à l'être psychique de ces influences ambiantes. C'est donc la condition première du processus d'assi­milation psychique, permettant au moi l'acquisition d'élé­ments conscientiels nouveaux. La suggestibilité représente simplement, au moral, l'appétit et la capacité d'absorption. La suggestibilité, ainsi comprise, a besoin d'être res­treinte dans des limites convenables, sans quoi elle encom­brerait le moi des acquisition, les plus diverses sous le chaos desquelles la personnalité risquerait de disparaître. Un choix, un triage est nécessaire pour faciliter l'assimilation future. Il faut un frein à la suggestibilité. Ce frein, c'est la Volonté.

La volonté est le frein naturel de la suggestibilité pour deux raisons : par crainte de l'effort que nécessite toute acquisition nouvelle ; par un instinct tenant de l'instinct de la conservation. La volonté lutte pour la conservation de la personnalité psychique, que compromettrait l'afflux d'éléments étrangers trop nombreux ou trop différents de ses propres éléments. Elle est instinctivement hostile aux acquisitions intellec­tuelles qui ne concordent pas avec les traits principaux de la caractéristique personnelle. La volonté et la suggestibilité sont, chez une per­sonne quelconque, en raison inverse comme puissance et comme étendue[78]. Ces notions générales étant admises, étudions la sug­gestibilité dans ses détails :

Il faut considérer la suggestibilité dans l'état de veille normale, dans le sommeil normal, dans les sommeils anormaux.

Suggestibilité à l’état de veille : puisque la sug­gestibilité a pour contre-poids la volonté, il faudra pour qu'elle reste dans des limites utiles, que l'équilibre entre la suggestibilité et la volonté soit bon. Si l'équilibre est défectueux, la suggestibilité sera ou trop forte, ou trop faible. Mais intervient un autre facteur important : celui de l'influence d'une ; volonté autre que la volonté consciente.

Cette volonté différente peut être : soit la volonté interne de l'être subconscient, soit une volonté extérieure. Quelle que soit la volonté différente, subconsciente ou extérieure, elle peut influencer la suggestibilité de l'être. Si elle est d'accord avec la volonté consciente, elle double son influence. Si elle est divergente, il y a lutte, et c'est la volonté la plus forte qui triomphe (soit la volonté consciente, soit la volonté subconsciente ou extérieure en lutte avec elle).

Le plus souvent, c'est la volonté subconsciente qui est la plus forte ; c'est elle par conséquent qui dirige la sug­gestibilité de l'être. Alors la volonté consciente n'est guère que le reflet de la volonté subconsciente, sauf exceptions accidentelles, d'importance et de fréquence variables.

La volonté subconsciente forte préserve également la suggestibilité de l'influence trop marquée des volontés extérieures. Si la volonté subconsciente est faible ou s'exerce mal (pour l'une des causes étudiées au chapitre des névroses), la volonté consciente, mal dirigée, subira fortement l'influence possible d'une volonté extérieure qui se substi­tuera plus ou moins à elle.

C'est pour cela que les névropathes inférieurs sont très accessibles à la suggestion extérieure, même dans l'état de veille normal.

Un dernier cas peut se présenter à l'observation ; c'est le suivant : un être avancé et sain, dont la volonté subconsciente est certainement puissante, subit manifestement l'influente d'une ou de plusieurs volontés extérieures, alors même qu'elles lui sont nuisibles et vont contre ses idées ou ses sentiments intimes.

Cela n'est possible que lorsque la volonté ou les volontés extérieures sont très fortes et qu'elles ont pu exercer une influence suffisamment prolongée. Elles arriveront alors peu à peu à troubler et à supplanter la volonté propre de l'être. Ce sera toujours, dans des cas semblables, aux dépens de l'évolution psychique normale, du bonheur et même de la santé physique de l'être influencé. Les influences extérieures seront enfin et surtout puis­santes sur les enfants. En effet, la suggestibilité des enfants est considérable pour deux motifs : Par l'insuffisance de la volonté consciente (qui n'est qu’ébauchée). Par l'impuissance de la volonté subconsciente (qui ne peut agir pleinement sur l'être que lorsque le développe­ment organique est achevé).

De là les immenses dangers, pour l'enfance et l'ado­lescence, d'une éducation mal comprise ou systématique­ment faussée, dont « l'empreinte » peut persister et com­promettre, pour la vie entière, l'influence favorable et régulière de la volonté subconsciente. De là, par conséquent, les avantages d'un système d'éducation aussi libéral que possible (le mot libéral étant pris dans son sens le plus vaste[79]).

Suggestibilité pendant le sommeil : pendant le sommeil, la volonté consciente de l'être est fort diminuée ; il y a donc augmentation de sa suggestibilité. La sug­gestibilité accrue sera accessible : Soit à l'influence de la volonté subconsciente (d'où les effets importants du travail subconscient pendant le som­meil). Soit à l'influence d'une volonté extérieure. Mais, dans le sommeil naturel, la volonté subconsciente préserve généralement l'être des suggestions extérieures. Dans le sommeil hypno-médiumnique, au contraire, la subconscience étant extériorisée, ne peut plus préserver l'être des influences extérieures ; d'où l'importance, préci­sément, des suggestions extérieures.

Avec cette théorie de la suggestibilité, ou peut facile­ment comprendre même la suggestion à échéance. La suggestion à échéance ne petit s'expliquer que par l'impuissance ou l'annihilation de la volonté subconsciente aussi bien que de la volonté consciente. Il n'est pas admissible, en effet, que la volonté subconsciente laisse s'accomplir, au moment fixé, l'acte suggéré, s'il s'agit surtout d'un acte nuisible à l'être. « Il semble singulier, suivant l'expression de M. Myers[80], qu'on puisse mener ainsi la divinité intérieure si facilement au moindre mot ». Tout peut se comprendre :

La suggestion à échéance impliquant l'annihilation de la volonté consciente et de la volonté subconsciente, n'est possible que dans l'état qui produit cette double annihilation, c'est-à-dire dans l'hypnose. L'acte suggéré ne peut être accompli que par le retour préalable de l'être dans l'état d'hypnose où il se trouvait quand la suggestion a été donnée.

Le magnétiseur, sans s'en douter, suggère l'hypnose en même temps que l'acte à accomplir. Au moment fixé, le sujet se retrouve tel qu'il était quand il a reçu l'ordre ; et il n'y a pas lieu de tenir compte de l'intervalle de temps écoulé entre la suggestion et l'effet de la suggestion.

La non-réalisation de l'hypnose préalable est la cause, sans doute, de l'insuccès fréquent de la suggestion à échéance[81].

6° Explication des actions à distance et des actions de pensée à pensée :

Les actions à distance de la sensibilité, de la motricité, des facultés organisatrices et désorganisatrices sur la matière ; les actions de pensée à pensée (lecture de pensée, suggestion mentale, certains cas de télépathie) : ont toutes leur explication dans l'extériorisation partielle de la force-intelligence subconsciente, sa projection et son utilisation plus ou moins loin de l'organisme[82].

Ce sont là des propriétés de l'être subconscient extériorisable, propriétés échappant dans une large mesure aux conditions de l'espace et du temps. On comprend dès lors que ces propriétés soient en ma­jeure partie inaccessibles à la volonté consciente normale.

Dans quelques circonstances seulement, cette dernière pourra obtenir des phénomènes élémentaires d'action de distance ou de pensée à pensée, parce que, somme toute, elle est étroitement associée à cette subconscience qu'elle ignore. Enfin, ces phénomènes élémentaires seront même par­fois obtenus sans sommeil hypnotique, dans l'état normal (sans extériorisation par conséquent), grâce au rayonne­ment péri-organique constant de la force-intelligence sub­consciente.

7° Explication de la télépathie :

Il est certain, d'après tout ce qui précède, que les phénomènes de télépathie ne relèvent pas d'une cause unique. Leur origine est variable, ce peut être :

1° Une action de pensée à pensée ;

2° Une action de lucidité (en général, vision à dis­tance) ;

3° Une action extérieure réelle.

1° Action de pensée a pensée : soit spontanément parl'influence subconsciente, soit par un effet intense de la volonté.

2° Action à distance : pendant le sommeil, par extériorisation partielle élémentaire de la force-intelligence sub­consciente du dormeur. Si le choc émotif est assez intense, il peut y avoir réveil brusque, et conservation du souvenir de la vision. Souvent alors, ce réveil s'accompagne d'une projection hallucinatoire réflexe concordante.

3° Action extérieure réelle : L'apparition serait objective. Les sens du percipient seraient impressionnés directement par l'être subconscient du sujet transmetteur. Pour cela, il faut que le « fantôme » constitué par l'être subconscient ait entraîné avec lui quelques éléments ma­tériels de l'organisme, sans quoi il ne saurait impressionner le percipient (cela est surtout possible quand il s'agit d'un accident ou d'une mort brusque, parce que l'Être subconscient pourra mieux conserver quelque temps des éléments d'un organisme que la maladie n'a pas eu le temps d'épuiser).

L'action télépathique est probablement très fréquente, sinon constante ; seulement elle est rarement perçue et conservée par l'être conscient.

Sans doute la subconscience peut et doit, pendant le sommeil, grâce à une extériorisation élémentaire, appren­dre beaucoup de choses touchant les événements qui nous intéressent ou les personnes qui nous sont chères. Seule­ment ces connaissances n'arrivent claires et nettes que par exception à la conscience normale (en général par un réveil brusque). C'est pourquoi l'action télépathique ne se fait le plus souvent sentir à la personnalité consciente que par des impressions vagues et imprécises : pressenti­ments, tristesse ou gaieté sans cause directe au réveil ou en plein état de veille.

Ces impressions, pour une personne habituée à la médi­tation et à l'auto-observation, peuvent devenir assez nettes pour acquérir une réelle importance pratique.

8° Explication des faits de lucidité :

La lucidité a son explication complète dans les propriétés et les caractères de la subconscience extériorisable. Il faut considérer successivement :

La lucidité dans l'hypnose ou états analogues.

2° La lucidité et l'état normal.

1° Lucidité dans l’hypnose : La lucidité vraie peut toujours s'expliquer par des connaissances subconscientes ou par l'usage du sens unique de l'être subconscient exté­riorisé et susceptible d'être projeté fort loin de l'organisme.

S'il s'agit d'un événement présent, l'explication senso­rielle ne fait pas de difficultés. S'il s'agit d'un événement passé, il faut admettre, comme je l’ai déjà dit, ou bien qu'il a laissé des traces quelconques et quelque part suffisantes pour être acces­sibles de la même manière, ou bien plutôt que sa con­naissance était dans la subconscience du sujet ou dans la subconscience d'une personne quelconque accessible au sujet. S'il s'agit d'un événement futur, il est nécessaire de conclure que la subconscience du sujet a pu connaître et embrasser suffisamment de faits présents et passés relatifs à l'objet de sa prévision, pour en déduire l'avenir.

Dans le cas de prédiction réalisée faite à une personne quelconque, le somnambule aura pu puiser la connaissance de tous les faits passés et présents relatifs à cette personne dans la subconscience de cette dernière qui les a tous em­magasinés. Dès lors, il aura deviné dans les grandes lignes son avenir.

2° Lucidité en dehors de l’hypnose : il faudrait admettre, pour l'expliquer, que les sens normaux peu­vent, dans certaines conditions, connaître les éléments constitutifs de la subconscience d'une personne quel­conque. Si cela était possible, le sujet non endormi pourrait connaître le passé, le présent et consécutivement l'avenir de cette personne.

Eh bien, il est une explication vraisemblable, à mon avis, de cette possibilité, pour les sens normaux, de con­naître la subconscience d'une personne quelconque. Les sens normaux liraient simplement dans certains effets extérieurs produits par le rayonnement normal périphérique de la subconscience.

Je m'explique : la portion de la subconscience qui rayonne hors de la périphérie de l'organisme, à l'état normal, reste en rela­tion intime avec l'ensemble de l'être subconscient. Elle a par conséquent toutes ses facultés, sensitives, motrices, organisatrices et psychiques, à un degré élémentaire d'activité, mais néanmoins complètes. Comme ses facultés diverses sont inséparables les unes des autres et forment un tout synthétisé dans l'être subconscient, on pourrait, en constatant et en étudiant les effets d'une seule de ces facultés, juger de l'ensemble de l'être subconscient.

Or, il est précisément deux de ces facultés qui se mani­festent par des effets physiques appréciables aux sens normaux : la faculté motrice et la faculté organisatrice. Contentons-nous d'envisager cette dernière, la plus impor­tante à ce point de vue.

La faculté organisatrice élémentaire du rayonnement périorganique peut, théoriquement, influencer les molé­cules de certaines substances, les organiser dans un certain ordre, constituer ainsi, avec ces molécules, des caractères physiques qu'il suffirait de savoir lire et déchiffrer pour apprécier, d'après les effets de cette faculté organisatrice, toutes les autres facultés et tout ce qui appartient à l'être subconscient : son passé, son présent et son avenir.

On pourrait lire ces caractères révélateurs par différents procédés. On les trouverait sur l'organisme même, façonné par l'être subconscient, et particulièrement sur la main, servi­teur le plus actif de la pensée (c'est la chiromancie). On pourrait provoquer ces caractères, en dehors de l'organisme, par le contact de certaines substances capa­bles d'attirer ou même de fixer les effluves rayon nants, comme l'a prouvé M. de Rochas dans l'extériorisation de la sensibilité. Dès lors, on arriverait peut-être à ne plus trouver ab­surde la prétention de certains sujets à « lire », par ce procédé, dans l'eau, dans certaines poussières, dans le marc de café.

Je n'insiste pas sur un sujet que je n'ai entrepris qu'avec répugnance. J'ai voulu simplement montré ; qu'il était possible, même en admettant tout, de tout expliquer dans le domaine de la lucidité, sans en faire une faculté surnatu­relle ou simplement merveilleuse :

La lucidité n'est qu'une capacité d'action sensorielle indépendante, dans une certaine mesure, des condi­tions de l'espace et du temps.

9° Explication du médiumnisme :

Peut-on expliquer tous les phénomènes médiumniques par l'action de l'être subconscient extériorisé ? Doit-on prendre en considération l'hypothèse spirite ? Telles sont les deux questions qu'il est maintenant bien facile de résoudre :

Peut–on tout expliquer par l’action de l’être subconscient extériorisé ? On le peut cela est bien cer­tain, à la condition rigoureuse d'accepter la définition, la description et l'interprétation intégrales que nous avons été conduits à donner de l'être subconscient extériorisable. Seulement, cette explication exclusive de médiumnisme, tout en étant possible, entraîne de grandes difficultés : l'être subconscient attribue aux esprits des morts ce qui vient en réalité de lui : donc, l'être subconscient se trompe ou nous trompe sur ce point.

S'il se trompe, c'est que ses facultés de clairvoyance sont limitées, et alors on ne comprend plus comment il connaîtrait tous les détails minutieux qu'il donne parfois comme preuves d'identité des «esprits» et comment il peut savoir leur caractéristique complète, alors qu'il ne sait pas ce qui concerne sa propre identité.

S'il nous trompe, aussi constamment, sans raison plau­sible, il ne peut plus être considéré comme ayant un rôle supérieur dans le moi. Bien plus cet être subconscient ne se contenterait pas de nous tromper aussi pitoyablement, il irait parfois jusqu'à se mettre en opposition avec l'être conscient et jus­qu'à chercher à lui faire du mal (voir page 95) .

C'est tout à fait inconciliable avec les notions que nous avons acquises sur la subconscience.

Faut-il donc prendre en considération l'hypothèse spirite ?

Avant de répondre, voyons l'objection essentielle faite à cette hypothèse par la majorité des savants qui se sont occupés de la question. La voici : du moment que l'extériorisation et la subconscience peuvent tout expliquer, il est contraire et la méthode scientifique de faire appel à une hypothèse nouvelle le Spiritisme.

Ce raisonnement serait irréfutable si le spiritisme con­stituait une hypothèse nouvelle. Mais il n'en est rien le spiritisme est tout entier dans l'hypothèse intégrale de l'être subconscient extériorisable.

La constitution progressive de l'être subconscient extériorisable dans des organismes successifs implique l'an­tériorité et la survivance de l'être à ces organismes.

Elle implique, par conséquent, la certitude de l'exis­tence de l'être, après la destruction de l'organisme maté­riel ; c'est-à-dire la possibilité de l'action spirite. Il n'est donc pas possible, si l'on admet l'hypothèse intégrale de l'être subconscient extériorisable, de repousser le spiritisme.

L'hypothèse, spirite et l'hypothèse animique[83] sont une seule et même hypothèse que l'on peut résumer ainsi : tous les phénomènes de psychologie anormale sont produits par l'individualité subconsciente, soit extério­risée partiellement, soit extériorisée totalement, ou désincarnée.

Maintenant, il faut reconnaître que, précisément parce que les deux explications se confondent, il n'est pas de ligne de démarcation nette entre l'une et l'autre, au point de vue pratique. On ne pourra vraisemblablement jamais que faire des calculs de probabilité.

Très souvent, si l'on se débarrasse de toute idée précon­çue, on trouvera que la probabilité est infiniment plus forte pour l'explication spirite que pour l'explication animique[84].

10° Conclusion :

La conclusion à laquelle je suis arrivé relativement à l'être subconscient me semble inattaquable scientifique­ment, si l'on admet l'authenticité des faits dont elle est déduite.

On ne peut guère la combattre que par la négation ou la mise en doute de cette authenticité.

Seulement, on ne peut nier tous les faits :

L'hypnotisme, l'hystérie, les dédoublements de la per­sonnalité, les manifestations subconscientes dans la psy­chologie normale, ne sont pas plus niés qu'ils ne sont niables.

Or, ce qui me frappe précisément, c'est qu'aucun de ces phénomènes n'est compréhensible en dehors de l'hypo­thèse nouvelle ; et que, réciproquement, cette hypothèse une fois admise, tous les autres phénomènes perdent leur apparence de merveilleux et s'expliquent aussi facile­ment que les premiers.

Il importe donc relativement peu que tous ne soient pas également certains : tous sont également possibles. Il n'est pour ainsi dire pas besoin du psychisme tran­scendant ni du médiumnisme : la symptomatologie vulgaire de l'hystérie ; les manifestations les plus classiques de l'hypnose conduisent, par un raisonnement rigoureux, aux mêmes conclusions.

Sans pousser à l'extrême les conséquences de ce rai­sonnement, on peut se contenter d'affirmer une très forte probabilité en faveur de l'interprétation nouvelle de la psychologie, des phénomènes conscientiels et des mani­festations subconscientielles.

Il serait prudent de ne pas pousser plus loin, pour le moment, nos tentatives d'investigation.

Qu'il me soit cependant permis d'essayer timidement une adaptation des notions nouvelles à la philosophie moniste.

On arrive à des déductions générales tellement satisfai­santes que je ne résiste pas à la tentation de les exposer.

DEUXIÈME PARTIE

ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE NATURALISTE D’APRES LES NOTIONS NOUVELLES

Principe unique et mouvement considérés comme inséparables et identiques. - Double mouvement général, analytique, puis synthétique de l'Absolu. - Involution et évolution. - Involution n'implique pas déchéance. – Matière, force et intelligence conçues comme les apparences diverses du principe unique. - L'évolution conçue comme fatale. - Les lois évolutives : Progression. Effort. Solidarité. - Mode d'application générale des lois évolutives : Nécessité, instinct, devoir, liberté – Déterminisme et liberté. - L'évolution de l'être vivant organique et psychique. – La solidarité dans l'être vivant. - Origine et destinée de la Force – Intelligence de l'être . - Conséquences de la doctrine nouvelle, au point de vue philosophique, moral, social et individuel.

1° Principe unique et mouvement considérés comme inséparables et identiques :

Conformément aux doctrines monistiques, on peut idéalement tout ramener à l'Unité et au mouvement ; ou plutôt l’Unité-mouvement. Tout ce qui est et tout ce qui est possible n'est et ne peut être que mouvement d'un principe unique.

Le principe unique est forcément actif : immobilité équi­vaudrait à néant. Il n'y a pas à chercher le pourquoi de son activité : il est actif parce qu'il est.

Le principe unique et le mouvement ne sont pas, en effet, deux choses séparées ni séparables ; on ne peut con­cevoir l'un indépendamment de l'autre. Ils sont une seule et même chose (pour la désignation de laquelle un terme nouveau serait nécessaire), l’Unité-mouvement.

Pour baser une interprétation complète de l'univers sur cette conception de l'unité absolue, on ne peut éviter l'hypothèse générale des grands systèmes panthéistes, rela­tive à un double mouvement analytique et synthétique de la substance universelle. Il n'est pas possible, en effet, de concevoir un premier mouvement de l'Unité absolue autrement que comme un mouvement de division, de délimitation, d'analyse. La création finie, limitée, n'est que la conséquence d'un mouvement, ou plutôt d'une série de mouvements, d'une vague analytique dans le sein de l’Unité absolue.

Lorsque le mouvement analytique est terminé (et il ne peut persister à l'infini comme mouvement analytique, puisqu'il constitue précisément ce qui est fini et relatif), l'activité de la portion du principe unique ainsi délimitée persiste intacte, rien ne se perdant. Elle se traduit alors par un mouvement général, une série de mouvements, en sens inverse du mouvement créateur, une vague synthétique ou vague de retour à l'unité.

La vague analytique est souvent désignée sous le terme d'Involution ; la vague synthétique représentant l'Evo­lution. Avant de les étudier, il y a lieu d'aller au-devant d'une objection faite de tout temps aux systèmes panthéistes. C'est la prétendue nécessité où l'on serait de concevoir le mouvement involutif comme un processus de déchéance.

C'est là une simple erreur d'interprétation (faite du reste quelquefois par les partisans même du panthéisme). Il est tout à fait illogique d'établir une inégalité compa­rative entre un monde « involué » et un monde « évolué ».

L'inégalité n'est qu'apparente, ou si l'on veut, relative à notre manière de voir, à notre conception erronée des choses.

Dans la portion du principe unique involuée et dans la même portion évoluée, il y a somme égale de « matière­-force-intelligence » puisqu'il y a toujours somme égale d'activité. Seulement la matière, la force, l'intelligence sont distri­buées différemment selon le mode d'activité du principe unique qui les constitue.

Matière, force, intelligence ne sont que des apparences diverses d'une même chose, dues simplement, non pas à une différence d'activité, mais à un mode différent de cette activité.

En d'autres termes, la somme totale d'activité ne sau­rait varier, puisque rien ne se perd ni ne se crée ; mais elle donne lieu à des apparences phénoménales diverses suivant son degré de subdivision ou de concentration.

Si notre jugement nous porte à considérer un monde « involué » comme inférieur au monde « évolué », c'est parce que le processus analytique d'involution a pour effet de subdiviser l'activité totale, d'étaler pour ainsi dire cette activité sur une large surface et par conséquent de la faire paraître plus faible. Si, au contraire, nous accordons une superiorité au monde « évolué », c'est parce que le processus synthétique d'évo­lution a pour effet de concentrer l'activité totale, et par conséquent de la faire paraître plus forte.

Mais, concentrée ou divisée, la somme totale d'activité reste la même : l'apparence seule variera. L'involution du principe unique n'est donc nullement une déchéance.

2° Involution :

Puisque la création d'un monde ne consiste que dans un mouvement d'involution, c'est-à-dire de délimitation, de division du principe unique, toutes les parcelles de ce monde seront parcelles du principe unique ; c'est-à-dire seront à la fois intelligence, force et matière.

Tout ce qui est matière est aussi force et intelligence.

Tout ce qui est force est aussi matière et intelligence.

Tout ce qui est intelligence est aussi force et matière.

Ce sera toujours, sous une triple apparence, le prin­cipe unique ; et cette apparence elle-même dépendra des variations apparentes d'activité, c'est-à-dire des modes du mouvement. La matière, qui donne l'illusion du repos, représente le principe unique à son minimum apparent d'activité (l'ac­tivité étant subdivisée sur une très large échelle).

L'intelligence représente le principe unique à son maximum apparent d'activité (l'activité étant concentrée). La force représente le principe unique à son degré moyen apparent d'activité. Lorsque le mouvement d'involution ou de création sera terminé, l'activité du principe unique étant nécessaire­ment réduite au minimum apparent, par le fait même du processus de division et de délimitation, l'apparence matière sera prédominante.

L'intelligence sera inappréciable.

3° Évolution :

Alors commence l'évolution.

L'évolution étant le mouvement de synthèse consécutif au mouvement d'analyse, le retour à l'unité du principe unique involué a son explication entière dans ce mouve­ment de retour.

Envisagée en elle-même, en effet, l'évolution n'est qu'une simple constatation, n'apprenant rien sur l'essence intime du phénomène (puisqu'il n'est pas possible de com­prendre comment le plus pourrait sortir du moins, si le moins ne renfermait en puissance toutes les possibilités du plus). Tout devient clair, au contraire, si l'on admet que l'évo­lution a, dans l'activité primordiale du principe unique involué, sa cause nécessaire et sa cause suffisante : sa cause nécessaire, parce que l'évolution est fatalement précédée de l'involution. Sa cause suffisante, parce que le mouvement d'invo­lution est fatalement suivi du mouvement de synthèse évo­lutive qui complète le cycle.

Donc l'évolution se fait nécessairement et toujours dans le sens de la synthèse ; c'est-à-dire suivant notre manière de voir, est toujours progressive[85], malgré des régressions passagères possibles dans les détails. Elle est toujours progressive ; parce que, par le seul fait du mouvement de synthèse, l'activité apparente du principe unique, laquelle avait été diminuée par le pro­cessus de division involutive, augmentera sans cesse. La progression consistera dans l'apparition, puis dans la prédominance finale de la phase intelligence sur la phase matière.

Puisque l'évolution progressive est fatale, tout monde créé devra la subir.

Quelles que soient les conditions extérieures où ce monde se trouve placé (physiques ou chimiques), ce monde donnera naissance, plus ou moins vite, aux manifestations de la vie et de la conscience.

4° Les lois évolutives :

a) La loi de progression est donc la loi essentielle de l'évolution. L'évolution ainsi comprise diffère, dans son essence, de l'évolution expliquée, d'après les premières constatations des sciences naturelles, par la lutte pour la vie et l'influence du milieu ambiant. Toutefois, lutte pour la vie et influence du milieu ont un rôle important, et nous le constatons dans l'application d'une deuxième loi évolutive.

b) La loi de l’Effort : Cette loi fatale dans son essence, comme l'est la loi de progression, est variable dans ses résultats. L'effort nécessité par la lutte pour la vie varie, en effet, suivant les conditions du milieu ambiant. De là les modes divers, les termes variables dans l'évolution. Mais, remarque essentielle, l'évolution se fait non pas par l'influence du milieu et de la lutte pour la vie, mais conformément à cette influence.

La loi de l'effort n'est donc, dans l'évolution, qu'une loi favorisante. Elle la favorise en la conformant aux influences ambiantes et en l'activant. Elle ne pourrait ni créer ni modifier le sens toujours progressif de l'évolution[86].

Cette loi favorisante de l'effort est la cause des très grandes différences de détails d'un monde à un autre monde ; et des innombrables différenciations de formes constatées dans un même monde. Elle est aussi la cause des nombreuses et considérables inégalités des parties évoluantes. La loi de l'effort dans la lutte pour la vie et par l'influence du milieu a pour résultat d'activer l'évolution et aussi de créer les variétés et les inégalités.

Aux deux lois de progression et d'effort s'ajoute une troisième, non moins évidente et non moins importante, et qu'on peut appeler :

c) La loi de solidaritié : par cette loi, toutes les portions les plus diverses et les plus éloignées d'un monde créé par l'involution, restent dans l'évolution, solidaires les unes des autres ; elles ne peuvent évoluer que les unes avec les autres et les unes par les autres.

Les effets de cette loi se peuvent constater partout et en tout : entre les mondes d'un même système (et probablement aussi entre les systèmes voisins) entraînés autour d'un ou plusieurs astres centraux et solidaires par l'attraction par certains phénomènes magnétiques ou électriques, etc.. Entre les portions constituantes d'un même monde, forcément solidaires matériellement, intellectuellement et moralement ; entre les minéraux, les végétaux et les animaux, parcelles du principe unique à des degrés diffé­rents d'évolution, mais inséparables les uns des autres par le seul fait des nécessités organiques et fonctionnelles.

Entre les portions constituantes d'un être organisé.

On sait qu'un être est constitué en réalité par un agré­gat d'êtres élémentaires et solidaires dans l'ensemble. De plus, dans un être, il y a de la matière, de la force et de l'intelligence, c'est-à-dire des parcelles très inégale­ment évoluées du principe unique, mais restées néan­moins solidaires dans leur progression. La loi de solidarité se subdivise en lois secondaires :

a) Loi d'attraction entre les mondes et les atomes.

b) Loi d'affinité ou de sympathie, par laquelle la solidarité entre les parties évoluantes est d'autant plus active et puissante que ces parties évoluantes sont plus rapprochées par leur phase et leur niveau d'évolution. Ainsi l'intelligence est surtout solidaire de la force, et la force de la matière, ce qui fait que la force est l'inter­médiaire nécessaire pour l'action de l'intelligence sur la matière.

Grâce à cette subdivision de la loi de solidarité, il y a gradation de solidarité de l'animal à l'homme ; du sauvage à l'homme civilisé ; de l'homme civilisé au compatriote, au parent, etc.

La sélection naturelle, dont l'importance dans le pro­cessus évolutif a peut-être été exagérée, n'est qu'une application de la loi d'affinité. Chez l'homme un peu élevé, la sélection naturelle n'est plus seulement physique, mais aussi intellectuelle et mo­rale. On peut espérer, avec Guyau que, dans l'avenir, l'union de l'homme et de la femme sera basée exclusive­ment sur l'amour et la sélection intellectuelle.[87]

Telle est la loi de solidarité. Cette loi présente une conséquence capitale : elle atténue les effets fâcheux de la lutte pour la vie et rétablit dans l'ensemble l'égalité détruite dans les détails par la loi de l'effort. Les parties les plus évoluées ne peuvent continuer leur évolution qu'en favorisant celle des parties moins évoluées. La loi de solidarité est au moins aussi importante dans l'évolution que la loi de l'effort. La solidarité n'est pas une simple principe de morale, c'est une nécessité absolue, un rouage essentiel de l'évolution : c'est faute d'avoir mis en lumière la loi de solidarité à côté de la lutte pour la vie, que le transformisme a pu être si souvent mal interprété et qu'il a provoqué ce jugement stupéfiant d'une certaine école : « la nature est immorale » !

Nous verrons plus loin combien les notions nouvelles sur la destinée individuelle font ressortir davantage la loi de solidarité, la mettant au premier plan dans l'évolution progressive de la nature et des êtres.

Tout être avancé a la conscience, ou tout au moins l'in­tuition de cette grande loi : « Celui-là est le meilleur, dit Guyau, qui a le plus conscience de sa solidarité avec les autres êtres et avec le tout [88]. »

En résumé, l'évolution est soumise à trois lois essentielles :

La loi de progression ;

La loi de l'effort ;

La loi de solidarité.

La première détermine le sens fatalement progressif de l'Évolution. La deuxième favorise et accélère l'évolution, mais crée des inégalités dans les parties évoluantes. La troisième compense ces inégalités et rétablit l'égalité dans l'ensemble.

5° Mode d'application générale des lois évolutives :

Si l'on étudie le mode d'application générale des lois évolutives de Progression, d'Effort, de Solidarité, on constate qu'il varie conformément aux phases de l'Évolution.

Au début de l'Évolution, l'Intelligence est inappréciable ; le monde créé est inconscient. L'application des lois évo­lutives est donc purement mecanique. La progression forcée s'effectue conformément au milieu ambiant. Lorsqu'apparaît un rudiment de conscience, à une cer­taine période de l'évolution, l'application des lois n'est plus seulement mécanique, elle devient instinctive. Les êtres inférieurs s'y soumettent instinctivement, en même temps qu'ils y sont contraints par la nécessité. L'apparition de cet instinct facilite l'application des lois évolutives, parce que la satisfaction de l'instinct est déjà un plaisir.

A une période plus avancée encore, l'application des lois devient morale. Les êtres assez élevés (animaux supérieurs, hommes) s'y soumettent non seulement par nécessité et par instinct, mais aussi par devoir.

Les trois lois de progression, d'effort, de solidarité, sont la base de la morale naturelle. Malheureusement, cette base est souvent méconnue. L'homme ne comprend ni l'origine ni le but vrais du devoir, ni le devoir lui-même. De là les déviations de la morale, les préjugés encom­brants, les restrictions et obligations inutiles ou nuisibles. De là une conception faussée du châtiment et l'idée des sanctions surnaturelles. (Nous verrons plus loin quelles sont les véritables sanctions.)

A une phase très avancée de l'évolution, l'application des lois naturelles devient consciente et libre. Les êtres élevés ont compris leur origine et leur fin ; ils savent et sont libérés proportionnellement à leur déve­loppement conscient. Ils échappent, dès lors, dans une large mesure, à l'idée pénible de l'obligation, à la conception relativement inférieure et douloureuse du devoir. C'est librement qu'ils se conforment aux lois évolutives, parce qu'ils savent que la progression, l'effort et la soli­darité sont les conditions naturelles de leur bonheur.

La phase du devoir a fait place, pour eux, à la phase de conscience, c'est-à-dire de liberté et d'amour. Cette conception de la liberté assimilée à la connais­sance nous amène forcément à la discussion du libre arbitre et du déterminisme.

Comment peut-on envisager la question dans un esprit conforme aux idées que j'ai exposées ?

Tout d'abord, il faut admettre le déterminisme absolu dans l'ensemble, puisque l'évolution se fait dans un sens nécessairement progressif, et suivant des lois im­muables.

Si l'on entend par liberté la possibilité d'échapper aux lois naturelles, d'ajouter ou de retrancher quelque chose à la nature, on fait de liberté le synonyme de faculté sur­naturelle, ce qui est absurde. Si, au contraire, on assimile la liberté à la connaissance, la liberté est possible : connaître les lois naturelles et leurs modes d'action, c'est être capable de les mieux utiliser pour le progrès général et le bonheur individuel. Plus la con­naissance s'étend, plus augmente la liberté. Conscience et liberté sont inséparables l'une de l'autre. A la base de l'évolution, la liberté est nulle, parce que la conscience est nulle.

A la phase moyenne de l'évolution, la liberté est rela­tive et proportionnelle à l'étendue de la conscience. Appliquée à cette phase, la vieille comparaison classique est toujours juste : l'être est libre dans une certaine me­sure, comme l'oiseau dans sa cage ou comme le prisonnier enchaîné. La cage peut être plus ou moins vaste, la chaîne plus on moins longue. Le degré de sujétion dépend du degré d'ignorance.

A la phase supérieure de l'évolution, on peut supposer idéalement la connaissance complète, l'omniscience. Dès lors la liberté serait absolue. Mais le raisonnement nous amène alors à une déduction intéressante : c'est que liberté complète n'est pas contra­dictoire avec déterminisme absolu. Cette opinion, d'apparence si paradoxale, n'est qu'une simple application de la théorie des extrêmes : liberté absolue et déterminisme absolu se confondent, parce que, de toute évidence, un être omniscient se déterminera toujours et sans hésitation dans le sens le meilleur, lequel, bien entendu, sera toujours conforme aux lois naturelles.

En résumé, l'application des lois évolutives de progression, d'effort, de solidarité, est d'abord mécanique, puis instinctive, puis morale, puis consciente et libre.

Nécessité, instinct, devoir : tels sont les échelons inférieurs de l'évolution. Conscience, avec ses dépendances, liberté, amour, bonheur, tel est le sommet que l'évolution permettra d'atteindre.

6° L'évolution en ce qui concerne l'être vivant :

Maintenant que nous connaissons les lois qui président à l'évolution et leurs modes d'application, l'évolution elle-même, en ce qui concerne les êtres vivants, sera facilement comprise dans tous ses détails. Nous savons que le résultat de l'évolution sera d'amener la prédominance de l'intelligence sur la matière, dans l'ensemble du monde évoluant.

Mais comme les parties constituantes de ce monde évoluent inégalement, il en résulte qu'il présentera très rapidement, à une certaine période, le principe unique dans ses trois phases diverses : matière, force, intelligence.

Or, matière, force, intelligence resteront solidaires et ne pourront continuer leur évolution que l'une avec l'autre et l'une par l'autre.

C'est pour cela que les éléments arrivés à la phase « intelligence », s'uniront nécessairement, pour progresser, aux éléments encore à la phase « force » et à la phase « matière ».

Prenons un etre vivant et étudions-en la composi­tion. Il comprend de l'intelligence, de la force, de la matière : Un organisme matériel dont les éléments sont maintenus dans la forme donnée par une force et dirigés par une intelligence. Chaque organe de cet être est également constitué par des éléments matériels, une force et une intelligence élé­mentaires.

De même chaque cellule, de même chaque molécule[89].

Quelle est l'origine immédiate de la force et de l'in­telligence dans le tout et dans les parties ?

En prenant comme base la doctrine moniste, deux explications peuvent être proposées :

a) La force-intelligence était en puissance dans le germe organique fécondé ; elle a son origine dans l'évo­lution et le développement de ce germe et son principe d'action dans le fonctionnement de l'organisme adulte.

b) La force-intelligence préexistait à l'organisme maté­riel et n'est qu'unie momentanément à lui pour l'évolution solidaire. Or, si nous nous reportons à notre étude de la psycho­logie, d'après les données nouvelles, nous voyons que ces deux opinions ne sont pas contradictoires et qu'au con­traire elles sont justes 1' une et l'autre.

Une portion de la force-intelligence de l'être, est en majeure partie dépendante et inséparable du fonctionnement, organique : c'est la force-intelligence consciente, la personnalité actuelle. Une portion de la force-intelligence est en majeure partie indépendante et séparable du fonctionnement orga­nique : c'est la force-intelligence subconsciente l'individualité qui est simplement la somme des personnalités successives.

Je ne reviens pas sur les rapports réciproques, ni sur le rôle de la personnalité et de l'individualité.

7° Quelle est la destinée de la force-intelligence ?

Nous la connaissons déjà par notre étude psychologique :

La force-intelligence personnelle disparaît, en tant que personnalité autonome, après la mort de l'organisme ; mais tout ce qui l'a constituée reste dans la force-intelli­gence individuelle. Aucune parcelle de force-intelligence n’est donc  perdue.

La force-intelligence individuelle, immortelle, se développe ainsi peu à peu dans des organismes et par des  personnalités successifs qu'elle contribue à former et dont elle synthétise et conserve toutes les acquisitions. On comprend immédiatement que la personnalité actuelle d'un être n'ait pas connaissance, sauf par éclairs, des états antérieurs de l'individualité. Mais l'individualité a le souvenir complet et intégral de toutes les personnalités ; et, après la mort, après la fusion de la personnalité dernière dans l'individualité, il

179

n'y a plus qu'une seule force-intelligence synthétique qui sait et se souvient ; et qui se trouve dans un état d'avancement, c'est-à-dire de conscience et de liberté plus ou moins étendu.

L'ignorance de la personnalité relativement à l'indivi­dualité n'est que momentanée, et ne peut être que momen­tanée. Cette ignorance, au point de vue de la philosophie de l'évolution, n'est pas un mal : c'est une nécessité.

Il est nécessaire que l'être, dans ses phases inférieures (et chaque personnalité est une phase inférieure), ignore sa destinée et son état réel pour qu'il se soumette et se conforme le mieux possible à la loi de l'effort. Pour cela, il faut qu'il craigne la mort ; qu'il se déve­loppe conformément au milieu où il naît, sans être gêné par la comparaison avec les états antérieurs.

Souvenirs, affections, rancunes passés le détourne­raient en effet de sa voie.

De même la connaissance de ses fautes antérieures, ou de celles de ses semblables, ne pourrait que gêner sa vie actuelle. De même enfin, l'usage des acquisitions psychiques anciennes l'empêcherait souvent de travailler comme il le doit à des acquisitions nouvelles qui ne lui paraîtraient pas indispensables.

Tous ces arguments expliquent aussi l'utilité de la mort : la mort des personnalités successives est simplement une condition favorisante des progrès de l'individualité, en rendant nécessaire son passage, sa réincarnation dans des organismes très divers.

Ce que je viens d'exposer touchant l'être vivant s'applique naturellement aussi aux forces-intelligences élémentaires qui constituent son organisme. Elles progressent de la même manière. Ainsi donc, la mémoire individuelle persiste dans les transformations progressives de l'intelligence.

L'être, arrivé à la conscience, ne la perdra plus ; mais la développera sans cesse, en évoluant solidairement avec des organismes de plus en plus perfectionnés, et dans les conditions les plus variées. Sa progression sera plus ou moins rapide ; mais elle sera toujours ; et après avoir traversé une immense série d'in­carnations et de désincarnations, l'être arrivera aux phases supérieures de son évolution : les phases de liberté et de bonheur.

Incarnations et désincarnations sont donc les situations alternatives de l'intelligence individuelle. Elles auront lieu, bien entendu, suivant le mode d'application des lois qui régissent toute l'évolution : inconscientes et forcées au début ; elles deviennent conscientes et libres dans les phases supérieures.

Les êtres supérieurs ne se réincarnent plus par néces­sité ou par instinct ; mais librement, soit pour leur pro­pre progression, soit pour celle de leurs frères ; soit dans les humanités des planètes avancées, soit dans les humanités inférieures, porteurs de vérités essentielles, précurseurs et souvent martyrs. Ils peuvent aussi, désincarnés, échappant à la douleur, libres, conscients, heureux, jouir du progrès accompli.

Le monisme ainsi complété et transformé, en accord avec toutes les connaissances scientifiques, donne une in­terprétation simple, claire et complète de l'univers, de la cause première, du but de la vie, de la destinée des mondes et des êtres.

Enfin et surtout, cette interprétation est entièrement satisfaisante et réfute, du même coup, toutes les objections de l'idéalisme et toutes les déductions hâtives et fausses du pessimisme.

Je ne ferai qu'indiquer sommairement les conséquences de la doctrine nouvelle, les ayant déjà exposées ailleurs (cf. Revue générale du Spiritisme).

8° Conséquences de la doctrine nouvelle :

La première conséquence de la doctrine nouvelle est la suppression des obscurités et des querelles de mots amas­sées autour de la cause première : l'hypothèse d'une divinité extérieure à l'univers est définitivement abandonnée.

Inutile au point de vue métaphysique, cette hypothèse est inutile aussi au point de vue idéaliste et moral. Elle est donc totalement superflue ; incompatible avec la méthode scientifique et avec la simple raison. Elle est inutile au point de vue idéaliste et moral, parce que le monisme, intégralement conçu d'après les données nouvelles, permet : une admirable explication du mal ; la fondation d'une morale sur une base inébranlable morale assurée d'une sanction parfaite et naturelle ; enfin une solution logique de la question sociale et des problèmes intéressant l'individu.

A. explication du mal : Le mal est à la fois :

La mesure de l'infériorité des mondes ;

La condition favorisante de l'évolution.

1° Le mal est la mesure de l’infériorité des mondes : En effet, le mal diminue en proportion du progrès. C'est là une proposition trop évidente, surtout avec les idées nouvelles sur l'évolution, pour qu'il soit nécessaire de la développer. Le mal n'est qu'un état transitoire, attaché nécessaire­ment aux phases inférieures de l'évolution : c'est le résultat de l'ignorance et de la nécessité. Le mal est purement négatif et cesse peu à peu par l'ac­quisition continue de la conscience et de la liberté, c'est­-à-dire du bien.

2° Le mal est la condition favorisante de l’évolution : C'est le mal, en effet,qui impose l'effort, la lutte pour la vie, le travail, et aussi la solidarité, dans les phases inférieures de l'évolution. Le mal empêche l'être de s'immobiliser dans sa situa­tion présente, le contraint d'aspirer et d'arriver plus vite au bonheur futur. Enfin, il lui donne le mérite d'acquérir peu à peu, par ses propres efforts, ce bonheur futur, dont la jouissance conquise et comprise, sera la compensation certaine des souffrances subies.

Comme chaque progrès acquis diminue le mal et aug­mente la conscience, la liberté et la capacité émotive de l'être, le bonheur futur, dont celui-ci ne peut suffisam­ment comprendre l'essence, à cause de son infériorité actuelle, le bonheur sera le résultat naturel du développe­ment psychique coïncidant avec la diminution du mal.

Comme l'évolution est fatalement progressive, tous les êtres, sans exception, échapperont au mal ; tous arriveront au bonheur ; mais ils y arriveront plus ou moins vite, suivant qu'ils se conformeront plus ou moins aux lois évolutives de progrès, d'effort, de solidarité.

B. morale : Les lois évolutives de progrès, d'effort, de solidarité constituent toute la morale naturelle.

Se développer, travailler, s'aimer, s'entr'aider, tels en seront les points essentiels. L'altruisme est une nécessité évolutive : les êtres ne peuvent évoluer que solidairement. Se développer, c'est concourir au développement d'au­trui. Concourir au progrès général, c'est favoriser son propre avancement ; c'est aussi rendre moins pénibles ses incarnations futures. Nuire au progrès général ou à l'évolution d'un être quelconque, c'est retarder son propre bonheur.

C'est pourquoi tous les sentiments bas : l'égoïsme, la haine, la jalousie, l'esprit de vengeance, outre  qu'ils sont la manifestation d'un état inférieur, retardent l'évolution générale et l'évolution propre de quiconque n'a pas su s'élever au-dessus.

La morale, déduite logiquement de la connaissance des lois évolutives, trouve sa sanction naturelle, indépen­dante de tout jugement divin, dans le jeu même de l'évo­lution.

En effet, nous ne sommes jamais que ce que nous nous sommes faits nous-mêmes, par nos propres efforts, dans nos existences successives, préparant inconsciemment, dans chaque incarnation ; l'incarnation suivante, jouissant actuellement des progrès acquis antérieurement ; utilisant les facultés que nous avons su développer ; souffrant aussi des dispositions mauvaises que nous avons laissé s'établir en nous.

De plus, l'observation ou la non-observation de la loi morale précipite ou retarde notre passage aux phases évo­lutives supérieures, au bonheur par conséquent.

La sanction est donc parfaite elle pèse considérable­ment sur les êtres arrivés à un certain degré de liberté morale. Plus l'être est avancé, plus il échappe au détermi­nisme, plus sa conduite réfléchie aura d'influence sur sa progression. Plus, par conséquent, la sanction sera assurée. L'importance de la sanction sera toujours pro­portionnelle au degré de liberté morale.

La sanction de la loi morale est la cause principale des inégalités constatées chez les êtres parvenus à la phase évolutive du devoir.

En effet, les inégalités accidentelles ou consécutives aux conditions variables d'incarnation (organisme plus ou moins défectueux, influence du milieu et de l'éducation, etc.), ces inégalités s'annihilent et se neutralisent dans une série assez vaste d'incarnation, de sorte que tous les êtres subis­sent une somme sensiblement égale de hasards heureux ou malheureux. Donc, les inégalités morales ou intellectuelles viennent surtout de l'observation et de la non-observation des lois morales évolutives (dans une série d'individus rapprochés par les conditions de naissance et de vie).

C. La question sociale : On conçoit maintenant les conséquences capitales de la philosophie nouvelle, au point de vue social et individuel.

Une première conséquence, c'est la résignation néces­saire aux inégalités humaines ; inégalités intellectuelles, morales et conséquemment matérielles, puisque ces inéga­lités sont le résultat inévitable du jeu de l'évolution, en même temps qu'une sanction de la loi morale.

La deuxième conséquence, c'est l'importance indéniable de la solidarité dans toute conception sociale, puisque la solidarité est une loi évolutive à laquelle aucun être ni aucune nation ne peut se dérober.

Seulement la solidarité sociale ne devra jamais viser qu'à atténuer les maux qui résultent de la lutte pour la vie, à rendre l'effort individuel moins douloureux et plus utile. Elle ne doit pas se proposer de restreindre l'effort individuel ni de le réglementer. C'est qu'en effet, l'idéal de liberté, acquisition suprême de la conscience individuelle, est inséparable de la notion de solidarité.

Ces deux principes de solidarité et de liberté domine­ront la société future. Individualisme et altruisme, tels seront les deux termes, facilement conciliés, de la formule qui synthétisera les rapports des hommes entre eux. Ils signifieront : tout homme a droit a son libre développement, et tout homme est solidaire, dans son libre développement, non seulement de ses semblables, mais de tout ce qui pense, de tout ce qui vit, de tout ce qui est.

Pour réaliser son idéal de liberté et d'amour universel, l'humanité devra d'abord s'élever au dessus des préjugés puérils et malfaisants de castes, de religions, de races et de frontières ; puis elle devra se débarrasser des principes factices d'autorité et de justice sociale.

Ces principes, en effet, sont faux dans leur essence ; puisque l'humanité est destinée à progresser toujours et par les libres efforts des individus, et puisqu'une sanc­tion parfaite de la conduite individuelle est assurée.

Ces principes, de plus, sont faussés dans leur appli­cation, puisqu'il n'est pas possible de tenir compte, pra­tiquement, du degré variable de liberté morale des individus que la société s'arroge le droit de juger, et puisque les criminels sont avant tout des êtres inférieurs.

C'est pourquoi les principes de justice et d'autorité sociales ne peuvent plus être conservés, sinon comme des nécessités pratiques de l'heure présente, comme des maux conditions de moindres maux.

Dès maintenant, il faut tendre à les restreindre graduellement ; les enfermer dans leur seul rôle acceptable : celui d'empêcher les abus de la force brutale et d'assurer la liberté et la sécurité des individus.

Dès maintenant, il faut habituer les hommes à se passer d'eux ; faire entrevoir leur suppression prochaine ; montrer en eux non plus des soutiens d'origine divine, mais des instruments grossiers et dangereux, façonnés empiriquement par les peuples en enfance ; que les sociétés civilisées n'emploient plus qu'avec hésitation et défiance, que les humanités futures rejetteront avec dégoût.

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION.. 2

Première partie. 7

Examen au point de vu explicatif de la psychologie normale et de la psychologie anormale. 7

Chapitre I. 7

Faits obscurs de psychologie normale. 7

1°) Est-il possible de ramener toute la psychologie au fonctionnement des centres nerveux ?. 7

2°) Les principales difficultés d'interprétation physiologique dans la psychologie normale proviennent des constatations suivantes : 8

Chapitre II. 13

Faits obscurs de psychologie anormale. 13

1°Les névroses : 13

2° Les manifestations de personnalités doubles ou multiples chez le même individu : 14

3°L'hypnotisme : 18

4° L'extériorisation de la sensibilité : 20

5°Action sensorielle à distance. Clairvoyance. Lucidité : 23

6° Extériorisation et action à distance de la motricité : 25

7° Action à distance d'une faculté organisatrice ou désorganisatrice sur la matière : 30

8° Actions de pensée à pensée : 35

9° Le médiumnisme : 40

10° Résumé général des constatations nouvelles en psychologie normale et anormale : 46

CHAPITRE III. 51

INTERPRÉTATION DES HYPOTHÈSES NOUVELLES EXTÉRIORISATION. SUBCONSCIENCE.. 51

1° Des rapports de l'hypothèse « extériorisation » et de l'hypothèse « subconscience » : 51

2°Origine de l'Être subconscient extériorisable : 53

CHAPITRE IV.. 60

THÉORIE SYNTHÉTIQUE DE LA PSYCHOLOGIE D'APRÈS LES NOTIONS NOUVELLES. 60

1° Interprétation des difficultés dans la psychologie normale : 60

2°Explication des névroses : 61

3° Interprétation des cas de personnalités multiples : 62

4° Interprétation des sommeils : 63

5° Interprétation de l'hypnotisme : 63

6° Explication des actions à distance et des actions de pensée à pensée : 66

7° Explication de la télépathie : 67

8° Explication des faits de lucidité : 67

9° Explication du médiumnisme : 68

10° Conclusion : 69

DEUXIÈME PARTIE.. 71

ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE NATURALISTE D’APRES LES NOTIONS NOUVELLES. 71

1° Principe unique et mouvement considérés comme inséparables et identiques : 71

2° Involution : 72

3° Évolution : 72

4° Les lois évolutives : 73

5° Mode d'application générale des lois évolutives : 75

6° L'évolution en ce qui concerne l'être vivant : 76

7° Quelle est la destinée de la force-intelligence ?. 76

8° Conséquences de la doctrine nouvelle : 77


[1] Berthelot, Science et philosophie.

[2] Voir surtout les Causes finales, de Paul Janet.

[3] Guyau, l’Irréligion de l’avenir.

[4] Cette doctrine a été résumée par Hæckel dans une courte brochure, le Monisme, lien entre la science et la religion, traduction de V. de Lapouge.

[5] Ce n'est pas là un paradoxe : les suicidés sont presque toujours des médiocres, quand ce ne sont pas des malades. Les êtres élevés ne peuvent pas plus se détruire volontairement qu'ils ne pourraient assassiner, faire sciemment le mal, ou simplement haïr.

[6] L’art au point de vue sociologique, introduction.

[7] Parmi les nombreux ouvrages à consulter relativement aux faits de psychologie anormale, je citerai ceux de MM. de Rochas, Aksakof, Gibier, Durand de Cros, Metzger, Erny, Delanne, etc. On ne saurait trop recommander la lecture de la collection des Annales des sciences psychiques.

[8] Je crois inutile d'insister sur ce point : On connaît l'échec des tenta­tives faites pour établir un rapport étroit entre l'intelligence d'une part, et le poids du cerveau, la complexité des circonvolutions, etc., d'autre part.

[9] Voir l’ouvrage de Janet, Automatisme psychologique.

[10] Voir la Philosophie de l'inconscient.

[11] On connaît les cas analogues, si souvent cités, d'Archimède, d’Ampère etc..

[12] Jahm, Mozart, vol. III, cité par le Dr Chabaneix.

[13] Cités par le Dr Pupin.

[14] Idem.

[15] Idem.

[16] Le professeur Teissier a récemment décrit des lésions spéciales à cette maladie.

[17] On a fourni récemment quelques explications qui se réduisent à de simples constatations et ne résolvent pas la difficulté. Je les discuterai lors de l'interprétation générale que je proposerai plus loin (voy. p.136 et 137).

[18] Dr Azam, Hypnotisme et double conscience.

[19] Hypnotisme et double conscience.

[20] Richet, La personnalité dans le somnambulisme (Revue philosophique, de mars 1883).

[21] Dr Azam, Hypnotisme et double conscience.

[22] Berheim, Hypnotisme, suggestions, psychothérapie.

[23]Azam, Hypnotisme et double conscience.

[24] Dr Gibier, Analyse des choses.

[25] De Rochas, Extériorisation de la sensibilité

[26] Expériences de M. de Rochas, Annales des sciences psychiques, 8 janvier 1894.

[27] Annales des sciences psychiques, novembre-décembre 1897.

[28] Dans lequel s'était condensée une partie de sa sensibilité extériorisée.

[29] C’est ce « quelque chose » qui constitue le corps astral, corps psychique, ou périsprit, des occultistes ou des spirites.

[30] Juillet ­août 1896.

[31] Thérapeutique suggestive, p. 282.

[32] Rochas, Extériorisation de la motricité.

[33] Extériorisation de la motricité.

[34] Recherches sur les phénomènes du spiritualisme.

[35] Rochas, Extériorisation de la motricité.

[36] Spiritisme ou Fakirisme occidental.

[37] Annales des sciences psychiques, 1892.

[38]En ce qui concerne Eusapia, la personnalité médiumnique est originale et différente de la personnalité normale. Sous son influence, le sujet entransé parle un français très pur, alors qu'à son état conscient il ne parle que le patois napolitain. Il annonce souvent, en français, les phénomènes qu'il va produire.

[39] Aksakof, Animisme et Spiritisme.

[40] Annales des sciences psychiques, 1896

[41] Annales des sc. ps., février 1897.

[42] A propos d'Eusapia Paladino.

[43] Aksakof, Animisme et Spiritisme.

[44] Crookes, Recher­ches sur les phénomènes du spiritualisme.

[45] J'ai tenté de faire ressortir quelques-unes de ces lois dans une étude spéciale sur le Spiritisme (Essai de revue générale, et d'interprétation synthétique du Spiritisme (Chamuel, éditeur, 2° édition, 1898).

[46] J'étudierai la question dans le chapitre relatif au médiumnisme.

[47] Annales des Sciences psychiques, 1894.

[48] Lire l'ouvrage classique du Dr Ochorowics : la Suggestion mentale. On trouvera toutes les preuves désirables.

[49] Voir : les Hallucinations télépathiques, traduction abrégée des Phantasms of the Living, par MM. Gurney, Myers et Podmore, récit de 700 cas, tous bien recueillis et contrôlés.

[50] Les Hallucinations télépathiques.

[51] Annales des sciences psychiques, 1891.

[52] Extrait des Phantasms of the Living.

[53]J'ai exposé ces recherches et, en général, tout ce qui concerne la question (doctrine philosophique, phénomènes, preuves scientifiques, conséquences) dans ma Revue générale du spiritisme.

[54] L'écriture et le langage automatiques sont produits par les organes mêmes du médium. L'écriture et le langage dits directs sont produits en dehors de ses organes.

[55] L'écriture et le langage automatiques sont produits par les organes mêmes du médium. L'écriture et le langage dits directs sont produits en dehors de ses organes.

[56] Ani­misme et Spiritisme, p. 317 et suivantes.

[57] Animisme et spiritisme, p.323.

[58] Annales des sc. ps., p. 231, 1893.

[59] Animisme et Spiritisme, p.326 et suivantes.

[60] Animisme et Spiritisme, p. 365.

[61] Animisme et spiritisme, p. 358.

[62] Animisme et Spiritisme, p. 370.

[63] Animisme et Spiritisme.

[64] Animisme et Spiritisme, p. 437 et sui­vantes.

[65] Animisme et Spiritisme, p. 488.

[66] Animisme et Spiritisme, p.488.

[67] Compte rendu de M. M. Mangin, Annales des sciences psychiques, 1894.

[68] Voir page suivante

[69] Il faut donc bien distinguer les cas de connaissances subconscientes complexes et précises des observations banales faites journellement dans le domaine de l'hypnose élémentaire : Azam cite par exemple le fait d'un sujet ignorant qui, endormi, balbutiait des phrases de latin. On apprit qu'il avait servi autrefois, dans son enfance, chez un prêtre et qu'il avait pu entendre et retenir inconsciemment quelques bribes de latin. Aucune assimilation n'est possible entre des faits semblables et ceux des connaissances étendues et nettes.

[70] Quelques exemples de nourrissons médiums :

Écriture automatique d'un enfant de cinq mois et demi :

« C'était donc le 6 mars, vers 1 heure de l'après-midi ; la nourrice était assise, tenant l'enfant sur ses genoux, dans le salon, auprès de la cheminée ; j'écrivais à une table, tout près, et Mme Jencken (la mère) se trouvait dans la pièce voisine ; la porte était ouverte. Tout à coup la nourrice s'écria : « L'enfant tient un crayon dans sa main ! »... Je n'y fis d'abord aucune attention, sachant par expérience avec quelle force un enfant vous prend quelquefois le doigt, et continuai à écrire. Mais la nourrice s'exclama immédiatement avec plus d'étonnement encore : « L'enfant écrit», ce qui intrigua Mme Jencken qui alla dans la chambre.

« Je me levai aussi et regardai par-dessus l'épaule de Mme Jencken, et je vis, en effet, que l'enfant tenait un crayon dans sa main et que celle-ci reposait sur le bout de papier avec la communication dont nous prîmes, par la suite, une photographie. La communication était un conseil adressé au père de l'enfant : « j'aime cet enfant, que Dieu le bénisse. Je conseille à son père de rentrer dans tous les cas lundi à Londres. Suzanne. » (Animisme et Spiritisme, p. 346-347.)

Autre exemple : enfant médium de neuf jours. Voici le récit fait par le père : « Sa mère la tenait d'une main sur un coussin, ayant dans l'autre main un livre sur lequel elle avait mis une feuille de papier ; on ne sait par quelle voie le crayon arriva à se trouver dans la main de l'enfant. Dans tous les cas, Valentine (c'est son nom) le tenait ferme dans son petit poing. Elle écrivit d'abord les initiales de ses quatre guides R, A, D, J, après quoi le crayon tomba.

« Je croyais que ce serait tout, mais ma fille, lmogène. s'écria : « Elle « tient le crayon de nouveau ! » L'enfant traça alors les paroles suivantes, d'une écriture incertaine, par-dessus les lettres déjà écrites : non mutare questa e buona prova, fai cosa ti abbiao detto ; addio." (Animisme et Spiritisme, p. 350.)

Je rappelle enfin les cas bien connus d'enfants en bas âge qui prophétisaient en français dans les Cévennes, après la révocation de l'édit de Nantes. (Voir Figuier, Histoire du merveilleux.)

« Un témoin oculaire de ces événements, dit Aksakof, Jean Vernet, raconte qu'il a vu un enfant de treize mois parler distinctement en français et d'une voix très forte pour son âge, tout en ne pouvant pas encore marcher, et n'ayant jamais prononcé une seule parole : il restait couché dans son berceau, tout emmailloté et prêchait les œuvres d'humilité, dans un état de ravissement. »

[71] Hartmann le spiritisme (cité par Aksakov)

[72] Je veux dire, bien entendu, fonction cérébrale actuelle : la subcon­science n'est, d'après l'opinion que j'expose qu'une ex-fonction ou plutôt une synthèse d'ex-fonctions.

[73] Dans la suite de cette étude, le mot individualité désignera toujours l'être subconscient et le mot personnalité désignera l'être conscient.

[74] Aksakof, Animisme et Spiritisme.

[75] Dr P. Sollier, ancien interne des hôpitaux de Paris, Genèse et nature de l'hystérie (F. Alcan, éditeur).

[76] Voir Branly, Compte rendu de l'Acad. des sciences, 22 novembre 1890, 12 janvier 1891, 12 Février 1895, 27 décembre 1897. Voir aussi le mémoire du Dr Gerest, Lyon Médical, 21 août 1898.

[77] Par exemple, lorsque le magnétiseur suggère la projection au loin de la force-intelligence extériorisée, pour la vision à distance.

[78] Ce n'est là, bien entendu, qu'une règle générale. Les êtres supérieurs, qui ont une volonté très forte, mais qui n'ont pas à craindre les écarts de leur suggestibilité, savent toujours s'élever au-dessus du misonéisme, et restreignent le moins possible leur aptitude aux acquisitions nouvelles, même les plus éloignées de leurs idées et de leurs habitudes de penser. Ils sentent instinctivement qu'ils pourront se les assimiler sans bouleverser leur caractéristique personnelle.

[79] C'est-à-dire d'un système d'éducation évitant non seulement la contrainte directe ; mais aussi et surtout la contrainte détournée, moins apparente, mais bien plus puissante et dangereuse, des suggestions systématiques.

[80] Myers, la Conscience subliminale.

[81] Il serait facile de le démontrer expérimentalement : il suffirait de comparer les cas de réussite par suggestion d'hypnose préalable à l'acte, ou par suggestion de l'acte seul.

[82] Bien entendu, on peut aussi faire intervenir l'éther ambiant comme agent de transmission des vibrations de la Force intelligence extério­risée.

[83] Aksakof désigne sous le nom d'animisme les phénomènes dus à l'être subconscient d'un vivant.

[84] On ne saurait trop recommander, à ce point de vue, la lecture appro­fondie du livre d'Aksakof : Animisme et Spiritisme.

[85] Il est bien entendu que le mot progressif, dans tout le cours de cette étude, sera toujours pris dans le sens : progressif relativement à notre habitude de voir, et a notre entendement pour lequel la phase intelligence est supérieure à la phase matière.

[86] L'influence du milieu peut, dans certains cas exceptionnels, provoquer des régressions apparentes de détails (atrophies de certains sens chez les animaux des cavernes). Elle peut, au contraire, amener des formations organiques disproportionnées d'avec les conditions générales de la vie sur la planète (animaux gigantesques disparus), mais ce sont là des acci­dents, des déviations de la loi naturelle de l'effort, sans importance dans l'ensemble, incapables de gêner la loi de progression.

[87] Je recommande, à ce propos, la lecture du très intéressant travail, tout récemment publié, du Dr Joanny Roux : Psychologie de l'instinct sexuel.

Le Dr Roux arrive à une conclusion identique :

« Le choix en amour exerce donc une sorte de sélection par laquelle la race tend constamment à s'améliorer. A côté de la sélection physique, qui existe dans toute la série animale, apparaît la sélection intellectuelle, dont l'existence est certaine chez l'homme... »

En outre des conséquences heureuses au point de vue évolutif, il est certain que l'union sexuelle basée sur l'amour et la sélection intellectuelle offrirait à l'homme et à la femme les meilleures conditions de bonheur terrestre. Seulement, il faut avouer que nous sommes loin du temps où cette conception sera comprise, et remplacera les vils calculs d'intérêt, les con­venances familiales et les considérations plus ou moins basses et mesquines sur lesquels est presque toujours basé le mariage.

[88] Guyau, Éducation et hérédité.

[89] Voir les intéressantes déductions de M. Durand (de Cross) sur le poly­zoïsme et le polypsychisme.

Nenhum comentário:

Postar um comentário